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« Ces objets qui nous envahissent : objets cultes, culte des objets »
Claire Bosc – Delphine Delansay, formatrices
Séance 1 : Ces objets qui nous envahissent : objets cultes, culte des objets
Supports :
-
Images d’objets cultes
Rey, Dictionnaire historique de la langue française, 1993. Définition du mot Culte.
Rey, Dictionnaire historique de la langue française, 1993. Définition du mot Objet
A propos de Barthes Mythologies (le début jusqu’à 2’) : http://www.ina.fr/video/I00016123
Baudrillard, La société de consommation, 1970.
Document 1 : Images d’objets cultes.
Document 2 : Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française, 1993.
CULTE, n.m. est emprunté (1532) au latin cultus, proprement « action de cultiver, de soigner », mais beaucoup
plus employé au sens moral d’ « éducation, civilisation » d’où « manière d’être, de se vêtir », également en
religion « hommage rendu à un dieu ». Le mot est dérivé de colere « habiter, » et « cultiver ».
◊ Culte est passé en français avec sa spécialisation religieuse, « hommage rendu à Dieu ou à un saint ». Par
métonymie, il désigne l’ensemble des pratiques par lesquelles l’homme honore son Dieu (1835), liberté rendue
effective après la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat (liberté des cultes).
Plus spécialement, le mot s’applique au service religieux protestant (1897 en Suisse) et, plus généralement à la
religion, à la confession.
◊ L’extension figurée de « vénération, admiration » (av. 1690) est très vivante, comme en témoignent les
syntagmes du type culte de la personnalité (1909) et l’emploi récent en apposition avec une valeur adjective
(film culte).
Document 3 : d’après Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française, 1993.
OBJET, n.m. est emprunté (1370-72 object) au latin scolastique objectum, participe passé neutre substantivé du
latin classique objicere « jeter devant, placer devant » et « opposer ». Objectum « ce qui est placé
devant »s’oppose à subjectum (→ sujet) et désigne aussi ce qui possède une existence en soi, indépendante de
la connaissance ou de l’idée que les sujets pensants en peuvent avoir. Il se dit également de l’objet d’un culte
religieux.
◊ le mot a été introduit par les philosophes médiévaux pour désigner ce qui affecte l’un des cinq sens.
Privilégiant la vue, le XVIème et le XVIIème s. ont fait d’objet un synonyme d’aspect, apparence, spectacle
(d’un être ou d’une chose) et l’ont abstrait en « vision, image mentale ».
◊ Objet est appliqué à des êtres ou à des choses suscitant un intérêt et un comportement d’ordre affectif (1635).
Ex. être un objet digne de.
◊ Le XVIIème et le XVIIIème s. l’ont employé en particulier à propos de la femme, de l’amant ou de l’amante :
ex. objet de ma flamme, objet de mon cœur.
◊ Dans le domaine abstrait, le mot semble d’abord se référer à une réalité mentale, désignant dans les premiers
emplois ce qui occupe l’esprit, la pensée, et qui débouchera d’une part sur une définition philosophique dans
son opposition à sujet, de l’autre sur des emplois didactiques et courants : objet se rapporte à ce vers quoi
tendent l’être humain, les désirs, l’action, la volonté, se rapprochant de but dans des locutions comme avoir
pour objet, sans objet, remplir son objet.
◊ Ce n’est qu’au XVIIIème s. qu’objet commence à se référer dans l’usage général à une chose concrète avec le
sens courant de « chose de dimension limitée et destinée à un certain usage », entrant notamment dans
l’expression objet d’art (1847, Balzac).
Document 4 : Baudrillard, La société de consommation, 1970.
Il y a aujourd'hui tout autour de nous une espèce d'évidence fantastique de la consommation et de
l'abondance, constituée par la multiplication des objets, des services, des biens matériels, et qui constitue une
sorte de mutation fondamentale dans l'écologie de l'espèce humaine. A proprement parler, les hommes de
l'opulence ne sont plus tellement environnés, comme ils le furent de tout temps, par d'autres hommes que par
des objets. Leur commerce quotidien n'est plus tellement celui de leurs semblables que, statistiquement selon
une courbe croissante, la réception et la manipulation de biens et de messages, depuis l'organisation domestique
très complexe et ses dizaines d'esclaves techniques jusqu'au "mobilier urbain" et toute la machinerie matérielle
des communications et des activités professionnelles, jusqu'au spectacle permanent de la célébration de l'objet
dans la publicité et des centaines de messages journaliers venus des mass media, du fourmillement mineur de
gadgets vaguement obsessionnels jusqu'aux psychodrames symboliques qu'alimentent les objets nocturnes qui
viennent nous hanter jusque dans nos rêves. Les concepts d' « environnement », d' « ambiance », n'ont sans
doute une telle vogue que depuis que nous vivons moins, au fond, à proximité d'autres hommes, dans leur
présence et dans leur discours, que sous le regard muet d'objets obéissants et hallucinants qui nous répètent
toujours le même discours, celui de notre puissance médusée1, de notre abondance virtuelle, de notre absence
les uns aux autres. Comme l’enfant-loup devient loup à force de vivre avec eux, ainsi nous devenons lentement
fonctionnels nous aussi. Nous vivons le temps des objets : je veux dire que nous vivons à leur rythme et selon
leur succession incessante. C’est nous qui les regardons aujourd’hui naître, s’accomplir et mourir alors que,
dans toutes les civilisations antérieures, c’étaient les objets, instruments ou monuments pérennes, qui
survivaient aux générations d’hommes.
Les objets ne constituent ni une flore ni une faune. Pourtant ils donnent bien l’impression d’une
végétation proliférante et d’une jungle, où le nouvel homme sauvage des temps modernes a du mal à retrouver
les réflexes de la civilisation. Cette faune et cette flore, que l’homme a produite, et qui reviennent l’encercler et
l’investir comme dans les mauvais romans de science-fiction, il faut tenter de les décrire rapidement, telles que
nous les voyons et les vivons – en n’oubliant jamais, dans leur faste et leur profusion, qu’elles sont le produit
d’une activité humaine, et qu’elles sont dominées, non par les lois écologiques naturelles, mais par la loi de la
valeur d’échange.
Document 5 (vidéo) : à propos de Barthes Mythologies (le début jusqu’à 2’10) :
http://www.ina.fr/video/I00016123
Séance 2 : La fabrication de l’objet : qui, de l’homme et de l’objet, est le maître ?
Supports :
-
Gabriel Camps Introduction à la préhistoire, Librairie Académique Perrin, 1982.
Homère Iliade, XVIII, 478-617, « Le Bouclier d’Achille », Traduction de Paul Mazon. Les Belles Lettres, 19371938.
- Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, (1776).
- Arnaud Parienty, Alternatives Economiques n° 238 - juillet 2005.
- « L'impression 3D : la révolution arrive dans le grand public », 18 novembre 2013.
http://www.sciencesetavenir.fr/imprimante-3d/20131118.OBS5825/l-impression-3d-la-revolution-arrive-dansle-grand-public.html
- Chaplin Les Temps modernes. www.youtube.com/watch?v=h4rdulAGbbQ
- Jean Echenoz Des éclairs, Editions de Minuit, 2010.
- Walt Disney, Fantasia, 1940 sur la musique de
Paul Dukas, L'Apprenti sorcier, 1897.
http://www.wat.tv/video/apprenti-sorcier-musique-paul-4vvm5_2flc9_.html
Conclusion : Annie Ernaux, Les Années, Gallimard, 2008.
Prolongement : Cory Doctorow, « Crime d’impression », 2006 (Traduction : Rigas Arvanitis).
Document 1 : Gabriel Camps Introduction à la préhistoire, Librairie Académique Perrin, 1982.
Mais la principale différence réside dans le rôle-même de l'outil. Celui de l'animal, du pinson ou du
chimpanzé à la pie-grièche qui empale ses proies et à la loutre marine, n’a qu’une utilisation immédiate destinée
à satisfaire un appétit momentané ; il est donc fugace, alors que, dès l’origine, l’outil de l’homme a un usage
constant et multiple. Un caractère fondamental de l’industrie humaine la distingue définitivement de l’outil des
animaux : chez l’homme l’outil sert à faire d’autres outils plus spécialisés qui serviront à leur tour à fabriquer
des instruments nouveaux encore plus précis et efficaces. L’homme crée ainsi un véritable environnement
technologique qui accroît sans cesse son emprise sur la nature. L’outil n’est donc plus un simple prolongement
de la main en vue d’une action fugitive, il devient, au contraire, un instrument qui tend à acquérir une existence
1
Frappé de saisissement, de paralysie, de stupeur.
indépendante et à présenter des exigences particulières au point que l’un des cauchemars de l’homme moderne
est la crainte de se voir asservi par sa propre création.
Ne croyons pas que ces caractères de l’industrie humaine soient d’apparition récente ni qu’ils soient
issus de la révolution industrielle : dès l’origine l’outil prétendument libérateur paraît également tyrannique
pour l’homme.
Document 2 : Homère Iliade, XVIII, 478-617, « Le Bouclier d’Achille », Traduction de Paul Mazon. Les
Belles Lettres, 1937-1938.
En colère contre Agamemnon qui lui a repris Briséis, sa belle captive, Achille refuse de combattre. Devant l'avancée des Troyens, il
permet toutefois à Patrocle d'emprunter son armure pour repousser l'ennemi hors du camp grec. Son ami est tué par Hector qui,
ultime humiliation, s'empare des armes d'Achille. Bien décidé à venger la mort de Patrocle, Achille a besoin de nouvelles armes que
sa mère, la déesse marine Thétis, demande à Héphaïstos de lui forger...
[Héphaïstos] commence par fabriquer un bouclier, grand et fort. Il l'ouvre adroitement de tous les côtés. Il met
autour une bordure étincelante – une triple bordure au lumineux éclat. Il y attache un baudrier d'argent. Le bouclier
comprend cinq couches. Héphaïstos y crée un décor multiple, fruit de ses savants pensers. Il y figure la terre, le ciel et la
mer, le soleil infatigable et la lune en son plein, ainsi que tous les astres dont le ciel se couronne, les Pléiades, les Hyades,
la Force d’Orion, l’Ourse – à laquelle on donne le nom de Chariot – qui tourne sur place, observant Orion, et qui, seule,
ne se baigne jamais dans les eaux d’Océan. Il y figure aussi deux cités humaines – deux belles cités. Dans l’une, ce sont
des noces, des festins. Des épousées, au sortir de leur chambre, sont menées par la ville à la clarté des torches, et, sur leurs
pas, s’élève, innombrable, le chant d’hyménée. De jeunes danseurs tournent, et, au milieu d’eux flûtes et cithares font
entendre leurs accents, et les femmes s’émerveillent, chacune debout, en avant de sa porte. Les hommes sont sur la grandplace. Un conflit s’est élevé et deux hommes disputent sur le prix du sang pour un autre homme tué. L’un prétend avoir
tout payé, et il le déclare au peuple ; l’autre nie avoir rien reçu. Tous deux recourent à un juge pour avoir une décision.
