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PROPOSITION ARTICLE 2
VOUS AVEZ DIT « PAYS EN VOIE DE DEVELOPPEMENT ? »
Orthophonistes du Monde est une association à but non lucratif créée en décembre 1992. Dès
l’origine, l’association précise dans ses statuts qu’elle ne peut intervenir que « hors union
européenne ». Il ne s’agit pas là d’une position discriminatoire, mais d’un choix opérationnel qui
précise d’emblée la vocation de l’association à intervenir en faveur des pays les plus pauvres, dits
« en voie de développement ».
Mais que doit-on entendre derrière cette expression ? Cet article propose au lecteur un angle
d’approche et quelques éléments de réflexion sur un sujet qui ne peut - bien sûr - être traité de
manière exhaustive en quelques lignes…
Les « pays en voie de développement » se définissent par opposition aux pays dits « développés » ou
« industrialisés ». L’expression traduit la dynamique d’un pays qui doit « tendre vers » plus de
développement, c’est-à-dire globalement vers de meilleures conditions de vie, selon différents
indicateurs. Le principal indicateur de référence est aujourd’hui l’IDH (Indicateur de Développement
Humain). Crée par le Programme des Nations Unis pour le Développement (PNUD) en 1990, l’IDH
permet de classer les pays en tenant compte non seulement du niveau de vie, mais aussi du niveau
d’éducation et de l’état de santé/longévité de la population.
Le but de notre propos ici n’est pas d’entrer dans des concepts socio-économiques ou géopolitiques
pour caractériser ces pays que l’on désigne parfois aussi sous l’expression « pays du Sud ». La
majeure partie des pays en voie de développement est en effet concentrée dans l’hémisphère sud,
ce qui d’ailleurs n’est pas sans influencer nos représentations (Pays du « Nord », en haut, dominants
versus pays du « Sud », en bas, dominés).
Nous proposons dans cet article d’aborder la notion de pays en voie de développement par le biais
d’une grille de lecture originale et passionnante, proposée par Clair MICHALON. Dans son ouvrage,
l’auteur oppose les sociétés inscrites dans une logique de précarité à celles inscrites dans une logique
de sécurité. A partir d’un outil de lecture centré sur « le droit à l’erreur » (cf. figure n°1), l’auteur met
en évidence des différences culturelles fondamentales, caractéristiques des deux types de sociétés
précédemment citées.
Dans un monde précaire, les hommes sont dépourvus de marge d’action. Prendre une initiative
signifie prendre des risques pouvant mettre en péril toute la communauté. D’où des comportements
et une logique particulière pour assurer sa propre survie et celle du groupe… Les acteurs des pays du
Sud en situation de précarité sont alors dans une logique conservatoire (« tu feras comme ton
père »), où les principes relationnels, de solidarité et d’allégeance au groupe sont la réponse la plus
adaptée. L’objectif n’est pas tant de chercher à améliorer son niveau de vie que de maintenir un
mode de fonctionnement qui permettra au moins de « survivre ». Les notions de solidarité, le
rapport au temps et beaucoup d’autres schèmes culturels diffèrent ainsi entre sociétés de précarité
et société de sécurité.
1
En termes de coopération ou d’aide au développement, ces différences culturelles sont sources de
fréquents malentendus et peuvent expliquer également l’échec de certains dispositifs ou projets mis
en place par des acteurs du Nord à destination du Sud. En effet, les politiques de développement –
publiques ou privées - mises en place à partir des années soixante participent toutes « d’une vision
volontariste du développement, (…) reposant sur l’idée d’un lendemain maîtrisé, meilleur. (…) Le
terme même de développement ne revêt pas le même sens et ces contradictions culturelles finissent
par rendre le concept peu opératoire1 ».
La notion de « projet » est par exemple un concept très intéressant. Dans nos pays industrialisés,
nous avons une perception linéaire du temps qui nous incite à fonctionner en nous fixant des
objectifs, afin de nous pro -jeter dans l’avenir. On gère son temps, le but étant d’en perdre le moins
possible, voire d’en gagner…Dans les sociétés de précarité, la perception cyclique du temps rend
caduque ces concepts ; l’instant présent est nettement plus important que le futur. Anticiper, se fixer
des objectifs, construire des projets ne sont pas –dans la plupart des cas – des modes opératoires
dans les sociétés de précarité.
Ceci rejoint également le point de vue développé par OLIVIER de SARDAN. Il semble en effet qu’en
matière d’aide au développement, les populations concernées par la mise en place de projets
oscillent entre des comportements de sélection (prendre uniquement ce qui est « bon » dans le
projet) et de « détournement » (utiliser les ressources d’un projet pour servir ses intérêts
personnels). Ces deux approches « pouvant être considérées comme les formes de l’
« appropriation » d’un projet par ses destinataires. Le paradoxe est que cette appropriation,
souhaitée en son principe par tout opérateur de développement, prend des formes qui se retournent
bien souvent contre les objectifs et les méthodes des projets2 »
Il se dégage donc bien des logiques particulières au sein d’autres cultures. Trois d’entre elles (la
recherche de sécurité, « l’assistancialisme » et l’accaparement) déterminent des comportements
spécifiques chez les bénéficiaires, dans le domaine de la santé comme par ailleurs. Par exemple,
difficile pour les acteurs locaux de s’appuyer à 100% sur la médecine occidentale même si celle-ci a
fait ses preuves. Elle ne constitue pas un « système de sens » alternatif aux systèmes de sens
« traditionnels » qui se situent pour une part dans un registre (…) à connotations « magicoreligieuses »3.
Nous retirons en tout cas de tout cela une certaine compréhension de la logique des acteurs des
pays en voie de développement qui vient éclairer nos actions. Comment en effet ne pas s’interroger
sur les tenants et aboutissants des projets que OdM met en place et/ou soutient ? Comment ne pas
s’interroger sur les conditions de leur pérennisation compte tenu des éléments précédents ?
Il est sans aucun doute de notre devoir de se poser humblement ces questions pour que nous
menions nos actions en véritable con-certation avec nos partenaires. Une façon comme une autre
d’œuvrer pour un peu plus d’équité et de justice dans ce monde criant d’inégalités.
1
MICHALON C., Différences culturelles : mode d’emploi. Saint-Maur, 2000, Edition Sépia, p.75.
2
OLIVIER de SARDAN, Anthropologie et développement, 1995, p.134.
3
Ibid. p.135.
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