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Introduction Axe thématique II : Construction des indicateurs de gouvernance Introduction Axe thématique II : Construction des indicateurs de gouvernance Construction des Axe thématique II indicateurs de gouvernance
Les enjeux de la construction des indicateurs de gouvernance illustrés par les approches de la Banque mondiale, de la Commission européenne et du PNUD
Comment matérialiser la bonne gouvernance ?
Quelle place pour la voix des populations?
Jacques Ould Aoudia, MINEFE
Joachim Nahem, PNUD
Séverine Bellina, MAEE
Note d’analyse Note d’analyse Rapport d’entretien Rapport d’entretien Rapport d’entretien La première note d’analyse aborde le sujet de la construction des indicateurs de gouvernance. Premièrement nous présenterons le contexte institutionnel lié à leur émergence et la manière dont ils sont utilisés par les bailleurs de fonds. Ensuite, dans la partie analytique, deux sujets controversés seront discutés. Il s’agit d’une part de la transparence des indicateurs et, d’autre part, de l’intégration des différentes données subjectives et objectives dans la mesure de la gouvernance. A travers cette démarche nous chercherons à identifier les principales lacunes liées à la construction des indicateurs et comment de potentielles réformes peuvent être envisagées. Finalement, nous étudierons dans quelles mesures la construction d’un indicateur peut influencer la qualité du dialogue entre bailleurs de fonds et pays en développement. Il ressort de cet article que la transparence à la fois des méthodes de construction et des résultats aux évaluations constitue le premier garant d’un dialogue équilibré entre les différents acteurs. Qui plus est, l’intégration de données reposant sur des perceptions reste le principal défi lié aux indicateurs de gouvernance. Concernant les futures réformes à mettre en place sur le plan de la construction, elles devront se pencher prioritairement sur deux défis. Le premier se rapporte à la transparence totale des indicateurs afin de rendre les données accessibles au public. Le second concerne l’emploi d’une méthodologie largement compréhensible pour toutes les parties prenantes. Les « créateurs » des indicateurs doivent également se montrer 63 Introduction Axe thématique II : Construction des indicateurs de gouvernance honnêtes quant aux limites inhérentes à la fonction des indicateurs de gouvernance et publier leur « mode d’emploi ». La seconde note d’analyse se penche quant à elle de manière plus détaillée sur deux aspects de la problématique liée à la construction des indicateurs de gouvernance. Dans un premier temps, il s’agira d’analyser la diversité et la transparence des sources utilisées par la Banque mondiale et la Commission européenne dans la construction de leurs indicateurs/profils et par le PNUD dans son assistance à la construction des indicateurs sur le terrain. Dans un second temps, nous nous tournerons vers le degré de participation des populations concernées et des organisations la société civile dans le processus de construction des indicateurs. Deux conclusions majeures se dégagent. Premièrement, les approches des trois institutions diffèrent énormément. La Banque mondiale s’appuie sur une variété plutôt restreinte de sources provenant généralement du réseau de la Banque elle‐
même. La Commission européenne fait également preuve d’une forte tendance à s’orienter vers des sources internes et non transparentes. Le PNUD choisit quant à lui ses sources au cas par cas, en fonction du pays concerné. Il cherche à intégrer une palette de sources diversifiées, notamment en incluant de nombreuses sources locales, telles que le Ministère national des statistiques. Deuxièmement, l’émergence au cours de la dernière décennie du débat concernant l’inclusion des voix des populations locales et de la société civile démontre clairement qu’il existe une volonté participative au niveau de la construction des indicateurs. Toutefois, le degré effectif de participation reste faible, particulièrement dans les cas de la Banque mondiale et de la Commission européenne. Le rapport d’entretien avec Jacques Ould Aoudia, créateur d’une nouvelle base de données institutionnelle reliée au Ministère français de l’Economie, des Finances et de l’Emploi, a pour but d’éclaircir le discours relatif à la subjectivité des données reposant sur des perceptions. Jacques Ould Aoudia nous présente sa méthode d’évaluation de la « bonne gouvernance », celle des « Profils institutionnels », et répond aux grandes interrogations concernant l’élaboration des questionnaires. Le rapport d’entretien avec Joachim Nahem se penche de manière détaillée sur le « Projet des Indicateurs de Gouvernance » du PNUD. Cette approche développée par le Centre de Gouvernance d’Oslo ne cherche aucunement à créer un panel d’indicateurs propres au PNUD mais simplement à mettre l’accent sur certains champs thématiques clé de la gouvernance démocratique. Joachim Nahem répond à nos questions concernant le choix des indicateurs sur le terrain, en accord avec les pays partenaires, et évoque l’importance de la transparence des sources et des résultats. 64 Introduction Axe thématique II : Construction des indicateurs de gouvernance Le rapport d’entretien avec Séverine Bellina poursuit deux objectifs. D’une part il se penche sur une quatrième approche de la gouvernance, celle de la France en tant qu’acteur bilatéral et évoque le récent changement de cap de cette dernière en matière de construction et d’utilisation des indicateurs. D’autre part, Séverine Bellina s’exprime également à titre personnel sur le rôle général des indicateurs de gouvernance ainsi que sur les mécanismes d’inclusion de la voix des populations et de la société civile dans les stratégies de gouvernance. 65 Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? Note d’analyse Axe thématique II « Comment matérialiser la bonne gouvernance ?» Les enjeux de la construction des indicateurs de gouvernance illustrés par les approches de la
Banque mondiale, de la Commission européenne et du PNUD.
Par Carole CHARLES, Viktoria DIJAKOVIC, Micha KAEMPFER & Maria KOZLOVA « Les institutions comptent ! » Cette citation de Douglas C. North en 1994, reprise très largement dans littérature, n’a pas seulement posé les bases de la mouvance New Institutionnal Economics mais a également engendré un nouveau paradigme dans les politiques de coopération au développement. Après les grands axes stratégiques de la mobilisation du capital et de l’ajustement structurel, l’intérêt s’est porté sur le cadre institutionnel et plus précisément sur la « bonne gouvernance »79. L’attention croissante portée à la bonne gouvernance au cours des années 1990 a donné naissance à un grand nombre de tentatives visant à quantifier et mesurer ce concept « valise », notamment dans le but d’aider à la prise de décisions. Etant donné que la bonne gouvernance est un concept abstrait, elle n’est pas directement observable. Par la construction des indicateurs de gouvernance, plusieurs institutions ont essayé de concrétiser la qualité du cadre politique et institutionnel d’un pays. Avec le « Country Policy and Institutional Assessment » (CPIA) de la Banque mondiale, les « profils de gouvernance » de la Commission européenne et le « Projet des indicateurs de gouvernance » du PNUD, nous disposons de trois approches qui partent toutes du vaste concept de gouvernance pour arriver à des définitions de son contenu très différentes. Le CPIA établit un classement annuel parmi les 82 pays les plus pauvres de la planète afin d’allouer les ressources financières de la Banque mondiale. La notation finale du CPIA est une valeur agrégée qui est opérationnelle au moment du processus d’allocation de l’aide. Son mode d’agrégation favorise les critères économiques. La Commission européenne met quant à elle en place un nouvel outil de diagnostic qui vise l’amélioration de la gouvernance dans les pays bénéficiaires. Les « profils de gouvernance » devront servir à guider et à approfondir le dialogue existant avec les 77 pays de l’Accord de Cotonou signé en juin 2000. En ce qui concerne le PNUD, il semble avoir une vision plus globale consistant à fournir une assistance technique Meisel & Ould Aoudia (2007). 79
66 Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? aux pays bénéficiaires dans la mise en place de leurs propres systèmes d’indicateurs, de suivi et de contrôle. Le PNUD offre ses conseils aux 133 pays dans lesquels il est présent. La demande de coopération doit venir des autorités du pays concerné. Dans un premier temps, nous présenterons le contexte et le champ d’application de ces trois initiatives. Nous discuterons ensuite deux controverses : celle de la transparence des indicateurs et celle des perspectives subjectives ou objectives contenues dans la mesure de la gouvernance. Par cette démarche nous chercherons à souligner les principales lacunes liées à la construction des indicateurs et envisagerons de potentielles réformes. Enfin, il s’agira de comprendre dans quelle mesure la construction d’un indicateur peut influencer la qualité du dialogue entre bailleurs de fonds et pays en développement. La concrétisation de la bonne gouvernance par la Banque mondiale, la Commission européenne et le PNUD Nous commençons cette étude comparative par la présentation des initiatives de la Banque mondiale, du PNUD et de la Commission européenne au travers de plusieurs éléments distinctifs. Il s’agit, en premier lieu, d’aborder l’origine et l’évolution des grilles d’évaluation élaborées par les bailleurs de fonds. Ainsi, nous présenterons le cadre des pays pris en compte par les différentes approches. Puis, nous nous concentrerons sur le processus d’élaboration des indicateurs par les trois institutions concernées afin de mieux comprendre la logique de la création des indicateurs et des profils. Dans le même esprit, nous mettrons en relief la formation du « résultat final » des trois institutions pour mesurer la qualité de gouvernance. En cas d’agrégation des données, ce processus sera également détaillé. L’analyse porte une attention toute particulière sur l’objet de l’évaluation effectuée à travers les différents indicateurs de gouvernance. Deux types de réalités peuvent être distingués80 : les réalités de jure et de facto. Dans le premier cas, un indicateur porte sur les droits, les engagements de la part des pays bénéficiaires et les « entrées» (input) liés à la bonne gouvernance. Selon cette approche, l’indicateur reproduit les réalités de jure qui s’expriment par l’engagement d’un pays bénéficiaire au niveau de sa constitution ainsi qu’au niveau de la signature d’accords, de conventions et de traités internationaux. L’avantage des indicateurs de jure se situe au niveau de leur clarté. En effet, il est facile de mesurer les engagements constitutionnels et juridiques d’un pays et de suivre leur évolution. Néanmoins, la seule analyse des engagements d’un pays est insuffisante car trop descriptive. Les réalités de jure divergent de « la L’argumentation suit Kaufmann & Kraay (2007, p. 7) et Sudders & Nahem (2004). 80
67 Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? réalité », surtout dans le cas des pays en voie de développement en raison de capacités gouvernementales limitées. Dans le second cas, celui des indicateurs de facto, l’indicateur mesure les résultats et les performances liés à la bonne gouvernance. Ces indicateurs fournissent des informations directes sur les réalités « de faits » et englobent également la réforme des institutions et du cadre réglementaire de la bonne gouvernance. Cependant, la classification de la performance (performant versus non‐performant) laisse une large place à l’interprétation et peut ainsi sembler arbitraire. Ainsi, les indicateurs de ce type ne permettent pas d’identifier à partir des résultats obtenus les réformes à mettre en place dans un pays bénéficiaire en vue d’atteindre les objectifs souhaités. Il semble donc logique de prendre en considération les deux types d’indicateurs existants afin que l’un comble les lacunes de l’autre. Le « Country Policy and Institutional Assessment » de la Banque mondiale Le CPIA est un indicateur comportant 16 critères, créée en 1977 afin d’évaluer la qualité de la structure politique et institutionnelle des pays bénéficiaires de l’aide attribuée d’une part par la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) et, d’autre part, par l’Association internationale de développement (AID). Selon la logique de la Banque mondiale, les pays qui reçoivent le plus d’aide sont ceux qui s’engagent activement dans la réduction de la pauvreté, dans la croissance durable, et ceux qui utilisent l’aide accordée de façon efficace. 81 D’après l’AID, le CPIA est chargé de classer les 82 pays les plus pauvres de la planète afin de leur allouer des prêts en fonction de cette classification. Sans regarder ce système d’allocation en détail, il faut souligner que le CPIA joue un rôle primordial quant à la décision de savoir quels pays méritent l’aide de l’AID. La morphologie du CPIA a connu des changements importants au cours des dernières années. Lors des deux premières décennies de sa mise en œuvre, le CPIA s’est concentré sur les politiques macroéconomiques mises en avant par le Consensus de Washington.82 L’année 1998 a marqué une restructuration considérable du CPIA puisque l’AID y a inclus les critères de gouvernance et de politiques sociales. En 2001, grâce aux résultats du département des évaluations, le CPIA a commencé à mettre en place des bases de données plus complètes.83 En 2004, les critères du CPIA ont été diminués de 20 à 16. L’élaboration du CPIA est un exercice annuel dont la récolte des données, leur révision et leur classement durent environ six mois, AID (2006), p. 5. AID (2007), p. 3. 83 AID (2006), p. 5. 81
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68 Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? notamment entre mars/avril et octobre/novembre. Le coût annuel de la mise en œuvre du CPIA est estimé à 1.5 million de dollars.84 Le processus de classification du CPIA est divisé en trois phases. La première est celle du regroupement. Chaque année la Banque mondiale catégorise les Etats en fonction de leur niveau de pauvreté (PNB par habitant) pour n’inclure que les pays considérés comme les plus pauvres. Les pays qui se trouvent en dessous du seuil de pauvreté85 sont automatiquement soumis à l’exercice du CPIA au sein de l’AID. Il existe quelques exceptions pour certaines îles et autres pays qui se situent au‐dessus du seuil annuel de pauvreté mais qui ne correspondent pas aux critères requis pour recevoir des prêts de la BIRD. L’autre exception est constituée par les pays dits « mixtes » qui sont à la fois éligibles par l’AID en prenant le critère du revenu par habitant, comme l’Inde, l’Indonésie et le Pakistan, et par la BIRD.86 La deuxième phase du processus est celle du benchmarking. Elle assure que les classements sont cohérents à travers les pays et les régions. Les six régions, réseaux et départements centraux de la Banque mondiale participent au processus de sélection des pays faisant partie du benchmarking, qui incluent les pays éligibles pour les prêts de l’AID et de la BIRD. Ces pays sont ensuite scrupuleusement analysés par des fonctionnaires sur place qui remplissent toutes les grilles du questionnaire du CPIA, accompagnées de justifications écrites expliquant les raisons de leur notation. Une fois les questionnaires et les justifications de tous les pays de l’échantillon remplis, ils sont examinés par les économistes en chef régionaux et par des experts sectoriels hors de la région concernée. Finalement, une réunion est organisée avec les représentants des régions et des départements centraux de la Banque mondiale pour fixer les scores des pays de l’échantillon et obtenir l’ensemble des notations. C’est à partir de ce moment que commence la véritable élaboration du CPIA.87 Troisièmement, la phase d’évaluation est comparable à celle du benchmarking, mais l’analyse est élargie à tous les pays inclus dans le CPIA. Les analystes concernés doivent à nouveau remplir toutes les grilles du questionnaire qui porte sur une large gamme de résultats concernant les politiques et les institutions. Ensuite, ils rédigent les justifications de leurs appréciations qui sont révisées par l’économiste en chef régional. Les résultats de la phase de benchmarking sont systématiquement utilisés pour assurer la cohérence des résultats.88 AID (2004a), p. 12. Ce chiffre est renouvelé annuellement et est d’US $1,065 pour l’année fiscale 2008. 86 Information trouvé sur www.worldbank.com/ida. 87 AID (2006), p. 4. 88 AID (2006), p.5. 84
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69 Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? La notation finale du CPIA est présentée par un seul chiffre : l’ « IDA Resource Allocation Index » (IRAI). La construction de l’IRAI est comparable à une pyramide. Les 16 critères à la base de cette pyramide sont regroupés en quatre « domaines » : la gestion économique (A), les politiques structurelles (B), l’inclusion sociale (C) et la gestion du secteur publique (D) (voir le Tableau 9). Les domaines A et B comprennent chacun trois critères alors que les domaines C et B sont constitués de cinq critères. Au sein de chaque domaine, les critères sont pondérés de manière égale afin d’obtenir quatre notations, une pour chaque domaine. A. Gestion économique 1. Gestion de l’inflation et du compte courant 2. Politique fiscale 3. Gestion de la dette extérieure B. Politiques structurelles 4. Politique commerciale et régime de changes 5. Stabilité et vigueur financières 6. Environnement compétitif pour le secteur privé C. Politiques d’inclusion sociale et d’équité 7. Genre 8. Equité dans l’utilisation des ressources publiques 9. Constitution des ressources humaines 10. Protection sociale et travail 11. Politiques et institutions pour la viabilité écologique D. Gestions et institutions du secteur public 12. Droits de propriété et gouvernance fondée sur les règles 13. Qualité de la gestion budgétaire et financière 14. Efficience de la mobilisation de recettes. 15. Efficience des dépenses publiques 16. Transparence, obligation de rendre compte et corruption dans le secteur public Tableau 9: les 16 critères du CPIA. La moyenne des quatre « cluster » constitue ensuite l’IRAI. Il faut noter que ce mode d’agrégation n’attribue pas la même pondération à chaque critère étant donné que les clusters plutôt économiques (A et B) comprennent moins de critères que les autres. Par conséquent, les 16 critères ne sont pas intégrés avec une pondération égale qui serait de 6.25%. Six critères comptent pour 8.3% de la notation finale alors que dix critères comptent pour seulement 5%. Même si ce biais économique a été critiqué89, l’analyse des résultats de l’IRAI 2006 révèle que l’effet de l’agrégation est minime. En effet, l’écart entre les deux modes d’agrégation s’élève dans le cas maximal à un total de 0.123 point sur l’échelle allant de 0 à 6 (par exemple le Tadjikistan). Qui plus est, le Voici par exemple Van Waeyenberge (2006). 89