Les gens crient en faveur, soit de l’un, soit de l’autre, et, pour les soutenir, forment deux partis. Des hérauts contiennent la
foule. Les Anciens sont assis sur des pierres polies, dans un cercle sacré. Ils ont dans les mains le bâton des hérauts
sonores, et c’est bâton en main qu’ils se lèvent et prononcent, chacun à son tour. Au milieu d’eux, à terre, sont deux
talents d’or ; ils iront à celui qui, parmi eux, dira l’arrêt le plus droit. Autour de l’autre ville campent deux armées, dont
les guerriers brillent sous leurs armures. Les assaillants hésitent entre deux partis : la ruine de la ville entière, ou le partage
de toutes les richesses que garde dans ses murs l’aimable cité. Mais les assiégés ne sont pas disposés, eux, à rien entendre,
et ils s’arment secrètement pour un aguet. Leurs femmes, leurs jeunes enfants, debout sur le rempart, le défendent, avec
l’aide des hommes que retient la vieillesse. Le reste est parti, ayant à sa tête Arès et Pallas Athéné, tous deux en or,
revêtus de vêtements d’or, beaux et grands en armes. Comme dieux, ils ressortent nettement, les hommes étant un peu
plus petits. […] Derrière eux, la terre noircit ; elle est toute pareille à une terre labourée, bien qu’elle soit en or – une
merveille d’art ! […] Une fois fabriqué le bouclier large et fort, il fabrique encore à Achille une cuirasse plus éclatante
que la clarté du feu ; il fabrique un casque puissant bien adapté à ses tempes, un beau casque ouvragé, où il ajoute un
cimier d’or ; il lui fabrique des jambières de souple étain. Et, quand l’illustre Boiteux a achevé toutes ces armes, il les
prend et les dépose aux pieds de la mère d’Achille. Elle, comme un faucon, prend son élan du haut de l’Olympe neigeux
et s’en va emportant l’armure éclatante que lui a fournie Héphaïstos.
Document 3 : Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, (1776).
Les plus grandes améliorations dans la puissance productive du travail, et la plus grande partie de
l'habileté, de l'adresse et de l'intelligence avec laquelle il est dirigé ou appliqué sont dues, à ce qu'il semble, à la
Division du travail. [...]
Prenons un exemple dans une manufacture de plus petite importance, mais où la division du travail s'est
fait souvent remarquer : une manufacture d'épingles. Un homme qui ne serait pas façonné à ce genre d'ouvrage,
dont la division du travail a fait un métier particulier, ni accoutumé à se servir des instruments qui y sont en
usage, dont l'invention est probablement due encore à la division du travail, cet ouvrier quelque adroit qu'il fût,
pourrait peut-être à peine faire une épingle dans toute sa journée, et certainement il n'en ferait pas une vingtaine.
Mais de la manière dont cette industrie est maintenant conduite, non seulement l'ouvrage entier forme un métier
particulier, mais même cet ouvrage est divisé en un plus grand nombre de branches, dont la plupart constituent
autant de métiers particuliers. Un ouvrier tire le fil à la bobine, un autre le dresse, un troisième coupe la dressée,
un quatrième empointe, un cinquième est employé à émoudre le bout qui doit recevoir la tête. Cette tête est ellemême l'objet de deux ou trois opérations séparées : la frapper est une besogne particulière ; blanchir les
épingles en est une autre ; c'est même un métier distinct et séparé que de piquer les papiers et d'y bouter les
épingles ; enfin l'important travail de faire une épingle est divisé en dix-huit opérations distinctes ou environ,
lesquelles, dans certaines fabriques, sont remplies par autant de mains différentes, quoique dans d'autres le
même ouvrier en remplisse deux ou trois. J'ai vu une petite manufacture de ce genre qui n'employait que dix
ouvriers, et où par conséquent quelques-uns d'entre eux étaient chargés de deux ou trois opérations. Mais
quoique la fabrique fût fort pauvre et, par cette raison, mal outillée, cependant, quand ils se mettaient en train,
ils venaient à bout de faire entre eux environ douze livres d'épingles par jour : or, chaque livre contient au-delà
de quatre mille épingles de taille moyenne. Ainsi ces dix ouvriers pouvaient se faire entre eux plus de quarantehuit milliers d'épingles dans une journée ; donc chaque ouvrier faisant une dixième partie de ce produit, peut
être considéré comme faisant dans sa journée quatre mille huit cents épingles. Mais s'ils avaient tous travaillé à
part et indépendamment les uns des autres, et s'ils n'avaient pas été façonnés à cette besogne particulière,
chacun d'eux assurément n'eût pas fait vingt épingles, peut-être pas une seule, dans sa journée, c'est-à-dire pas à
coup sûr, la deux-cent quarantième partie de ce qu'ils sont maintenant en état de faire, en conséquence d'une
division et d'une combinaison convenables de leurs différentes opérations.
Dans tout autre art et manufacture, les effets de la division du travail sont les mêmes que ceux que nous
venons d'observer dans la fabrique d'une épingle, quoiqu'en un grand nombre le travail ne puisse pas être aussi
subdivisé ni réduit à des opérations d'une aussi grande simplicité. Toutefois, dans chaque art, la division du
travail, aussi loin qu'elle peut y être portée donne lieu à un accroissement proportionnel dans la puissance
productive de travail.
Document 4 : Arnaud Parienty, Alternatives Economiques n° 238 - juillet 2005.
« Les méthodes modernes d’organisation du travail s’appuient sur la rationalisation extrême des activités
pensée par Frederick Taylor. [...]
Ces méthodes atteignent une forme de perfection avec la chaîne de montage, qui naît dans les usines automobiles Ford, à Dearborne (Michigan) en 1913. Le déplacement de la chaîne soumet l’opérateur au rythme de
la machine et supprime des manipulations fatigantes. L’ouvrier spécialisé devient lui-même machine.
Les gains de productivité sont immédiatement au rendez-vous, obligeant la concurrence à utiliser les mêmes
méthodes. Le taylorisme ou le travail à la chaîne touchent peu à peu un nombre croissant d’entreprises, de pays
et de secteurs. Ils deviennent la forme dominante d’organisation du travail partout où c’est possible. La
séquence spécialisation ➞ gains de productivité ➞ croissance ➞ élargissement des marchés ➞ spécialisation
est à l’origine d’une croissance auto entretenue. »
Document 5 : L'impression 3D : la révolution arrive dans le grand public, 18 novembre 2013.
http://www.sciencesetavenir.fr/imprimante-3d/20131118.OBS5825/l-impression-3d-la-revolution-arrivedans-le-grand-public.html
Reproduire le corps d'une personne, fabriquer une voiture ou copier une œuvre d'art : l'impression 3D arrive pour le
grand public. Une révolution comparable à celle d'internet ?ts en 3D présentés le 15 novembre 2013 au salon c) Afp
RÉVOLUTION. "Internet a changé le monde dans les années 90. Le monde se prépare à changer à nouveau" :
avec ce slogan, le salon 3D Printshow a présenté à Paris les 15 et 16 novembre les dernières avancées en
matière d'impression en trois dimensions. Cette technologie inventée il y a trois décennies arrive maintenant
chez les consommateurs.
L'impression 3D a commencé par révolutionner la fabrication de certaines pièces industrielles, raccourcissant le
laborieux processus allant du dessin à la création de l'objet.
Aujourd'hui, son utilisation est large : des studios de Hollywood aux laboratoires dentaires, aux musées ou
encore aux stylistes dans la mode, et continue encore de s'étendre, notamment aux objets du quotidien.
LEADER. Les leaders du secteur sont deux géants américains, Stratasys et 3D Systems, mais l'industrie
commence à se développer en Allemagne, avec une spécialisation dans les pièces métalliques. En revanche
Phenix Systems, le principal fabricant français d'imprimantes, vient d'être racheté cette semaine par 3D
Systems.
"Le grand intérêt de cette technologie 3D est son potentiel dans l’ultra personnalisation", explique à l'AFP
Mathieu Charoy, un "sculpteur numérique" dont l'atelier se trouve près de Paris.
Un client lui envoie un dessin de son fils, et lui, le transforme en objet 3D. Un autre commande un étui
personnalisé pour son smartphone, ou le double d'une poignée de porte ancienne introuvable en magasin.
SCANS. Cosmo Wenman, un passionné d'art, scanne des œuvres d'art dans les musées. Si peu de monde peut se
permettre d'avoir chez soi ce buste romain datant de l'antiquité dans sa maison, une fidèle copie est désormais à
la portée du plus grand nombre.
Quod, une entreprise installée en Grande-Bretagne, offre de son côté la possibilité de scanner et reproduire des
objets, quelle que soit leur taille, "du bijou à l'intérieur d'un bâtiment".
Avoir une réplique en 3D de son corps ne sert pas seulement à l'auto-contemplation : votre tailleur, au bout du
monde, pourra par exemple faire un costume à vos dimensions exactes, sans essayage !
DÉFILÉS. Des stylistes ont présenté un défilé avec robes, chaussures et accessoires, où dominent formes
géométriques et motifs végétaux. "Cette nouvelle technologie crée sa propre esthétique, un peu comme la
photographie il y a plus d'un siècle", estime Mathieu Charoy.
"Cela pose des questions sur ce que peut faire la machine et ce que peut faire l'homme. Pourquoi copier grâce
aux nouvelles technologies ce qui se fait à la main ?" - Mathieu Charoy.
"Urbee", une voiture aérodynamique "imprimée" par Kor Ecologic est présentée comme plus "écologique" que
celles fabriquées dans l'industrie.
En ce qui concerne la décoration d'intérieur, "L'habitat imprimé" de François Brument propose par exemple une
chambre à coucher entièrement réalisée grâce à l'impression 3D.
FRANCHISES. La 3D inspire aussi des projets plus modestes d'un point de vue financier, mais qui peuvent être
diffusés en plus grand nombre. Palmerio Gianni, jeune entrepreneur du sud de la France, vend par exemple dans
le monde entier des franchises de magasin d'impression, d'où le client peut sortir pour 20 dollars (15 euros
environ) avec une statuette de son propre buste, après avoir posé devant un scanner. Son idée a déjà séduit en
Afrique du Sud, en Corée du Sud et au Brésil.
Document 6 : Chaplin les Temps modernes, 1936. www.youtube.com/watch?v=h4rdulAGbbQ
Document 7 : Jean Echenoz Des éclairs, Editions de Minuit, 2010.
