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DOSSIER
L’INTRODUCTION EN DROIT FRANÇAIS DES
CLASS ACTIONS
In actualités de droit de la consommation 2005/5
Sous la Direction de Daniel Mainguy, Professeur à la faculté de droit de Montpellier,
Centre du droit de la consommation et du marché (CDCM)
1. –
Après l’annonce, lors de ses vœux aux français, par M. Jacques Chirac, de son
souhait qu’une action de groupe, sur le modèle des Class Actions, soit introduite en droit
français, un groupe de travail a été constitué, le 13 avril dernier, par MM. Perben et Jacob.
Ses missions ont été clairement définies : introduction des actions de groupe en droit
français de nature à « stimuler le dynamise commercial sans le paralyser », comprenant des
réflexions sur les modes alternatifs de règlement des litiges et sur la sanction des recours
abusifs, à travers trois lignes directrices : favoriser l’accès de la justice au plus grand nombre,
simplifier les procédures, afin d’éviter des procédures complexes qui bénéficieraient aux
avocats plus qu’aux justiciables et privilégier le droit civil au droit pénal en matière
économique ce qui participe de la volonté du Gouvernement de dépénaliser le droit des
affaires.
Un rapport doit être remis de façon imminente au Conseil National de la
Consommation fin 2005 afin qu’un projet de loi soit rédigé ; il était prévu pour la fin de
l’année 2005, il sera certainement un peu reporté. Il semble, alors, que deux directions
principales se dégagent, ou bien vers un recours collectif dont seules les associations de
consommateurs seraient titulaires ou bien vers un recours collectif ouvert à tous, une
véritable class action à la française donc.
Dans tous les cas, une étude, de nature à s’ajouter à toutes celles, déjà importantes,
publiées sur ce sujet (1), n’est pas inutile, surtout s’il s’agit de brosser, même et
1
Bibliographie indicative :. B. Le Bars, Introduction en droit français d’une procédure d’action collective :
quand la régulation se fait judiciaire, Bull. Joly, 2005, § 187, p 811; M.-A. Frison-Roche, Les résistances mécaniques du
système juridique français à accueillir la class action : obstacles et compatibilités : Petites affiches, 10 juin 2005, p.22 ; J.-M.
Goldnadel, L’introduction des class actions en droit français, Gaz. Pal. 2005, 24-27 oct. 2005, p. 3 ; M. Lipskier,
Les entreprises peuvent-elles profiter de l’introduction des class actions en droit français ?, JCP éd. E, 2005, 675, D.
nécessairement, à grands traits, le tableau générale permettant l’introduction d’une telle
action. Il ne s’agit pas, alors, de proposer un outil de propagande, pro ou contra, l’introduction
des class actions en droit français, mais simplement de tenter de montrer les éléments de
nature à favoriser, ou à contrecarrer, un tel projet, les difficultés, les obstacles, les moyens de
les surmonter, qu’ils soient juridiques ou culturels, étant entendu qu’il s’agit effectivement de
transposer, en droit français, une technique processuelle issue du droit américain.
Rappelons, en effet, que si le mécanisme de class action se greffe substantiellement sur
une demande de réparation d’un préjudice de masse, et en pratique de préjudice diffus, c’està-dire de faible voire très faibles préjudices mais soufferts par un très grand nombre de
victime, l’action de groupe, ou class action n’influence qu’indirectement, au fond l’action et le
procès en responsabilité. En revanche, une telle action constituerait un bouleversement très
profond des règles de procédure, sur une large échelle, de la procédure civile à, sans doute, la
procédure pénale, particulièrement prégnante de droit français de la responsabilité.
2. –
Le mécanisme de class action ou group action a été traduit en France sous
l’appellation d’action de groupe, permettant à un individu ou à un groupement d’agir au nom
d’un ensemble d’individus inorganisés et inconnus au moment où l’action est engagée. Cette
action de groupe se distingue de l’action individuelle en premier lieu : cette dernière est
classiquement fondée sur l’intérêt à agir du demandeur déterminé contre un défendeur
déterminé dans une instance déterminée. Elle se distingue également de l’action d’intérêt
collectif ayant pour fonction d’assurer en justice la représentation d’un intérêt catégoriel,
celui des consommateurs, des contribuables, des patients, etc, intérêt qui ne se confond ni
avec l’intérêt général ni avec la somme des intérêts particuliers des personnes intégrant cette
catégorie. De même, ce mécanisme de l’action de groupe se distingue des actions visant à
agréger des demandes individuelles identifiées ou identifiables, comme les actions en
représentation, fondées sur la théorie du mandat qu’il soit formel ou tacite.
L’action de groupe se définit comme un système au sein duquel un requérant, un
consommateur ou une organisation de consommateur par exemple, peut demander
réparation en justice au nom d’un groupe, comptant des personnes déterminées ou
indéterminées, qui a subi, du fait d’un même défendeur, des préjudices particuliers – on parle
alors de dommage de masse – ayant une origine commune donnant aux membres de ce
groupe le droit d’obtenir une réparation, le plus souvent, ou bien d’obtenir une injonction en
cessation.
3. –
Le droit français s’inscrirait ainsi, en retenant le modèle de l’action de groupe tel
qu’il est envisagé dans l’annonce faite début 2005, dans une logique déjà empruntée par de
nombreux systèmes étrangers. Citons, bien sûr, les Etats-Unis, qui ont, dans notre ère
moderne, initié le mécanisme depuis 1966 (Federal Rules of Civil Procedure, Rule 23), le Québec,
depuis 1978, suivi par l’Etat de l’Ontario, l’Australie, l’Angleterre mais également s’agissant
de systèmes juridiques romano-germaniques, l’Argentine, la Suède, entre autres, étant
entendu que l’Allemagne projette également de l’introduire. Si l’idée d’une action de groupe
est née dans l’Angleterre du XVIIè siècle, le modèle de la class action est représenté par les
techniques américaines. Dans le système américain, la class action est une action engagée par
une ou plusieurs personnes qui s’estiment membres d’une class dont le nombre est
Mainguy, A propos de l’introduction de la Class Action en droit français, D. 2005, p. 1283 ; H. Temple, « Class
action » et économie de marché, JCP éd. G, 2005, 284 ; S. Guinchard, Une Class action à la française ? D. 2005,
Chr. p. 2180, F. Laroche-Gisserot, in Les class actions devant le juge, rêve ou cauchemar ?, Les petites affiches,
10 juin 2005 ? p. 7 ; P-C. Lafond, in Les class actions devant le juge, rêve ou cauchemar ?, Les petites affiches, 10
juin 2005, p. 11, H. Temple, Class action et économie de marché, JCP éd. E, 2005, Act. 284, p. 992. Adde :
C.Sordet, Vers des « securities class actions » à la française ?, Petites Affiches, n°244, 8 décembre 2003 ; L. Boré, L’action
en représentation conjointe : class action française ou action mort-née ? : D. 1995, chron., p. 267.
1
impossible à déterminer – il peut s’agir de quelques dizaines de personnes ou de plusieurs
milliers voire millions – qui ont subi un préjudice de masse (du fait d’un produit défectueux,
du fait de pratiques anticoncurrentielles, d’un dommage environnemental, sanitaire, etc).
Elles engagent une telle action pour la réparation du dommage subi par elles-mêmes et par
ce groupe, dont tous les membres potentiels font partie, selon la technique dite de l’opt out : il
faut expressément s’exclure du groupe pour y échapper, ce qui impose des mesures de
publicité majeures. Dès lors, le juge saisi est chargé, d’une part de certifier l’action, c’est-àdire de vérifier que l’action est recevable, puis d’instruire le procès, dont le mécanisme
essentiel repose sur la « discovery », technique très efficace mais très longue de production
forcée des pièces par l’adversaire, mais qui s’achève très fréquemment par une transaction.
Modèle ou épouvantail, les américains parlent parfois eux-mêmes de « monstre
Frankenstein », cette technique permet donc à l’ensemble des personnes lésées d’obtenir
réparation.