70 Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? résultat obtenu avec la pondération inégale donne dans la plupart des cas une notation supérieure à celle obtenue avec une pondération égale des 16 critères. La Banque mondiale affirme que le processus d’allocation de l’aide a été considérablement facilité par le CPIA, ce dernier prenant la forme d’un seul indicateur, et donc d’un seul « chiffre » par pays. Le CPIA est ainsi particulièrement attrayant puisqu’il réduit une réalité complexe à un seul chiffre. Dans le même temps, ce genre d’indicateurs comporte le danger d’être utilisé de manière peu scrupuleuse, les utilisateurs n’étant pas conscients de la perte de précision au niveau de l’information due à l’agrégation.90 Les « profils de gouvernance » de la Commission européenne C’est dans le cadre de sa nouvelle stratégie « Gouvernance dans le consensus européen pour le développement »91 que la Commission a développé les profils de gouvernance. Ils prennent la forme d’une grille de lecture et cherchent à produire une évaluation détaillée de la situation des pays partenaires dans divers domaines, tels que politique, économique, judiciaire ou social. Cette grille aide à évaluer les indicateurs de performance des pays, à déterminer les domaines de coopération et à fixer les objectifs des réformes au sein des pays partenaires. Après avoir analysé les questions traitées dans les profils, il apparaît que ces derniers reflètent à la fois les réalités de jure et de facto. Les profils s’appuient sur toute une gamme d’instruments internationaux tels que des déclarations92, des traités, des conventions93, des protocoles ou encore des chartes internationales. Les profils visent également à « diagnostiquer un problème »94 et à s’interroger sur les résultats concrets des réformes effectuées au sein d’un pays95. La Commission européenne préfère l’emploi du terme « profil » à celui d’« indicateur ». Pour la Commission, l’indicateur désigne « quelque chose de mesurable qui ne sert pas aux pays, mais les classe », alors que le profil pose un diagnostic et reflète la qualité de l’engagement d’un pays partenaire dans les réformes.96. Le canevas des profils de gouvernance a été élaboré au cours des années 2005 et 2006 par la Direction Générale du Développement (DG DEV) de la Commission afin de Charles OMAN. Senior Economiste de l’OCDE à Paris. Entretien donné le 21.11.2007 au siège du centre de développement de l’OCDE à Issy‐les‐Moulineaux. 91 Commission Européenne (COM) (2006b). 92 Par exemple, la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948). 93 Par exemple, les conventions de l’OMT, de l’Organisation de l’Union Africaine. 94 Propos recueillis lors d’un entretien avec un fonctionnaire de la Commission Européenne (Paris, 21.11.2007). 95 Voir, par exemple, profil « Qualité du partenariat » : « Le dialogue politique a‐t‐il abouti à des résultats concrets ? » 96 Propos recueillis lors d’un entretien avec un fonctionnaire de la Commission Européenne (Paris, 21.11.2007). 90
71 Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? lier la programmation du 10ème Fond Européen du Développement (FED) (2008 – 2013) à une évaluation qualitative des pays. Le FED constitue l’un des instruments financiers multiples de l’aide extérieure de l’UE et est composé de plusieurs éléments tels que lʹaide non remboursable, les capitaux à risque et les prêts au secteur privé97. Il prévoit un financement à hauteur de 22,682 milliards98 pour toute la période du 10ème FED. Les profils de gouvernance seront testés pour la première fois lors de la phase initiale de la programmation du 10ème FED à partir de 2008. Pour l’instant ils ne sont présentés que dans les documents de travail internes. Etant donné le fait que ces profils ne sont à l’heure actuelle ni utilisés ni rendus publics, la transparence concernant leur méthode d’élaboration ainsi que les sources utilisées reste faible. Par contre, il faut noter que les profils existent déjà dans certains pays africains, notamment au Mali et au Niger. Ils ont été créés uniquement pour ces deux pays par les délégations de la Commission sur le terrain, alors que les profils de gouvernance de la DG DEV couvriront plusieurs pays bénéficiaires. Les profils de la Commission prévoient de couvrir les 7799 pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) liés à la Convention de Cotonou. Qui plus est, la Commission a mis à disposition une enveloppe financière incitative de 3 milliards dʹeuros – « tranche incitative » ‐ pour soutenir et « récompenser » les efforts des pays ACP dans la direction de réformes améliorant la gouvernance. Selon le MAEE en France, cette « tranche incitative » est « prévue pour qui fait de la gouvernance un levier de l’aide et un instrument d’approfondissement du dialogue avec les ACP »100. Lʹaccès à ces ressources dépendra des résultats du dialogue entre la Commission et le pays partenaire sur lʹambition, la pertinence et la crédibilité de ses engagements de réforme. En ce qui concerne la méthode d’élaboration, les profils de gouvernance sont articulés en grande partie sur la base d’indicateurs existants tels que l’indice KKZ de l’Institut de la Banque mondiale lancé en 1996, les analyses faites par Transparency International ou le Mécanisme Africain d’Evaluation par les Pairs (MAEP) de lʹUnion africaine. La Commission souhaite d’ailleurs promouvoir ce dernier aux niveaux panafricains, régionaux et nationaux101. Ainsi, la Commission articule ses profils à l’aide d’indices déjà existants car elle est consciente de la nécessité, d’une part, « de ne pas créer de nouvelles conditionnalités de l’aide » et, d’autre part, « d’harmoniser Voir le lien http://www.europa.eu/scadplus/leg/fr/lvb/r12102.htm COM (2006a). 99 Soit 78 pays l’Afrique du Sud y compris, qui a signé l’Accord de Cotonou, mais ne reçoit pas l’aide à partir du FED mais celui provenant du fonds de budget général. 100 COM (2006b). 101 COM (2006a). 97
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72 Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? dans la mesure du possible les approches entre bailleurs de fonds dans un but évident d’efficacité »102. Bien que la méthode de construction des profils de gouvernance s’appuie sur les résultats du KKZ de 2004, la Commission tient compte depuis lors des évolutions observées. Six dimensions de l’indice KKZ sont utilisées par la Commission : «être à l’écoute et rendre compte» pour l’Institut de la Banque mondiale (gouvernance politique/démocratique (1) pour la Commission européenne), « état de droit» (gouvernance politique/ règle de la loi (2)), « maîtrise de la corruption » (identique (3)), « efficacité des pouvoirs publics » (efficacité du gouvernement (4)), « qualité/fardeau réglementaire » (gouvernance économique (5)) et finalement « stabilité politique et absence de violence » (sécurité intérieure et extérieure (6)). Cependant, selon les propos d’un fonctionnaire de la Commission, cette dernière les « adapte à la façon européenne »103 en y ajoutant les trois dimensions suivantes : gouvernance sociale (7), contexte international et régional (8) et qualité du partenariat dans la coopération (9). En soulevant la question de la gouvernance sociale, la Commission intègre certaines questions qu’elle trouve pertinentes comme, par exemple, celle sur la lutte contre le SIDA. Il en va de même avec la dernière dimension, conçue comme une « valeur ajoutée » de la Commission ; grâce à laquelle elle évalue « à quel point le partenaire est fluide et à quel point il a une volonté d’intégrer la société civile »104. Certaines questions telles que le rôle des acteurs non‐étatiques ou la gouvernance environnementale n’ont pas de place dans les profils de gouvernance car elles figurent dans d’autres documents connexes de la Commission. Ainsi, selon M. Montagner, cet outil n’a pas vocation à couvrir toutes les facettes de la gouvernance ce qui le différencie des indicateurs de la Banque mondiale qui ont une ambition beaucoup plus large.105 À travers l’analyse des profils, nous pouvons conclure que l’UE revendique autant des valeurs universelles qu’européennes. En ce qui concerne ces dernières, les profils les reflètent en traitant certaines questions spécifiques dans les domaines politiques, économiques, sociaux et environnementaux. Le changement climatique est d’ailleurs le sujet clé des Journées du Développement de 2007 qui ont eu lieu à Lisbonne. Selon l’UE, « le changement climatique a des effets néfastes pour la réduction de la pauvreté ».106 Qui plus est, les sujets de la libéralisation et des droits de l’Homme (par COM (2006b). Propos recueillis lors de l’entretien avec un fonctionnaire de la Commission Européenne (Paris, 21.11.2007). 104 Propos recueillis lors de l’entretien avec un fonctionnaire de la Commission Européenne (Paris, 21.11.2007). 105 Montagner (2006). 106 Voir le site http://eudevdays.eu/Public/Homepage.php?ID=380 102
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73 Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? exemple, la question de la peine de mort) sont abordés par la Commission européenne. Il s’agit d’une « marque de fabrique » décelée à travers les profils de gouvernance. Selon un fonctionnaire de la Commission, « ce sont des valeurs européennes mais internationalement reconnues »107. Toutefois, nous pouvons également parler de valeurs internationales revendiquées par la Commission à travers ses profils. Par exemple, la Commission met en relief les questions du commerce illégal des « diamants de la guerre» faisant référence au processus de Kimberley (KPCS)108 et de la lutte contre le SIDA.109 Le « Projet des indicateurs de gouvernance » du PNUD Contrairement à bon nombre de bailleurs, le PNUD a toujours refusé de lier son aide au développementà des critères de conditionnalité directe. Il faut donc impérativement dissocier les mécanismes du PNUD liés à l’allocation de l’aide des démarches actuellement entreprises dans l’étude des indicateurs de gouvernance. Au travers de la création d’un centre pour la gouvernance à Oslo et d’un siège à New York, le PNUD s’est engagé depuis 2002 dans la recherche concernant les indicateurs de gouvernance. Jusqu’alors les études publiées s’étaient concentrées exclusivement sur la disponibilité, la comparaison et le bon usage d’indicateurs élaborés par d’autres institutions.110 Ce n’est que depuis 2007 que le PNUD a mis en place un programme de soutien spécifiquement pour la construction et l’utilisation des indicateurs de gouvernance : le « Projet des indicateurs de gouvernance ». Ce programme vise essentiellement l’évaluation, la mesure et le suivi de la gouvernance démocratique. Quarante pays en développement sur les 133 dans lesquels le PNUD est présent ont demandé une assistance technique pour la mise en place du « Projet des indicateurs de gouvernance »111. Pour l’instant, seuls les résultats des projets pilotes effectués aux Philippines, en Mongolie et au Malawi en 2006 sont disponibles. De par son mandat, le PNUD a l’obligation formelle d’assister chaque pays requérant son soutien. Le « Projet des indicateurs de gouvernance » se doit donc d’être de dimension globale. Cependant, chaque système d’indicateurs est adapté aux Propos recueillis de l’entretien avec un fonctionnaire de la Commission Européenne (Bruxelles, 27.11.2007). Le processus de Kimberley est un régime international de certification des diamants bruts signé le 1er janvier 2003 par le Canada, les États‐Unis, les pays de lʹUE et plus de 30 autres pays. Cette coopération internationale est motivée par le problème des diamants de conflits produits dans des zones de guerre et utilisés par des seigneurs de la guerre pour se fournir en armes. 109 Il est également à souligner qu’à partir de mai 2006 la Commission assure la vice‐présidence du GTATM. 110 Voir par exemple les deux éditions du Guide de l’utilisateur (2004 et 2006) disponibles sous http://www.undp.org/oslocentre/flagship/governance_indicators_project.html. 111 Joachim Nahem, spécialiste de la gouvernance au Centre pour la gouvernance d’Oslo. Entretien téléphonique le 30.11.2007. 107
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74 Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? spécificités locales des pays. Pour reprendre les mots de Jean Fabre, « le PNUD ne fait pas dans le prêt‐à‐porter ; il fait du sur‐mesure112 ». En créant ce « Projet des indicateurs de gouvernance », le PNUD poursuit principalement deux objectifs. Premièrement, il cherche à mettre en place un système de soutien afin que les pays bénéficiaires de l’aide internationale qui se sont déjà approprié les processus destinés à évaluer la gouvernance démocratique puissent in fine établir leurs propres systèmes de suivi et de contrôle. Il n’est en aucun cas question pour le PNUD de développer sa propre batterie d’indicateurs et de l’utiliser tous les ans afin d’évaluer les pays bénéficiaires. En soutenant les pays concernés dans le choix et dans la construction d’indicateurs appropriés à leurs spécificités, le PNUD veut « engager la responsabilité effective des parties prenantes locales113 » plutôt que celle des bailleurs de fonds. Sélectionner ses propres indicateurs constitue déjà en soi un pas vers la gouvernance démocratique. Deuxièmement, le PNUD cherche à pallier les manquements que comportent les outils utilisés par les autres bailleurs de fonds. En effet, le PNUD relève le fait que les données recueillies par les indicateurs de gouvernance « classiques » ne permettent pas nécessairement « [d’] identifier les solutions opérationnelles adéquates ni les processus d’amélioration des performances114 ». Le PNUD est également désireux d’améliorer la coordination et l’harmonisation des processus d’évaluation pratiqués par les différents bailleurs au sein des pays partenaires. Le PNUD conseille aux pays partenaires d’utiliser un mélange d’indicateurs de facto et de jure115. Ces deux perspectives se complètent. Par exemple, en ce qui concerne les droits de l’Homme, tout pays devra s’assurer que les traités ont non seulement été ratifiés mais qu’ils sont bien mis en application. Les instruments de l’IDEA (Institute for Democracy and Electoral Assistance) tels que le « International IDEA’s Democracy Assessment Framework » fournissent à ce titre de bonnes « questions de recherche » pour guider l’autoévaluation nationale tant sur le plan de jure que de facto (noter ici la terminologie, il ne s’agit pas d’indicateurs mais de questions de recherche).116 Le PNUD prévoit clairement de mettre à disposition les ressources nécessaires afin « d’assurer la viabilité du système par la répétition de l’évaluation »117. Pour réaliser ce projet le PNUD compte s’appuyer en partie sur le principe du learning by doing Jean Fabre, PNUD Genève (entretien le 30.11.2007). Centre de Gouvernance d’Oslo (2007). 114 Centre de Gouvernance d’Oslo (2007). 115 Joachim Nahem, spécialiste de la gouvernance au Centre pour la gouvernance d’Oslo. Entretien téléphonique le 30.11.2007. 116 UNDP (2003). 117 Centre de Gouvernance d’Oslo (2007). 112
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75 Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? en encourageant les institutions nationales, notamment les universités et les bureaux de statistiques nationaux, à développer eux‐mêmes leur système d’évaluation afin de renforcer les capacités locales. Il n’appartient donc pas au PNUD mais aux autorités locales en charge de l’évaluation de décider de la fréquence de cette dernière. La récente application du « Projet d’ indicateurs de gouvernance » à la Mongolie a prouvé que l’association d’indicateurs globaux, internationalement reconnus, à des indicateurs « satellites », conçus spécialement pour et par le pays concerné, s’avérait d’une grande efficacité118 : les indicateurs internationaux standardisés permettent à l’évaluation d’acquérir une certaine légitimité vis‐à‐vis de l’extérieur, alors que les indicateurs « satellites », spécifiques au pays, offrent une approche flexible permettant d’assurer adaptation, innovation et appropriation locales. La transparence des indicateurs de gouvernance La question de la construction des indicateurs est intrinsèquement liée à celle de la transparence. En effet, la Banque mondiale, la Commission européenne et le PNUD visent, par l’agrégation des données, à créer une image simplifiée et « utilisable » de la bonne gouvernance qui se présente de façon extrêmement complexe. Ces trois approches recourent toutes à l’expérience et à la perception d’une part des experts (perception externe) et, d’autre part, des « bénéficiaires » de la bonne gouvernance (perception interne des individus et des entreprises locales). Par conséquent, les utilisateurs des indicateurs, autres que les institutions créatrices, tels que les pays bénéficiaires ou la communauté académique, se voient confrontés à des mesures qui condensent une immense diversité et complexité de données en un seul chiffre au moyen d’une évaluation plutôt subjective. Ceci soulève la question de savoir dans quelle mesure les parties prenantes externes ont la capacité de suivre et de répondre à l’évolution de la situation représentée par ces trois initiatives. Pour aborder ce sujet, nous proposons de nous mettre à la place d’un utilisateur qui cherche à comprendre le résultat du CPIA, des indicateurs satellites ou les profils institutionnels. Nous nous attarderons notamment sur l’accessibilité de la méthodologie et des résultats. Pour une analyse plus approfondie de la transparence des sources nous recommandons la lecture de l’article de ce même rapport : « Sources des indicateurs de gouvernance: quelle place pour la voix des populations? ». La divulgation progressive de la Banque mondiale La transparence de la méthodologie est examinée à partir de l’analyse du questionnaire du CPIA de 2006. Le questionnaire révèle principalement la méthode UNDP (2007), p.11. 118
76 Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? qui mène à l’élaboration annuelle du CPIA. En particulier les paragraphes d’introduction ainsi que les 16 critères sont clairement formulés. Les échelles accompagnées de courtes explications permettent de comprendre le classement par rapport aux 16 critères. Cependant, les annexes mentionnées afin d’aider les experts (par exemple un fichier Excel pour l’analyse de l’égalité des sexes) ne sont pas disponibles en ligne. La transparence des résultats est une des questions les plus controversées liées à cette grille d’évaluation. Avant l’an 2000, les notations du CPIA étaient confidentielles et donc inaccessibles au public. En revanche, elles étaient à disposition du personnel de la Banque mondiale. Ainsi, au cours de la 12ème reconstitution des fonds de l’AID, la Banque mondiale a finalement divulgué pour la première fois les notations relatives aux 80 pays à faible revenu bénéficiant de l’assistance de l’AID. Pour la publication, la notation numérique allant de 1 (faible) à 6 (élevé) a été convertie en un classement relatif des pays en quintiles (marqués des lettres A, B, C, D et E). La publication se limitait au classement final et à la notation atteinte dans chaque « cluster » mais n’englobait pas les ratings des 20 critères individuels. Qui plus est, les résultats absolus du CPIA et leurs effets sur l’allocation des ressources ont été discutés avec les pays concernés dans les bureaux nationaux de la Banque mondiale.119 Ainsi, les notations numériques étaient accessibles uniquement pour le staff de la Banque mondiale et les autorités des pays bénéficiaires.120 La motivation mise en avant par la Banque mondiale pour cette première divulgation était la suivante : la publication permettait au CPIA de profiter d’un examen public et de servir comme un outil de diagnostique afin d’approfondir les partenariats de développement, par exemple avec d’autres bailleurs de fond. Il faut également préciser que les critiques se faisaient nombreuses concernant le fait que l’allocation de l’aide de l’AID était déterminée par des jugements subjectifs et opaques.121 Les années suivantes, notamment à partir de 2002, la Banque mondiale a fait l’objet d’une tendance générale à l’ouverture.122 Fin 2003, le Conseil des administrateurs de la Banque mondiale a discuté les différentes options envisageables pour rendre le CPIA plus accessible au public. Quels arguments la Banque mondiale a‐t‐elle annoncés « pour » et « contre » la divulgation des résultats du CPIA jusqu’à présent ? L’argument principal en faveur de la publication des résultats réside dans le fait que la possibilité de critique publique et l’échange avec d’autres institutions, telles que la Banque européenne AID (2004b). AID (2004a). 121 Voici par exemple Powell (2004). 122 Powell (2004). 119
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77 Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? pour la reconstruction et le développement, peut avoir des conséquences positives sur la qualité du CPIA. Cependant, quelques voix au sein de la Banque mondiale, notamment les représentants des pays à faible revenu, craignaient que la publication ne diminue la capacité d’attirer des investissements étrangers directs et autres flux financiers.123 En outre, la Banque a avoué que la méthodologie n’était pas encore assez objective et robuste pour permettre une discussion approfondie basée sur les données divulguées.124 La Banque préférait rendre d’abord la méthodologie et le processus du CPIA plus compréhensifs et moins complexes de manière à ce que les pays bénéficiaires et le public puissent mieux comprendre et interpréter les résultats. Ce raisonnement a été fortement critiqué du fait que la méthodologie ne permettait pas à ce moment précis la transparence des résultats. Cet argument a mis en doute la légitimé des décisions antérieurs.125 Suite à une évaluation externe du processus du CPIA, lancée par la direction de la Banque mondiale en 2004, une divulgation complète des résultats a été proposée pour tous les pays emprunteurs de l’AID et de la BIRD. Cette recommandation s’est vue justifiée par le fait que l’échange de données et l’examen public seraient bénéfiques à un grand nombre de parties prenantes, telles que les pays emprunteurs, les institutions internationales, les chercheurs et la Banque mondiale elle‐même.126 Par conséquent, le management de la Banque mondiale a décidé de publier les résultats numériques des critères, des clusters et des résultats finaux pour tous les pays aidés par l’AID au cours de l’exercice 2005 du CPIA (voir Tableau 1).127 En revanche, ce n’est pas le cas pour les notations des pays soutenus par la BIRD et les comptes‐rendus des bureaux nationaux. A travers la confidentialité de ces rapports, la Banque mondiale cherche à ne pas influencer les experts interrogés.128 Pays bénéficiaires Exercice CPIA en 2000 Pays AID à faible revenu Notations relatives : •