Bientôt construit, son émetteur consiste en une bâtisse en planches carrée, bourrée de bobines et de
transformateurs, coiffée d'une manière de donjon d'où jaillit un long mât métallique, surmonté lui-même d'une
sphère de cuivre. Ce mât étant connecté à un puissant oscillateur à haute tension et haute fréquence, Gregor
entreprend donc de simuler des orages, d'abord discrets puis de plus en plus spectaculaires. De telles
expériences deviennent bientôt fort bruyantes mais, comme on est loin de tout, il est probable qu'on ne
dérangera personne. Elles se déroulent d'ailleurs toujours en pleine nuit quand, tout dormant dans Colorado
Springs obscure, la consommation de courant est alors la plus faible et Gregor peut se permettre de puiser sans
retenue dans celui de la compagnie locale.
Ces nuits-là, dès qu'il va mettre ses appareils en marche, on prend d'abord soin de se protéger. Lui et ses
assistants sont juchés sur des semelles de liège, gantés de feutre ou d'amiante isolants et assourdis de coton
jusqu’aux tympans. Puis, une fois le déclencheur manœuvré, des éclairs éblouissants commencent à se
succéder, plus denses et prolongés que ceux d'un orage naturel, parcourus d'aigrettes scintillantes, épineuses,
frétillantes, avant de relier sans s'interrompre tous les paratonnerres de la région dans un rayon de trente
kilomètres à la ronde, sous le tumulte des arcs électriques.
Tout cela, quoique fort sonore, ne dérange pas trop le voisinage mais il arrive qu'une nuit, dans son
enthousiasme, Gregor dépasse les bornes et crée un tintamarre exagéré. Tout, dans Colorado Springs, d'un
coup, ne dort donc plus : réveillés en sursaut par l'énorme volume, les locaux affolés accourent en chemise de
nuit, qui à cheval qui en charrette à bœufs, qui même à pied malgré la
distance pour voir ce qui se passe.
Ebahis mais se tenant à respectueux écart, car sûrs que cette foudre artificielle peut les anéantir d'un seul coup,
ils demeurent d'abord saisis avant d'être animés par les réseaux de parcelles incandescentes qui se faufilent
vivement entre les grains de sable pour venir déflagrer jusque sous leurs talons. On se met à danser sans
cadence comme nous avons tous vu faire, dans les westerns, les cow-boys quand on leur tire dans les pieds cependant qu'autour du laboratoire, de longues étincelles jaillissent en stridant de chaque objet métallique relié
au sol et que, dans les pâturages voisins, captant par leurs fers des décharges électriques, de placides chevaux
de trait se cabrent et s'emballent en écumant, hennissant plus sauvagement qu'à la pensée de l'abattoir, à
l'image mentale de l'équarrissage.
Cette aventure largement commentée fait l'objet d'une abondante chronique dans la dépêche municipale, à la
lecture de quoi les locaux d'abord indignés, puis seulement mécontents, finissent par éprouver quelque
indulgence non dépourvue de fierté à l'idée qu'un aussi éminent et puissant savant ait élu domicile dans
leur bled. Tout reprend son calme à Colorado Springs jusqu'à ce que Gregor, une autre nuit, pousse les choses
trop loin en tentant d'émettre une onde électrique qui cette fois, de plus en plus fort et pourquoi se gêner, doit
faire entrer la Terre elle-même en résonance.
Document 8 : Walt Disney, Fantasia, 1940 sur la musique de Paul Dukas, L'Apprenti sorcier, 1897.
http://www.wat.tv/video/apprenti-sorcier-musique-paul-4vvm5_2flc9_.html
 L'Apprenti
sorcier est
un poème
symphonique de Paul
Dukas de 1897,
inspiré
par
la ballade éponyme Der Zauberlehrling de Goethe écrite juste un siècle plus tôt. Composé sous forme
de scherzo, sa création a lieu à Paris le 18 mai de la même année lors d'un concert de la Société
nationale de musique, sous la direction du compositeur.
 En 1937, la partition de L'Apprenti sorcier est à l'origine du projet du long-métrage d'animation de
sorti en 1940 avec Mickey dans le rôle-titre. Le dessin animé donnera sa popularité à l'œuvre musicale
en dehors des salles de concert classique.
Conclusion : Annie Ernaux, Les Années, Gallimard, 2008.
L'ordre marchand se resserrait, imposait son rythme haletant. Les achats munis d'un code-barres
passaient avec la célérité accrue du plateau roulant au chariot dans un bip discret escamotant le coût de la
transaction en une seconde. Les articles de la rentrée scolaire surgissaient dans les rayons avant que les enfants
ne soient encore en vacances, les jouets de Noël le lendemain de la Toussaint et les maillots de bain en février.
Le temps des choses nous aspirait et nous obligeait à vivre sans arrêt avec deux mois d'avance. Les gens
accouraient aux « ouvertures exceptionnelles » du dimanche, les soirs jusqu'à onze heures, le premier jour des
soldes constituait un événement couvert par les médias. « Faire des affaires », « profiter des promotions » était
un principe indiscuté, une obligation. Le centre commercial, avec son hypermarché et ses galeries de magasins,
devenait le lieu principal de la contemplation inépuisable des objets, de la jouissance calme, sans violence,
protégée par des vigiles aux muscles puissants. […] Pour les adolescents - surtout ceux qui ne pouvaient
compter sur aucun autre moyen de distinction sociale – la valeur personnelle était conférée par les marques
vestimentaires, L'Oréal parce que je le vaux bien. Et nous, contempteurs sourcilleux de la société de
consommation, on cédait au désir d'une paire de bottes qui, comme jadis la première paire de lunettes solaires,
plus tard une minijupe, des pattes d'ef, donnait l'illusion brève d'un être neuf. Plus que la possession, c'était cela,
cette sensation que les gens poursuivaient dans les gondoles de Zara et de H&M et que leur procurait
immédiatement, sans effort, l'acquisition des choses : un supplément d'être.
Séance 3 : L’objet n’est-il que matière ?
Supports :
 Luc Benoist, Signes, symboles et mythes, PUF, 2009.
 Thomas Clerc, Intérieur, Gallimard, 2013.
 François Bon, Autobiographie des objets, Seuil, 2012.
 Charles Lewinsky « La machine à écrire », Le Monde, 16/05/2014.
 Ferit Orhan PAMUK, Le Musée de l’Innocence, Gallimard, 2006.
 Frontispice de Musei Wormiani Historia montrant l'intérieur du cabinet de curiosités de Worm.
Document 1 : Luc Benoist, Signes, symboles et mythes, PUF, 2009.
Étymologiquement le mot symbole vient du grec sumballein qui signifie lier ensemble.
Un symbalon était à l'origine un signe de reconnaissance, un objet coupé en deux moitiés dont le rapprochement
permettait aux porteurs de chaque partie de se reconnaître comme frères et de s'accueillir comme tels sans s'être
jamais vus auparavant.
Document 2 : Thomas Clerc, Intérieur, Gallimard, 2013.
Après quoi, je laisse la clé dans la serrure, à sa place naturelle. Tandis que mes yeux restent fixés
sur le trousseau qui pend et bouge comme le balancier d’1 horloge, en 1 mouvement régulier qui va bientôt
décroître et s’arrêter, je cherche d’autres exemples de sites à double emploi (rangement + fonction). Ces
clés, que j’orthographie de 2 manières pour donner à l’objet sa richesse incertaine, sont au nombre de 3 : la
plus grosse gouverne l’entrée de mon immeuble et ouvre 2 portes, celle qui donne sur la rue, pour laquelle
elle n’est pas indispensable puisque composer le code (54 B 68) suffit, et celle qui permet l’accès à la
cour, pour lequel elle est obligatoire ; la 2ème clé, à tête de plastique noire, à tige courte et crénelée, est
celle de l’entrée ; 1 toute petite dernière ouvre la boîte aux lettres. Ces clés, en 1 sens, ne m’appartiennent
pas, et il me faudra les rendre lorsque parvenu à la fin de ce livre j’aurai quitté cet appartement. Objets lourds
moins par leur volume que par leur symbolisme, les clés signifient la propriété sans la matérialiser
jusqu’au bout. Leur persistance historique m’étonne : ouvrir 1 porte reste 1 geste terriblement humain,
archaïque, toujours menacé d’échec.
Document 3 : François Bon, Autobiographie des objets, Seuil, 2012.
J’avais acheté à Poitiers mon premier pantalon à pattes d’eph. Tous les copains avaient déjà le même.
Je ne crois pas que le scandale, vis-à-vis de ma mère, ait concerné les pattes d’eph elles-mêmes : plutôt
l’intuition qu’en trahissant la couturière du village, puis le magasin qui avait dans la ville l’exclusivité du tissu
en commerce, une rupture bien plus violente et essentielle du monde s’amorçait, qui tuerait la petite ville, ferait
des centres-villes (les plus grosses), une infinie boutique de fringues jetables, et des périphéries un entassement
de sous-langues (Kiabi et les autres).
Mais, sur la pochette d’Abbey Road où traversaient les quatre Beatles, nous savions – et je sais toujours
– derrière Lennon tout de blanc mais portant cheveux jusque sur les épaules lequel (Harrison) était chaussé de
« clarks », lequel (Ringo) de boots, lequel pieds nus (McCartney) et donc, marchant le dernier, Harrison avec ce
blue-jean à pattes d’eph par lequel nous nous égalions à eux tous d’un seul coup de ceinture bouclée. […]
Reste, dans la tête, la fierté vaguement coupable, compte tenu du prix, de sortir de la première boutique
consacrée par Poitiers aux blue-jeans, son pattes d’eph dans un sac aux armes de l’Amérique, payé de son
propre argent.
Document 4 : « La machine à écrire » par Charles Lewinsky, Le Monde, 16/05/2014.
Invité à s'exprimer lors des Assises internationales du roman, le mercredi 21 mai, Charles Lewinsky a
écrit un texte sur le thème « Comment redonner vie à une époque ? » que Le Monde et la Villa Gillet publient
ici. Ce texte sera publié en novembre 2014 dans un recueil aux éditions Christian Bourgois.
C’est ma machine à écrire. Ma machine à moi. Je l’ai achetée fin 1925, dans la petite boutique de la rue
Münz. Prix : 98 Reichsmark. Plus que le montant du salaire mensuel d’un ouvrier. Je l’ai payée avec mon
premier honoraire. A l’époque, elle était du dernier cri. Barre à caractères enrobée d’acier. Cela m’avait
impressionné.
Sur le plan incliné derrière le cylindre, à l’endroit où l’on glisse le papier, s’affiche son nom, en grandes
lettres. Un nom approprié à la seule arme que possède un écrivain. Torpedo. Fabriqué par la maison Weil, à
Francfort-Rödelheim. L’usine existe-t-elle toujours ? Francfort a subi de nombreux bombardements.
C’est une machine à écrire de voyage. Chose d’une importance capitale pour moi. Facile à transporter.