C’est dans ce cadre qu’une réflexion actuelle sur l’introduction de la class action mérite
toute sa place. L’analyse est contestée, comme un colloque organisé en avril 2005 par le
Medef l’avait montré. L’analyse est également partagée : signalons, par exemple, l’initiative à
l’origine du site classaction.fr qui propose ses services aux avocats ayant vocation à organiser
des actions de groupe et qui met en œuvre une telle action contre des éditeurs de DVD en
raison du vice de certains DVD faisant obstacle à la copie privée de ces derniers par suite à
une décision récente de la Cour d’appel de Paris du 22 avril 2005. Sans doute ne s’agit-il pas
d’action de groupe au sens des class actions américaines ou de celles qui pourraient voir le
jour en France, mais des « actions conjointes » de consommateurs appelés à ses rassembler. Sans
doute également, l’entité qui a été à l’origine de la création de ce site Internet a subi diverses
actions de nature à interdire son activité. Il reste que l’initiative montre que l’intérêt d’une
telle class action n’est, évidemment, pas simplement intellectuelle.
4. –
Dans cette perspective, l’introduction des actions de groupes suppose
d’observer les expériences étrangères (Partie 1) et notamment l’expérience américaine, en
repérant, notamment, les difficultés d’application, les dérives qu’elles ont occasionnées, les
remèdes finalement apportés, etc, de façon, ensuite, à proposer les aménagements propres à
accueillir l’action de groupe en France (Partie 2).
2
PREMIERE PARTIE
ANALYSE COMPAREE DU DROIT EXISTANT
5. –
Le mécanisme de la class action trouve ses racines dans le droit anglais mais c’est
essentiellement le modèle américain, initié dès 1966 sous l’impulsion d’un avocat
volontariste, Ralph Nader, qui constitue le modèle historique de la Class action, modèle à partir
duquel ou contre lequel la plupart des actions de groupe se sont développées à travers le
monde. Il n’est bien évidemment pas possible, matériellement, de recenser l’ensemble des
système existants : ce sont donc les principaux systèmes, plus ou moins approchant de la
technique modèle de la class action, qui sont ici étudiés, à travers, d’une part, les systèmes
juridiques américains anglo-saxons (Chapitre 1) et les systèmes romano-germaniques
(Chapitre 2) plutôt européens, à deux exceptions notables près, celui de l’Angleterre, ici
envisagé en raison de l’éloignement de son système du modèle américain, et du Brésil,
système continentalement américain mais juridiquement européen.
CHAPITRE 1. – LES SYSTEMES JURIDIQUES AMERICAINS « ANGLO-SAXONS »
SECTION 1. – L’EXPÉRIENCE AMÉRICAINE (Federal Rules of Civil Procedure,
Rule 23)
Par Anaïs Guiraud
Master II Recherche, Droit du marché
6. –
Le principe des class actions qui a été introduit en premier lieu dans le droit
américain est un principe assez simple a appréhender puisqu’il vise précisément a simplifier
l’accès à la justice pour des groupes très imposants de personnes ayant subit des préjudices,
préjudice lourd de masse ou bien préjudice diffus parce que très faible mais largement
répandu. Il s’agit, en substance, pour un demandeur de grouper en une seule action tous les
recours qu’il aurait dû exercer contre un même défendeur. C’est un mécanisme en voie de
grande expansion, qui a été adopté dans de nombreux pays anglo-saxons, notamment en
Australie, au Brésil et en Israël et au Canada.
Aux Etats Unis, la class action telle qu’on la connaît aujourd’hui existe depuis 1966, et
elle peut être aussi bien exercée par des associations que par des individus.
Nous effectuerons tout d’abord une description du système américain de class
action (I), avant d’en voir une analyse critique de ce système (II).
I. – description du système américain des class actions
7. –
Dans la description du système américain, il faudra envisager les procédures des
actions collectives (A), et ensuite les gardes fous mis en place pour éviter les débordements
(B).
A. – Les procédures des actions collectives aux Etats-Unis.
8. –
La class action est une action introduite par un représentant pour le compte de
toute une classe de personne ayant des droits identiques ou similaire qui aboutit au prononcé
d’un jugement qui aura force de chose jugée pour toutes les personnes de la classe.
3
C’est en 1938 que la règle 23 de la procédure civile fédérale a introduit la procédure
de class action en droit américain. Elle permet son utilisation aussi bien pour l’obtention de
dommages et intérêts que pour le prononcé d’injonction.
Révisée en 1966, la règle 23 a connu à partir de cette date une importante expansion.
Devant un tel essor, la Cour Suprême des Etats-Unis a rendu deux arrêts qui ont stoppé
cette évolution, à la fois en décidant que l’on ne pouvait pas additionner les montants des
demandes individuelles pour franchir la limite de 10000$, qui est le seuil de compétence
fédérale, et que chacune des demandes individuelles devaient dépasser cette somme pour que
les juridictions fédérales soient compétentes.2 A la suite de ces deux décisions le nombre des
class actions a diminué, mais parallèlement, ces décisions ont incité les états fédéraux a adopter
des procédures de class action similaires à la procédure fédérale.
1. – La recevabilité des class actions.
9. –
La class action étant une procédure qui peut se révéler dangereuse pour les droits
individuels, elle est soumise à une procédure précise pour sa recevabilité.
Toute class action commence par une procédure de certification au cours de
laquelle le juge va vérifier que la class action qui a été introduite remplie bien les conditions
exigées par la règle 23. Le juge possède un fort pouvoir de direction durant la procédure de
class action, il est plus interventionniste que la procédure civile classique.
10. – La règle 23 exige en premier lieu que : « le groupe soit si nombreux que la procédure de
jonction des instances soit impossible ». En effet, si il y peu de personnes à l’action, la procédure
civile classique dite de « jonction des instances » pourra être engagée et la class action perd alors
tout intérêt. Evidement et inversement, la class action ne doit pas contenir un si grand nombre
de personnes quelle en devienne ingérable. Les tribunaux américains sont allés jusqu'à
accepter des class actions de 5 à 16 millions de personnes, mais ils ont refusés des class actions
fondées sur 60 millions de personnes.3
La règle 23 exige ensuite qu’« il existe des points de droit ou de fait communs au groupe ». Le
recours a la class action ne se justifie que si il existe un lien de connexité entre les prétentions
des divers membres du groupes. Les points de faits ou de droit communs au groupe ont été
admis dans de nombreux cas : atteintes aux libertés publiques, illégalité d’un acte
administratif, inexécution contractuelle, atteinte à la vie privée… Cependant, son admission
en matière de dommages de masses causés par une catastrophe technique ou naturelle, ou
dans les contentieux sur des produits défectueux mis sur le marché a été plus difficile. On
aurait pu penser au contraire que la class action présentait de nombreux avantages pour des
préjudices de ce type ou sont généralement concernées de nombreuses personnes. Mais ces
actions sont en général fondées sur l’alinéa b) 3) de la règle 23 qui dispose que « les questions
de droit ou de faits communes aux parties doivent l’emporter sur les questions distinctes » c'est-à-dire que
les points communs l’emportent sur tout autre point concernant individuellement des
membres du groupes.
11. – La règle 23 exige également que « les demandes ou les moyens de défense des
représentants sont typiques des demandes ou des moyens de défense du groupe ». (La class action américaine
peut toutefois être aussi bien engagée en demande qu’en défense, mais celles en demande
sont les plus utilisées. La représentation n’est cependant pas exempte de risques, tout
2
Snyder vs. Harris (United States Supreme Court 1969) et Zhan vs. International Paper Co.(United States Supreme Court ,
1973)
3
Boshes vs. General Motors Corp. ( Northern District Court of Illinois 1983)
4
d’abord d’ordre financier puisqu’il faudra que le représentant prenne à sa charge tous les
frais de procédure. La qualité du représentant sera confirmée par le juge saisi.
Un seul représentant est suffisant, mais il faut qu’il exerce une action une action
identique ou très proche de celle qui serait exercée par les autres membres si ceux-ci avaient
agit de manière individuelle.
De plus la règle 23 exige du juge qu’il vérifie que « les représentants protégeront
équitablement et convenablement les intérêts du groupe ». Les juges américains exigent
souvent à la fois que le demandeur soit un bon représentant et son avocat un professionnel.