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Pays BIRD Groupes des critères Résultat final Pas de divulgation Exercice CPIA en 2005 Notations numériques : •
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•
Critères Groupes de critères Résultat final Pas de divulgation Tableau 1: politique de divulgation du CPIA Alexander (2004), p. 3 et 4. Alexander (2004,), p. 4. 125 Voici par exemple Powell (2004). 126 AID (2004a), p. v. 127 AID (2004b), p. 1. 128 AID (2004b), p. 19. 123
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78 Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? Cette politique de divulgation plus ouverte mise en avant par la Banque mondiale depuis 2002 est certainement un premier pas en direction d’une discussion et d’un examen externe plus approfondi du CPIA. Cependant, deux critiques fondamentales persistent. Premièrement, les rapports explicatifs des experts, qui constituent le lien entre les « guideposts » et les notations du CPIA, restent non‐publiés. Même si l’on accepte que le CPIA est en premier lieu un outil interne de la Banque mondiale et que les opinions d’experts sont une source légitime, les possibilités de répliquer, comprendre et examiner scientifiquement les raisons et la logique d’un certain classement restent limitées. Deuxièmement, la Banque mondiale ne publie pas les marges d’erreur liées à la méthode de construction et d’agrégation du CPIA. Comme les résultats de Gelb & al. ainsi que du « Global Monitoring Report » de la Banque mondiale le laissent supposer, l’écart‐type s’élève à environ 0.25 points.129 Cela signifie que les changements de notation se situant entre ‐0.1 et +0.1 points ne sont pas importants statistiquement. C’est le cas de 95% des pays entre 2005 et 2006. Pourtant, ce fait ne paraît pas dans les documents représentants les notations annuelles. La Banque mondiale risque, par conséquent, que les utilisateurs ne soient pas conscients des imprécisions du CPIA. La boîte noire de la Commission européenne Les profils de gouvernance ne sont pas rendus publics et sont destinés à rester un outil de travail interne. Ainsi, le dialogue concernant la méthode de construction des profils, les sources utilisées et surtout l’évaluation des profils fait par la Commission et ses Etats membres se fait d’une manière non‐transparente. Une fois que les profils sont remplis, les résultats ne sont pas documentés et donc inaccessibles au public. Cette approche engendre plusieurs critiques : plusieurs ONG, à l’image de la plate‐
forme Concord130, soulignent qu’il est important de savoir pourquoi une décision est prise, quels objectifs sont définis et quelles priorités sont adoptées pour les budgets européens et les pays ACP. Les discussions et les décisions au sein du comité FED ou au niveau des gouvernements ACP devraient être débattues en public. La capacité des parlementaires et des acteurs de la société civile à contrôler ces processus est essentielle pour la bonne gouvernance, surtout au regard des indicateurs de gouvernance. Le plaidoyer du PNUD pour la transparence Le PNUD accorde une importance toute particulière à la problématique de la transparence. Dans le « Projet d’indicateurs de gouvernance », l’accent est mis sur le Gelb, Ngo, & Ye (2004). Concord (2006). 129
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79 Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? fait que les indicateurs utilisés sont sélectionnés au niveau local par un « processus transparent, participatif et inclusif131 ». Le dialogue concernant le choix des indicateurs se fait donc de manière ouverte et transparente. Pour ce qui est du contrôle au niveau de l’utilisation des indicateurs par les acteurs locaux, le PNUD possède des mécanismes de suivi régulier. Malheureusement, il est évident que dans la pratique ce suivi ne peut pas toujours être mis en place de manière optimale et ce pour des raisons financières car les mécanismes de contrôle coûtent cher. Quant à la disponibilité des informations une fois parvenues aux bureaux de pays du PNUD, une base institutionnelle a été élaborée pour leur stockage et leur accessibilité au public. Le PNUD défend une stratégie de transparence totale au niveau de l’information récoltée. La méthodologie, les indicateurs utilisés ainsi que les résultats finaux de tous les pays qui font appel à l’assistance technologique du PNUD sont publiés et librement accessibles au public et à tous les autres pays. Le PNUD met également un point d’honneur à ce que les résultats des évaluations soient présentés de manière compréhensible pour tous, notamment via la publication de ces résultats dans les langues minoritaires du pays et l’utilisation de différents médias (radio, forums communautaires) pour assurer la dissémination et ne pas marginaliser les populations analphabètes. La transparence : Première nécessité pour un dialogue constructif En ce qui concerne la transparence des trois approches, il existe des différences considérables. Le PNUD, d’une part, voit la transparence comme un objectif central. Le processus participatif et la création d’une base de données librement accessible visent une transparence totale des indicateurs pour permettre un échange dʹexpériences. La Commission européenne perçoit quant à elle ses « profils de gouvernance » comme un outil interne. Même si elle prend pour base les indicateurs de KKZ, qui se trouvent parmi les approches les plus transparentes, la politique de la Commission à l’égard de la transparence laisse encore de nombreuses questions en suspend. La Banque mondiale se trouve actuellement entre ces deux pôles. Critiquée à l’origine pour sa faible transparence, la Banque est en voie de rendre le CPIA plus accessible et compréhensible. Au vue de ces considérations, la transparence reste un enjeu important, notamment quand un indicateur est utilisé pour établir un classement de pays. Dans ce cas‐là, les indicateurs de gouvernance manquant de transparence engendrent un paradoxe puisqu’ils jugent de la transparence d’un gouvernement par des méthodes opaques.132 En effet, les pays évalués et les autres parties prenantes sont dans Centre de Gouvernance d’Oslo (2007). Arndt & Oman (2006), p. 91‐92. 131
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80 Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? l’incapacité de suivre l’évolution de leur situation. La transparence totale des indicateurs est par conséquent une nécessité absolue pour deux raisons.133 Premièrement, les indicateurs de gouvernance existants, le CPIA et les profils de gouvernance de la Commission européenne compris, se basent pour la plupart sur des évaluations subjectives. Sans une transparence qui englobe les méthodes et résultats, ces évaluations ne permettent ni consultation publique ni vérification scientifique. Ceci empêche les indicateurs de gouvernance de devenir la source d’un dialogue constructif et équilibré entre bailleurs et pays bénéficiaires. Deuxièmement, un indicateur transparent nécessite de la précision. En effet, la publication des résultats et de la méthode employée requiert de préciser clairement les valeurs normatives et conceptuelles à l’origine de la construction d’un indicateur. Par cela, les institutions se voient obligées de légitimer l’utilisation de certaines variables plutôt que d’autres et de justifier la pondération de ces dernières dans leur système d’indicateurs. Cette obligation de précision ouvre de nouvelles possibilités pour un débat plus approfondi qui contribuera à l’amélioration des indicateurs. Les indicateurs de gouvernance : représentation d’une réalité objective ou subjective ? Suite au positionnement général des trois approches, une question centrale et extrêmement polémique liée à la construction des indicateurs émerge : celle des données sur lesquelles se base un indicateur de gouvernance. A priori, la distinction est faite entre les mesures qui prennent pour fondement des faits établis et les indicateurs qui s’appuient uniquement sur des perceptions. Les faits, tels que les statistiques financières, les données sur l’existence de certaines autorités administratives ou les traités ratifiés sont facilement compréhensibles pour toutes les parties prenantes. Souvent, ces indicateurs fondés sur des faits sont perçus comme « objectifs ». Cependant, il faut prendre en considération que la sélection des faits et surtout l’interprétation de leurs effets sur la gouvernance sont pour leur part soumis à un jugement subjectif. 134 Toutefois, la subjectivité est également une caractéristique des indicateurs qui s’appuient sur des perceptions. Depuis les années 1970, les gouvernements, les organisations multilatérales ainsi que les agences privées produisent des évaluations basées sur les estimations de leurs économistes dans les bureaux nationaux. 135 Cette perception externe est recueillie à travers des questionnaires détaillés ayant pour but Nous remercions Christiane Arndt pour leurs remarques concernant la transparence des indicateurs de gouvernance (entretien téléphonique du 20 décembre 2007). 134 Arndt & Oman (2006), p. 30. 135 Landmann & Häusermann (2003), p. 28. 133
81 Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? d’améliorer la cohérence et la comparabilité. Par contre, il existe toujours des mesures qui se basent sur des enquêtes ménages et d’entreprises dans les pays concernés. Dans ce cas, il faut parler de perception interne136, qui englobe la perspective locale des « bénéficiaires » de la bonne gouvernance. La plupart des approches existantes mettent plutôt en avant les perceptions que les faits et ce pour deux raisons. Premièrement, les indicateurs basés sur des faits reflètent plutôt une réalité de jure qui ne correspond pas forcement à la véritable qualité de la gouvernance. Deuxièmement, les données factuelles servant à la construction des mesures ne sont souvent pas disponibles dans les pays en développement, ou manquent de précision.137 En ce qui concerne les indicateurs basés sur des perceptions, deux points sont à relever. Tout d’abord, les évaluations d’experts sont beaucoup moins coûteuses que la mise en place d’enquêtes. De plus, effectuer la comparaison des opinions d’experts est plus facile que de comparer des enquêtes ménage étant donné que ces dernières sont souvent porteuses de biais culturels considérables. Ces deux points constituent les principaux arguments des institutions défendant un classement comparatif des différents pays telles que la Banque mondiale.138 Cependant, les limites des opinions d’experts sont à prendre en considération. Même si les questionnaires sont très détaillés, les évaluations des différents experts divergeront même s’ils analysent des aspects similaires du cadre politique et institutionnel d’un pays. Par ailleurs, les experts travaillant au sein de la même institution peuvent faire preuve d’un biais idéologique, par exemple en faveur d’un faible interventionnisme étatique. Ceci est souvent évoqué par les pays concernés qui s’opposent à une évaluation externe de leurs politiques. Cet argument semble moins valable pour les indicateurs qui mettent en avant la perception interne. Ces derniers sont ainsi rendus plus représentatifs et jouissent surtout d’une acceptabilité politique domestique supérieure à celle de la perception externe.139 La Banque mondiale et la promotion de la comparabilité Même si la Banque mondiale accentue ses efforts pour rendre les résultats des évaluations plus objectifs par la méthode du benchmarking et des mécanismes de « checks and balances », l’analyse des pays reste néanmoins une opinion subjective. Les experts des bureaux nationaux sont familiers avec le pays qui fait l’objet de leur analyse. De plus, ils utilisent un questionnaire standard qui est amendé annuellement. L’édition 2006 consacre entre dix et vingt lignes pour circonscrire Kaufmann & Kraay (2007), p. 15 et p. 20. Arndt & Oman (2006), p. 31. 138 Kaufmann & Kraay (2007), p. 15‐22. 139 Kaufmann & Kraay (2007), p. 20. 136
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82 Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? chaque critère afin d’éviter qu’un aspect de la bonne gouvernance soit évalué plusieurs fois. La Banque mondiale met à disposition des outils analytiques tels que des questionnaires spécifiques où des matrices d’évaluation (par exemple pour l’analyse des dépenses publiques).140 Qui plus est, les experts doivent prendre en considération quelques « guideposts ». Il s’agit de standards, d’indicateurs et de rapports de la Banque mondiale (par exemple les indicateurs « doing business ») ou d’autres organisations telles que l’OMC ou l’UNICEF. À partir de ces informations un expert classe un pays sur une échelle de 1 (très faible performance) à 6 (très forte performance). Des notations à mi‐points, comme 3.5, sont également acceptées. Pour trouver la bonne notation, des indications sont disponibles pour chaque niveau de l’échelle. Pour mieux comprendre le raisonnement lié à la classification, les experts présentent un rapport explicatif concernant leur analyse. Par conséquent, les résultats du CPIA s’appuient presque exclusivement sur les opinions des experts des bureaux nationaux de la Banque mondiale. Ce processus vise à maximiser la comparabilité des évaluations pour le plus grand nombre de pays afin de leur allouer des ressources. Cependant, la Banque a toujours été critiquée pour le fait qu’elle base son processus d’allocation sur des opinions d’experts. Notamment, le fait que les ressources disponibles pour un pays, et donc indirectement pour les bureaux nationaux, dépendent de la notation du CPIA pourrait créer une incitation à ajuster les résultats de l’évaluation.141 La Commission et la poursuite d’une position autonome Le canevas des profils de gouvernance de la Commission a été élaboré au cours des années 2005 et 2006 par la DG DEV de la Commission. Les profils sont remplis par la Commission européenne et ses Etats membres pour chaque pays partenaire ACP. La Commission s’écarte de cette façon des évaluations de l’Institut de la Banque mondiale et complète cet indice par certains éléments propres à la politique de l’UE142. Ce fait lui permet d’introduire progressivement un contenu spécifique à la position européenne, tel que le dialogue politique mené avec les pays partenaires dans les domaines des droits de l’Homme, de la démocratie, de la sécurité ou des migrations ou encore le processus de consultation entre la Commission et les États membres dans l’élaboration des profils. En ce qui concerne le rôle des Etats bénéficiaires ACP, ils sont invités à présenter un plan d’action concret qui est la « liste des engagements du gouvernement » visant à identifier les domaines dans lesquels l’Etat projette d’effectuer des réformes. Ce plan Malheureusement, ces outils ne sont pas accessibles pour le public. Court, Fritz & Gyimah‐Boadi (2007), p. 9. 142 Propos recueillis d’un entretien avec un fonctionnaire de la Commission Européenne (27.11.2007). 140
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83 Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? est évalué par la Commission d’après les trois critères suivants : la pertinence, l’ambition et la crédibilité. C’est à travers ce plan qu’un pays partenaire met en relief les problèmes qui lui semblent les plus pertinents. Chaque problème a une pondération allant de 1 à 4 points, sachant que le poids total de tous les problèmes est de 100 points. De cette manière, la Commission établit une liste des problèmes mis en relief par un Etat bénéficiaire. Ensuite, cette liste est comparée à celle des problèmes identifiés par la Commission et les Etats membres à la base des profils. Si les problèmes indiqués dans les plans d’actions correspondent à ceux dégagés par la Commission, le pays reçoit une aide supplémentaire afin de soutenir ses efforts dans le domaine de la promotion de la gouvernance démocratique143. Ainsi, selon la Stratégie « l’UE attend des Etats ACP qu’ils s’engagent sur la voie des réformes nécessaires pour assurer l’impact positif et durable de l’aide au développement et de la coopération au développement »144. La Commission affiche ainsi sa volonté d’ « impulser »145 les réformes dans les pays partenaires ACP. Les profils constituent par conséquent un outil analytique à travers lequel la Commission cherche à établir les domaines de coopération avec les états ACP et dégager les problèmes les plus pertinents des pays bénéficiaires. Le PNUD et la défense de la perspective locale En règle générale, le PNUD reproche aux indicateurs basés principalement sur des opinions d’experts, locaux ou non, de manquer de pertinence et de transparence. Selon le PNUD, les sources d’un « bon » indicateur doivent être politiquement acceptables pour toutes les parties prenantes et refléter le plus possible la totalité de la population d’un pays. L’enquête miroir du centre de recherche DIAL (Développement, Institutions & Analyses de long terme, voir encadré) constitue en ce sens une source fiable que le PNUD recommande146. En effet, cette dernière met en contraste les opinions d’experts, locaux ou non, avec la perception de la population. Le PNUD recommande vivement l’usage d’indicateurs de gouvernance désagrégés afin de permettre aux parties prenantes nationales de mieux évaluer leurs performances et d’élaborer des réformes ciblées et adaptées aux problèmes locaux. Les systèmes de statistiques désagrégeant les données selon le sexe et le revenu permettent d’étudier les différentes répercussions que les politiques de développement ont sur les femmes ainsi que les couches les plus pauvres de la population souvent victimes de discrimination et d’exclusion. Le PNUD relève le fait Propos recueillis de l’entretien téléphonique avec un fonctionnaire de la Commission Européenne (13.12.2007). COM (2006b). 145 Montagner (2006). 146 Joachim Nahem, spécialiste de la gouvernance au Centre pour la gouvernance d’Oslo. Entretien téléphonique le 30.11.2007. 143
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84 Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? que très peu d’indicateurs, notamment parmi ceux cités dans les deux Guides de l’Utilisateur (2004 et 2006), sont destinés à assister les gouvernements dans leurs projets de réformes en adoptant une approche pro‐pauvre et axée sur le genre. Les indicateurs pro‐pauvres peuvent mesurer la pauvreté en fondant sur des faits ou des perceptions subjectives. Les mesures factuelles incluent principalement le calcul du revenu en termes de pauvreté absolue (calculé par rapport au seuil de pauvreté) et en termes de pauvreté relative (calculé par rapport au revenu moyen ou médian). Les mesures subjectives sont la plupart du temps dérivées d’enquêtes demandant aux participants comment ils définissent le concept de pauvreté et s’ils se considèrent eux‐mêmes comme pauvres. Les indicateurs relatifs au genre peuvent quant à eux se concentrer sur deux approches distinctes : d’une part sur l’habilitation des femmes et d’autre part sur l’égalité des sexes. La première approche fait référence à des indicateurs mesurant le nombre de programmes gouvernementaux visant à réduire la discrimination féminine ainsi que l’efficacité de ces derniers. La seconde approche consiste à mesurer la différence d’impact des politiques gouvernementales ou simplement des coutumes locales sur les hommes et les femmes. Un indicateur peut‐