Je me voyais assis au balcon de ma chambre d’hôtel, peut-être dans le midi de la France. Le parfum des lilas
monte du parc, flotte jusqu’à moi, et je tape l’ultime version de mon prochain roman à succès.
Je ne suis jamais allé en France. Pas même à Paris.
J’ai emporté la machine en voyage une seule fois. C’était un été caniculaire, des gouttes de sueur
jalonnaient le clavier et le scénario que j’avais en train n’avançait pas. Je partis pour le Harz, à Wernigerode,
mais là, dans le jardin de cette auberge, ce fut la complète débâcle. Un coin ombragé, une bière fraîche et zéro
inspiration. J’étais hors d’état de produire une phrase tenant debout. Au bout de quatre jours, j’ai interrompu
l’expérience.
Depuis des années, la courbure supérieure du « e » minuscule est écaillée. On pourrait changer la barre à
caractères, le vendeur me l’avait, à l’époque, présentée comme un perfectionnement, d’une particulière utilité.
Je n’ai jamais songé à le faire faire. On aime son amie même s’il lui manque une dent.
Ma Torpedo ne m’en veut pas de ma frappe maladroite. Je n’utilise, pour dactylographier, que la moitié
de mes doigts. Les deux index et le médium droit pour les lettres, les pouces pour les espaces et le rappel du
chariot. En 1933, lorsqu’ils m’interdirent l’écriture, j’ai essayé d’apprendre à taper avec dix doigts. J’avais tout
le temps de m’exercer. Ça n’a pas marché. Mes mains refusaient tout simplement de coopérer. Je ne suis pas fait
pour le travail de bureau.
Jadis, il me fallait souvent, lorsque quelque chose clochait dans une scène, rédiger sur place de petits
ajouts, sur une machine étrangère. Chaque fois, bien que les claviers fussent tous identiques, je faisais beaucoup
plus de fautes qu’à la maison. Le processus gestuel ne fonctionnait pas. C’était comme marcher avec des
béquilles.
Parfois, bien trop rarement, je nettoie ma Torpedo à fond. Et, toujours, ce même phénomène me saute
aux yeux : les touches des lettres qu’on emploie souvent se salissent beaucoup plus que les autres. Le « X » et
le « Y » demeurent pour ainsi dire vierges. J’essuie les touches avec un chiffon humide. Une à une. C’est une
opération pleine de tendresse.
Je renverse la machine au-dessus d’une feuille de papier journal et ne cesse de m’étonner à la vue de
tout ce qu’elle a englouti : cheveux, miettes de pain, cendres de cigarettes. Titi m’a dit un jour : « D’autres gens
fument en écrivant, mais toi tu écris en fumant. »
La sonnette qui se déclenche à la fin de chaque ligne a une éraflure – j’ignore comment c’est arrivé. Ce
tintement est important pour moi. Son rythme m’informe que mon travail avance bien. Parfois, lorsque la
dernière ligne d’un paragraphe ne compte que deux ou trois mots, je l’allonge au moyen de la touche
d’espacement, rien que pour entendre la sonnerie.
C’est ma machine à écrire à moi. A moi, à moi.
Document 5 : Ferit Orhan PAMUK, Le Musée de l’Innocence, Gallimard, 2006.
En décembre 1996, à Tophane, à sept minutes à pied de chez les Keskin, un homme solitaire appelé
Necdet Sans-Nom et grand récupérateur d’objets (appellation erronée pour « collectionneur ») mourut écrasé
sous les piles de papiers et vieilles affaires qu’il accumulait dans son petit logement mais on le découvrit
seulement quatre mois plus tard quand, avec la chaleur croissante, l’odeur émanant de chez lui devint
insupportable. La porte d’entrée étant bloquée par les choses amoncelées, les pompiers durent passer par la
fenêtre. Lorsque l’événement fut relaté dans les journaux sur un ton oscillant entre humour et effroi, la peur
qu’inspiraient ces récupérateurs de tout et n’importe quoi ne fit qu’augmenter chez les Stambouliotes. Il me
revient un autre détail étrange – et que le lecteur ne jugera pas superflu, j’espère, - que je dois à la capacité que
j’avais alors de réfléchir en même temps à tout ce qui concernait Füsun. Vers la fin de la soirée des fiançailles
au Hilton, quand le thème du spiritisme fut abordé, c’est de Necdet Sans-Nom dont le cadavre pourrirait sous
les monceaux d’objets et de papiers qui l’avaient écrasé que Füsun parla, et elle le croyait déjà mort.
Document 6 : Frontispice2 de Musei Wormiani Historia montrant l'intérieur du cabinet de curiosités de
Worm.
[Définition du cabinet de curiosités : http://pages.infinit.net/cabinet/definition.html
Les cabinets de curiosités désignent au XVIe et XVIIe siècles des lieux dans lesquels on collectionne et
présente une multitude d’objets rares ou étranges représentant les trois règnes: le monde animal, végétal et
minéral, en plus de réalisations humaines.
Avec le développement des explorations et la découverte de nouvelles terres au XVIe siècle, plusieurs
princes, savants et amateurs de cette époque se mettent à collectionner les curiosités en provenance des
nouveaux mondes. On définit en général le cabinet de curiosités comme un microcosme ou résumé du monde
où prennent place des objets de la terre, des mers et des airs (minéral, végétal et animal), à côté des productions
de l'homme.
L'objectif des curieux n'est pas d'accumuler ou de répertorier la totalité des objets de la nature et des
productions humaines comme le tenteront les encyclopédistes au XVIIIe siècle, mais plutôt de pénétrer les
secrets intimes de la Nature par ce qu'elle propose de plus fantastique. En collectionnant les objets les plus
bizarres qui l'entourent, le curieux a la sensation de pouvoir saisir, de surprendre le processus de Création du
monde.]
2. Illustration qui figure en regard d'un titre de livre.
Séance 4 : L’invasion des objets : une société matérialiste en voie de dématérialisation ?
Supports :
 Boris
Vian
et
Alain
Goraguer
«
La
complainte
du
progrès
»,
1956
https://www.youtube.com/watch?v=9PTqTjHs5c0
 Duane Hanson, Caddie, 1970, Ludwig Forum für Internationale Kunst, Aix-la-Chapelle.
 Françoise Sagan, Trente versions inédites de la Cigale et la Fourmi, Edition Safrat, 1989.
 Quino, « Une place au soleil », Qui est le chef ? Glénat, 2005.
 Baudrillard, La Société de consommation, 1970.
 Mélanie Roustan, « Peut-on parler d'une "dématérialisation de la consommation" ? », Credoc, Cahier
de Recherche n° 203, octobre 2004.
Document 1 : Boris Vian et Alain Goraguer « La complainte du progrès », 1956.
Autrefois pour faire sa cour
On parlait d’amour
Pour mieux prouver son ardeur
On offrait son cœur
Maintenant c’est plus pareil
Ça change ça change
Pour séduire le cher ange
On lui glisse à l’oreille
Viens m'embrasser
Et je te donnerai
Un frigidaire
Un joli scoutaire
Un atomivère
Et du Dunlopillo
Une cuisinière
Avec un four en verre
Des tas de couverts
Et des pelles à gâteaux
Une tourniquette
Pour faire la vinaigrette
Un bel aérateur
Pour manger les odeurs
Des draps qui chauffent
Un pistolet à gaufres
Un avion pour deux
Et nous serons heureux
Autrefois s’il arrivait
Que l’on se querelle
L’air lugubre on s’en allait
En laissant la vaisselle
Maintenant que voulez-vous
La vie est si chère
On dit : « rentre chez ta mère »
Et on se garde tout
Excuse-toi
Ou je reprends tout ça
Mon frigidaire
Mon armoire à cuillères
Mon évier en fer
Et mon poêle à mazout
Mon cire-godasses
Mon repasse-limaces
Mon tabouret à glace
Et mon chasse-filous
La tourniquette
A faire la vinaigrette
Le ratatine-ordures
Et le coupe-friture
Et si la belle
Se montre encore rebelle
On la fiche dehors,
Pour confier son sort…
Au frigidaire
À l'efface-poussière
À la cuisinière
Au lit qu'est toujours fait
Au chauffe-savates
Au canon à patates
À l'éventre-tomates
À l'écorche-poulet
Mais très très vite
On reçoit la visite
D’une tendre petite
Qui vous offre son coeur
Alors on cède
Car il faut qu’on s’entraide
Et l’on vit comme ça jusqu’à la prochaine fois
Et l’on vit comme ça jusqu’à la prochaine fois
Et l’on vit comme ça jusqu’à la prochaine fois !
Document 2 : Duane Hanson, Caddie, 1970, Ludwig Forum für Internationale Kunst, Aix-la-Chapelle.
Document 3 : Françoise Sagan, Trente versions inédites de la Cigale et la Fourmi, Edition Safrat, 1989.
La fourmi et la cigale
La fourmi ayant stocké
Tout l'hiver
Se trouva fort encombrée
Quand le soleil fut venu :
Qui lui prendrait ses morceaux
De mouches ou de vermisseaux ?
Elle tenta de démarcher
Chez la cigale, sa voisine,
La poussant à s'acheter
Quelques grains pour subsister
Jusqu'à la saison prochaine.
« Vous me paierez, lui dit-elle,
Après l'oût, foi d'animal,
Intérêt et principal. »
La cigale n'est pas gourmande :
C'est là son moindre défaut.
Que faisiez-vous au temps froid ?
Dit-elle à cette amasseuse.
- Nuit et jour à tout venant
Je stockais, ne vous déplaise.
- Vous stockiez ? j'en suis fort aise ;
Et bien soldez maintenant. »
Document 4 : Quino, « Une place au soleil », Qui est le chef ? Glénat, 2005.
Document 5 : Baudrillard, La Société de consommation, 1970.
Dans la panoplie de la consommation, il est un objet plus beau, plus précieux, plus éclatant que tous plus lourd de connotations encore que l'automobile qui pourtant les résume tous : c'est le CORPS. Sa
"redécouverte", après une ère millénaire de puritanisme, sous le signe de la libération physique et sexuelle,
sa toute-présence (et spécifiquement du corps féminin) dans la publicité, la mode, la culture de masse - le
culte hygiénique, diététique, thérapeutique dont on l'entoure, l'obsession de jeunesse, d'élégance, de
virilité/féminité, les soins, les régimes, qui s'y rattachent, le Mythe du Plaisir qui l'enveloppe - tout
témoigne aujourd'hui que le corps est devenu objet de salut. Il s'est littéralement substitué à l'âme dans cette
fonction morale et idéologique.