Les tribunaux ont jugé que le représentant ne pouvait pas être un plaideur professionnel, ni
avoir des intérêts contraires à ceux des membres du groupe et être capable de payer le coût
de la procédure de la class action. Dans le cas contraire, la class action pourrait être rejetée.
2. – La procédure et le jugement de la class action
12. – Une fois jugée la recevabilité de la class action, le représentant doit informer les
membres du groupe de l’existence de celle-ci, car leurs droits seront définitivement consacrés
ou rejetés lors de la procédure de jugement, qui revêtira l’autorité de la chose jugée à leur
égard.
L’alinéa (c) 2) de la règle 23 dispose ainsi que « le tribunal adresse aux membres du groupe la
notification la mieux adaptée aux circonstances, notamment une notification individuelle à tous les membres
du groupe qu’effort raisonnable permet d’identifier ».
Cette notification est obligatoire dans les class actions fondées sur des demandes en
dommages et intérêts mais, a contrario, on en déduit que dans les class actions fédérales
déclaratoires ou en injonction, elle n’est pas obligatoire. La notification doit informer chaque
membre que le tribunal l’exclura du groupe et que le jugement aura force de chose jugée sur
tous les membres. Etant adressée à des personnes qui n’ont pas de formation juridique, la
notification doit être rédigée le plus clairement possible. En matière fédérale, les membres du
groupe ne peuvent pas en principe s’exclure lorsqu’il s’agit d’une class action déclaratoire ou en
injonction, alors qu’ils le peuvent toujours dans les class actions en réparation4.
Le mode de notification s’effectue par lettre simple, mais il peut résulter un coût énorme
de ce mode de notification si plusieurs millions de personnes sont en cause donc le tribunal
va se fonder sur la nature de condamnation demandée, le coût de la notification,
l’importance des préjudices …
Le représentant peut profiter de la notification pour inclure dans la demande que les
membres du groupe lui adressent une copie des preuves concernant l’affaire et qui sont en
leur possession car le représentant doit réunir les preuves lui permettant de démontrer que la
class action est fondée .
Au cours de la procédure, si le juge s’aperçoit que certaines questions ne pourront pas
être tranchées de façon uniforme pour tout le groupe, il pourra restreindre l’objet de la class
action. Il pourra limiter la class action à la question de l’existence de la faute ou du fait
générateur de responsabilité, ou bien encore diviser le groupe en sous groupes.
13. – La plupart des class actions engagées se terminent par une transaction. La
transaction est très utilisée dans la tradition judiciaire américaine et même en droit pénal.
Dans le cadre des jugements rendus à la suite de class action, la transaction se justifie par
l’ampleur des condamnations encourues ce qui incite le défendeur à transiger, pour autant
qu’il propose des conditions de transaction intéressantes. Le défendeur peut, par exemple
s’obliger à une injonction5, à verser une somme forfaitaire6, à leur distribuer des coupons de
4
5
Sullivan vs. first Massachusetts financial corp. ( Massachusetts judicial court; 1991
Koolauloa Welfare Rights Group vs. Chang (Hawaii Supreme Court , 1982)
5
réduction, et également à payer les frais et honoraires d’avocats du groupe. La contrepartie
exigée consistera évidemment en ce que le groupe renonce à toute poursuite contre le
défendeur fondée sur le même objet. La règle 23 exige la notification de la transaction à tous
les membres du groupe dans les mêmes conditions que celles de la notification de la class
action.
La transaction ne prendra force obligatoire qu’une fois autorisée par le tribunal. Le juge
va jouer un rôle de contrôle des intérêts du groupe, afin de vérifier que le représentant et son
avocat ne concluent la transaction au détriment du groupe. Par exemple, il vérifiera que les
sommes proposées par le défendeur sont normales et non ridicules par rapport au préjudice
causés.
B. - Les « gardes-fous » mis en place pour les actions collectives.
14. – Les garde-fous existent en la matière car la class action est considérée comme une
pratique souvent dangereuse en plus de sa complexité et de sa lourdeur. Notamment, une
importante jurisprudence rendue dans les années 70 visait à restreindre le recours aux class
actions qui avaient fortement augmenté depuis la révision de 1966.
La plupart des gardes fous mis en place résultent de la règle 23. Le tribunal doit
apprécier la recevabilité de la class action, et apprécier la supériorité de cette procédure sur
celles qui pourraient être tentées de manière individuelle. La class action doit être considérée
comme supérieur à toutes les autres formes d’actions en justices. Le tribunal dispose d’un
fort pouvoir d’appréciation ; s’il craint être dépassé par l’importance de la class action, il la
déclarera irrecevable. C’est le critère de l’organisation de la class action qui prime pour les juges
américains.
La question de la légitimité du représentant est elle aussi confiée aux juges, comme on
a put le constater précédemment. Tout est une question d’appréciation par le juge, il n’y a
pas de règle absolue en la matière, même si la procédure semble très encadrée et très fournie,
c’est le juge qui décidera de la recevabilité, puis de la décision de transaction qui feront droit
ou pas à la class action.
II. – Analyse critique des class actions
A. – La question des honoraires des avocats
15. – La première critique qui se présente lorsque l’on parle des class actions est celle
des honoraires des avocats. Bien souvent, ceux-ci sont disproportionnés par rapport aux
sommes perçues par les membres du groupe. Cette critique a souvent été relayée par la
doctrine, notamment par Simon W. dans son ouvrage « Useful tool or engine of
destruction ? » ou l’auteur cite, à titre d’exemple, une affaire Playboy en 1972 ou l’avocat
avait perçu des honoraires de 275000$, alors que les membres du groupe n’avait eu droit qu’à
un crédit de quelque dollars sur les consommations prises dans les clubs Playboy. De
nombreuses critiques soutiennent ainsi que les class action ne profitent qu’aux avocats et pas
aux victimes. En la matière, un contrôle très poussé a été mis en place, qui consiste dans
l’utilisation de la méthode dite de « l’étoile polaire » (Lodestar). Elle est fondée sur l’idée que
dans les class actions, l’avocat doit être rémunéré en fonction du temps qu’il a consacré à
travailler sur l’affaire. Il doit effectuer un compte-rendu précis des heures de travail passées
sur l’affaire : téléphone, bibliothèque, recherches internent … compte-rendu qui sera remis
au juge, qui contrôle les honoraires demandés en fonctions du travail réalisé. En principe, les
6
Inre Agent Orange Product Liability Litigation, 818(Second Circuit Court of Appeals, 1987, versement d’une somme de 180
millions de dollars pour des soldats affecté par l’agent orange Durant la guerre du Vietnam)
6
honoraires de l’avocat seront prélevés sur le montant des dommages et intérêts versés par le
groupe au défendeur. Ce mode d’emploi a été approuvé par la Cour Suprême.7. toutefois,
deux critiques peuvent être formulées à l’encontre de cette solution : elle risque de léser les
membres du groupe qui n’auront pas droit à la réparation intégrale de leur préjudice, et étant
un procédé de contrôle qui demande du temps au tribunal, il va inciter les avocats à allonger
la durée du procès.
B. – La question du préjudice personnel
16. – On critique aussi le fait que les class actions vont à l’encontre du principe selon
lequel on doit, pour agir en justice, se prévaloir d’un préjudice ou d’un dommage personnel.
Les class actions ne vont pas vraiment à l’encontre de ce principe, car les membres du
groupes doivent être reliés par des motifs de droit ou de faits similaires (cf. supra).
Cependant, la question peut se poser dans le cas du représentant. A-t-il réellement un intérêt
pour agir ? Cette question trouve également sa pertinence dans une autre catégorie d’actions
souvent utilisées aux Etats-Unis : les citizens suits. Il s’agit de procédures qui peuvent être
intentées par n’importe quel citoyen, qu’il soit ou non personnellement lésé. Elles sont très
usitées, principalement en matière d’environnement8. Aucun dommage personnel n’est
requis, leur efficacité dépend directement du pouvoir politique en place : si il est à dominante
conservatrice, il aura tendance à réduire la portée de ce genre d’actions.