être pro‐pauvre ou sensible au genre de quatre manières différentes : premièrement, comme expliqué ci‐dessus, il peut être désagrégé en fonction du statut de pauvreté et/ou par sexe ; deuxièmement il peut mesurer une pratique de gouvernance ciblée spécifiquement sur les pauvres et/ou le genre; troisièmement il peut, sans révéler de manière explicite un caractère pro‐pauvre et/ou sensible au genre, être particulièrement pertinent pour l’un de ces groupes ; et finalement, il peut être choisi directement par les pauvres et/ou les femmes147. Selon le PNUD, les enquêtes ménages incarnent le moyen le plus sûr de pouvoir ensuite désagréger les données récoltées en fonction du genre et du revenu.148 De manière générale, il est important qu’un indicateur pro‐pauvre soit également sensible au genre. Qui écouter ? Les trois approches institutionnelles présentées dans la première partie se reflètent dans l’existence de trois modes de construction des indicateurs distincts. Le CPIA présente une évaluation d’experts au travers des bureaux nationaux, suivi par un processus global pour améliorer la cohérence et la comparabilité. Il s’agit donc toujours d’une opinion subjective guidée par un questionnaire détaillé concernant la qualité de la gouvernance dans un pays spécifique. Le PNUD met quant à lui en avant un processus participatif pour élaborer des indicateurs spécifiques en collaboration avec les bureaux nationaux et leurs partenaires locaux. Ce sont les autorités d’un pays concerné qui gèrent la création des indicateurs satellites, ces UNDP (2006), p.6‐9. UNDP (2007), p.12. 147
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85 Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? derniers constituant une adoption flexible des indicateurs établis par les grands bailleurs de fonds. Le PNUD s’oppose à une évaluation qui se baserait exclusivement sur les opinions d’experts et favorise les enquêtes ménages qui récoltent les perceptions de la population. Qui plus est, les indicateurs recommandés sont désagrégés. Selon le PNUD, ces derniers sont plus utiles pour que les pays concernés puissent envisager des réformes ciblées et adaptés aux buts et aux problèmes locaux. Quant aux « profils de gouvernance » de la Commission européenne, ils seront effectués de manière centralisée par la DG DEV. Étant donné que cette approche se trouve encore au stade initial, il est très difficile d’évaluer sa construction. Nous retrouvons donc dans l’analyse de ces trois approches des antagonismes déjà énoncés au préalable, non seulement entre l’évaluation « objective » et « subjective » mais également entre la perception externe et interne. En vue de la distinction entre données factuelles et opinions d’experts, les limites des deux concepts justifient de parler d’une relation plutôt complémentaire que substitutive.149 En ce qui concerne le débat sur l’origine des perceptions, nous nous trouvons également loin d’un consensus. D’une part, la Banque mondiale et la Commission européenne s’appuient sur des évaluations subjectives d’experts et cherchent à créer une perspective comparative et opérationnelle pour l’interaction avec les pays bénéficiaires. D’autre part, le PNUD s’oppose à ces évaluations externes et s’engage pour une vision plutôt interne. Trois remarques concernant ce débat sont à retenir : •
Premièrement, le choix des experts doit toujours être conforme avec le but et l’orientation thématique d’une évaluation. Ainsi, pour la mesure de certains indicateurs, la voix de la population peut‐être la plus appropriée alors que pour d’autre il s’agira de l’opinion des experts. „En ce qui concerne les données basées sur des perceptions, il est important de trouver l’expert connaissant le mieux la réalité que l’on souhaite reproduire. S’agit‐il de la population locale, des fonctionnaires, des entreprises ou d’un autre groupe d’experts ?“, explique Christiane Arndt, auteur de „Uses and Abuses of Governance Indicators“.150 •
Deuxièmement, il est important de considérer les limites des opinions d’experts. La perception de ces derniers peut en effet largement diverger de la réalité ou des perceptions de la population concernée. Néanmoins, il semble exagéré de leur attribuer une fiabilité systématiquement inférieure à celles des opinions recueillies dans les enquêtes ménages. Les enquêtes miroir de DIAL tirent par exemple systématiquement cette conclusion. La perception de la population Voir par exemple Arndt & Oman (2006, p. 90) ou Kaufmann & Kraay (2007, p. 23). Entretien téléphonique du 20 décembre 2007. 149
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86 Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? peut également être biaisée et sa mesure soumise à des marges d’erreurs. Par conséquent, les enquêtes ménages ne sont pas forcement plus fiables que l’évaluation d’experts externes.151 •
Finalement, il faut noter que la subjectivité fera toujours partie de la réification de la bonne gouvernance. La subjectivité reste inhérente aux indicateurs de gouvernance. Il est indispensable que les créateurs admettent la limite de leurs outils et clarifient explicitement ce que les données publiées représentent. Des approches innovatrices comme les enquêtes miroir de DIAL (voir encadré), les profils institutionnels du MINEFE (voir encadré) et les « Governance Diagnostic Surveys » de l’Institut de la Banque mondiale pourraient contribuer à nourrir ce débat et faire leur chemin dans les pratiques des grands bailleurs de fonds puisqu’elles offrent de nouvelles méthodes pouvant combler les failles des indicateurs liées à la subjectivité. Les enquêtes « miroir » de DIAL ou les limites des opinions d’experts Lors d’une étude sur la gouvernance et la démocratie dans huit pays africains, les chercheurs de DIAL se servent d’une enquête innovatrice pour confronter les réponses de la population à celles de 250 spécialistes locaux.152 Les mêmes enquêtes avec un certain nombre de questions communes sont distribuées d’une part aux experts et, d’autre part, aux ménages locaux. Les deux groupes donnent dans un premier temps leur opinion personnelle. Qui plus est, DIAL demande aux experts quelles sont leurs prévisions quant aux réponses des ménages. La comparaison des résultats peut s’avérer troublante. En général, les experts expriment une vision considérablement plus négative de la réalité que la population. Par exemple, les experts surestiment systématiquement le niveau de la corruption subie par les citoyens. Alors que les experts estiment que 54% des personnes interrogées ont été victimes d’actes de corruption en une année, seulement 13% de la population a déclaré avoir été confronté à ce phénomène. Cette démarche permet à DIAL de remettre en question la fiabilité des opinions d’experts pourtant largement utilisées par les bailleurs de fonds. Kaufmann & Kraay (2007, p. 21). Voir Herrera, Razafindrakoto & Roubaud (2006). 151
152
87 Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? Les « profils institutionnels » du MINEFE et la subjectivité des évaluations d’experts Les « profils institutionnels » du Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Emploi (MINEFE) se tournent vers la recherche des considérants institutionnels de la croissance de moyen à long terme. Cette nouvelle base de données offre 356 variables sur un ensemble de 85 pays en développement, en transition et développés.153 Les résultats s’appuient sur les réponses des Missions économiques auprès des Ambassades de la République française à une enquête de format unique. Le grand nombre de questions (356 variables agrégées en 123 indicateurs) cherche à réduire la subjectivité des questions individuelles. Chaque question est décomposée en quatre à six variables élémentaires. Tableau 2 : décompositions des questions dans le questionnaire des profils institutionnels. Cette méthode diminue l’espace interprétatif et permet à l’utilisateur de mieux comprendre certains éléments abstraits tels que la « transparence de l’action publique dans le champ économique » (voir le Tableau 2). Vue d’ensemble : Trois approches distinctes, confrontés aux mêmes enjeux Au travers de cette discussion sur la construction des indicateurs, nous sommes partis de la naissance, de l’histoire et du contexte institutionnel de trois initiatives qui mesurent la bonne gouvernance à des fins tout à fait différentes. Ces divergences se reflètent d’ailleurs dans les politiques de la Banque mondiale, de la Commission européenne et du PNUD à l’égard de la transparence et de la méthode de collecte des données. Les deux parties analytiques ont fait ressortir principalement deux controverses. Premièrement, pour les institutions qui utilisent les indicateurs, la question de la transparence menace les évaluations d’experts, ces derniers n’étant plus protégés par l’anonymat. Cependant, les indicateurs de gouvernance sont des instruments pour un discours qui vise à améliorer la qualité du cadre politique et institutionnel dans les pays en développement. La transparence des méthodes, des évaluations et des résultats devient par conséquent le premier garant d’un dialogue équilibré entre les Voir Meisel & Ould Aoudia (2007). 153
88 Note d’analyse II : Comment matérialiser la bonne gouvernance ? différents acteurs. Au vue de ces considérations, la divulgation totale des systèmes d’indicateurs semble indispensable. Deuxièmement, il existe une tension entre perception interne et externe en tant que sources des indicateurs de gouvernance. Par la critique des deux concepts et par la présentation d’approches novatrices nous avons démontré que l’intégration des données perceptives sera l’un des grands enjeux des indicateurs de gouvernance. Néanmoins, un rapprochement entre les deux concepts est souhaitable. En fin de compte, les indicateurs tirent leur raison d’être du fait qu’ils sont utilisés par un grand nombre d’acteurs tels que les organisations multilatérales, les pays en développement, les ONG ou encore les institutions académiques.154 Un indicateur reste obsolète s’il n’arrive pas à établir un dialogue qui mène à des solutions pour améliorer la qualité de la bonne gouvernance. Une construction transparente qui se sert d’une méthode compréhensible et de données accessibles contribue à cet objectif. Pourtant, les réformes de la construction des indicateurs ne sont qu’un début. En effet, les acteurs doivent cesser de s’accrocher à des dichotomies floues comme par exemple entre les données « objectives » et « subjectives » ou entre indicateurs individuels et agrégés. L’adéquation d’un certain type de données dépend forcément du contexte et de l’objectif de l’indicateur. De surcroît, les créateurs des indicateurs peuvent contribuer à la crédibilité des indicateurs par une politique de « publication véridique »: en admettant les limites des indicateurs par une communication ouverte. Ils diminueront ainsi de manière active l’utilisation peu scrupuleuse des indicateurs de gouvernance.155 Sources Bibliographie ALEXANDER, N. (2004). Juge et jury: la fiche d’évaluation de la Banque mondiale pour les gouvernements emprunteurs. Trouvé le 10 octobre 2007 sous www.socialwatch.org/ es/informeImpreso/pdfs/2thematiques2004_fran.pdf. ARNDT, C. & OMAN, C. (2006). Uses and Abuses of Governance Indicators. Paris: OECD. ASSOCIATION INTERNATIONALE DE DÉVELOPPEMENT [AID]. (2004a). Country Policy and Institutional As‐
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155
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van_waeyenberge.pdf 91 Note d’analyse III : Quelle place pour la voix des populations ? Note d’analyse III : Quelle place pour la voix des populations ? Note d’analyse Axe thématique II Sources des indicateurs de gouvernance: quelle place pour la voix des populations?
Par Carole CHARLES, Viktoria DIJAKOVIC, Micha KAEMPFER & Maria KOZLOVA A la fin de la deuxième guerre mondiale, les Etats‐Unis ont compris que pour maintenir un équilibre en Europe dans le monde, il fallait reconstruire et développer les économies détruites par la guerre. C’est dans cette perspective que la Banque mondiale, pionnière de l’aide au développement, fut créée lors des projets de reconstruction de l’Europe. Ce nouveau concept d’aide au développement remporta un tel succès que des programmes furent aussi conçus en faveur de pays en difficulté non‐européens. Depuis le lancement de ce nouveau paradigme d’aide aux pays en voie de développement, les techniques d’allocation de l’aide ont changé à plusieurs reprises. Dans le cas de la Banque mondiale les transformations sont venues par étapes. Dans les premières années, la Banque s’est plus concentrée sur l’aide financière directe à condition que le pays bénéficiaire fasse des changements structurels une fois l’aide allouée156. Toutefois, les résultats ne furent pas satisfaisants car les ressources étaient allouées à des pays possédant des profils très différents. L’efficacité de l’aide montrait par conséquent d’énormes divergences entre les pays. La décision d’entreprendre des réformes survint après plus de 15 ans d’expérience avec ce type d’allocation. Suite à un rapport de 1994 sur l’Afrique, la Banque mondiale conclut que bien que cette pratique ait aidé à mettre en place des politiques équilibrées elle n’avait pas atteint les résultats désirés dans le domaine de la croissance et de la réduction de la pauvreté157. Le discours à l’intérieur de la Banque changea radicalement à la suite du rapport Assessing Aid de 1998 dans lequel certains experts suggérèrent d’attribuer plutôt de l’aide technique que financière aux pays ne disposant pas des structures nécessaires pour un usage efficace de l’aide. D’autre part, pour les pays ayant entrepris des changements économiques et structurels satisfaisants, l’aide financière semblait être la solution. La Banque mondiale est la première institution d’aide au développement qui adopta ce qu’ils appellent les Van Waeyenberge (2006), p.2. Van Waeyenberge (2006), p.2. 156
157
92 Note d’analyse III : Quelle place pour la voix des populations ? indicateurs de « bonne gouvernance ». Ces derniers ont changé les critères du CPIA (le Country Policy and Institutional Assessment c’est‐à‐dire la liste d’indicateurs créés au milieu des années 1970 afin de rendre l’allocation de l’aide plus systématique). Le CPIA se focalise sur une gamme de critères concernant le fonctionnement du gouvernement et des institutions d’un pays donné pour ensuite classifier tous les pays en voie de développement. La technique de la Banque mondiale a été critiquée à plusieurs reprises. Avant la création des indicateurs de bonne gouvernance, certains disait que la Banque soutenait les gouvernements corrompus en aidant davantage les chefs d’Etat que les populations. La réaction à ces critiques fut la création du CPIA. Cependant, cette mesure fut également critiquée à cause de son manque de transparence. Ni les gouvernements bénéficiaires ni les populations concernées ne comprenaient sur quels critères la Banque allouait l’aide ni sur quelles sources les classements se basaient. Suite au rapport d’une commission d’évaluation externe commanditée par la Banque elle‐même158, les classements et les critères du CPIA furent rendus publics en 2005 (uniquement les classements des pays éligibles pour l’aide de l’AID, pas les évaluations des experts159). De plus en plus d’institutions ont commencé à utiliser des indicateurs de gouvernance dans le but de rendre l’allocation de l’aide plus efficace. La Commission européenne et le PNUD ont quant à eux choisi d’adopter une démarche quelque peu différente. Comme nous le verrons dans cet article, ces approches sont relativement récentes et diffèrent considérablement l’une de l’autre. Ces nouvelles approches font notamment suite à un rapport de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) a récemment soutenu que le mandat de la Banque mondiale sur la bonne gouvernance est « arrivé à un moment dont les doutes croissants concernant le but et l’efficacité des agences internationales de développement menaçait leur financement et leur existence » 160. Pour accroître le soutien des projets de développement au sein des pays occidentaux, les grandes institutions de coopération au développement ont compris la nécessité de changer leur discours et leurs actions. Dans cet article nous nous concentrerons tout d’abord sur la gamme de sources utilisée dans la construction des indicateurs de gouvernance par les trois institutions que sont la Banque mondiale, la Commission européenne et le PNUD, pour ensuite analyser si ces institutions ont changé ou non leur discours et surtout leurs actions en AID (2004). Van Waeyenberge (2006), p.7. 160 Nanda, V. P (2006), p. 272. 158
159
93 Note d’analyse III : Quelle place pour la voix des populations ? faveur de plus de transparence et d’objectivité tout en incluant des mesures d’engagement des populations concernées et de la société civile au processus. Choix de l’allocation de l’aide : un processus objectif ? Dans les années 1980 et 1990, les bailleurs de fonds insistaient sur une forme de conditionnalité qui visait à imposer des changements structurels à l’Etat bénéficiaire une fois l’aide allouée. Toutefois, ce système s’est montré inefficace dans la réduction de la pauvreté et l’encouragement de la croissance économique161. Le résultat fut la création des indicateurs de « bonne » gouvernance par la Banque mondiale. L’objectif des indicateurs était de rendre l’allocation plus systématique et efficace tout en incitant les Etats à améliorer leurs institutions et la gouvernance avant de chercher à accroître l’aide au développement. Désormais, la Banque mondiale n’alloue son aide qu’en fonction des structures de gouvernance déjà en place dans les pays concernés. En ce qui concerne le cas des autres deux grands bailleurs de fonds, la Commission européenne et le PNUD, cette constatation n’est pas valable. En ce qui concerne la Commission, elle distingue sa politique de celle de la Banque en choisissant non pas d’utiliser des indicateurs mais des profils de gouvernance. Ces profils ont pour objectif de mieux guider l’allocation de l’aide plutôt que de strictement classer les pays en développement afin de les exclure ou de les inclure dans le processus l’allocation. Il existe cependant un consensus tacite sur le fait qu’il faut mieux cibler l’aide pour atteindre les objectifs une fois les structures et les institutions de bonne gouvernance en place. Pour allouer leur aide, les institutions de coopération au développement sont obligées de s’appuyer sur différentes sources (internes, externes, objectives et subjectives). Il faut prendre en considération que les profils de gouvernance de la Commission européenne et le « Projet des indicateurs de gouvernance » du PNUD sont trop récents pour pouvoir les analyser avec du recul. Toutefois, nous avons pu nous baser sur différentes sources (entretiens, projets pilotes du PNUD, sites internet, etc.) pour mieux étudier, dans cette première partie, les sources utilisées par la Banque mondiale, la Commission européenne et le PNUD. Diversification limitée des sources : le cas de la Banque mondiale Dans le cas de la Banque mondiale, nous remarquons que bien que le nombre de sources s’élève à 54 depuis 2006162 (reparties dans les 16163 critères du CPIA) notre analyse doit se limiter à 51 des 54 étant donné que trois de ces sources ne sont pas Nanda, V. P (2006), p. 269. AID (2006). 163 Il est à remarquer que quelques sources sont utilisées pour l’évaluation de plusieurs critères. 161
162