Une propagande sans relâche nous rappelle, selon les termes du cantique, que nous n'avons qu’un corps
et qu'il faut le sauver. Pendant des siècles, on s'est acharné à convaincre les gens qu'ils n'en avaient pas (ils
n’en ont d’ailleurs jamais été vraiment convaincus), on s'obstine aujourd'hui systématiquement à les
convaincre de leur corps. Il y a là quelque chose d'étrange. Le corps n'est-il pas l'évidence même ? Il
semble que non : le statut du corps est un fait de culture. Or, dans quelque culture que ce soit, le mode
d'organisation de la relation au corps reflète le mode d'organisation de la relation aux choses et celui des
relations sociales. Dans une société capitaliste, le statut général de la propriété privée s'applique également
au corps, à la pratique sociale et à la représentation mentale qu'on en a. Dans l'ordre traditionnel, chez le
paysan par exemple, pas d'investissement narcissique, pas de perception spectaculaire de son corps, mais
une vision instrumentale/magique, induite par le procès de travail et le rapport à la nature.
Ce que nous voulons montrer, c'est que les structures actuelles de la production/consommation induisent
chez le sujet une pratique double, liée à une représentation désunie (mais profondément solidaire) de son
propre corps : celle du corps comme capital, celle du corps comme fétiche (ou objet de consommation).
Dans les deux cas, il importe que le corps, loin d'être nié ou omis, soit délibérément investi (dans les deux
sens : économique et psychique du terme).
Document 6 : Mélanie Roustan, « Peut-on parler d'une "dématérialisation de la consommation" ? »,
Credoc, Cahier de Recherche n° 203, octobre 2004
Les usages les plus anciens du terme de « dématérialisation » (début XIXè) sont à chercher du côté de la
science-fiction (inspirée par l’idée d’une disparition d’objets et de personnes), de la physique (« transformation
des particules matérielles d’un corps en énergie ») et de la finance (« suppression des titres et des coupons
représentant des valeurs mobilières, au profit d’une inscription en compte »).
Aujourd’hui, l’emploi du terme de « dématérialisation » est très présent dans le domaine artistique, où
l’idée d’une « dématérialisation de l’œuvre d’art » est considérée quasiment comme un lieu commun dans le
milieu, en tous cas comme un fait acquis, marquant le passage, à la fin des années 1960, à l’art dit «
contemporain ». […]
L’emploi du terme concerne alternativement ou simultanément le passage à l’art conceptuel des années
1950 aux années 1970, et l’émergence de l’art « technologique » depuis les années 1970. […]
Du point de vue de la « dématérialisation », dans la première acception, il s’agit bel et bien d’une
élimination de la matérialité de l’œuvre d’art : l’art en tant qu’objet laisse la place à « l’art en tant qu’idée et
l’art en tant qu’action » où « le temps et le mouvement (…) sont des éléments nouvellement pris en compte»3.
La démarche est politique, critique, et autocritique, dans une société de consommation qui a « explosé »
pendant les trente glorieuses. Il s’agit de dénoncer la « tyrannie de l’objet » et de remettre en cause à la fois sa
fonction dans la société en général et dans l’art en particulier.
Dans la seconde acception, celle d’un art « technologique », il y a comme un « retour de matérialité » – le
support informatique impliquant un certain nombre d’outils, donc leurs savoirs et savoir-faire spécifiques, tant
du point de vue des auteurs des œuvres que de l’accès du public.
Dans un tout autre registre, le terme de « dématérialisation » semble faire florès dans le monde de
l’entreprise. Pour Antoine Crochet-Damais, qui coordonne un dossier intitulé « Les outils de la
dématérialisation » pour Le Journal du Net, « La dématérialisation a pour but de gérer de façon électronique les
flux de données ou de documents métier (notes, factures, brochures, catalogues, contenus techniques, etc.)
transitant au sein de l'entreprise ou échangés avec ses partenaires (clients, fournisseurs, etc.), ainsi que les
processus qui peuvent s'y rattacher, tels que la constitution d'un contrat, une commande ou encore le suivi d'une
garantie de produit par exemple ».
C’est un bon résumé de la manière dont est employé le terme dans les milieux du management, c’est-àdire comme un équivalent d’une informatisation des contenus, voire des procédures de traitement de
l’information elles-mêmes (qui apparaissent comme deux niveaux distincts de la « dématérialisation »). […]
De façon similaire, « dématérialisation » est le terme consacré pour désigner – en simplifiant – le
passage du « tout papier » au « tout électronique » dans l’administration publique. […]
Si les objectifs affichés sont consensuels, on y repère, de façon comparable au secteur privé, un souci de
réduction des coûts et de compression des effectifs. Dans les deux cas, administration publique et
administration privée, les avantages visés (et avancés), mais aussi les contraintes et réticences attendues ou du
moins identifiées, sont relativement similaires. Ils relèvent pour les premiers d’une amélioration du traitement
de l’information (en termes d’« objectivité » et de rapidité) et d’un souci d’économie, pour les seconds de
DUPONT Valérie, 2001, « La dématérialisation de l'art : quelques rappels historiques », journal Hors d’Oeuvre, extrait en ligne :
http://perso.wanadoo.fr/interface.art/hors%20d'oeuvre/HO8/vd.html
3
problèmes de sécurité, de confidentialité, d’authentification, mais aussi de maîtrise des outils et de changement
des habitudes – bref, de questions de confiance et de questions d’usage.
Plus récemment, dans un autre registre encore, on a parlé de « dématérialisation » de la photographie
avec l’arrivée de l’appareil numérique. On évoque aussi de façon récurrente la « dématérialisation » du livre
et/ou du secteur de l’édition, liée au « livre électronique » et à son « encre électronique ». Depuis quelques
années, la montée des pratiques de téléchargement de morceaux musicaux, qui semble inquiéter une industrie
du disque pourtant florissante, a fourni le cadre à un nouveau développement du terme de « dématérialisation ».
Celui-ci vient désigner la nouvelle forme de stockage et de transmission de la musique via
l’informatique (le format « MP3 »), et souligner la facilité et la rapidité de ses transferts – licites ou non. Le
terme apparaît, soit pour dénoncer les pratiques de « piratage », soit pour évoquer les enjeux commerciaux des
modes de distribution qui y sont liés (par exemple le «juke-box virtuel d’Apple »). De façon plus neutre, il peut
venir désigner le dernier stade d’un processus continu d’amélioration des techniques de conservation et de
diffusion musicales.
Prolongements : Andy Warhol, Campbell’s Soup Cans (1962), Acrylique et liquitex en sérigraphie sur toile,
Série de 32 toiles de 50,8 x 40,6 cm chacune – MoMa, NY.
Déclaration d’Andy Warhol « L’art à l’échelon industriel est l’étape qui suit l’art avec un grand A. J’ai
commencé dans l’art commercial, et je veux finir avec une entreprise d’art... Gagner de l’argent est un art, et les
affaires bien conduites sont le plus grand des arts », écrit Warhol dans The Philosophy of Andy Warhol, parue en
1975.
Séance 5 : Le pouvoir des objets
Première partie: du fétiche à l’objet fétiche, histoire d’une désacralisation.
Supports :
- Déf. Dictionnaire Larousse
- Paul-Laurent Assoun, Le fétichisme PUF, 2006.
- Sciences Humaines N° 152, Août-Septembre 2004.
- Walter Benjamin L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, 1935.
- Sigmund Freud, Trois essais sur la théorie sexuelle, 1905.
- Ferit Orhan Pamuk, Le Musée de l’Innocence, Gallimard, 2006.
-
Mervaud, « Le "ruban de nuit" de la Comtesse » in Revue d’histoire littéraire de la France,
Beaumarchais « Le mariage de Figaro », septembre-octobre, 1984, Armand Colin.
L’objet de… Laurent Gaudé émission réalisée par David Unger, produite par Actes Sud et diffusée
sur Paris Première. https://www.youtube.com/watch?v=0kwmfdKe9gg
Document 1 : Déf. Dictionnaire Larousse
Le fétiche : nom masculin (portugais feitiço, sortilège, du latin facticius, non naturel)
 Objet culturel auquel sont attribuées des propriétés surnaturelles bénéfiques pour son possesseur.
 Animal qui est censé porter bonheur à celui qui le possède.
 S'emploie en apposition pour désigner un objet quelconque auquel on attache ce pouvoir : Un numéro
fétiche.
Document 2 : Paul-Laurent Assoun, Le fétichisme PUF, 2006.
L’« invention » du « fétichisme »
I. – Le « fétiche » : le mot et la chose
Le mot « fétiche » provient du portugais feitiço qui signifie « artificiel » et par extension « sortilège », étant
lui-même issu du latin facticius qui a donné le français « factice » (Nouveau dictionnaire étymologique et
historique d’Albert Dauzat, Jean Dubois, Henri Mitterand, Librairie Larousse, 1964).
De fait, le terme feitiço désigne en langue portugaise le « fétiche », l’envoûtement, le sortilège,
l’ensorcellement (fazer feitio signifie envoûter, jeter un sort). Le terme feitar signifie « façonner », la
feitura désignant la facture, l’exécution, la façon ou le façonnage. À la même famille appartiennent feiticeiro,
sorcier, magicien, féticheur ; feiticeira, sorcière, fée ; feticismo, fétichisme, et feiticista, fétichiste (d’après
le Dictionario de portuguës francês par Olivio de Carvalho, Porto Editoria).
On voit comment l’idée de quelque chose de « fabriqué » a induit celle de quelque objet « artificié », donc
« artificiel », et, par une nouvelle extension, « trafiqué », donc « faux » ou « postiche » et se prêtant, comme
« sortilège », à quelque manigance magique.
Attesté en portugais en 1552 (J. Barros, Decada I, livre 3, chap. 10 ; livre 8, chap. 4 ; livre 10, chap. 1,
d’après Iacono, op. cit.), le terme est attesté en français dès 1605 (Marées, fétisso) et en 1669 (Villault) (d’après
le Nouveau dictionnaire étymologique, op. cit.).
Si le terme « fétiche » est portugais et date du XVIe siècle, le terme « fétichisme » apparaît dans la langue
française au XVIIIe siècle (De Brosses, 1756).
Notons l’absence d’article « Fétichisme » dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert4 (le terme étant trop
récent), mais un article « Fétiche » (curieusement recensé comme nom féminin) y figure.
Document 3 : Sciences Humaines N° 152, Août-Septembre 2004.
La notion de fétiche, forgée en Afrique par les marchands portugais du xve siècle pour désigner les
charmes et amulettes qu'ils trafiquaient, est aujourd'hui peu employée par les anthropologues, en raison des
usages péjoratifs qui ont pu en être faits à l'époque coloniale. En revanche, elle est présente dans le vocabulaire
courant de bon nombre de populations d'Afrique noire, qui nomment féticheurs les spécialistes de ces objets
rituels. Soucieux de revoir la question, Jean-Paul Colleyn en appelle aux nombreux travaux existant aujourd'hui
sur les croyances et les religions africaines pour remettre à l'examen cette notion embarrassante, qui a connu
d'intéressants réemplois en psychanalyse et en philosophie. Comme les y invitait le mot (feiticio = chose
fabriquée), les premiers commentateurs n'ont vu dans les fétiches africains qu'une panoplie d'ustensiles
magiques, utilisables à des fins positives ou négatives : pas de religion, mais beaucoup de superstition.