C. – La question de la force obligatoire de la transaction
17. – Une autre critique que l’ont peut formuler à l’encontre de la class action est que le
jugement rendu ou la transaction a force obligatoire sur tout le groupe. Si l’action
fonctionne, tout le groupe bénéficiera des résultats, mais si elle échoue, tous les membres du
groupe en font les frais. Ils ne pourront plus intenter d’actions à titre individuel pour le
même motif.
D. – La question du pouvoir du juge
18. – Enfin, on peut évidemment critiquer le fort pouvoir de décision du juge à tous
les stades de la procédure qui peut rejeter la class action pour des motifs le concernant, et
point sur le fond de l’action, ce qui serait « une prime à la paresse des juges », qui permettrait
aux moins courageux de s’abriter derrière la règle 23 pour ce débarrasser des actions qui les
gênent, et ne pas s’en soucier.
19. – Pour conclure, on peut dire que la class action américaine est une procédure
originale, qui fait peur aux entreprises (celles-ci ont coutume d’en parler comme d’un
« monstre Frankenstein »), qui se justifie surtout pour des raisons financières (effet de deep pocket
qui en ferait presque un impôt privé) plus que pour des raisons de réparation d’un préjudice,
mais qui semble globalement efficace. Elle multiplie les règles qui tendent à protéger les
droits individuels, même si elle peut aboutir au prononcé de jugements qui auront force de
chose jugée à l’égard de personnes qui peuvent ignorer l’existence même d’un procès.
Elle a cependant été efficacement adoptée au Québec, qui dispose d’un système
juridique qui trouve se fondements dans le droit français.
Il reste que ce mécanisme est critiqué, même aux Etats-Unis. Ainsi, le Sénat américain
a adopté une loi réformant les Class actions le 10 février 2005 (The Class Action Fairness Act)
7
8
Alieska Pipe line Services vs. Wilderness Society,(United States Supreme Court, 1975)
Steel Co. Vs. Citizens for a better environment (Minnesota Court of Appeal, 1998)
7
pour, essentiellement, permettre la transmission d’une telle action à une juridiction fédérale,
considérée comme plus « objective », plus indépendante et sans doute plus professionnelle
(9).
SECTION 2. – L’ALTERNATIVE CANADIENNE (Québec)
Par Anne-Sophie Rainero
Master II Recherche, Droit du marché
20. – Le recours collectif (10)est un moyen de procédure qu’une personne physique
peut utiliser devant la Cour supérieure afin de faire valoir un droit qui lui est propre, mais
également des droits des membres d’un groupe qui lui sont identiques, similaires ou
connexes.
I. – Recevabilité et financement du recours collectif.
21. – La loi sur le recours collectif a été adoptée le 8 juin 1978 par l’Assemblée
nationale du Québec à l’unanimité.
A. – Les conditions de recevabilité du recours collectif.
22. – Comme aux Etats-Unis, une personne ne peut conduire un recours collectif en
tant que représentant d’un groupe qu’après y avoir été autorisée par le juge. L’article 1003 du
Code de procédure civile précise les conditions de cette autorisation : la première condition
tient au fait que « les recours des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques similaires
ou connexes » comme dans la procédure américaine.
La jurisprudence a évolué vers une interprétation plus libérale de cette condition en
précisant qu’il n’est pas nécessaire que toutes les questions de fait ou de droits soulevées
soient identiques (Desmeules c/ Hydro-Québec 1987). Il suffit qu’il en existe un nombre suffisant
pour rendre l’utilisation de la procédure de recours collectif souhaitable. Ainsi, le recours
collectif est recevable dans une affaire de responsabilité où les dommages causés aux
membres du groupe diffèrent dans le quantum mais sont de même nature et sont issus d’une
même cause.(Comité d’environnement de la Baie Inc c/ Société d’électrolyse et de chimie Alcan Ltée
1990).
23. – En deuxième lieu, l’article 1003 du code de procédure civile exige que « les faits
allégués paraissent justifier les conclusions recherchées ». Cette disposition a freiné le développement
des recours collectifs. L’article 847 du code de procédure civile dispose également que « les
faits allégués justifient les conclusions recherchées » ce qui entraîne l’exigence de l’existence d’un
droit fondant l’action. Le législateur, à travers l’article 1003, n’a exigé qu’une preuve atténuée
puisqu’elle ne porte que sur l’apparence d’un droit.
24. – L’article 1003 exige ensuite que « la composition du groupe rend difficile ou peu pratique
l’application des articles 59 ou 67 ». Ces derniers sont relatifs à la jonction des demandes et à
l’action engagée par un mandataire. La Cour supérieure a souligné que ledit article n’exigeait
pas que l’utilisation de ces autres voies procédurales soient impossibles, mais seulement
difficile ou peu pratique (Joyalc/ Elite 1987)
9
Cf. M. Lipskier, Les entreprises peuvent-elles profiter de l’introduction des class actions en droit français, art.
cit. sp. n°9.
10
V. P-C. Lafond, in Les class actions devant le juge, rêve ou cauchemar ?, Les petites affiches, 10 juin 2005, p. 11.
8
25. – Enfin, « le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d’assurer
une représentation adéquate des membres ». Ici, encore le droit québécois s’inspire directement du
droit américain qui exige l’adequacy of representation.
Si le juge rejette la demande d’autorisation du recours, le demandeur peut faire appel
de cette décision. En revanche, s’il l’accueille, le demandeur ne peut pas faire appel depuis
qu’en 1982, le législateur lui a fait perdre cette faculté afin d’éviter un allongement démesuré de la
durée des recours. C’est un exemple de la protection accrue dont bénéficie le groupe au
détriment du défendeur, protection qui a pour but de contrebalancer la supériorité de fait
dont bénéficie en théorie, ce dernier.
B. – Le financement du recours collectif.
26. – Le législateur québécois a crée dès 1978, un Fonds d’aide au recours
collectifs destiné à fournir une aide financière aux personnes qui souhaitent engager de tels
recours, ce qui est original au regard des procédures américaines.
27. – L’article 23 du Titre 2 de la loi sur le recours collectif dispose que pour
déterminer s’il attribue l’aide , le Fonds évalue si sans cette aide le recours collectif peut être
exercé ou continué. Il doit apprécier les ressources financières du requérant ainsi que celles
de son avocat et des membres du groupe qui pourraient participer au financement du
recours. Mais il doit aussi s’interroger sur la complexité du recours pour tenter de prévoir la
longueur du procès et l’importance des fraies qui devront être engagés pour assurer son
succès.
28. – L’article 23 dispose aussi que « le Fonds peut différer l’étude d’une partie de la demande,
refuser l’aide ou l’attribuer, en tout ou en partie ; dans tous les cas, il rend sa décision dans le mois qui suit la
réception de la demande ». Il peut donc ne satisfaire qu’en partie la demande du requérant, mais il
doit toujours statuer dans un délai d’un mois afin de na pas retarder la procédure. En cas
d’urgence, pour éviter une prescription ou la disparition d’une preuve, il peut accorder une
aide temporaire de 1000$. Les deux tiers de l’aide versée servent à payer les honoraires de
l’avocat. Le Fonds refuse en principe de payer un tarif horaire supérieur à 100 $.
Une fois que le recours a été jugé recevable et qu’un financement adéquat a été
obtenu, le juge entame l’examen du fond du droit.
II. – Procédures et jugement du recours collectif.
A. – La procédure du recours collectif.
29. – Comme aux Etats-Unis, et de façon fort logique, dès que sa demande a été
jugée recevable, le représentant du groupe doit tenter d’informer les personnes qu’il
représente de l’existence du litige de leur faculté de s’opposer à cette représentation en
quittant le groupe (article 1006 du code de procédure civile).