94 Note d’analyse III : Quelle place pour la voix des populations ? identifiables164. Mais même en analysant les 51 sources à notre disposition, les restrictions ne semblent pas diminuer. Nous distinguons trois types165 de sources. Premièrement, les fournisseurs d’informations publics tels que les agences gouvernementales ou les institutions multilatérales, disposant de connaissances approfondies au sein de leur organisation. Le CPIA contient 49 sources de ce type. Dans plus de 75% des cas, il s’agit de sources du Groupe de la Banque mondiale elle‐même, avec ses agences et initiatives telles que l’Association internationale de développement, la Société financière internationale ou encore lʹInstitut de la Banque mondiale. Par ailleurs, le CPIA inclut des sources d’autres institutions comme le Fond Monétaire International (cinq fois), l’Organisation mondiale du commerce et l’UNICEF. Un second ensemble de sources correspond à des fournisseurs d’informations privés : Le CPIA n’intègre qu’une seule source de ce type avec le « Guide international du risque des pays » élaboré par le Political Risk Services Group166. Ce guide englobe une évaluation qualitative des conditions générales pour les investissements étrangers qui se base sur un réseau d’experts. Les organisations non gouvernementales représentent une troisième source. Cette dernière perspective est très restreinte vu qu’elle se fonde uniquement sur l’Index de la liberté économique réalisé par l’ONG américaine « The Heritage Foundation »167. En ce qui concerne la transparence des sources il faut retenir que le CPIA est une évaluation effectuée par des experts des bureaux nationaux de la Banque mondiale dont les rapports d’évaluation ne sont pas divulgués. Etant donné que les justifications écrites par les experts ne sont pas documentées, il n’est pas possible de suivre de manière compréhensible l’analyse des sources individuelles et leur intégration dans la notation du CPIA. L’analyse et l’intégration des sources dans le classement d’un pays ne sont donc pas documentées. Pour suivre le raisonnement qui aboutit à une certaines notations du CPIA, l’utilisateur intéressé aurait la possibilité d’accéder aux sources accessibles au public. Cependant, la partie du questionnaire du CPIA qui énonce les sources n’est pas élaborée de manière très soigneuse. La plupart des « guideposts » ne fournissent pas de lien direct ou la description de la source reste très vague. Par exemple, le questionnaire fait plusieurs fois référence à des indicateurs de gouvernance dont le lien indiqué168 n’est pas accessible. De plus, les données de douze « guideposts » du CPIA ne sont pas Notamment, il s’agit des sources « HDN online Core Labor Standards Toolkit », « Pension Position Paper » et « Local Development Strategy » du critère n° 10 (securité sociale et travail). 165 Voici Kaufmann, Kraay & Mastruzzi (2007), p. 5. 166 www.prsgroup.com 167 www.heritage.org 168 http://www‐wbweb.worldbank.org/prem/prmps/publicsector/indicators.htm 164
95 Note d’analyse III : Quelle place pour la voix des populations ? accessibles librement, à l’image de certains annexes du questionnaire ne sont pas disponibles sur le site de la Banque mondiale (par exemple, les feuilles de calcul destinées à l’analyse des politiques environnementales). D’autres sources nécessitent des frais d’accès (par exemple, l’accès aux données du « Guide international du risque des pays » du Political Risk Service Group coûte $4’595). Parmi les 39 sources librement accessibles, les restrictions imposées à l’utilisateur du CPIA restent considérables comme dans le cas des indicateurs du développement mondial (WDI) pour lequel seulement une partie des pays et des données est disponible sans abonnement et plusieurs sources ne sont pas mises à jour régulièrement. Les profils de la Commission européenne Le cas de la Commission européenne est moins clair que celui de la Banque mondiale. C’est vrai que les profils de gouvernance de la Commission sont un concept qui est encore dans sa phase « préliminaire » et qui ne sera mis en œuvre officiellement qu’en 2008, son élaboration et utilisation restant donc encore opaque. Les profils de gouvernance ont été crées dans le cadre de la nouvelle stratégie « Gouvernance dans le consensus européen pour le développement » de 2006169. Le canevas des profils a été élaboré au cours des années 2005 et 2006 par la Direction Générale du Développement (DG DEV) de la Commission afin de lier la programmation du 10ème Fond Européen du Développement (FED) (2008 – 2013) à une évaluation qualitative des pays. Ils couvriront 78 pays partenaires ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) et seront testés pour la première fois à partir de janvier 2008. Etant donné le fait que les profils de gouvernance ne sont pas encore utilisés170, publiés et rendus public par la Commission, il y a une très faible transparence sur la méthodique de leur rédaction, les sources utilisées et la procédure de leur évaluation. Néanmoins, grâce aux entretiens avec des fonctionnaires de la Commission et aux informations déjà disponibles sur le site de la Commission nous pouvons avoir une idée comment les profils ont été crées et comment ils seront mis en pratique. Les profils sont articulés en grande partie à la base des indices existants, notamment ceux du KKZ élaborés par D. Kaufmann et A. Kraay et développés par l’Institut de la Banque mondiale. Les indices du KKZ mesurent la qualité de la gouvernance dans plus de 200 pays sur la base de 31 sources (l’ICRG, Freedom House, le CPIA etc.). Parmi les aspects des indices figurent les suivants : Etre à l’écoute et rendre compte (1); Stabilité politique et absence de violence (2); Efficacité des pouvoirs COM (2006). Par contre, il est à noter que les profils existent déjà dans quelques pays africains, notamment au Mali et au Niger. 169
170
96 Note d’analyse III : Quelle place pour la voix des populations ? publics (3); Qualité/fardeau réglementaire(4) ; Etat de droit (5) et, enfin, Maitrise de la corruption (6). Ces 6 dimensions des indicateurs KKZ ont été examinées par la Commission européenne afin d’élaborer les profils de gouvernance. La méthode de construction s’appuie plus précisément sur les résultats du KKZ de 2004. Ainsi, les 6 dimensions des profils reflètent bien les 6 aspects des KKZ : gouvernance politique/démocratique (1) (critère 1 pour l’Institut de la Banque mondiale), gouvernance politique/ règle de la loi (2) (critère 5), contrôle de la corruption (3) (critère 6), efficacité de la gouvernance (4) (critère 3), gouvernance économique (5) (critère 4), sécurité intérieure et extérieure (6) (critère 2). Par contre, il est à souligner que la Commission s’écarte actuellement des évaluations de l’Institut de la Banque mondiale et complète cet indice par certains éléments propres à la politique de l’UE dont les trois dimensions supplémentaires suivantes: gouvernance sociale (7), contexte international et régional (8), qualité du partenariat coopération (9). Selon l’expression figurée d’un fonctionnaire de la Commission, elle les assaisonne « à la façon européenne »171. Ainsi, les profils de gouvernance comprennent les 9 dimensions. D’après l’institution, elle a pris les indices des KKZ juste à des fins consultatives. De plus, il y a d’autres sources diverses qui ont été utilisées à des fins consultatives telles que celles de la Banque Africaine de développement (la Banque de l’Institut africain pour le développement (IAD) a pour mission d’assurer la formation et le développement des capacités des Pays membres régionaux.), notamment le «Rapport sur le Développement en Afrique 2005» et de celles de Transparency International172 (données de 2005 et des années précédentes), notamment l’Indice de perception de la corruption. De plus, il est à souligner l’apport des données, des recherches et des analyses des organisations et institutions internationales telles que la Banque mondiale, notamment les études sur les indicateurs de la lutte contre la corruption (par exemple “Anti‐Corruption diagnostic toolkit”173), l’OCDE, notamment l’analyse de ses indicateurs du progrès et l’étude de ses concepts et approches sur l’égalité homme‐femme,174 et le PNUD175, notamment les études sur les indicateurs portant également sur l’égalité homme‐femmes (par exemple Women’s political participation and good governance: 21st century challenges176). Enfin, il est à noter un rôle important du Mécanisme Africain de revue par les pairs (MARP) de l’Union Africaine, celui du Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique Propos recueillis lors d’un entretien avec un fonctionnaire de la Commission (le 21.11.2007, Paris) Voir www.transparency.org 173 Voir http://www1.worldbank.org/publicsector/anticorrupt/diagnostictools.htm 174 Voir www.oecd.org/pdf/M00002000/M00002334.pdf 175 Voir http://www.sdnp.undp.org/gender/datastats/ 176 Voir le site du PNUD http://www.undp.org/ 171
172
97 Note d’analyse III : Quelle place pour la voix des populations ? (NEPAD) que la Commission souhaiterait soutenir à l’avenir au niveau panafricain. Néanmoins, il est à souligner qu’il existe peu de transparence sur la manière précise de l’utilisation de ces sources qui ont été proposées à la Commission en tant que matériel d’appui et d’étude. Par contre, malgré toutes ces sources multiples la Commission conçoit ses profils en tant que « home made »177. Ce qualificatif de « fait maison » est prouvé par l’existence de nombreuses sources et outils méthodologiques internes qui permettent, selon l’institution, de faciliter l’élaboration et l’évaluation des profils. Parmi eux figurent les fiches de programmation par sous‐secteurs tels que « droit de l’homme et la démocratie », « Etat de droit » et d’autres qui sont disponibles sur le site de la Commission. En outre, il existe le « Manuel sur la promotion de la bonne gouvernance dans la politique de développement et de coopération de la CE »178 en version anglaise produit par le bureau de coopération EuropAid de la Commission. Ce Manuel est un outil destiné à assister le personnel de la Commission et dʹautres personnes et qui leur permettra d’identifier les bonnes pratiques et les questions clés à considérer pour définir et mettre en œuvre des programmes et des projets spécifiques visant à promouvoir la bonne gouvernance. Parmi les autres sources d’appui utilisées lors de l’élaboration des profils figurent toute une gamme d’instruments internationaux tels que les déclarations, notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948), les traités, les conventions, notamment celles de l’Organisation Mondiale du Travail (OMT), de l’Organisation de l’Union africaine (UA), la Convention interaméricaine contre la corruption (1996), Initiative anticorruption pour la région Asie‐Pacifique BAD/OCDE et d’autres179. Ainsi, la Commission accorde une grande importance au fait de la ratification et de la signature de tel ou tel document international par un pays bénéficiaire ce qui prouve la nature « de jure » (basé sur le droit et pas sur les faits) des profils de gouvernance de la Commission européenne. L’approche « learning by doing » du PNUD Au début des années 2000 le PNUD avait entrepris de développer sa propre batterie d’indicateurs de gouvernance. Contrairement à l’usage qu’en font la plupart des bailleurs de fonds, ces indicateurs ne devaient pas conditionner l’aide mais servir d’outils utiles à l’évaluation interne des pays partenaires. Peu à peu le PNUD a cependant pris conscience que la création d’un panel d’indicateurs propres n’était conciliable ni avec son mandat, ni avec l’approche basée sur les droits de l’Homme Propos recueillis lors d’un entretien avec un fonctionnaire de la Commission (le 21.11.2007, Paris). EuropeAid Cooperation Office (sans date). Voir le site www.europa.eu.int/comm/external_relations/cpcm/cp/list.htm 179 Voir le site www.ohchr.org/english:countries/ratification/index.htm 177
178
98 Note d’analyse III : Quelle place pour la voix des populations ? qu’il défend180. La voie choisie a donc été celle d’une approche plus flexible permettant de mieux assurer l’adaptation et l’appropriation locales de la gouvernance démocratique. Pour ce faire le PNUD s’appuie sur le principe du learning by doing et soutient les institutions locales, notamment les bureaux de statistiques nationaux, dans le développement de leur propre système d’évaluation et de contrôle de la gouvernance. Ce processus ne permet donc pas de dresser une liste fixe des sources utilisées par le « Projet des indicateurs de gouvernance ». Chaque pays partenaire choisissant les indicateurs convenant le mieux à ses besoins, les sources varient en fonction des pays et des indicateurs choisis par ces derniers. Le PNUD recommande toutefois une utilisation diversifiée des sources181. Un juste équilibre doit en effet être trouvé entre sources « objectives » (de jure ou de facto) et subjectives (interprétation des faits), entre sources locales et externes, ainsi qu’entre les différents types de sources (basées sur des normes, des codes et des traités ; sur des faits ; sur des enquêtes ou encore sur des rapports narratifs). Le PNUD met également en garde contre la tendance de certains bailleurs de fonds à, d’une part, marginaliser une partie de la population et, d’autre part exclure la société civile du processus de construction, ou tout du moins de choix, des indicateurs. A cet égard le PNUD recommande vivement l’utilisation de certains indicateurs, ou de processus de sélection des indicateurs, provenant d’institutions telles que DIAL, l’IDEA ou encore le NEPAD. Ainsi, lors de ses enquêtes miroirs, DIAL a distribué le même questionnaire d’une part à des experts locaux et externes et, d’autre part, aux ménages. Les réponses données par les deux groupes ont ensuite été comparées. Qui plus est, DIAL a également demandé aux experts quelles étaient leurs prévisions quant aux réponses des ménages. La divergence des résultats peut s’avérer troublante182. L’IDEA produit quant à lui le « Democracy Assessment framework », un cadre d’élaboration des indicateurs destiné à être utilisé par les pays développés et en voie de développement afin de mieux comprendre les forces et les faiblesses de leur démocratie ainsi que de mesurer les progrès accomplis au fil du temps183. L’un des principaux indicateurs créé par l’IDEA est l’EPIC (Election Process Information Collection) pour lequel des questionnaires à choix multiples sont distribués aux habitants concernant les neuf thèmes suivants : systèmes électoraux, cadre législatif, management électoral, tracé des frontières, formation des votants, enregistrement des votants, organisations des Bellina (entretien 13.12.2007). Sudders & Nahem (2004), p.17. 182 Pour plus de détails, consulter Arndt& Oman (2006), p.95 et DIAL (2007b), pp.14‐16. 183 Nahem (entretien 30.11.2007). 180
181
99 Note d’analyse III : Quelle place pour la voix des populations ? élections, partis politiques et contage des votes184. A l’heure actuelle ce processus a été utilisé par plus de 20 pays185. Pour le cas particulier des pays africains, le PNUD fait également souvent référence au travail du NEPAD et à la mise en place du MAEP (Mécanisme Africain d’Evaluation par les Pairs). Ce dernier compile les divers standards touchant aux droits de l’Homme et à la démocratie contenus dans les traités et déclarations nationales en un set d’indicateurs servant à évaluer les pays. Le MAEP prévoit une série de consultations avec diverses parties prenantes locales dans le but de faciliter l’échange d’information et de promouvoir le dialogue au niveau national concernant les défis de la gouvernance démocratique et les réponses à apporter186. Le MAEP contient un processus participatif prévoyant des possibilités d’interventions de la part des populations et de la société civile à chaque stade d’un cycle de projet : identification des priorités nationales, élaboration/choix des indicateurs, mise en œuvre et évaluation (voir le schéma ci‐dessous). A l’heure actuelle le MAEP constitue sans doute l’outil le plus développé et le plus pertinent en matière d’aide au développement187. Il permet d’évaluer la situation d’un pays grâce à différents aspects sociaux et culturels spécifiques. Le MAEP est conçu pour et par les pays africains. SUDDERS & NAHEM (2004), pp.38‐39. Des pays développés tels que l’Italie, les Pays‐Bas, la Corée du Sud ou la Nouvelle‐Zélande et des pays en voie de développement tels que le Bengladesh, le Salvador, le Kenya ou le Malawi ont utilisé le « Democracy Assessment framework » de l’IDEA. UNDP (2007), p.25. 186 UNDP (2006), p.38. 187 Bellina (entretien 13.12.2007). 184
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100 Note d’analyse III : Quelle place pour la voix des populations ? Graphique 8: les processus du MAEP : Comment les processus de participation peuvent‐ils aider ? Tiré de NEPAD (2003), p.17. Concernant la construction d’indicateurs de gouvernance démocratique dans les pays africains, le PNUD recommande également l’utilisation de l’Afrobaromètre. Ce dernier est essentiellement constitué d’enquêtes ménages faites de questions simples et largement compréhensibles. La question suivante est par exemple tirée de l’enquête 2005 : « de manière générale, êtes‐vous satisfait de la manière dont la démocratie fonctionne dans votre pays ? ». Tous les mécanismes d’évaluation, ou de mise en place d’évaluations, cités ci‐dessus et recommandés par le PNUD se distinguent par le fait qu’ils sont avant tout destinés à être utilisés par les pays partenaires. En travaillant de paire avec les organisations de la société civile lors des discussions, ils cherchent à mettre l’accent sur le débat public et la prise de conscience locale. L’implication des bureaux de statistiques des pays partenaires constitue également un élément clé des mécanismes de DIAL, de l’IDEA et du NEPAD. Les bureaux nationaux de statistiques sont familiers avec les enquêtes socio‐
économiques, qui plus est ils produisent déjà des indicateurs ayant traits à la gouvernance (indicateurs de pauvreté, d’emploi, etc.) et finalement, une fois qu’ils se 101 Note d’analyse III : Quelle place pour la voix des populations ? seront appropriés les capacités nécessaires, ils seront aptes à reconduire les processus d’évaluations afin d’établir un véritable suivi de la situation nationale188. Vers une allocation plus coopérative ? Comme nous avons vu dans la partie précédente, l’engagement de la société civile, des ONGs et des populations concernées dans les évaluations annuelles des trois grands bailleurs de fonds est significativement restreint. Le PNUD, comme nous verrons plus tard, est la seule institution qui utilise un nombre considérable de sources locales. Depuis quelques années il y a des plus en plus de discours sur l’équité des chances et sur la participation des populations concernées. La Banque mondiale appelle ce processus, développement social qui est défini comme la « transformation des institutions qui, par conséquent, promeuvent une meilleure croissance, des meilleurs projets et une meilleure qualité de vie »189. Déjà en 2001 le rapport “World Development Report 2000/2001: Attacking Poverty”190 de la Banque mondiale a parlé du besoin d’appropriation par les populations les plus pauvres. D’autres rapports dans ce genre ont suivi comme par exemple un publié en 2005 sur la question de l’équité191 et un autre sur la nécessité d’adopter une politique basée sur une plus grande responsabilité des sociétés civiles et de la population elle‐même (2004)192. La Banque mondiale insiste sur le besoin d’engager les femmes, les populations les plus pauvres et les organisations de société civile à participer directement ou indirectement dans l’exigence de responsabilité du gouvernement193. La Banque reconnaît désormais que la responsabilité est une partie intégrante de l’appropriation et donc, de réduction de la pauvreté194. Le PNUD aussi parle de l’importance de la contribution de la société civile depuis 2000 et du besoin d’engager les populations locales et la société de plus en plus dans les projets de développement. Néanmoins, ils restent des concepts assez nouveaux. Dans cette partie nous allons voir dans quel mesure les populations concernées et la société civile sont déjà impliquées dans la construction des profils ou des indicateurs de gouvernance et du « Projet des indicateurs de gouvernance » et, s’ils ne sont pas Les enquêtes ménages menées par DIAL en partenariat avec les bureaux nationaux de statistiques ont été remplies par plus de 35ʹ000 personnes en Afrique de l’Ouest et à Madagascar ainsi que par plus de 50ʹ000 personnes en Amérique Latine (DIAL (2007b), p. 6). 189 Voir http://web.worldbank.org/ 190 Banque mondiale (2001). 191 BIRD (2005). 192 Malena, Forster & Singh (2004). 193 Malena, Forster & Singh (2004). 194 Malena, Forster & Singh (2004), p. 7. 188