Néanmoins, comme le montre J.-P. Colleyn à propos de l'aire Mandé (Afrique de l'Ouest), les fétiches font
couramment l'objet d'un culte : on leur sacrifie des animaux, on leur offre de la bière, du lait, des céréales...
Bref, ils apparaissent aussi comme des entités divines ou ancestrales. C'est cette ambiguïté même qui, pendant
4
S. f. (Hist. mod.) nom que les peuples de Guinée en Afrique donnent à leurs divinités. Ils ont une fétiche pour toute une province, &
des fétiches particulières pour chaque famille. Cette idole est un arbre, une tête de singe, un oiseau, ou quelque chose de semblable,
suivant leur fantaisie. Dapper, description de l'Afrique. (G)
longtemps, a entretenu l'image du fétichisme comme modèle de confusion entre un objet matériel et une entité
spirituelle.
Document 4 : Walter Benjamin L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, 1935.
« …à l’âge préhistorique la prépondérance absolue de la valeur cultuelle avait fait un instrument
magique de cette œuvre d’art, dont on n’admit que plus tard, en quelque sorte le caractère artistique ».
Document 5 : Freud Trois essais sur la théorie sexuelle, 1905.
L’objet sexuel normal est remplacé par un autre en rapport avec lui et qui n’est nullement approprié au but
sexuel normal. […] Le substitut de l’objet sexuel est généralement une partie du corps peu appropriée à un but
sexuel (les cheveux, les pieds) ou un objet inanimé qui touche de près l’objet aimé et, de préférence, son sexe
(des parties de ses vêtements, son linge). Ces substituts peuvent, en vérité, être comparés au fétiche dans lequel
le sauvage incarne son dieu. […] La transition vers la sexualité normale est dans la surestimation de l’objet
sexuel, qui semble une nécessité psychologique et qui s’empare de tout ce qui est associé à l’objet. C’est
pourquoi un certain degré de fétichisme se retrouve régulièrement dans l’amour normal, surtout pendant la
période amoureuse où le but sexuel ne paraît pas pouvoir être atteint, ou ne peut être satisfait. […]
On touche au cas pathologique à partir du moment où le besoin du fétiche prend une forme de fixité et se
substitue au but normal, ou encore lorsque le fétiche se détache d’une personne déterminée et devient à lui seul
l'objet de la sexualité. Ce sont là les conditions générales dans lesquelles se fait le passage de simples variations
de la pulsion sexuelle à des aberrations pathologiques.
Document 6 : Ferit Orhan PAMUK, Le Musée de l’Innocence, Gallimard, 2006.
Au cours de ces huit ans passés à la table des Keskin, je récupérai 4213 mégots de cigarettes fumées par
Füsun. Chacun de ces mégots - dont l’une des extrémités touchait ses lèvres de rose, entrait dans sa bouche,
s’humidifiait au contact de sa langue comme me l’indiquait parfois l’état du filtre et s’imprimait joliment de la
teinte de son rouge à lèvres – était une chose intime et singulière, recelant le souvenir de moments heureux et
de profondes douleurs.
Document 7 : Mervaud, « Le "ruban de nuit" de la Comtesse » in Revue d’histoire littéraire de la France,
Beaumarchais « Le mariage de Figaro », septembre-octobre, 1984, Armand Colin.
Car ce ruban n'est pas un quelconque élément d'une parure, mais l'unique ruban d'un bonnet. Il a
retenu la chevelure d'une femme qui aime les coiffures soignées, qui fait discipliner deux boucles folles par sa
camériste avant de recevoir Chérubin. Il aurait « touché la peau » de la femme aimée : fantasme plutôt que
réalité, car d'après les gravures de l'époque, les rubans sont toujours posés sur le tissu, qu'il s'agisse des bonnets
ronds pour le négligé ou des bonnets perchés sur de hautes coiffures. C'est son « ruban de nuit», évocateur des
rites de la toilette féminine et d'une intimité interdite. Cet objet reste lié à des idées de négligé et de déshabillé
pour ce « jeune adepte de la nature » qui rôde tout le jour « dans le quartier des femmes », gorgé de friandises, «
échaudés et goûtés à la crème», grisé de jeux, « colin-maillard et main chaude», comme le rappelle Figaro, les
sens éveillés par cette atmosphère de gynécée.
Ce larcin est donc intrusion virile dans le monde de la féminité où il était traité jusqu'alors en enfant Aussi,
lorsque Suzanne veut lui reprendre le ruban, exalté, il déclare qu'on ne l'aura qu'avec sa vie, enhardi par cette
appropriation illégitime, osant enfin oser, il menace même d'embrasser la soubrette. Il sort en quelque sorte de
l'enfance grâce à cette action qui garde une coloration puérile. La double poursuite autour du grand fauteuil,
avec le ruban pour trophée, symbolise cette accession. Mais l'initiation au monde adulte n'aboutit qu'à un
simulacre de possession, à une ombre d'étreinte que marquera à l'acte suivant la découverte par la Comtesse de
son ruban taché de sang enserrant le bras du jeune garçon. Elle autorise un semblant de déclaration lorsque
Chérubin laisse entendre que seul ce ruban aurait le pouvoir de le guérir « en moins de rien » de sa blessure et
de toute blessure réelle ou figurée pour avoir « serré la tête » ou « touché la peau » d'une personne aimée. La
Comtesse, qui ne peut accepter ce signe tangible d'un amour interdit le lui reprend, mais Chérubin s'en
emparera au cours de la dernière scène comme gage et souvenir de leur idylle, tirant « à moitié » son épée pour
défendre son butin.
Document 8 : « L’objet de… Laurent Gaudé », émission réalisée par David Unger, produite par Actes Sud et
diffusée sur Paris Première. https://www.youtube.com/watch?v=0kwmfdKe9gg
Séance 5 : Le pouvoir des objets
Seconde partie : le pouvoir merveilleux des objets, promesses de bonheur et de bien-être.
Supports :
 Marcel Proust Du côté de chez Swann, Grasset, 1913.
 Samuel Beckett, Oh les beaux jours, 1963. http://www.ina.fr/video/CPF86628107.
 André Breton, Le Mur, Reconstitution d’un mur de l’atelier d’André Breton, 42, rue Fontaine, Paris,
où il a vécu et travaillé de 1922 à sa mort en 1966, Centre Pompidou.
 Roland Barthes, Mythologies « le plastique » (6.30 à 7.39), « la nouvelle Citroën » (7.39 à 8.40).
http://www.ina.fr/video/I00016123
 Jean Baudrillard, La Société de consommation, Denoël, 1970.
 Alexandre Lacroix « Les ritueléphoniques » in Philosophie magazine, n°73, octobre 2013
 Publicité Orange « wonderlove » https://www.youtube.com/watch?v=K-Y3hhzUntA.
 Xavier de Jarcy, « L’impression 3D, miracle ou mirage ? », Tout chose, le blog mode et design de
Xavier de Jarcy, 26 Juin 2014.
Document 1 : Proust Du côté de chez Swann, Grasset, 1913.
Extrait 1 « La madeleine »
Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût, c'était celui du petit morceau de madeleine que le
dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui
dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de
tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté ; peut-être parce que,
en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours
de Combray pour se lier à d'autres plus récents ; peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés si longtemps
hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s'était désagrégé ; les formes - et celle aussi du petit coquillage de
pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot - s'étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient
perdu la force d'expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d'un passé ancien rien ne
subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus
immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à
se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque
impalpable, l'édifice immense du souvenir.
Extrait 2
Je trouve très raisonnable la croyance celtique que les âmes de ceux que nous avons perdus sont captives
dans quelque être inférieur, dans une bête, un végétal, une chose inanimée, perdues en effet pour nous jusqu’au
jour, qui pour beaucoup ne vient jamais, où nous nous trouvons passer près de l’arbre, entrer en possession de
l’objet qui est leur prison. Alors elles tressaillent, nous appellent, et sitôt que nous les avons reconnues,
l’enchantement est brisé. Délivrées par nous, elles ont vaincu la mort et reviennent vivre avec nous.
Il en est ainsi de notre passé. C’est peine perdue que nous cherchions à l’évoquer, tous les efforts de notre
intelligence sont inutiles. Il est caché hors de son domaine et de sa portée, en quelque objet matériel (en la
sensation que nous donnerait cet objet matériel), que nous ne soupçonnons pas. Cet objet, il dépend du hasard
que nous le rencontrions avant de mourir, ou que nous ne le rencontrions pas.
Document 2 : Samuel Beckett, Oh les beaux jours, 1963. http://www.ina.fr/video/CPF86628107. 8’55
Document 3 : André Breton, Le Mur, Reconstitution d’un mur de l’atelier d’André Breton, 42, rue
Fontaine, Paris, où il a vécu et travaillé de 1922 à sa mort en 1966, Centre Pompidou.
Cet étalage réunit toutes les catégories désignées pour L'Exposition surréaliste d'objets de 1936 : toiles
et objets surréalistes (LHOOQ de Picabia, Tête de Miro, Picasso, Arp, nature morte du Douanier Rousseau,
Giacometti, Boite en valise de Duchamp), objets naturels (racines, pierres), objets trouvés, objets interprétés,
objets populaires, objets magiques (boule de voyante), objets sauvages ou primitifs, fétiches et masques
précolombiens, africains et océaniens. Le Mur, work in progress, est un assemblage d'objets savamment placés
selon des critères signifiants, reposant sur des lignes de force destinées à dialoguer entre elles.
http://www.insecula.com/salle/MS02355.html
Breton insiste en 1924 sur «l'obligation que je ressens, lorsque j'écris, à me déplacer, m'interrompant au
milieu d'une phrase, comme si j'avais besoin de m'assurer que tel objet dans la pièce est bien à sa place (...) Il
faut que je m'assure de sa réalité, comme on dit, que je prenne contact avec elle».
Document 4 : Roland Barthes, Mythologies, « le plastique » 6.30 à 7.39 + la nouvelle Citroën 7.39 à 8.40.
http://www.ina.fr/video/I00016123
Document 5 : Jean Baudrillard, La Société de consommation, Denoël, 1970.
LE STATUT MIRACULEUX DE LA CONSOMMATION
Les indigènes mélanésiens étaient ravis par les avions qui passaient dans le ciel. Mais jamais ces objets
ne descendaient vers eux. Les Blancs, eux, réussissaient à les capter. Et cela parce qu’ils disposaient au sol, sur
certains espaces, d’objets semblables qui attiraient les avions volants. Sur quoi les indigènes se mirent à
construire un simulacre d’avion avec des branches et des lianes, délimitèrent un terrain qu’ils éclairaient
soigneusement de nuit et se mirent à attendre patiemment que les vrais avions s’y posent.