Il appartient au juge de fixer le délai pendant lequel les membres doivent faire parvenir
au greffe du tribunal une lettre recommandée indiquant leur volonté d’être exclu du groupe ; ce
délai peut aller de 30 jours à 6 mois (article 1005 du code de procédure civile) La particularité du
recours collectif en droit québécois est que les membres du groupe n’ont pas à s’inscrire de
quelque façon que ce soit pour bénéficier éventuellement des effets du jugement. Une fois ce
délai expiré, l’examen de l’affaire commence au fond. Le juge a un pouvoir de direction de la
procédure très important, pouvoir qui est destiné à veiller à ce que le représentant du groupe
agisse bien dans l’intérêt de celui-ci et non pour son seul intérêt personnel. Comme aux
9
Etats-Unis, le juge a un rôle de gardien du groupe. A tout moment, le tribunal peut redéfinir
les limites du groupe représenté » ou diviser celui-ci en sous-groupes (article 1022). Il peut
aussi retirer au demandeur sa qualité de représentant s’il estime qu’il exerce mal ses fonctions et
désigner un autre représentant parmi les membres du groupe (article 1024) Le tribunal peut
prescrire toute mesure de nature à accélérer la procédure ou à simplifier la preuve si elle ne
porte pas préjudice au groupe (article 1045).
Un aveu fait par le défendeur peut jouer en sa faveur ou en sa défaveur tandis qu’un
aveu fait par le représentant ne peut jouer qu’en faveur du groupe et non en sa défaveur. Le
législateur a voulu éviter les conséquences néfastes de la maladresse du représentant.
Cependant il a ans doute fait un peu trop pencher la balance de la justice en faveur des
demandeurs au détriment des défendeurs. Il est parfaitement logique, en revanche, que le
défendeur ne puisse opposer au représentant que des moyens de défense communs au
groupe, puisque le recours collectif ne porte que sur ces questions communes qui ont été
définies par le juge dans son jugement d’autorisation.
B. – La transaction et le jugement du recours collectif.
30. – Comme aux Etats-Unis, le représentant du groupe ne peut pas transiger sans
obtenir l’autorisation du tribunal qui doit veiller à ce que la transaction profita bien aux
membres, sauf, si, dans cette transaction, le défendeur s’engage à exécuter l’intégralité des
demandes que le représentant du groupe avait présentées au tribunal. Il admet que la
rémunération de l’avocat soit fixée en fonction d’un pourcentage des sommes obtenues et
non en fonction du temps consacré au dossier. Cette rémunération est prélevée sur les
dommages intérêts versés par le défendeur, privant ainsi les victimes d’une partie de leurs
indemnités.
Concernant le recouvrement des dommages intérêts, il existe deux modes de recouvrement :
le recouvrement collectif qui exige du défendeur le versement d’une somme globale, et le
recouvrement individuel dans lequel il ne sera tenu de verser de l’argent que lorsque des
membres du groupe auront démontré la véracité de leurs prétentions individuelles (article
1028).
31. – L’article 1031 dispose que « le tribunal ordonne le recouvrement collectif si la preuve
permet d’établir d’une façon suffisamment exacte le montant total des réclamations des membres ; il détermine
alors le montant dû par le débiteur même si l’identité de chacun des membres ou le montant exact de leur
réclamation n’est pas établi ». Pour établir le montant de ces sommes, le juge peut établir une
moyenne des préjudices subis par chaque membre du groupe et accorder des indemnités
identiques à chacun d’entre eux. Grâce à la souplesse des moyens de calcul qui peuvent être
utilisés, c’est le recouvrement collectif qui a prévalu dans la plupart des cas, conformément à
la volonté du législateur. Une fois, ce montant global calculé, il doit être distribué. Cette
distribution peut être individuelle ou collective.
Le juge choisit la distribution individuelle, le défendeur doit verser l’intégralité des
sommes dues au greffe du tribunal, et les membres du groupe doivent transmettre à celui-ci
le montant de leurs prétentions, si le tribunal n’a pas ordonné le versement d’une indemnité
forfaitaire à chacun d’eux, et les preuves sur lesquelles ils se fondent.
Si le juge choisit la distribution collective, il peut ordonner l’exécution de toute mesure
réparatrice de son choix, comme l’octroi de bons de rabais aux victimes, la réduction
temporaire des prix du défendeur, la diminution du montant du prochain abonnement des
membres du groupe. Le juge peut cumuler une distribution individuelle d’une partie des
sommes et une distribution collective de l’autre partie.
Le jugement peut rejeter les prétentions du représentant du groupe. En cas de rejet,
celui-ci doit rembourser les frais et dépens de son adversaire. Avant 1982, il était aussi
10
soumis à la règle redoutable selon laquelle, lorsque la demande portait sur une somme
supérieure à 100 000$, le demandeur perdant devait verser 1 % de la somme qu’il avait
demandé au défendeur. Mais en 1982, le législateur a introduit dans le code un article 1050-1
qui dispose que la règle de 1% n’est pas applicable aux recours collectifs.
32. – BILAN : seuls 20 recours en moyenne sont engagés chaque année, et le taux de
succès de ces recours n’est pas très élevé puisque 246 recours engagés de 1979 à 1991, 54 ont
atteint le stade du jugement au fond et 12 seulement ont fait l’objet d’un jugement favorable.
C. – Les « garde-fous »
33. – Les aides et les honoraires d’avocat : Les deux tiers de l’aide versée servent à
payer les honoraires de l’avocat. Le Fonds refuse en principe de payer un tarif horaire
supérieur à 100 $.
Le Fonds ne supporte pas seul le poids du financement des recours collectifs. Les
requérants engagent aussi des sommes importantes, souvent aidés par leur avocat et
par certains membres du groupe.
34. – La transaction : le représentant du groupe ne peut pas transiger sans obtenir
l’autorisation du tribunal qui doit veiller à ce que la transaction profita bien aux membres,
sauf, si, dans cette transaction, le défendeur s’engage à exécuter l’intégralité des demandes
que le représentant du groupe avait présentées au tribunal.
D. – La réforme
35. – A compter du 1 janvier 2003, le droit des recours collectifs au Québec est
devenu encore plus favorable aux requérants :
– les intimés perdent le droit d’interroger les requérants ;
– les intimés perdent le droit de présenter une contestation écrite à la requête ;
– les intimés perdent le droit strict de produire une preuve à l’audition de la requête
demandant l’autorisation d’exercer un recours collectif ;
– les « membres » du groupe peuvent désormais appréhender les personnes
physiques, les personnes morales, les sociétés, les associations ;
– de nouveaux droits sont accordés au groupe ;
– les entités juridiques peuvent être représentées.
CHAPITRE 2. – LES SYSTEMES ROMANO-GERMANIQUES
SECTION 1. – LES CLASS ACTIONS EN EUROPE
36. – Le mécanisme de class action ou group action a été traduit en France sous
l’appellation d’action de groupe. Ce mécanisme permet à un individu ou à un groupement
d’agir au nom d’un ensemble d’individus inorganisés et souvent inconnus à l’origine de la
procédure, que l’on retrouve sous des formes différentes, dans bien des pays d’Europe sans
que la réception de ce mécanisme se soit fait à l’identique du système américain. Ainsi,
certains pays ont introduit dans leurs législations des actions de groupes (au sens le plus
large) renvoyant aux mécanismes de l’action de groupe, de l’action multipartiste ou encore de
l’action collective.
11
I. – La Suède
37. – En Suède, le Group Proceeding Act entré en vigueur le 1er janvier 2003 a introduit
une action de groupe équivalente à celle conçue aux Etats-Unis, au Canada et en Australie.
Cette action confère qualité pour agir à trois types de personnes : des personnes physiques,
des personnes morales à but non lucratif et des personnes de droit public habilitées par le
gouvernement.
Auparavant, la Suède avait introduit, en 1991, un premier modèle européen de class
action. Mais celle-ci était limitée aux cas où le National Board of Consumer Claims (NBC) avait
déjà donné son avis dans une affaire-pilote et recommandée l’indemnisation des
consommateurs par le professionnel mis en cause.
En 1993, le Consumer Ombudsman donna au NBC le pouvoir de couvrir les autres
affaires n’ayant pas fait l’objet d’un précédent examiné par le NBC. Cette évolution était
proche du système tel que celui mis en place le 1er janvier 2003, mais il était limité aux cas
pour lequel le NBC était compétent.