102 Note d’analyse III : Quelle place pour la voix des populations ? encore impliqués, quels projets d’engagement des populations et la société civile dans la construction des indicateurs sont déjà misent en œuvre et comment. La Banque mondiale La plupart des sources sont fondées sur des données factuelles (par exemple, les statistiques de l’Organisation mondiale de la santé) ou sur des perceptions externes des experts, principalement au sein du réseau de la Banque mondiale. Néanmoins, le CPIA intègre des sources qui incluent la perception interne des parties prenantes locales au sein du pays en développement. Par exemple, le projet « Doing Business »195 de la Banque mondiale essaye de mesurer la législation des affaires dans 178 pays par une enquête qui couvre un ensemble de 5’000 experts locaux (avocats, conseillers commerciaux, représentants du gouvernement etc.). Une approche moins connue est celle du rapport concernant les barrières administratives mené par le « Foreign Investment Advisory Service » de la Banque mondiale: Il s’oriente de plus en plus sur une autoévaluation des fonctionnaires au sein de l’administration gouvernementale.196 En ce qui concerne l’intégration des perspectives de la société civile du pays bénéficiaire, il est évident que le CPIA n’y portepas beaucoup d’attention : un seul aspect du 16ème critère (transparence, responsabilité et corruption du secteur public) s’occupe de « l’accès de la société civile aux informations concernant les affaires publiques ». Par ailleurs, les perceptions dans les huit sources qui se fondent sur des perceptions internes sont majoritairement récoltées par l’enquête des experts au sein de la communauté commerciale et des autorités gouvernementales. L’intégration de la perspective de la société civile est donc faible, non seulement par rapport au contenu des critères mais aussi en ce qui concerne les sources. Ceci reflète le fait que la société civile, et notamment les ONG, n’ont généralement pas de véritable influence sur le processus d’allocation de l’AID. La Banque mondiale élabore le CPIA de manière indépendante. Même les interactions des experts avec les autorités locales font partie « d’un processus de consultation et pas de négociations sur les notations »197. Il est donc peu étonnant que pour la société civile la chance de participer au processus d’allocation est « égal zéro »198 vu que même les acteurs politiques du pays bénéficiaire n’ont pas de possibilité d’influencer l’élaboration du CPIA. www.doingbusiness.com Voir http://www.fias.net/ifcext/fias.nsf/Content/Advisory_Services_Administrative_Barriers 197 Voir http://go.worldbank.org/74EDY81YU0 198 Eberlei (2007), p. 19. 195
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103 Note d’analyse III : Quelle place pour la voix des populations ? Toutefois, même si l’influence des populations concernées dans l’élaboration des indicateurs est presque nulle, le discours d’engagement de la société civile et de la population semble évoluer et s’accroître. Pendant les premières décennies de l’aide au développement, la Banque mondiale se concentrait que sur des projets à grande échelle qui engageait seul le gouvernement du pays concerné. Quand le faible niveau de succès de ce type de projet fut clair, la Banque commença, entre les années 1980 et le milieu des années 1990, à inclure des méthodes et des outils pour mieux incorporer dans les projets de développement des considérations sociales et des points de vues des populations les plus pauvres. En 1997, la Banque créa le Réseau du développement social. Les postes du réseau furent remplis par des scientifiques sociaux du milieu non économique pour permettre un point de vu plus penché sur les problèmes sociaux au niveau régional199. Ce nouveau Réseau a encouragé et soutenu une gamme considérable d’approches aux problèmes sociaux, notamment au niveau régional. Entre 1997 et 2002, le but principal de ce réseau était le développement de méthodes et des outils pour mieux cibler les impacts sociaux et pour donner une voix aux populations locales. Depuis, le Réseau a pu donner une connaissance et une compréhension plus approfondie des populations les plus pauvres. Leur travail s’est aussi déplacé de la théorie du « comment aider » les pauvres à la mise en pratique200. Depuis sa formation, la stratégie de développement sociale a beaucoup avancée. Entre 1997 et 2002, la Banque a augmenté les processus de participation car, suite à la publication du rapport Voices and Choices at the Macro Level201 il est devenu clair que les diagnosticssur le niveau de pauvreté et les décisions sur la formation de politiques macroéconomiques sont plus exactes quand les populations locales sont impliquées dans les études. Le Groupe indépendant d’évaluation de la Banque mondiale soutient, dans un rapport de 2000, que la participation dans les projets de la Banque « qui représentait 40% des projets en 1994 est passée à 72% en 2000 »202. De plus, avec le souci croissant de l’exclusion et des groupes les plus vulnérables (notamment les groupes indigènes, les minorités ethniques, les réfugiées et les femmes) a poussé la Banque à faire un effort de mieux comprendre les causes de la pauvreté. Suite à la publication du Rapport de développement mondial de 2001 Attacking Poverty203 l’agenda d’appropriation est devenu de plus en plus une priorité Davis (2002), p. v. Davis (2002), p. vi. 201 Shaw, & Youssef (2001). 202 Davis (2002), p. vi. 203 Banque mondiale (2001). 199
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104 Note d’analyse III : Quelle place pour la voix des populations ? car les analyses des institutions locales ont démontré l’importance de l’engagement de la population même dans le but de la réduction de la pauvreté204. Cela dit, il y a encore beaucoup de travail à faire dans cette direction. La Banque mondiale soutient une hausse d’engagement des populations concernées mais comme nous avons vu par l’analyse des sources, il n’y a pas des changements concrets auxquelles faire référence. Ni les gouvernements locaux ni les populations ont de la vraie influence dans la construction des indicateurs. La Banque continue à baser l’allocation de l’aide sur les résultats des experts qui sont majoritairement des employés des la banque engagé sur place. Approche théorique de la Commission européenne Les profils de gouvernance ne sont pas publiés et rendus publics et sont destinés de rester en tant qu’outil de travail interne. Selon la Commission, « le profil de gouvernance ne doit pas être nécessairement réalisé conjointement avec les pays partenaires mais celui‐ci doit être informé de sa teneur (sans négociation et approbation) au cours du dialogue relatif à la programmation »205. Il en va de soi que c’est l’institution elle‐même accompagnée de ses Etats membres qui évaluent les performances ainsi que les faiblesses au sein des états bénéficiaires. Cette évaluation se fait à la base des critères identifiés dans les profils. La participation de l’Etat partenaire n’intervient qu’une fois les profils élaborés : le gouvernement d’un pays partenaire concerné présente un plan d’actions soit « une liste des engagements du gouvernement ». A travers de ce plan le pays partenaire met en relief les problèmes qui lui semblent les plus pertinents. Ce plan est évalué, ensuite, par la Commission d’après les trois critères suivants : la pertinence, l’ambition et la crédibilité. Chaque problème a une pondération d’1 à 4 points, le poids total de tous les problèmes est 100%. De cette manière‐là, la Commission établit une liste de problèmes mis en relief par un état bénéficiaire et la compare à celle relevée par la Commission et les états membres à la base des profils. Si les problèmes indiqués dans le plan d’actions correspondent à ceux dégagés par la Commission, le pays reçoit une aide supplémentaire soit une « tranche incitative » afin de soutenir ses efforts dans le domaine de la promotion de la gouvernance démocratique206. Alors, selon M. Montagner, « son rôle ne vise donc pas à identifier ses propres problèmes de gouvernance mais uniquement à informer la Commission de ses engagements en vue d’améliorer sa position face à des critères de gouvernance Davis (2002), p. vi. COM (2006). 206 Propos recueillis de l’entretien téléphonique avec un fonctionnaire de la Commission Européenne (13.12.2007) 204
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105 Note d’analyse III : Quelle place pour la voix des populations ? établis depuis l’extérieur»207. Ainsi, les états partenaires jouent un rôle très modeste dans le processus de l’élaboration des profils et n’y interviennent qu’à posteriori lors de la présentation d’un plan d’actions. Approche « bottom‐up » et importance de l’engagement des populations concernées par le PNUD Le fait que le PNUD assiste les pays partenaires dans la mise en place d’un système d’indicateurs de gouvernance qui leur est propre ne permet pas de dresser une liste unique des sources utilisées. Qui plus est, le « Projet des indicateurs de gouvernance » est extrêmement récent et seuls les résultats des trois pays pilotes de 2006 que sont la Mongolie, le Malawi et les Philippines sont actuellement disponibles. Nous allons nous pencher sur le cas de la Mongolie qui a décidé de développer un panel d’indicateurs de gouvernance démocratique national dans le but d’évaluer et de contrôler les progrès faits en direction du 9ème objectif du développement pour le millénaire qui incite les gouvernements à respecter les droits de l’Homme et à promouvoir la gouvernance démocratique. La Mongolie a établi conjointement avec le bureau de pays du PNUD et en suivant la méthode du « Democracy Assessment framework » de l’IDEA une série de 117 indicateurs centraux et de 14 indicateurs satellites. Lors du choix des indicateurs, un processus de consultation a été mis en place comprenant une conférence nationale à laquelle plus de 300 participants ont pris part (membres du gouvernement, de la société civile, des médias et une partie de la population) et un workshop réunissant l’IDEA, le PNUD et les principales parties prenantes locales. L’Université de Essex a également travaillé conjointement avec le bureau national des statistiques afin d’élaborer une étude pouvant servir de base à la récolte d’informations sur le terrain208. Sur le total des 131 indicateurs choisis, 26 sources proviennent d’institutions internationales ou d’opinion d’experts externes (par exemple 2 fois USAID (United States Agency for International Development); 6 fois Freedom House; 1 fois le PNUD; 6 fois la Banque mondiale; 2 fois l’Institut de recherche de la Banque mondiale (Kaufmann & Kraay); 1 fois le FMI; etc.). Ces sources externes se concentrent principalement dans les domaines de l’évaluation de l’efficacité de l’administration et de la mesure de la corruption. Il faut toutefois souligner le fait que la totalité des sources externes sont américaines. Cependant, sur les 131 indicateurs, pas moins de 95 sources sont d’origine nationale dont 15 du bureau national de statistiques, 5 du Conseil national pour les droits de l’Homme et 30 du programme du PNUD spécialement créé pour le « Projet des indicateurs de Montagner (2006). UNDP (2006), p.39. 207
208
106 Note d’analyse III : Quelle place pour la voix des populations ? gouvernance » en Mongolie, le programme « Democratic Governance Indicators » (DGI). Les indicateurs internationaux standardisés permettent à l’évaluation d’acquérir une certaine légitimité vis‐à‐vis de l’extérieur, alors que les nombreux indicateurs internes ainsi que les 14 indicateurs satellites, spécifiques au pays, mettent l’accent sur l’adaptation et l’appropriation locales. Les opinions d’experts constituent 16 indicateurs, dont au moins 1 provient d’un expert externe et au moins 5 d’experts internes. Les 10 autres sources ne précisent pas l’origine des experts consultés209. Pas moins de 16 sondages d’opinion publique et 4 enquêtes ménages ont été effectués. Basé sur l’étude de DIAL, le PNUD part du principe que les enquêtes ménages constituent le moyen le plus « objectif » et transparent de mesurer la gouvernance démocratique210. Elles sont en effet la façon la plus sûre d’atteindre la population marginalisée (femmes, ruraux, pauvres) et de désagréger les résultats obtenus en fonction de ces groupes afin d’élaborer des politiques adaptées. Qui plus est, ce mode d’évaluation est généralement plébiscité par les parties prenantes locales, à l’image des organisations de la société civile et des médias211. Etant donné le coût des enquêtes ménages, un total de 4 représente déjà un chiffre honorable, surtout si ces dernières sont reconduites de manière régulière. Le seul bémol du « Projet des indicateurs de gouvernance » mené en Mongolie se situe au niveau de la participation des ONG puisqu’elles ne représentent que 4 sources : 3 de Globe International et 1 de Transparency International. Les 131 indicateurs sont complétés par diverses enquêtes ménages de petite envergure, formulées spécialement pour atteindre certains groupes marginalisés, ainsi que par des questions dites « de dialogue » qui ont été directement posées à la population212. L’exemple de la Mongolie ne peut certes pas être généralisé à tous les pays qui ont, ou auront, recours au « Projet des indicateurs de gouvernance » mais il illustre parfaitement la place que le PNUD cherche à donner à la voix des populations et de la société civile. Leur contribution a lieu d’une part lors de l’élaboration des programmes et de la sélection des indicateurs grâce à des processus consultatifs et participatifs et, d’autre part, lors de la récolte de l’information puisque les sondages d’opinion et les enquêtes ménages permettent d’atteindre une large partie de la population. Les résultats des projets pilotes en lien avec le « Projet des indicateurs de gouvernance » sont tout à fait cohérents avec la politique du PNUD concernant L’expert externe est compris dans la catégorie « sources externes » et les 5 experts internes sont également compris dans la catégorie « sources internes ». Les 10 opinions d’experts dont l’origine est indéterminée ne sont comprises dans aucune des deux catégories. 210 DIAL (2007a), pp. 2‐5. 211 DIAL (2007a), p. 7. 212 UNDP Mongolia (2006), p. 49. 209
107 Note d’analyse III : Quelle place pour la voix des populations ? l’inclusion et la participation de la société civile et de la population à la sélection des indicateurs. Les reproches qui avaient été adressés au PNUD en 2002 concernant les sources de l’IDH, ne pourront pas être renouvelées au sujet du « Projet des indicateurs de gouvernance ». Des voix s’étaient en effet élevées contre le fait que l’IDHs’appuyait sur de nombreuses sources provenant d’expertises internes de la Banque mondiale et de Freedom House, deux institutions américaines. Même si nous avons vu dans le projet pilote mené en Mongolie que la totalité des sources externes étaient américaines, elles ne représentent à peine 1/5 de la totalité des indicateurs. Qui plus est, la démarche du « Projet des indicateurs de gouvernance » est totalement différente de celle de l’IDH, puisqu’elle n’impose pas d’indicateurs aux pays partenaires mais les assiste dans leur sélection. Les plus grands défis que le PNUD devra relever dans les années à venir se situent sur trois plans différents. Premièrement, au niveau interne, le PNUD risque de faire face à des problèmes de financement. En effet, son approche se base en grande partie sur l’organisation de conférences ou de workshops avec la société civile en amont et sur des enquêtes ménages ou des sondages d’opinions au sein de la population en aval. Le problème se situe au niveau du coût de ses démarches. Dans l’éventualité où le PNUD serait amené à assister un grand nombre de pays, il pourrait être tenté de consulter un échantillon plus faible de la population, processus moins coûteux mais également moins représentatif. Qui plus est, la voix des groupes marginalisés est la plus difficile à atteindre, et donc celle qui requière les démarches les plus coûteuses. La partie analphabète de la population nécessite par exemple un déplacement sur le terrain pour procéder oralement aux enquêtes. Le deuxième défi que le PNUD devra relever est celui de la diffusion et de l’adoption de son approche par d’autres bailleurs de fonds. Pour que la démarche participative qu’il promeut prenne véritablement une dimension globale, il va falloir que le PNUD « fasse plus de bruit » (mauvaise expression, dites plutôt s’impose) sur la scène de l’aide au développement. Finalement, le troisième défi auquel le PNUD sera confronté est celui de ne pas outrepasser son rôle de conseiller technique. En effet, le glissement entre le rôle neutre de l’assistant, et celui plus controversé de « guide », est facile. Le PNUD devra faire attention de ne pas pousser, consciemment ou non, un pays dans une certaine direction en privilégiant certaines sources plutôt que d’autres et en devenant toujours plus actif dans le choix des indicateurs. Conclusion La création d’indicateurs de gouvernance a rendu le travail des grands bailleurs de fonds plus efficace. Toutefois, leur démarche d’allocation a tendance à oublier les vrais bénéficiaires de l’aide. En effet, la seule institution qui implique la société civile 108 Note d’analyse III : Quelle place pour la voix des populations ? de manière importante dans son approche de la gouvernance est le PNUD. Certes, ce dernier ne peut, par définition, se baser sur des indicateurs de gouvernance pour allouer son aide étant donné qu’il se doit d’aider tout le monde. Cependant, il propose aux pays partenaires d’adopter des indicateurs prenant en considération les populations locales, tels que les enquêtes miroirs de DIAL, le « Democracy Assessment Framework » de l’IDEA ou encore le MAEP du NEPAD. La Commission ne parle pas d’engagement des populations locales, au contraire, tout le travail de construction des profils se passe au sein de la Commission. Les experts de la Commission utilisent des sources extérieures, mais il n’existe aucune transparence sur le nombre des ces sources et l’interprétation des résultats d’autres institutions. La consultation finale avec les pays bénéficiaires n’a pas de poids sur le processus d’élaboration des profils et ces derniers ne peuvent en profiter que de manière limitée dans l’identification de leurs propres problèmes. Le rôle du pays bénéficiaire dans les démarches de la Commission est presque nul. La Banque mondiale est peut‐être l’institution qui a le plus parlé de la question de l’engagement de la population locale dans les nombreux rapports sur le sujet depuis les années 90. De plus, elle a créé le Réseau du développement social en 1997, réseau qui a donné naissance à un site internet, le Participation and Civic Engagement, qui contient une multitude de documents, de conférences et de rapports sur le sujet213. Toutefois, quand nous analysons plus en profondeur les sources utilisées pour la construction des indicateurs du CPIA, nous remarquons la non existence de sources basées sur la population locale et sur la société civile. En effet, il n’existe qu’un indicateur qui fait référence à la société civile214. Quant aux résultats sur les perceptions internes, la plupart de ces enquêtes viennent d’expertises au sein des entreprises et des autorités gouvernementales. Même avec la prise d’importance du discours sur l’engagement des populations et de la société civile dans la construction des indicateurs/profils de gouvernance, cette politique reste très peu présente, pour ne pas dire non existante. Seul le PNUD fait exception. La Banque mondiale, qui est considérée comme étant la pionnière dans le domaine de l’aide au développement et qui a lancé les premiers débats sur la question de l’engagement, incarne celle des trois institutions qui a le moins mis en pratique ses propres suggestions. En effet, il existe une énorme divergence entre le langage utilisé sur les sites du développement social et de la participation civile de la Banque mondiale et les actions entreprises dans la construction des indicateurs de gouvernance. Il ne s’agit pas seulement du fait que la Banque n’utilise pas de sources Pour consulter le site sur la participation, allez sur le lien : http://go.worldbank.org/FMRAMWVYV0. Pour consulter le site sur le développement social, allez sur le site : http://go.worldbank.org/64S5YX2ZO0 214 Voir le XVIe critère des sources du CEPIA sur la transparence, responsabilité et corruption du secteur public., 213