Sans taxer de primitivisme (et pourquoi pas ?) les chasseurs collecteurs anthropoïdes errant de nos jours
dans la jungle des villes, on pourrait voir là un apologue sur la société de consommation. Le miraculé de la
consommation lui aussi met en place tout un dispositif d’objets simulacres, de signes caractéristiques du
bonheur, et attend ensuite (…) que le bonheur se pose.
Il n’est pas question de voir là un principe d’analyse. Il s’agit simplement de la mentalité consommatrice
privée et collective. Mais à ce niveau assez superficiel, on peut risquer cette comparaison : c’est une pensée
magique qui régit la consommation, c’est une mentalité miraculeuse qui régit la vie quotidienne, c’est une
mentalité de primitifs, au sens où on l’a définie comme fondée sur la croyance en la toute puissance des signes.
L’opulence, l’« affluence » n’est en effet que l’accumulation des signes du bonheur. Les satisfactions que
confèrent les objets eux-mêmes sont l’équivalent des avions simulacres, des modèles réduits des Mélanésiens,
c’est-à-dire le reflet anticipé de la Grande Satisfaction virtuelle, de l’Opulence Totale, de la Jubilation dernière
des miraculés définitifs, dont l’espoir fou alimente la banalité quotidienne. Ces moindres satisfactions ne sont
encore que des pratiques d’exorcisme, des moyens de capter, de conjurer le Bien-Etre total, la Béatitude.
Dans la pratique quotidienne, les bienfaits de la consommation ne sont pas vécus comme résultant d’un
travail ou d’un processus de production, ils sont vécus comme miracle. Il y a certes une différence entre
l’indigène mélanésien et le téléspectateur qui s’assoit devant son récepteur, tourne le bouton et attend que les
images du monde entier descendent vers lui : c’est que les images obéissent généralement, tandis que les avions
ne condescendent jamais à se poser sur injonction magique. Mais ce succès technique ne suffit pas à démontrer
que notre comportement soit d’ordre réel, et celui des indigènes d’ordre imaginaire. Car la même économie
psychique fait que, d’une part, la confiance magique des indigènes n’est jamais détruite (si ça ne marche pas,
c’est qu’on n’a pas fait ce qu’il fallait) et que, d’autre part, le miracle de la T.V. est perpétuellement réalisé sans
cesser d’être un miracle – cela par la grâce de la technique, qui efface pour la conscience du consommateur le
principe même de réalité sociale, le long processus social de production qui mène à la consommation des
images. Si bien que le téléspectateur, comme l’indigène, vit l’appropriation comme une captation sur un mode
d’efficacité miraculeuse. »
Document 6 : Alexandre Lacroix « Les ritueléphoniques » in Philosophie magazine, n°73, octobre 2013.
J’utilise volontiers, dans mon commerce quotidien avec le téléphone portable qui me permet d’entrer en
contact avec les esprits de l’au-delà, des procédures magiques. Par exemple, je le soupçonne d’exhaler, durant
mon sommeil, des vibrations empoisonnées, capables de détraquer à distance les rouages cellulaires de mon
corps : c’est pourquoi j’ai soin de poser l’appareil, qui pourtant se charge de me réveiller et avec lequel je dois
donc partager ma chambre, à quelques mètres du pied de mon lit, afin que ses ondes méphistophéliques ne
m’atteignent pas. J’ai l’impression, ainsi, d’être protégé – ou, tout au moins, de mettre mon cerveau à l’abri des
rayonnements auxquels j’abandonne mes jambes.
L’un des rituels qui m’unit à cet objet magique est celui dans lequel je presse, sur son écran tactile, la
case « Actualiser » de la boîte de réception des messages émis par les esprits lointains : alors je sais qu’il faut
au portable un temps inégal, compris entre cinq et trente secondes, pour faire apparaître la précieuse moisson
d’injonctions, de paroles affectueuses et d’oracles. Chaque fois, durant cette attente, je contemple l’écran
immobile comme l’œil d’un poisson mort, avec une fascination mêlée d’espoir. Souvent, il y a au moins un
mail, ne serait-ce qu’un spam damné. Parfois, c’est le néant. Je crois que ce sont ces petites attentes qui me lient
le plus étroitement à lui.
Mais l’ambiguïté de ma relation avec le téléphone portable est particulièrement manifeste dans mes
démêlés, pour le moins embrouillés, avec les oreillettes et le micro pendouillant au bout de câbles minces que
j’ai la plupart du temps dans mon sac. J’ai conscience, comme je le disais, qu’on ne peut prendre langue avec le
démon sans précaution. Et j’estime, même si rien ne me l’assure sur le plan scientifique, qu’il est préférable de
ne pas poser le petit galet grésillant contre mon oreille elle-même, de peur que par son magnétisme il n’instille
en moi des pathologies. Et pourtant, faute de rigueur, je n’utilise pas systématiquement le dispositif mains
libres: tantôt je l’oublie chez moi ou sur mon bureau, tantôt ses fils s’emmêlent à tel point qu’ils m’en
dissuadent, tantôt encore, je trouve cette mesure préventive peu virile et n’ai pas envie d’édulcorer l’étreinte ni
de louvoyer avec le démon ; je préfère au contraire l’affronter à la loyale, en l’empoignant solidement dans ma
main.
Que conclure de ces ritueléphoniques ? Rien, sinon que je ne me comporte pas avec mon portable
comme s’il était une machine, un simple appareil technologique, et pas non plus comme s’il était un
prolongement de mon corps, une prothèse en voie d’intégration. Ma vie est trop intimement mêlée à sa présence
pour que je n’y voie qu’un pur mécanisme – et je le vis bien trop comme un intrus pour le considérer comme
incorporable. Je dirai que sa fonction correspond à ce que les Aborigènes appelaient leur « animal totem » – il
est l’esprit de la tribu, surplombant et redoutable, dont dépendent l’identité, la récolte et la santé.
Document 7 : Publicité Orange « wonderlove » https://www.youtube.com/watch?v=K-Y3hhzUntA.
En complément : Carte visa publicité : http://www.dailymotion.com/video/x10o7k9_pub-visa-2013hq_creation.
Document 8 : Xavier de Jarcy, « L’impression 3D, miracle ou mirage ? », Tout chose, le blog mode et
design de Xavier de Jarcy, 26 Juin 2014.
C’est la machine de la nouvelle révolution industrielle, celle par laquelle tout le monde peut devenir un
« designer », un « maker », rejoindre un « fablab »5 et s’affranchir des contraintes de la production de masse.
Celle qui va permettre de relocaliser certaines fabrications, et peut-être de recréer des emplois. L’imprimante
3D, tant vantée dans la presse, notamment dans les pages de Télérama et sur ce blog, semble promise à un bel
avenir. On peut presque tout imprimer avec elle : maisons en béton, dauphins en plastique ou gâteaux au
chocolat. Des sites internet proposent déjà des catalogues de babioles, en général hideuses, mais
personnalisables à volonté, telles que coques de smartphone et pendentifs. La Poste elle-même a mis en place
un service d’impression 3D, et le designer Philippe Starck prépare le lancement d’une gamme de mobilier
imprimable à domicile dès que la technologie se sera banalisée.
Mais voici que, dans cette belle unanimité, une voix s’élève pour protester. Celle d’un ingénieur
centralien, Philippe Bihouix, auteur de L’Age des low tech (éd. du Seuil). Que dit ce rabat-joie ? D’abord, que
les imprimantes 3D se contentent de transformer les matériaux sans en produire aucun : le ciment continuera à
5
Un fab lab (contraction de l'anglais fabrication laboratory, « laboratoire de fabrication ») est un lieu ouvert au public où il est mis à
sa disposition toutes sortes d'outils, notamment des machines-outils pilotées par ordinateur, pour la conception et la réalisation
d'objets.
sortir des cimenteries, l’acier des aciéries, le verre des verreries et le plastique des usines chimiques. L’industrie
lourde ne va pas disparaître.
Ensuite, ce spécialiste des ressources minières rappelle que les merveilleuses machines 3D sont
monomatériaux : celles destinées au grand public ne produisent que de petits éléments en plastique. « On n’y
fabriquera ni un clou, ni une vis », car l’impression de pièces en métal nécessite une technologie pour le
moment hors de portée du commun des mortels. De plus, les imprimantes 3D sont monopièces : même en
s’armant de patience, impossible de fabriquer sur la même machine les centaines de composants d’un
smarphone ou les milliers d'éléments d’une voiture. Les chaînes d’assemblage fordistes et leurs armées de
petites mains asiatiques ne sont donc pas près de disparaître, estime Bihouix.
Enfin, nombre de productions sont incompatibles avec la 3D : les textiles, les roulements à billes à haute
performance... Philippe Bihouix, dans son réquisitoire, omet de signaler d’autres problèmes : le temps de
fabrication, qui peut aller jusqu’à plusieurs heures pour une seule pièce et rend l’impression 3D non
compétitive pour les objets bon marché courants, alors qu’une chaise entière sort d’un moule en quelques
secondes ; l’imprécision des modèles 3D grand public, qui fonctionnent par fusion d’un fil de plastique, couche
après couche, ce qui donne des résultats grossiers ; les bugs informatiques, qui entraînent des défauts; et la
solidité des produits, inférieure à celle obtenue par moulage, car le plastique imprimé en 3D est plus poreux.
En guise de bilan, Bihouix affirme que l’impression 3D n’aura que deux applications principales : les
pièces coûteuses pour des industries de pointe comme l’aéronautique, et les gadgets personnalisables pour le
plus grand nombre, « avant que ces objets ne rejoignent dans nos placards et nos décharges les yaourtières et
autres machines à pain ! » Jugement sévère ? Vision pessimiste ? Sans doute, mais son livre, qui démythifie
pas mal d’autres mirages productivistes contemporains, a au moins le mérite de rappeler que la sophistication
de notre société de haute technologie se paie d’une dépendance croissante vis-à-vis de ressources minières,
naturelles et énergétiques de plus en plus rares. S’il n’est finalement pas sûr que l’impression 3D annonce
l'aube d'une nouvelle révolution industrielle, il est en revanche fort nécessaire de construire une économie du
recyclable, du réparable, du démontable, du sobre et du raisonnable. Et là, l'imprimante 3D pourrait peut-être
aider à fabriquer des pièces de rechange ?
Séance 6 : De l’objet d’art à l’art de l’objet, étude d’un détournement
Supports :
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
Introduction : Fernand Léger, Fonctions de la peinture, « A propos du corps humain comme un objet », 1965.
Nicolas de Staël, Calais, 1954, collection privée.
Marcel Duchamp, « A propos des Ready-mades », (1961) in Duchamp du signe. Ecrits, réunis et présentés par
Michel Sanouillet, Paris, Flammarion, coll. Champs, 1975.