II. – La Norvège
38. – La Norvège connaît une réglementation similaire à celui de la Suède. Dans ces
deux pays, l’action de groupe peut être utilisée dans différents cas. Les réglementations ne
prévoient pas de limites.
III. – L’Italie
39. – En Italie, l’action de groupe – « l'azione collettiva » – concerne expressément le
crédit à la consommation, les services bancaires, financiers et assurantiels. Mais cette liste
n’est qu’indicative et tous les contrats liant des consommateurs peuvent être concernés.
Le système italien repose sur l’article 1469 sexies du Code civil italien sur l'action
inhibitoire (introduit par la loi n. 52 de 1966) et de l'article 3, relatif à la légitimation à agir, de
la loi n. 281 de 1998
En réalité, les deux dispositions nationales n'ont pas le même domaine.
L'alinéa 1 de l'article 1469 sexies du Code civil dispose que « les associations représentatives
des consommateurs et des professionnels et les Chambres de commerce peuvent convenir en jugement au
professionnel ou l'association de professionnels qui utilisent des conditions générales de contrat et demander le
juge compétent pour qu'il interdise l'emploie des conditions abusives ».
L'article 3, alinéa 1, de la loi n. 281 de 1998 prévoit que « les associations des consommateurs
et des usagers sont légitimées à agir à tutelle des intérêts collectifs, en demandant au juge compétent d'interdire
les actes et les comportements fautifs des intérêts des consommateurs et des usagers ».
La loi du 30 juillet 1998, no. 281 sur la « discipline des droits des consommateurs et
utilisateurs » (Gazzetta Ufficiale n. 189 du14 août 1998) dispose en son article 3 : Les associations
des consommateurs et des usagers insérés dans la liste d'association dont les conditions sont établies à l'article
5 sont autorisés à agir à tutelle des intérêts collectifs, en demandant au juge compétent : a) d'interdire les actes
et les comportements qui lèsent des intérêts des consommateurs et des usagers ; b) d'adopter les mesures aptes
à corriger ou éliminer les effets nuisibles des violations vérifiées ; c) de commander à la publication de la
mesure sur un ou plusieurs journaux à diffusion nationale ou bien locale dans les cas où la publication de la
mesure peut contribuer à corriger ou éliminer les effets des violations vérifiées ».
Actuellement, un projet de loi no. 3838 et 3839 présenté à la chambre des députés en
mars 2003 propose une réforme de ce texte :
« Art. 1. Additionner à l'article 3, alinéa 1 b. de la loi du 30 juillet 1998, no. 281, les paroles suivantes: y
compris l'indemnisation des dommages et la restitution des sommes dues directement au consommateur ou
utilisateur intéressé, en conséquences des actes illicites pluri offensifs commis par le professionnel ou bien des
12
manquements ou des violations par lui commises dans le cadre de rapport juridique relatifs à des contrats
conclus par la modalité prévue a l'article 1342 du Code Civil qui lèsent les droits d'une pluralité de
consommateurs et utilisateurs ».
Le projet de loi à été approuvé par la chambre des députés (juillet 2004) et est en
discussion au Sénat.
L'action collective est une nouveauté pour l'Italie. Le Code de procédure civile en
vigueur prévoit en effet que – dans les causes promues par des associations – le juge puisse
prononcer une sentence inhibitoire – une injonction qui impose à l'entreprise de cesser le
comportement fautif– mais ne peut décider une indemnisation des dommages. Les
consommateurs doivent donc porter leur action, seul, devant le tribunal compétent.
Dans le cadre du projet de loi, l’action se déroule en 2 phases.
– Dans la première phase de la procédure, entamée par des associations des
consommateurs, le magistrat peut « prononcer condamnation générique au paiement de ce qui est dû,
même à titre d'indemnisation des dommages subis. Avec la sentence de condamnation générique le juge peut
établir le montant dû à chaque consommateur ou usager ou bien les critères sur la base dont devra être
déterminé la mesure du montant à liquider en faveur des individus consommateurs ou des usagers ». Cette
première phase est donc de vérification, évaluation et condamnation « générique ».
– Dans la seconde phase, une fois obtenue la condamnation (ou trouvé un accord
entre les parties), il appartient au consommateur de saisir le juge : il doit présenter un recours
au tribunal compétent et demander l'application de la décision. Si le consommateur est
reconnu comme faisant partie de la catégorie des victimes, l’attribution de l'indemnité lui est
automatique.
IV. – Le Portugal
40. – Au Portugal, la Constitution portugaise prévoit un droit d’action général au
profit de tous (article 52). Ce droit d’action populaire a vu sa mise en œuvre précisée par une
loi du 31 août 1995 (lei 83/95) qui permet d’entreprendre une action pour le compte de
représentés sans mandat ou autorisation expresse (article 14).
L’objectif de cette class action portugaise est de prévenir, corriger et mettre fin à des
pratiques pouvant entraîner l’utilisation de clauses commerciales injustes voire dangereuses
pour la santé. Ou bien de faire cesser des pratiques commerciales expressément interdites
par la loi et de demander de dommages en cas de responsabilité du fait de produits
défectueux.
Tout consommateur directement concerné (ou associations de consommateurs) peut
agir en tant que requérant. Dans certaines class actions, la décision, si elle est favorable au
requérant, lie le groupe en tant que tel et pas seulement les parties au procès.
Cette loi prévoit une phase de recevabilité (article 13), ainsi que la possibilité de sortir
de la classe, le silence du représenté valant acceptation (article 15). Le jugement rendu sur le
fonds lie les membres de la classe qui peuvent demander à bénéficier des dommages et
intérêts alloués dans les trois ans de la décision rendue (article 22).
V. – L’Espagne
41. – En Espagne, la législation concernant l’action de groupe est entrée en vigueur le
7 janvier 2001 (ley 1/2000, de 7 de enero, de Enjuiciamiento Civil). Cette loi donne le droit aux
organisations de consommateurs, à certaines personnes publiques, d’autres organismes de
consommateurs qualifiées ou des personnes physiques ayant un intérêt légal dans l’affaire
d’intenter un procès au nom d’un groupe de consommateurs.
Ce groupe peut consister en un groupe de consommateurs identifiés qui s’est
enregistré lui-même ou bien en un groupe de consommateurs non identifiés mais partageant
13
le même intérêt. Si les consommateurs parties à l’action ont été enregistrés comme tels, le
résultat de l’action dédommagera chacun des membres du groupe.
Cette action est réservée à la défense des intérêts des consommateurs. Elle n’aurait
donc pas de vocation générale. En pratique, cependant, peu de décisions ont été rendues
sous le visa de cette législation.
VI. – Les Pays-Bas
42. – Au Pays-Bas, la législation a aussi retenu l’action de groupe (article 3 :305a du
Code Civil Hollandais) en 1994. Cette action d’intérêt général est une action collective par
laquelle les personnes impliquées ne peuvent voir leurs cas individualisés uniquement si ces
intérêts particuliers présentent un caractère tellement général qu’ils sont susceptibles
d’affecter la vie de très nombreuses personnes.
Cette loi autorise les sociétés, les associations disposant de la « capacité légale » et les
personnes publiques à intenter une action en justice. Ces personnes doivent, conformément
à leurs statuts, s’efforcer de protéger les intérêts concernés ou, dans le cas des personnes
publiques, poursuivre la mission d’intérêt public qui leur a été confiée.
L’objectif des parties à l’action est de trouver un règlement à l’amiable.
Une des caractéristiques de la législation sur les class actions est que la compétence des
organisations intéressées à intenter ce genre d’action n’est pas discutée. Il y a, par
conséquent, un risque que cette action collective représente des personnes qui ne souhaitent
pas être partie à l’action. Afin d’y remédier, le paragraphe 5 de l’article 3 :305a du Code Civil
néerlandais donne la possibilité à des tiers d’avoir compétence pour combattre le résultat de
cette action et ce, en raison, de leurs propres situation.
Conformément à l’article 3 :305a, une organisation compétente peut, en principe,
intenter n’importe quelle action, exception faite des actions en dommages et intérêts. Ainsi,
ces organisations peuvent-elles demander la continuation de l’exécution du contrat, sa
résiliation (ou résolution) ou sa nullité.