109 Note d’analyse III : Quelle place pour la voix des populations ? locales mais également que toute source « extérieure » aux équipes de la Banque est presque toujours une source d’une grande organisation internationale (telle que le FMI, l’UNICEF, etc.) à l’exception d’une seule source privée élaborée par Political Risk Services Group, le « Guide international du risque des pays ». Le cas de la Commission est à peu de chose près similaire à celui de la Banque, mais il faut prendre en considération le fait que les profils de gouvernance ne seront mis en pratique qu’en 2008 et, par conséquent, qu’une analyse objective de la construction et de l’application des profils ne sera possible qu’en 2009. Cependant, il est à prévoir que la société civile et la population locale n’auront pas énormément de poids dans les démarches visant la construction des indicateurs. Même les gouvernements locaux risquent d’avoir un rôle restreint étant donné qu’ils ne sont consultés qu’à la fin de la construction des profils et que cette consultation n’est faite que dans le but de donner la possibilité au pays en question d’éventuellement recevoir une tranche incitative. Le rôle des populations concernées et de la société civile reste très faible dans les politiques d’allocation de l’aide et les perspectives futures ne semblent pas donner de signe en direction d’une hausse significative. Il faut toutefois prendre en considération le fait que le coût des enquêtes menées dans les régions rurales et isolées reste un grand obstacle, surtout en cas d’analphabétisme. Les nombreux rapports concernant le sujet de la participation des populations et de la société civile ont confirmé l’importance d’inclure les perspectives des véritables « bénéficiaires » de la bonne gouvernance pour des raisons d’efficacité, de légitimité et de développement local. Malheureusement, pour voir apparaître de vraies initiatives dans ce sens il faudra soit attendre une nouvelle vague de critiques sur les politiques d’allocation de l’aide soit espérer que des autres approches, comme celle des enquêtes miroirs de DIAL, soit incorporées dans les approches déjà existantes. Sources Bibliographie ARNDT, C. & OMAN, C. (2006). Uses and Abuses of Governance Indicators. Paris: OCDE. ASSOCIATION INTERNATIONALE DE DÉVELOPPEMENT [AID]. (2004). Country Policy and Institutional Assess‐
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20 novembre 2007 Les « profils institutionnels » du MINEFE ou comment rendre les évaluations d’experts moins subjectives. Par Carole CHARLES et Micha KAEMPFER Jacques OULD AOUDIA fait partie des créateurs de la base de données « profils institutionnels » reliée au Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Emploi. Cette base de données, fondée sur des opinions d’experts, cherche à relever les défis liés à la relation entre institutions et développement. Depuis le début des années quatre‐vingt‐dix, nous avons vu naître un grand nombre de systèmes d’indicateurs visant à mesurer la qualité du cadre politique et institutionnel de pays ou de régions développés et en développement. L’une de ces approches récentes, publiée pour la première fois en 2001 puis en 2006, est celle des « profils institutionnels » du Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Emploi (MINEFE). Tournée vers la recherche des considérants institutionnels de la croissance de moyen à long terme, cette nouvelle base de données propose 356 variables sur un ensemble de 85 pays en développement, en transition et développés215. Les résultats s’appuient sur les réponses des Missions économiques auprès des Ambassades de la République française à une même enquête. Les « profils institutionnels » se concentrent sur l’étude de la relation existant entre cadre institutionnel et développement, notamment dans la phase de décollage économique, et adoptent une approche « de facto » plutôt que « de jure ». Grâce à sa construction spécifique, cette base de données vise d’une part à maximiser la transparence des résultats et, d’autre part, à minimiser les biais potentiels. Jacques Ould Aoudia, économiste à la Direction Générale du Trésor et de la Politique Economique du MINEFE, est l’un des concepteurs de la base de données « profils institutionnels ». Elle est librement accèsible sur le site du Centre dʹétudes prospectives et dʹinformations internationales: http://www.cepii.fr/ProfilsInstitutionnelsDatabase.htm. Meisel, N. & Ould Aoudia, J. (2007). Une nouvelle base des données institutionnelles: Profils institutionnels 2006. (www.dgtpe.minefi.gouv.fr/etudes/doctrav/pdf/cahiers‐2007‐09.pdf) 215
113 Rapport d’entretien : Jacques Ould Aoudia, MINEFE Dans l’entretien qui suit, Jacques Ould Aoudia s’exprime à titre personnel et n’engage en rien son institution d’attache. Quelle était la motivation à l’origine de la mise en place d’une nouvelle base de données institutionnelle ? Mon intérêt se porte tout particulièrement sur la question du décollage économique. Que s’est‐il passé, sur le plan des institutions, dans les quelques pays en voie de développement qui ont réussi leur décollage économique ces dernières années ? Pour répondre à cette question, nous avons adopté une approche empirique en cherchant à identifier les facteurs institutionnels caractéristiques des expériences réussies de décollage économique dans le champ le plus large possible. Les analyses standard concernant la relation entre institutions et développement se concentrent en général sur la « bonne gouvernance », alors que le champ institutionnel pertinent est beaucoup plus large que la seule gouvernance telle que définie par ces analyses. De quels moyens disposez‐vous pour vous assurer dʹun minimum de fiabilité des réponses obtenues étant donné que vos données s’appuient principalement sur des opinions d’experts subjectives ? Premièrement, les questionnaires sont remplis par des collectifs, c’est‐à‐dire par l’ensemble des membres de la Mission économique, et non par des individus isolés. Deuxièmement, afin de combler le degré de subjectivité résultant de cette approche, un indicateur sera décomposé en plusieurs variables élémentaires, de trois à six, les plus objectives possibles. C’est l’agrégation de ces variables élémentaires qui permet de réduire la subjectivité de l’indicateur obtenu. Chacune des caractéristiques institutionnelles est ainsi « capturée » par plusieurs variables élémentaires. Les résultats de l’enquête sont ainsi, dans la limite du possible, rendus plus objectifs. Il est toutefois évident que le degré de subjectivité des réponses ne sera jamais nul. Cependant, en comparaison avec d’autres indicateurs, le nombre élevé de questions puis leur agrégation rendent l’approche des « profils institutionnels » plus précise et laissent moins de place à l’interprétation subjective. En ce qui concerne l’existence d’un biais culturel, la force du questionnaire fait également sa faiblesse. Il repose sur le réseau international du ministère français de l’économie. La culture commune des experts augmente la comparabilité des données, mais en même temps est facteur d’un biais « français ». Les experts locaux n’entrent en jeu à aucun moment du processus. Au cours de l’élaboration de la base de données à partir des réponses aux questionnaires, plusieurs outils sont utilisés afin de s’assurer d’un minimum de fiabilité. Pour la partie de la base de données dont les questions recoupent d’autres indicateurs, comme par exemple la corruption, il est possible de comparer les 114 Rapport d’entretien : Jacques Ould Aoudia, MINEFE résultats obtenus avec ceux des autres enquêtes. Si les réponses aux questionnaires des « profils institutionnels » vont à l’encontre de tous les autres résultats, elles seront corrigées. Nous utilisons également divers outils de l’Analyse de données afin d’identifier des éléments qui paraissent aberrants. Je pense notamment à l’analyse en composantes principales, à l’analyse factorielle multiple ou encore à la classification. Dans ce cas, nous renvoyons le questionnaire à la Mission économique ou à un autre expert pour valider ou invalider le résultat. Cependant, nous sommes conscients du fait que, comme toute base de données cherchant à mesurer les caractéristiques institutionnelles, les indicateurs des « profils institutionnels » ne constituent que des « proxy » des phénomènes que nous visons à identifier. Avez‐vous, au cours de l’étude des « profils institutionnels » 2006, identifié de nouveaux éléments qui méritent d’être intégrés au questionnaire ? À ce jour, nous avons fait deux enquêtes, en 2001 et en 2006, débouchant sur deux éditions de la base de données. Pour 80% du champ thématique, les deux questionnaires ont été identiques. Nous avons pu identifier quelques questions dont les réponses, dans leur ensemble, étaient mal renseignées. Le plus souvent, parce que la question était mal posée et induisait de ce fait une réponse non univoque. Ces « mauvaises » questions ont été supprimées ou modifiées dans l’enquête suivante. Nous essayons également d’ajouter dans les nouveaux questionnaires de nouveaux champs d’investigation, tels qu’ils apparaissent dans la littérature sur les institutions qui s’est multipliée depuis quelques années. Cela a été le cas en 2006 pour le champ de variables sur l’Etat stratège à partir des travaux de Nicolas Meisel.216 Ce sera le cas pour la prochaine édition de la base, en 2009, notamment à partir des derniers travaux de Douglas C. North sur les ordres sociaux ouverts ou fermés217 ou encore sur celle de Karl Polanyi218 concernant l’émergence de la modernité en Europe. Quelle utilisation souhaiteriez‐vous donner à l’approche des « profils institutionnels » ? Les « profils institutionnels » n’ont a priori pas vocation à être utilisés en monographie pour un seul pays. C’est sur une base comparative que les indicateurs peuvent, me semble‐t‐il, être utilisés de façon pertinente, par exemple pour la comparaison d’un pays dans sa zone géographique ou avec les pays d’un niveau de revenu per capita comparable. Meisel, N. (2004). Culture de gouvernance et développement. Paris: OCDE. North, D. C., Wallis, J. J. & Weingast, B. R. (2006). A Conceptual Framework for Interpreting Recorded Human His‐
tory. NBER Working Paper No. W12795, accessible à SSRN: http://ssrn.com/abstract=953360 218 Polanyi, K. (1983). La Grande Transformation. Paris : Gallimard. 216
217
115 Rapport d’entretien : Jacques Ould Aoudia, MINEFE Par ailleurs, la base est principalement un objet scientifique destiné aux chercheurs en économie du développement. Mais elle est aussi un travail expérimental pour la recherche sur les indicateurs institutionnels en tant que tels, recherche qui n’en est encore qu’à ses débuts. Avec les « profils institutionnels », nous souhaitons apporter une contribution à cette recherche. Comment positionnez‐vous votre approche par rapport aux modes d’évaluation existants tels que les indicateurs de la Banque mondiale ? Les indicateurs de la Banque mondiale, notamment les « World Governance Indicators » de l’équipe de Daniel Kaufmann, présentent, selon nous, une vision partielle du champ de la gouvernance. Les « profils institutionnels » permettent d’appréhender la gouvernance d’une approche élargie. Prenant comme point de départ l’étude des formes institutionnelles qui ont été les plus aptes à générer le décollage économique dans les pays ayant connu cette expérience de croissance prolongée et élevée, nous identifions les « capacités de gouvernance » qui ont été présentes dans ces pays. Et ces « capacités de gouvernance » sont plus larges que la simple « bonne gouvernance » de Kaufmann. Par ailleurs, nous sommes conscients de la dimension normative de la question des institutions (que sont de « bonnes institutions » ?) et nous cherchons à limiter, autant que possible, la normativité de la démarche. Quels sont les avantages d’une vision plus ouverte ? Je me souviens de la remarque d’un juriste algérien qui participait à une conférence sur la « bonne gouvernance » telle que définie par la Banque mondiale. Il a fait remarquer qu’il attendait de la gouvernance qu’elle soit efficace en termes de développement économique, et non qu’elle se mêle de démocratie qui est affaire intérieure. Pour moi, cette anecdote illustre le fait que la dimension normative de la gouvernance occidentale se heurte à une méfiance dans les pays en développement. À mon avis, les valeurs normatives de l’Occident sont à défendre en soi comme valeur dans les débats publics, mais doivent rester en dehors du concept de gouvernance quand il s’agit de développement économique. Qui plus est, il me semble que les réformes institutionnelles ne peuvent s’avérer efficaces que dans les pays qui les établissent elles‐mêmes, à partir de leurs dynamiques politiques et sociales endogènes. Pour le futur, il s’agit ici de revoir l’approche de la bonne gouvernance telle qu’elle est prônée par un grand nombre de bailleurs de fonds. Actuellement, la question de la finalité de la « bonne gouvernance » n’est pas posée. Pourtant cette question me semble importante. La « bonne gouvernance » mise en avant par les bailleurs s’est‐elle avérée efficace pour relever les régimes de croissance des pays en développement ? Je pense que les pays 116 Rapport d’entretien : Jacques Ould Aoudia, MINEFE développés doivent cesser de considérer le monde en développement à partir des différences mesurées par rapport à leurs propres modes de fonctionnement. Les politiques de développement prendront selon moi un tournant décisif dans les années à venir, en partie à cause de nouveaux acteurs de l’aide internationale que sont les grands pays émergents. Je pense par exemple à la Chine et à l’Inde. La dimension normative devrait ainsi perdre de l’importance dans les politiques de développement. Les règles du jeu mondiales ne seront plus écrites exclusivement par les pays développés qui en ont jusqu’ici eu le monopole. 117 Rapport d’entretien : Joachim Nahem, PNUD Rapport d’entretien : Joachim Nahem, PNUD Rapport d’entretien
30 novembre 2007 Le « Projet des indicateurs de gouvernance » du PNUD, une assistance technique sur‐mesure Par Carole CHARLES Joachim NAHEM, spécialiste des indicateurs de gouvernance, travaille pour le PNUD au Centre de Gouvernance d’Oslo dans le département de la gouvernance démocratique. Avec Matthew Sudders d’Eurostat il est à l’origine de la création du guide « Governance Indicators : a Users’ Guide219 » et est actuellement en charge du « Projet des indicateurs de gouvernance220 ». Joachim NAHEM a également participé à de nombreux séminaires afin d’exposer l’importance de la désagrégation des indicateurs de gouvernance par revenu et par sexe. En 2007 le Centre de Gouvernance d’Oslo a mis sur pieds le « Projet des Indicateurs de Gouvernance » qui vise essentiellement l’évaluation, la mesure et le suivi de la gouvernance démocratique dans les pays en développement. Ce projet ne cherche aucunement à développer un panel d’indicateurs propres au PNUD qui détermineraient l’allocation de fonds mais simplement à mettre l’accent sur les champs thématiques clé sur lesquels repose la gouvernance démocratique, tels que les droits de l’Homme, la décentralisation, la lutte contre la corruption, les élections démocratiques, etc. Les trois principes clés sur lesquels repose le « Projet des indicateurs de gouvernance » sont la participation de toutes les parties prenantes, la création de capacités locales et l’appropriation nationale. Chaque bureau de pays du PNUD choisi en accord avec le pays dans lequel il se trouve le(s) champ(s) thématique(s) sur le(s)quel(s) le pays en question souhaite se concentrer. Le PNUD joue alors un rôle de conseiller et cherche de concours avec le pays concerné les méthodes de mise en place et de contrôle qui seront les plus adaptées. Les champs thématiques mis en avant par le PNUD comportent tous une forte dimension humaine et représentent de ce fait parfaitement la valeur ajoutée que l’institution des Nations Unies a apportée au concept de gouvernance. UNDP (2004). Governance Indicators: a Users’Guide, trouvé sous http://www.undp.org/oslocentre/flagship/ governance_indicators_project.html 220 Centre de Gouvernance d’Oslo (2007). A propos du Projet des Indicateurs de Gouvernance, trouvé sous http://www.undp.org/oslocentre/flagship/governance_indicators_project.html. 219
118 Rapport d’entretien : Joachim Nahem, PNUD Quels sont selon vous les éléments qui ont poussé le PNUD à créer un centre spécialisé pour la gouvernance à Oslo en 2002? Faut‐il voir un lien entre cette démarche et le fait que le Rapport mondial sur le Développement humain de 2002 se concentrait justement sur les problèmes liés à la gouvernance ? La création du Centre de Gouvernance d’Oslo en 2002 ne découle pas du fait que le Rapport sur le Développement humain de 2002 se soit concentré sur la gouvernance. Cependant, il est vrai que ce sont les mêmes éléments qui ont d’une part mené à la création d’un centre spécialisé sur la gouvernance et, d’autre part, « imposé » le sujet du Rapport sur le Développement humain de 2002. Tous deux sont le résultat de la demande croissante d’assistance des pays en développement dans la mise en place d’institutions, de politiques ou de structures allant dans le sens de la « bonne » gouvernance prônée par la majorité des bailleurs de fonds. La pression exercée par ces derniers a cru de manière constante au cours des dernières années et les pays en développement ont de plus en plus besoin du soutien technique du PNUD afin de mettre en place les réformes nécessaires au bénéfice de l’aide internationale. Il y a cinq ans, afin d’atteindre les Objectifs de Développement pour le Millénaire (ODM) et de répondre à cette demande croissante venant des pays émergeants, le PNUD a créé trois centres de recherches spécialisés : sur la pauvreté à Brasilia, sur l’environnement à Nairobi et sur la gouvernance démocratique à Oslo. En 2007 le Conseil d’administration du PNUD a validé le programme du Centre d’Oslo pour la période 2008‐2011 et lui a délivré un mandat visant à soutenir les pays requérant l’appui du PNUD dans la mise en place de réformes concernant la gouvernance au niveau local. Quel regard portez‐vous sur les indicateurs de gouvernance utilisés par la Banque mondiale, notamment le CPIA et le KKZ, ainsi que sur les récents « profiles de gouvernance » mis en place par la Commission européenne ? La Banque mondiale, la Commission européenne et le PNUD ne poursuivent pas du tout les mêmes objectifs au niveau de l’utilisation des indicateurs. La Banque et la Commission attendent de leurs indicateurs et de leurs profils qu’ils leur fournissent une photographie d’une situation nationale, à un moment précis, afin de pouvoir ensuite établir un classement entre pays et allouer leur aide en fonction de ce résultat. La comparaison ainsi faite entre les pays est une comparaison relative. Un pays peut par exemple avoir fait des progrès sur le plan national et pourtant reculer au classement. Qui plus est, les indicateurs de gouvernance de la Banque mondiale et de la Commission ne permettent pas d’études nationales, voire sous‐nationales, précises. Les marges d’erreurs de l’indicateur KKZ sont considérées comme 119 Rapport d’entretien : Joachim Nahem, PNUD beaucoup trop grandes afin de pouvoir justifier une allocation pertinente de l’aide en fonction des besoins particuliers de chaque région du pays. Le PNUD n’adhère absolument pas à cette conception de l’utilisation des indicateurs. Il n’est pas un bailleur de fonds et ne possède de ce fait pas les mêmes attentes quant à l’emploi d’indicateurs. Le concept même de gouvernance démocratique s’est développé en accord avec les valeurs fondatrices du PNUD. Il s’appuie sur la défense des droits de l’Homme et sur le développement et l’appropriation de capacités locales. Le PNUD cherche à améliorer les situations nationales des pays bénéficiaires sur le long terme et n’attend pas des indicateurs un simple résultat au temps « T » mais, au contraire, qu’ils soient à la base de la mise en place d’un processus d’autoévaluation nationale que le pays pourra ensuite s’approprier. A l’opposé de la photographie, cette démarche s’inscrit dans la durée. A aucun moment il ne s’agit de classer les pays afin de pratiquer la sélectivité et la conditionnalité de l’aide. Il s’agit plutôt d’exercer une pression interne, et non externe, en faveur d’une réforme, et de renforcer l’engagement citoyen dans les processus de démocratisation. Le PNUD a publié un Guide de l’Utilisateur (1ère édition 2004, 2ème édition 2006) afin d’aider, notamment, les pays en développement à faire bon usage des indicateurs utilisés par les bailleurs de fonds tels que la Banque mondiale ou la Commission. Concernant le “Projet des indicateurs de gouvernance”, prévoyez‐vous qu’il soit de dimension globale ? Comme je l’ai déjà mentionné, le PNUD a de par son mandat l’obligation formelle d’assister chaque pays qui demandera son soutien. Le « Projet des indicateurs de gouvernance » est donc destiné à être global et il le sera si les 133 en développement dans lesquels le PNUD est présent en formulent la requête. A l’heure actuelle, sur ces 133 pays, 40 ont demandé l’assistance technique du PNUD pour mettre en place un système d’évaluation, de mesure et de suivi de la gouvernance démocratique. Le « Projet des indicateurs de gouvernance » est global mais il prend toutefois des formes très différentes en fonction des pays. La Macédoine a par exemple demandé de l’assistance afin de mettre sur pieds une enquête nationale qui permettra au gouvernement d’entreprendre des réformes mineures sur des structures institutionnelles déjà existantes. La Mongolie, par contre, a entrepris des réformes bien plus lourdes. Elle a requis le soutien du PNUD dans le but d’intégrer la gouvernance démocratique à son plan de réformes nationales et à l’inscrire dans la Constitution. Le « Projet des indicateurs de gouvernance » sera donc à la fois global et taillé sur mesure en fonction des besoins de chaque pays. 120 Rapport d’entretien : Joachim Nahem, PNUD Si chaque pays bénéficie d’un système d’évaluation de la gouvernance personnalisé, comment allez‐vous assurer la comparabilité des résultats nationaux ? Le « Projet des indicateurs de gouvernance » fournit effectivement à chaque pays un système d’évaluation de la gouvernance démocratique sur‐mesure, adapté aux particularités locales. Comme vous le savez la politique du PNUD n’est pas de comparer les résultats des pays entre eux. Il ne s’agit pas d’établir un classement, mais plutôt de pouvoir suivre la trajectoire d’un pays en matière de gouvernance. Toutefois, je pense que le « Projet des indicateurs de gouvernance » permet certaines comparaisons « utiles » entre pays. Je parle des comparaisons qui peuvent dégager une solution constructive, un échange de best practices. Par exemple, les leçons apprises en Mongolie concernant les méthodes visant à sonder l’opinion des populations nomades concernant les défis liés à la gouvernance pourront être appliquées, bien sûr après adaptation nationale, à de nombreux pays d’Afrique. Il se peut également, comme cela a été le cas avec le HDI (Human Development Index), qu’une « comparaison » soit établie entre les pays mais cela ne sera fait que dans le but de provoquer une prise de conscience, de sensibiliser le pays à un problème particulier. Il ne s’agira jamais d’affirmer qu’un pays est « meilleur » qu’un autre. Jusqu’à présent le PNUD a toujours choisi de séparer allocation de l’aide et critères de conditionnalité directe. Le « Projet des indicateurs de gouvernance » va‐