Man Ray, Autoportrait, 1963.
Arman et son obsession des objets http://www.ina.fr/video/CPF10005731.
Yann Kersalé, l'Amorce du bleu, 2007.
Elisabeth Couturier, Le design, hier, aujourd’hui, demain, mode d’emploi, 2006, Editions Filipacchi.
Photographies de sacs conçus par Takashi Murakami6 pour Vuitton, collection 2003.
Document 1: Fernand Léger, Fonctions de la peinture, « A propos du corps humain comme un objet »,
1965.
Les impressionnistes ont été les premiers à rejeter la contrainte des grands sujets – et lentement ont
laissé apparaître de l’intérêt pour l’« objet ».
L’objet, dans la peinture moderne actuelle, devait devenir personnage principal et détrôner le sujet. Si
donc à leur tour, le personnage, la figure, le corps humain, deviennent objets, une liberté considérable est
offerte à l’artiste moderne.
Document 2 : Nicolas de Staël, Calais, 1954, collection privée.
Document 3 : Marcel Duchamp, « A propos des Ready-mades », (1961) in Duchamp du signe. Ecrits,
6
Takeshi Murakami (Tokyo, 1962) : Artiste plasticien japonais. Considéré comme le chef de file du néo-pop japonais dit Superflat,
mouvement dont il est l’initiateur. En septembre 2010, son exposition dans les Grands appartements de la Galerie des glaces du
château de Versailles suscite la polémique.
réunis et présentés par Michel Sanouillet, Paris, Flammarion, coll. Champs, 1975.
En 1913 j’eus l’heureuse idée de fixer une roue de bicyclette sur un tabouret de cuisine et de la
regarder tourner.
(...) A New York en 1915 j’achetai dans une quincaillerie une pelle à neige sur laquelle j’écrivis :
« En prévision du bras cassé » (In advance of the broken arm ).
C’est vers cette époque que le mot « ready-made » me vint à l’esprit pour désigner cette forme de
manifestation.
Il est un point que je veux établir très clairement, c’est que le choix de ces ready-mades ne me fut
jamais dicté par quelque délectation esthétique. Ce choix était fondé sur une réaction d’indifférence
visuelle, assortie au même moment à une absence totale de bon ou mauvais goût ... en fait une anesthésie
complète.
Une caractéristique importante : la courte phrase qu’à l’occasion j’inscrivais sur le ready-made.
Cette phrase, au lieu de décrire l’objet comme l’aurait fait un titre, était destinée à emporter l’esprit
du spectateur vers d’autres régions plus verbales. Quelquefois j’ajoutais un détail graphique de
présentation : j’appelais cela pour satisfaire mon penchant pour les allitérations, « ready-made aidé »
(« ready-made aided »).
Une autre fois, voulant souligner l’antinomie fondamentale qui existe entre l’art et les ready-mades,
j’imaginai un « ready-made réciproque » (Reciprocal ready-made) : se servir d’un Rembrandt comme table
à repasser !
Très tôt je me rendis compte du danger qu’il pouvait y avoir à resservir sans discrimination cette
forme d’expression et je décidai de limiter la production des ready-mades à un petit nombre chaque année.
Je m’avisai à cette époque que, pour le spectateur plus encore que pour l’artiste, l’art est une drogue à
accoutumance et je voulais protéger mes ready-mades contre une contamination de ce genre.
Un autre aspect du ready-made est qu’il n’a rien d’unique... La réplique d’un ready-made transmet
le même message ; en fait presque tous les ready-mades existant aujourd’hui ne sont pas des originaux au
sens reçu du terme.
Une dernière remarque pour conclure ce discours d’égomaniaque : comme les tubes de peinture
utilisés par l’artiste sont des produits manufacturés et tout-faits, nous devons conclure que toutes les toiles
du monde sont des ready-mades aidés et des travaux d’assemblage.
Document 4 : Man Ray, Autoportrait, 1963.
[Philippe Soupault, poète et ami de Man Ray7,
ouvre une galerie. La première exposition lui est
consacrée.]
Mon exposition était, bien sûr, l’occasion et le
prétexte qui permettaient au groupe dada de
manifester son hostilité envers l’ordre établi et de
lancer des points aux scissionnistes. Picabia était en
désaccord avec les dadaïstes mais il fut un des
premiers à venir à l’exposition, dans une énorme
Delage. On était en décembre, le froid était vif.
Picabia était enveloppé de tricots et d’écharpes de
laine, mais ne portait pas de chapeau. Il me serra la
main avec une courtoisie tout espagnole et ignora
les autres. Sa présence donnait un certain cachet au
vernissage. La galerie se remplissait ; je m’étonnais
qu’il y eût tant de monde et j’étais plein d’espoir.
Les prix des tableaux avaient été fixés au minimum.
S’ils se vendaient bien, je pourrais débuter. J’avais
fait une nouvelle série de toiles plus insolites que
toutes celles que j’avais peintes auparavant. Une
grande partie de la conversation m’échappait, mais
on me serrait beaucoup la main et je compris qu’on
me faisait des compliments.
Un étrange petit homme, loquace, âgé d’une
cinquantaine d’années, s’approcha de moi et me
Man Ray, Le Cadeau, 1921.
conduisit devant une de mes toiles. Avec sa petite
barbe blanche, son pince-nez à l’ancienne mode,son
chapeau melon, son manteau et son parapluie noirs, il ressemblait à un employé de pompes funèbres ou
d’une banque conservatrice. Les préparatifs du vernissage m’avaient fatigué, la galerie n’était pas chauffée ;
je frissonnai et dis, en anglais, que j’avais froid. Il répondit en anglais, prit mon bras et me conduisit dehors
au café du coin, où il commanda des grogs. Là, il se présenta : Erik Satie, et continua à parler en français. Je
lui dis que je ne comprenais pas. Il me jeta un regard malicieux, amusé, et dit que cela n’avait pas
d’importance. Nous bûmes encore plusieurs grogs. Je commençai à me réchauffer et à me sentir gai. Nous
sortîmes du café, puis nous entrâmes dans un magasin qui étalait, en devanture, des ustensiles de ménage de
toutes sortes. Je remarquai un fer – le genre utilisé sur des poêles à charbon -, demandai à Satie d’entrer, et
avec son aide, j’achetai une boîte de clous de tapissier et un tube de colle. De retour dans la galerie, je collai
une rangée de clous sur le plat du fer ; j’intitulai le tout : Le Cadeau, et l’ajoutai à l’exposition. C’était le
premier objet dadaïste que je fabriquais en France, assez proche cependant des assemblages faits à NewYork. Je voulais inviter mes amis à tirer l’objet au sort, mais dans l’après-midi, il disparut.
Document 5 : Arman et son obsession des objets http://www.ina.fr/video/CPF10005731 (11’47).
Document 6 : Yann Kersalé, l'Amorce du bleu, 2007.
Document 7 : Elisabeth Couturier, Le design, hier, aujourd’hui, demain, mode d’emploi, 2006, Editions
Filipacchi.
Mais que signifie, au juste, le terme « design » employé dans le langage courant pour dire que quelque chose a du
style ? Il qualifie des produits le plus souvent fabriqués en série, conçus et dessinés pour répondre à des objectifs divers.
Lesquels ? Embellir l’environnement quotidien, simplifier la vie des ménagères, façonner l’image d’une marque, lutter
contre la concurrence, relancer un marché, communiquer différemment, provoquer une mode, proposer de nouveaux
comportements.
7
Man Ray (Philadelphie1890- Paris 1976) : peintre, photographe, réalisateur de films, acteur du dadaïsme à New York puis à Paris
où il débarque en juillet 1921 et fréquente les surréalistes.
Accepté par l’Académie française depuis 1971, cet anglicisme est issu du vieux français « desseing ». Il signifie à
la fois « dessin » et « dessein », et, si l’on se réfère à sa lointaine origine latine, « représenter » et « désigner ». Le mot
joue sur ce double sens : donner forme et affirmer une vision des choses. En fait, concrètement, selon le Petit Larousse, le
design est une « discipline visant à la création d’objets, d’environnements, d’œuvres graphiques, etc., à la fois
fonctionnels, esthétiques et conformes aux impératifs d’une production industrielle. » Plus précis encore, le Petit Robert
parle du design comme étant « la conjonction d’une idée esthétique du créateur, d’une réalité industrielle, d’un réseau de
distribution et des goûts d’une clientèle ». Ainsi, le design ne s’arrête pas à l’aspect visuel des choses, il assure la
cohérence entre les impératifs techniques de la fabrication, la structure interne de l’objet et son mode d’utilisation. Lié au
progrès, à l’évolution des mentalités et aux besoins émergents, le design traduit les conditions économiques, sociales,
idéologiques et culturelles propres à une époque. Projetons-nous un instant dix mille ans en avant. Notre civilisation a
disparu et un archéologue venu d’une autre planète découvre dans les ruines d’une des grandes villes occidentales
plusieurs objets ou meubles design. En les observant en détail, il peut dresser une fiche précise de nos mœurs, de nos
usages, de nos goûts, de notre organisation économique et sociale. Et en déduire notre niveau d’industrialisation, nos
avancées scientifiques, nos modes d’échanges, l’utilisation que nous faisons de nos matières premières, l’état de la
recherche appliquée, notamment en ce qui concerne les matériaux. Il pourra comprendre aussi comment s’organisaient les
habitudes domestiques, la vie en ville et au bureau, les loisirs. Il ira jusqu’à imaginer les débats d’idées, et, peut-être, allez
savoir, le moral des ménages ! L’enjeu du design n’est évidemment plus le même que dans les années 1940, marquées par
la reconstruction. Il diffère aussi de celui des années 1960, qui glorifiaient l’avènement de la société de consommation.
Dorénavant, l’acheteur occidental a l’embarras du choix, et la notion d’usage n’est plus prioritaire. Le rôle du design
consiste alors à établir, avec lui, des liens privilégiés : en faisant appel, notamment, à son sens de l’humour, comme pour
le tire-bouchon « Anna G» d’Alessandra Mendini, qui ressemble à une drôle de petite sculpture féminine, ou en jouant
avec sa versatilité, en lui proposant comme c’est le cas avec la Swatch, de changer de montre comme de chemise.
Le design répond alors à des désirs insoupçonnés : combler des manques, entrer en résonance avec une histoire
intime, indiquer une position sociale, un niveau culturel, l’envie de beauté, témoigner d’un intérêt pour les dernières
technologies.
N’est-ce pas ce que soulignait Paul Rand, qui fut l’un des plus grands designers américains, auteur de nombreux
logos célèbres, tels ceux d’UPS, d’abc et du nouveau IBM, quand il affirmait que le but du design revient à « transformer
la prose en poésie » ?
Document 8 : Photographies de sacs conçus par Takashi Murakami pour Vuitton, collection 2003.