Actuellement, une nouvelle loi est en préparation. Elle aurait pour objet d’accroître les
demandes en réparation pour les préjudices importants.
VII. – L’Angleterre
43. – En Angleterre, les actions de groupe sont de deux types.
– Le premier type est constitué des actions multipartistes (multy-party proceedings :
representative and group actions). Une partie représentant d’autres personnes peut agir en justice
en justifiant, non seulement de son intérêt personnel, mais aussi des droits de ceux qui ont
été affectés de façon similaire par l’inexécution des obligations du défendeur.
44. – Cette action en représentation peut prendre trois formes. Tout d’abord, cette
action représentative peut prendre une forme active quand elle intervient en tant que
première demande, puis une forme passive quand le groupe représenté consiste en divers
débiteurs potentiels ou enfin, une forme mixte (active et passive). De ces trois formes, la
plus importante est l’action en représentation active.
La règle 19.6 du Code de Procédure Civil de 1998 (rule 19.6 of the 1998 Civil Procedures
Rules) adopta les solutions dégagées par la Cour Suprême et les Cours de Comté.
Le représentant ne peut utiliser cette action pour formuler une requête que si ces
propres droits sont affectés. La règle 19.6 explique que l’intérêt qui sous-tend la cause de
l’action du représentant doit être le même que celui des parties représentées. En d’autres
termes, ils doivent tous être la victime d’un même préjudice. Il n’est pas nécessaire que les
personnes représentées soient informées de l’intention de mise en œuvre de l’action
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représentative ou soient tenues informées de l’évolution de l’action. De plus, le demandeur
ou le défendeur représentatif est dominus litis, c’est-à-dire que le représentant seul peut
s’entendre à l’amiable sur la requête ou la défense. Cependant, il est possible pour les
membres du groupe de devenir co-défendeurs s’ils ne sont pas satisfaits de la manière dont le
représentant mène l’action.
45. – De même, l’Angleterre a réceptionné l’action de groupe (« group action »). Cette
action est régie par la Section III du Code de Procédure Civile (Civil Procedures Rules,
article 19.0.10 à 19.15), modifié en 2000 (Civil Procedures Rules Part 19, section III et Practice
Direction entitled Group Litigation). L’intérêt de cet amendement est que la Cour détermine un
groupe de prétentions susceptible de faire l’objet d’un contentieux de groupe (« group
litigation »).
Cette procédure nécessite la présence d’un officier de justice (« solicitor ») intervenant
pour une partie à ce contentieux de groupe. Cet officier de justice doit consulter le « Law
Society’s Multy-Party Action Informative Service » lui permettant d’obtenir des informations sur
d’autres affaires susceptibles d’être agglomérées dans une action de groupe. Les différents
officiers de justice formeront un groupe (« Solicitors’ Group »). Ce dernier choisira, en son sein,
un officier de justice qui dirigera la procédure.
Ceux qui veulent rejoindre et tirer avantage de cette action de groupe doivent
s’enregistrer comme parties à une revendication pertinente (objet de l’action de groupe) ou
bien obtenir que leurs requêtes particulières soient judiciairement jointes à l’action de groupe.
C’est une forme d’opt-in. En effet, la partie désireuse de se joindre à cette action de groupe
doit donner son aval pour intégrer l’action de groupe, ce qui la distingue de l’action
représentative.
En février 2001, le service du président de la Chambre des Lords émit un document
(« Representative Claims : Proposed New Procedures ») démontrant l’intérêt des autorités
gouvernementales anglaises de développer ces actions multipartistes.
SECTION 2. – LE SYSTEME BRESILIEN
46. – Le système des actions de groupes brésilien, bien qu’inspiré de l’expérience des
Etats-Unis, est un régime original et adapté aux besoins d’un ordre juridique plutôt fondé sur
une logique romano germanique (civil law), évitant les dérives de la réglementation
américaine, surtout en ce qui concerne l’absence de mécanisme d’opt out, le régime de la
chose jugée et le traitement du fluid recovery.
47. – La matière est essentiellement organisée par la Lei da Ação Popular (1977), Lei de
Ação Civil Publica (1985) et par le Code de Défense du Consommateur (1990). Cet ensemble des
règles est destiné non seulement à la protection collective des consommateurs, mais à toute
sorte d’intérêts transindividuels, tels que la protection de l’environnement, des investisseurs,
des utilisateurs des services publiques, des bénéficiaires de la Sécurité Sociale, etc.
En effet, la législation établit une distinction entre différents intérêts :
– Intérêts diffus : intérêts de nature indivisible dont les titulaires sont liés par des
circonstances de fait. Ex : publicité trompeuse ou mensongère ; mise sur le marché d’un
produit dangereux pour la santé des consommateurs.
– Intérêts collectifs : intérêts de nature indivisible appartenant aux membres d’une classe
liés entre eux ou avec la partie contraire par une relation juridique. Ex : personnes qui
paient un même impôt, ou qui ont signé un même contrat d’assurance, les étudiant d’un
établissement privé d’enseignement, etc, dès lors que les droits concernés sont de nature
indivisible.
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– Intérêts individuels homogènes : ils découlent d’une origine commune (l’équivalent des
class action for damages du droit nord-américain). Ex : dommages causés par un même
produit défectueux qui peuvent être complètement différents parmi victimes.
Les personnes ayant qualité pour agir en défense de ces intérêts sont expressément
établies par la loi, qui autorise les entités suivantes à agir de manière concurrente : le
Ministère Public, l’Union, les Etats-membres, les Mairies, les entités et organes de
l’Administration Public direct et indirect (même posséder la personnalité morale) et les
associations constituées depuis au moins un ans et qui établissent dans leurs buts
institutionnels la défense des intérêts concernés. À ce titre, le système diffère du régime
nord-américain notamment par l’énumération légale des ayant droit à agir, ce qui évite une
appréciation jurisprudentielle cas par cas à propos de la « représentativité adéquate ».
Toutes les espèces d’actions sont admises pour la réalisation d’une tutelle effective des
intérêts protégés : la demande spécifique d’une injonction de faire ou ne pas faire, sa
conversion en dommages intérêts en cas de non accomplissement, demande de réparation,
astreintes, toutes mesures exécutoires et pouvoirs d’enquêtes nécessaires, etc.
En ce qui concerne les frais du procès, la loi précise que l’auteur n’a pas d’obligation
d’avancer aucun coût, frais d’expertise ou quelque autre type de dépense. En revanche, en
cas de rejet de la demande, l’auteur sera condamné au paiement des dépens, honoraires
d’avocat et dommages-intérêts s’il a agit d’une mauvaise fois manifeste.
48. – L’effet de la chose jugé s’impose erga omnes (intérêt diffus) et ultra partis (intérêts
collectifs, limitée au groupe), sauf lorsque le juge rejette la demande à pour insuffisance
probatoire, cas où tous les autres personnes ayant la qualité pour agir peuvent engager une
nouvelle action calquée sur une « preuve nouvelle ».
S’agissant de la défense des droits individuels, le but de la loi est de permettre
d’utilisation de moyens plus puissants que ceux dont disposent individuellement les victimes
pour engager la responsabilité du fautif, comme par exemple la possibilité d’obliger
l’indemnisation de toutes les victimes. Il n’y a pas de mécanisme d’opt-out en raison du régime
particulier de la chose jugée secundum eventum lites (selon le résultat de la demande), qui
présente ses effets uniquement si elle est favorable aux victimes. À ce titre un membre du
groupe peut engager sa propre action individuelle ou demander au juge de surseoir à statuer
et attendre le résultat de l’action de groupe.
Dans la phase de liquidation, chaque victime peut se prévaloir de la décision et
demander ses propres dommages intérêts (qui peut évidemment varier parmi les membres
du groupe). Faute d’un nombre suffisant d’intéressés après un an (par exemple en cas de
dommage diffus), les ayants droit à agir peuvent faire exécuter la décision (fluid recovery), dont
le montant est destiné au Fonds de Réparation des Intérêts Diffus.