t‐il changer cette politique ? Quel est le rôle des sept champs thématiques clé de la gouvernance démocratique définis par le PNUD ? La séparation totale entre indicateurs de gouvernance et allocation de l’aide n’est absolument pas remise en question. Le « Projet des indicateurs de gouvernance » ne cherche aucunement à développer un panel d’indicateurs propres au PNUD qui détermineraient l’allocation de fonds mais simplement à mettre l’accent sur sept champs thématiques clé sur lesquels repose la gouvernance démocratique. Il s’agit du développement parlementaire ; des systèmes et processus électoraux ; des droits de l’Homme ; de la justice ; des médias et de l’accès à l’information ; de la décentralisation et de la gouvernance locale ; et de la réforme de l’administration locale et des mesures anti‐corruption. Ces sept champs thématiques ne sont pas des indicateurs de gouvernance au sens où l’entendent la plupart des bailleurs de fonds. Chaque bureau de pays du PNUD choisi en accord avec le pays dans lequel il se trouve le(s) champ(s) thématique(s) sur le(s)quel(s) le pays en question souhaite se concentrer. Le PNUD joue alors le rôle de conseiller et cherche, de concours avec le pays concerné, les méthodes d’évaluation et d’analyse qui seront les plus utiles afin de suivre l’évolution du (des) champ(s) thématique(s) concerné(s). Certains instruments de sélection des indicateurs sont recommandés par le PNUD, je pense 121 Rapport d’entretien : Joachim Nahem, PNUD par exemple à l’IDEA (Institute for Democracy and Electoral Assistance) qui propose une méthodologie robuste, éprouvée dans plus de 20 pays, pour le développement d’un système d’indicateurs de gouvernance qui fait l’objet d’une appropriation au niveau national. Tournons‐nous à présent vers l’aspect technique du “Projet des indicateurs de gouvernance”. Allez‐vous plutôt conseiller l’utilisation d’indicateurs de facto (examen des faits) ou de jure (examen des règles et des lois)? Les sources provenant d’évaluations d’experts seront‐elles plutôt internes ou externes? Quelle périodicité au niveau du renouvellement des mesures sera conseillée? Je pense que la diversité des sources est un élément extrêmement important. Le PNUD conseille aux pays d’utiliser un mélange d’indicateurs de facto et de jure. Par exemple, en ce qui concerne les droits de l’Homme, le pays concerné devra s’assurer que les traités ont non seulement été ratifiés mais qu’ils sont bien mis en application. Le PNUD accorde également de l’importance au fait que les pays n’utilisent pas uniquement des indicateurs globaux basés sur des opinions d’experts étrangers. Ces sources ne sont pas toujours transparentes et les experts ne connaissent pas forcément les spécificités locales. Afin d’assurer l’adaptation du système au contexte national il est nécessaire d’adopter des indicateurs locaux. Ces derniers doivent être basés à la fois sur des faits et sur la perception des locaux (enquêtes ménages, opinions d’experts, sondages d’opinion, etc.) Une fois de plus je pense que l’IDEA fournit de bonnes « questions de recherche » afin de guider l’évaluation. DIAL (Développement – Institutions et Analyses de Long terme) et ses enquêtes miroirs constituent également une bonne source au niveau des opinions d’experts. Au niveau de la fréquence de l’utilisation des indicateurs le pays choisit lui‐même s’il souhaite renouveler l’évaluation tous les six mois, tous les ans, etc. Dans la mesure où il s’est approprié ces mécanismes, il lui revient de décider de ce point. Quelle est la position du PNUD concernant la transparence au niveau de la construction des indicateurs? Les résultats obtenus dans un pays seront‐ils publiés et accessibles aux autres pays et au public en général ? Le PNUD défend une stratégie de transparence totale au niveau de l’information. La méthodologie pour la construction des indicateurs, les sources ainsi que les résultats finaux de tous les pays qui font appel à l’assistance technique du PNUD sont publiés et librement accessibles au public et à tous les autres pays. Le PNUD met également un point d’honneur à ce que les résultats des évaluations soient présentés de manière compréhensible pour tous, notamment via la publication de ces résultats dans les langues minoritaires du pays et l’utilisation de différents média (radio, forums communautaires) pour assurer la dissémination et ne pas marginaliser les populations analphabètes. 122 Rapport d’entretien : Joachim Nahem, PNUD Selon vous, allons‐nous plutôt vers une convergence ou une divergence des approches de mesure de la gouvernance ? Quels sont les avantages et les inconvénients d’une évolution dans chacune de ces deux directions? Je pense que les politiques de coopération au développement ainsi que les différents systèmes de mesure vont tendre à s’harmoniser du fait de la mondialisation et d’un travail de coordination croissant. Cependant, je crois que les objectifs et les approches des différents bailleurs de fonds pour le développement vont rester différents. Les valeurs défendues par le PNUD ne seront jamais les mêmes que celles que défend la Banque mondiale, même s’ils sont de plus en plus amenés à travailler ensemble. 123 Rapport d’entretien : Séverine Bellina, MAEE Rapport d’entretien : Séverine Bellina, MAEE Rapport d’entretien
13 décembre 2007 Les indicateurs de gouvernance : des outils à adapter aux contextes socioculturels spécifiques des pays partenaires Par Carole CHARLES et Maria KOZLOVA Titulaire dʹun doctorat en administration publique, Séverine BELLINA est notamment spécialiste des questions de gouvernance, dʹinstitutionnalisation du pouvoir, de pluralisme juridique en Afrique. Elle est actuellement chargée de mission en charge des questions de gouvernance démocratique au Ministère des Affaires Etrangères et Européennes, Direction des Politiques de Développement. Elle a également été experte associée au Bureau de Développement des politiques du PNUD, groupe Gouvernance Démocratique, en poste régional à Dakar et au Centre dʹOslo sur la gouvernance auprès du Directeur. Cet entretien se penche sur une quatrième approche de la gouvernance, celle de la France en tant qu’acteur bilatéral. Séverine Bellina s’exprime sur le changement de cap de la France en matière de construction et d’utilisation des indicateurs à la suite du document publié en 2006 par le MAEE « Stratégie Gouvernance de la coopération française ». La France conçoit à présent la gouvernance en tant que processus et cherche le plus possible à tenir compte du contexte socioculturel du pays partenaire et du regard des parties prenantes locales dans la construction de ses grilles d’analyse. L’accent est placé sur la nécessité de recréer les liens politiques au sein de l’espace public et de renforcer la société civile. Le rôle général des indicateurs de gouvernance sera également évoqué, tout comme les mécanismes d’inclusion de la voix des populations et de la société civile dans les stratégies de gouvernance du PNUD, de la Commission européenne et de la Banque mondiale. Quel est le rapport de la France à l’utilisation de conditions dans les politiques de coopération au développement ? La France a pour tradition de ne pas se servir de la conditionnalité dans l’allocation de l’aide. Ces dernières années la gouvernance a pris une importance croissante au niveau de la définition des modalités de l’aide française au développement (aide budgétaire, aide projets, aide programmes, etc.). L’approche actuelle du MAEE tend à considérer les indicateurs de gouvernance en tant qu’outils destinés à aider les pays dans l’identification de leurs réformes. Cependant, il faut souligner que l’approche 124 Rapport d’entretien : Séverine Bellina, MAEE française dépend principalement des lignes directrices émises par le gouvernement en place. La France n’est donc pas à l’abri d’un potentiel retour à la conditionnalité en cas de changement de gouvernement. En ce qui concerne la sélectivité, la France met l’accent sur les pays relevant de la Zone de Solidarité Prioritaire (ZSP). Depuis peu un changement de stratégie se fait sentir du côté français. La vision étroite et occidentale de la gouvernance semble être délaissée au profit d’une approche qui envisage la gouvernance en tant que « processus221 ». Quelles sont les motivations de ce changement de cap ? Le MAEE réfléchit à une nouvelle stratégie de gouvernance depuis 2003. Ce changement d’orientation politique s’est concrétisé il y a un an grâce à la publication et à la mise en pratique en décembre 2006 du document « Stratégie Gouvernance de la coopération française » élaboré par le Ministère et qui induit de facto un changement de perspective. Il ne s’agit désormais plus de considérer l’aide au développement comme un transfert institutionnel mais bien comme un accompagnement « unique » des sociétés. Une grille d’analyse spécifique est conçue pour chaque pays afin de tenir au mieux compte des particularités de chacun. L’allocation de l’aide ne doit plus se baser uniquement sur des résultats quantitatifs en vue de formuler un classement et des sanctions en cas de non‐atteinte des objectifs fixés. Les indicateurs de gouvernance sont des outils permettant d’évaluer une situation à un moment donné précis. Ils sont destinés à l’usage interne d’un pays afin de le guider dans ses réformes et ne doivent en aucun cas définir l’objectif de l’aide mais uniquement faciliter son atteinte. Il s’agit donc de mesurer un processus en tenant compte du contexte socioculturel du pays et du regard des parties prenantes locales. N’engageant pas mon ministère, je suis d’avis que le MAEP (Mécanisme Africain d’Evaluation par les Pairs) constitue à l’heure actuelle l’outil le plus développé et le plus pertinent en matière d’aide au développement. Il permet d’évaluer la situation actuelle d’un pays notamment à travers la prise en compte de différents aspects sociaux et culturels. Le MAEP est conçu pour et par les pays en développement. La « Stratégie Gouvernance » met d’ailleurs l’accent sur l’importance de ce mécanisme. La Commission européenne revendique la protection de l’environnement comme étant sa « valeur ajoutée » au concept de gouvernance alors que le PNUD met l’accent sur les droits de l’Homme. Quelles dimensions particulières de la gouvernance le Ministère des Affaires étrangères et européennes cherche‐t‐il à mettre en avant ? Direction générale de la Coopération internationale et du Développement (DgCiD), Les Notes du Jeudi, n°71, 29 mars 2007. 221
125 Rapport d’entretien : Séverine Bellina, MAEE S’appuyant sur des théories du développement semblables à celle d’Amartya Sen, le PNUD se trouve clairement à l’origine de l’approche « human rights based » de la gouvernance qui replace l’individu et non l’économie au centre des préoccupations. Le MAEE soutient le PNUD dans sa compréhension globale et interdisciplinaire de la gouvernance. Cette approche intégrée, mêlant les dimensions sociales, politiques, économiques ou encore administratives de la gouvernance, constitue d’ailleurs le point commun des approches du PNUD, du MAEE et de la Commission européenne. Je suis un peu surprise que vous me citiez l’environnement en tant que « valeur ajoutée » de la Commission européenne au concept de gouvernance. Il me semble qu’il s’agit plus d’une contribution du PNUD. Selon moi, la « valeur ajoutée » de la Commission se situe au niveau de la prise en compte du contexte local et de la volonté de dialogue. Pour ce qui est du MAEE, sa plus value se trouve au niveau du dialogue engendré au sein de l’espace public, du travail commun des acteurs dans l’élaboration des politiques. L’accent est placé sur la nécessité de recréer les liens politiques au sein du monde social, de renforcer la société civile. La France a d’ailleurs toujours eu pour tradition de travailler sur l’espace public, sur la socialisation de l’Etat. Dans vos documents « Articulation de la stratégie d’intervention française avec les priorités du pays partenaire222 », comment les secteurs prioritaires ainsi que les objectifs au sein de ces secteurs sont‐ils définis ? Qui sélectionne les indicateurs de suivi ? Ces documents servent de cadre de partenariat. Ils sont le résultat de discussions entre les gouvernements locaux et les ambassades françaises. Ils établissent une stratégie pour 5 ans. La santé et l’éducation figurent parmi les secteurs prioritaires des documents de partenariat. Nous aimerions à présent revenir sur votre connaissance du PNUD. Alors même que la totalité de son aide se fait sous forme de dons, le PNUD a toujours refusé de lier l’allocation de fonds destinés à l’aide internationale à des critères de gouvernance. Pensez‐vous qu’une telle conception de l’aide puisse véritablement être efficace ? Une approche basée sur des indicateurs n’assure‐t‐elle pas mieux la distribution transparente des ressources? Une approche reposant exclusivement sur des indicateurs peut effectivement mieux assurer la transparence de la distribution de l’aide. Cependant, cela signifie que nous sommes en présence d’une approche « transfert de modèle » dans laquelle Disponibles sous : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/actions‐france_830/aide‐au‐
developpement_1060/politique‐francaise_3024/instruments‐aide_2639/documents‐cadres‐partenariat‐
dcp_5219.html 222
126 Rapport d’entretien : Séverine Bellina, MAEE l’indicateur a fonction de juge. Le but à atteindre est fixé à l’avance et la progression du pays vers cet objectif est mesurée de manière linéaire, sans tenir compte du contexte socioculturel du pays. L’approche du PNUD ne permet peut‐être pas autant de transparence mais elle repose sur un autre paradigme que la vision décrite ci‐dessus. Le PNUD n’utilise pas qu’un seul indicateur. Il les combine, s’en sert comme des outils pris dans un processus de dialogue avec les pays partenaires. L’indicateur sert l’accompagnement, l’incitation à la réforme. La France défend également cette approche. Le “Projet des indicateurs de gouvernance” affirme que « les indicateurs sont sélectionnés et générés par le biais d’un processus transparent, participatif et inclusif223 ». Dans quelle mesure pensez‐vous que la voix des populations locales et de la société civile est vraiment écoutée au moment de la construction des indicateurs ? Il est évident que les enquêtes ménages se résument à questionner un échantillon de la population et que les individus pris dans cet échantillonnage sont souvent les mêmes. Cependant, le PNUD s’engage de par son approche inclusive et participative à renforcer les capacités de dialogue entre les divers bailleurs de fonds, les gouvernements et la société civile. Chacun des acteurs est témoin des promesses des autres. La démarche du PNUD se trouve ainsi à l’origine d’un cercle vertueux qui permettra la perpétuation du processus après le départ de ses instigateurs. La création de cet espace de dialogue a également été rendue possible grâce au travail de première analyse de terrain effectué par le MAEP. Quelles sont les principaux points forts de l’approche de la gouvernance du PNUD dont le Ministère français des Affaires étrangères et européennes pourrait s’inspirer ? Quelles sont ses faiblesses ? Le PNUD est à l’origine du débat actuel sur la gouvernance et a contribué à ce que la gouvernance soit considérée en tant que processus. De par son mandat délivré par les Nations Unies, il bénéficie d’une grande légitimité auprès des pays partenaires qui voient en lui un partenaire neutre. Le PNUD joue également un rôle clé dans la coordination des bailleurs. Finalement, le PNUD est présent sur le terrain et peut ainsi faire remonter l’information jusqu’aux bailleurs. Pour autant, il serait nécessaire que le PNUD soit encore plus présent, plus actif, dans le débat sur les indicateurs de gouvernance. Centre de Gouvernance d’Oslo (2007). A propos du Projet des Indicateurs de Gouvernance, trouvé sous http://www.undp.org/oslocentre/flagship/governance_indicators_ project.html. 223
127 Rapport d’entretien : Séverine Bellina, MAEE La note du Jeudi de la DgCiD n°71 sur les indicateurs de gouvernance (29 mars 2007) mentionne une éventuelle participation de la France au « Projet des indicateurs de gouvernance » du PNUD. Cette collaboration s’est‐elle concrétisée ? Le MAEE soutient à 100% la démarche du PNUD. La concrétisation de la collaboration sur le « Projet des indicateurs de gouvernance » est attendue et vivement souhaitée. A l’heure actuelle le MAEE travaille conjointement avec le PNUD sur de nombreux projets, notamment sur la préparation de la Conférence de Londres de février 2008. Que pensez‐vous du fait que la Banque mondiale et la Commission européenne élabore leurs indicateurs/profils de gouvernance eux‐mêmes et ne consultent pas, ou seulement sporadiquement, les pays bénéficiaires lors de ce processus ? La Banque mondiale et la Commission européenne ne sont pas à placer sur le même niveau. Alors que les indicateurs conçus et utilisés par la Banque mondiale ou par l’Institut de la Banque mondiale, par exemple le KKZ, sont extrêmement spécifiques et qu’ils ont une orientation plutôt économique, le projet des « Profils de gouvernance » mis en place par la Commission a une vocation beaucoup plus interdisciplinaire. La Commission vient de changer radicalement de paradigme au niveau de l’aide au développement. Elle n’en est qu’au tout début du processus et la transparence au niveau de la construction et de l’utilisation des Profils ne pourra se faire qu’avec le temps. A présent, il faut souligner que la Commission prend les décisions concernant l’évaluation des profils conjointement avec les états membres. Cette démarche témoigne de la naissance d’un dialogue entre bailleurs bilatéraux au niveau de la Commission. Selon vous, allons‐nous plutôt vers une convergence ou une divergence des politiques de coopération au développement ? Nous nous dirigeons officiellement vers une harmonisation des politiques de coopération au développement. La Déclaration de Paris de 2005 témoigne par exemple de cette volonté politique commune et de la création de grands axes de convergence. Une dynamique de dialogue a été amorcée et, du point de vue des pays partenaires, un retour en arrière est difficilement imaginable. Cependant, la France ne sera jamais l’Espagne qui ne sera quant à elle jamais l’Allemagne. Chaque bailleur possède ses particularités et cette diversité doit être vue comme un atout. Une vision trop uniformisée des politiques de coopération au développement peut s’avérer aussi dangereuse qu’une divergence totale de point de vue. 128