Cette législation a influencé l’adoption des règles de class actions parmi divers pays de
l’Amérique Latine (Uruguay, Argentine, par exemple), la loi portugaise et à la formulation
d’un Code Modèle d’Actions Collectives pour l’Amérique du Sud.
16
DEUXIEME PARTIE
ANALYSE PROSPECTIVE DE L’INTRODUCTION D’UNE
CLASS ACTION A LA FRANÇAISE
49. – L’introduction de la Class action, ou action de groupe en droit français, se heurte
à de fortes résistances. Pourtant, des recours collectifs existent déjà en droit français
(Chapitre 1) sans cependant qu’un système ressemblant, de près ou de loin, aux systèmes dits
de class action existe, de sorte que les obstacles traditionnellement observés méritent attention
(Chapitre 2), de manière à ce que, sans ignorer les risques de l’introduction d’une telle action
(Chapitre 3), quelques propositions soient formulées (Chapitre 4).
CHAPITRE1. – LE SYSTEME JURIDIQUE EXISTANT DE RECOURS COLLECTIF (DES
CONSOMMATEURS ET D’AUTRES CATEGORIES SOCIALES)
Par Céline Alcalde, Allocataire-Moniteur
Malo Depincé, Docteur en droit
Caroline Raja, Allocataire-Moniteur
SECTION 1. – LES RECOURS COLLECTIFS DES CONSOMMATEURS
(C. consom., art. L. 421-1 et s., L. 421-6 et s. et L. 422-1 et s.)
50. – Les consommateurs ont été les premiers à bénéficier de ce qui avait pu être
présenté comme un régime de faveur. Ils furent à la fin des années 1970 reconnus comme un
pouvoir économique, voire parfois politique, des plus importants. La loi, dans sa logique
volontariste caractéristique de l’intervention consumériste des années 1970, voulut alors
attribuer à leurs représentants des moyens d’action spécifiques.
Les associations de consommateurs ne jouissent pas toutefois en la matière d’un
pouvoir absolu.
51. – La loi Royer du 27 décembre 1973 permet en premier lieu aux associations de
passer outre l’inertie du Ministère public en cas d’infraction pénale (Loi du 27 décembre
1973 d’orientation du commerce et de l’artisanat, JO du 30 décembre 1973).
Une association ayant pour objet la protection des consommateurs peut, si elle est
agréée, faire valoir en justice les intérêts de ces derniers. Ces associations peuvent « exercer les
droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt
collectif des consommateurs » (C. consom., art. L. 421-1).
Dans cette hypothèse, c’est l’intérêt collectif, et non comme dans la Class Action la
somme d’intérêts particuliers qui ne sont pas tous déterminés, qui est l’objet de l’action.
Celle-ci ne peut cependant être exercée que pour autant qu’une infraction pénale soit
caractérisée, ce qui en pratique limite considérablement son intérêt. Dans le cadre de cette
action dans l’intérêt collectif des consommateurs, l’association agréée peut demander des
dommages et intérêts, la cessation des agissements illicites (C. consom., art. L. 421-2) et
enfin la diffusion du jugement aux frais du professionnel condamné (C. consom., art. L. 4213). La plupart du temps toutefois, les associations de consommateurs n’agissent que par la
voie d’une demande incidente. Après que le Ministère public a engagé l’action pénale, les
associations de consommateurs se joignent à celle-ci pour demander réparation de l’atteinte
à l’intérêt collectif des consommateurs. Elles se voient alors bien souvent allouer un euro
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symbolique de dommages et intérêts en réparation de l’atteinte à l’intérêt collectif des
consommateurs.
52. – Aux termes de l’article L. 421-6 du Code de la consommation, une association
agréée de consommateurs peut également, sans qu’une infraction pénale soit nécessairement
qualifiée, engager une action en cessation de pratiques illicites. Sont visés par cette transposition
d’une directive communautaire (directive 98/27 du 19 mai 1998) la publicité trompeuse, les
contrats négociés en dehors des établissements commerciaux, le crédit à la consommation, la
radiotélévision, les voyages (et vacances ou circuits) à forfait, la publicité sur les
médicaments, les clauses abusives, les immeubles « à temps partagé », les contrats à distance, la
garantie des biens de consommation, le commerce électronique et enfin la commercialisation
à distance de services financiers.
53. – La loi Neiertz du 18 janvier 1992 (JO du 18 janvier 1992) institua également
l’action en représentation conjointe qui regroupe les intérêts de plusieurs consommateurs
personnellement lésés par le fait d’un ou plusieurs professionnels (C. consom., art. L. 422-1).
Cette action n’est cependant que la réunion des intérêts de quelques consommateurs.
Elle n’est pas à l’inverse de la Class Action une action « ouverte ». Dans le système de la
représentation conjointe en effet, ceux qui sont parties à l’action voient leurs intérêts
protégés par la justice, c’est-à-dire ceux qui ont donné mandat à l’association de les
représenter. L’association peut, par voie de presse uniquement, procéder à un appel public
pour obtenir le plus grand nombre de mandats. Seules les personnes ayant donné ce mandat
seront parties à l’instance. Toutes les autres conservent leur droit d’agir seules en justice.
54. – Moins connue est la possibilité pour les associations d’intervenir dans un procès
civil (et uniquement devant une juridiction civile) intenté par un consommateur désireux
d’obtenir réparation de son préjudice (C. consom., art. L. 421-7). Ici l’association n’est pas à
l’initiative de l’action, mais elle peut, tout en appuyant le consommateur dans son action,
demander réparation de l’atteinte à l’intérêt collectif des consommateurs, pour la réparation
d’un dommage collectif, c’est-à-dire parfaitement distinct de la somme, ou d’une partie, des
dommages des consommateurs eux-mêmes : seul le dommage subi par « les
consommateurs » pris de façon générale et abstraite est pris en compte, souvent un euro très
symbolique.
SECTION 2. – LES AUTRES RECOURS COLLECTIFS
55. – Après les consommateurs, d’autres exigences singulières ont requis une
attention toute particulière de la part du législateur. C’est ainsi que sans procéder à une
quelconque refonte du droit, celui-ci a ajouté trois autres hypothèses principales de recours
collectifs.
I. – Les recours des associations œuvrant pour l’environnement
56. – Aux termes de l’article L. 142-2 du Code de l’environnement, « les associations
agréées mentionnées à l’article L. 141-2 peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui
concerne les faits portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu’elles ont pour objet de
défendre et constituant une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de
l’environnement ». Ici encore l’action est limitée aux seules associations agréées, et sous réserve
d’une infraction pénale et nécessite pour que l’association puisse représenter des personnes
physiques un accord écrit de celles-ci. En pratique cependant, les associations de protection
18
de l’environnement n’engagent dans la majorité des cas que des recours devant les
juridictions administratives
II. – Les recours des associations de patients
57. – Le patient est sur le point de devenir un véritable consommateur de soins (11). A
ce titre, la jurisprudence reconnaît déjà depuis longtemps aux associations de
consommateurs le droit de se porter partie civile afin d’obtenir réparation du préjudice causé
lors de la commission d’une infraction médicale (12). Or, s’il ne bénéficie expressément du
statut de « consommateur », le patient dispose de droits individuels et collectifs que la loi du
4 mars 2002 (13) s’est empressée de lui offrir, notamment par le biais de la consécration des
associations de santé. La loi est donc venue légitimer l’acquis jurisprudentiel et répondre à un
besoin de regroupement des victimes autour du dommage, en dotant cette fois ce
« consommateur » particulier d’instances et associations représentatives spécifiques.
L’examen du système tel qu’il existe aujourd’hui mène aux constats suivants : les
associations de santé fonctionnent sur le modèle des associations de consommateurs, mais
leurs actions sont réduites.
A l’instar des associations de consommateurs, les associations de santé doivent faire
preuve de leur représentativité pour recevoir agrément. En effet, investie de l’autorité
publique, seule une entité représentative peut se voir reconnaître le droit d’agir en justice.
L’article L. 1114-1 alinéa 1 du Code de la santé publique fait ainsi désormais écho aux
dispositions de l’article L. 421-1 du Code de la consommation : les « associations, régulièrement
déclarées, ayant une activité dans le domaine de la qualité de la santé et de la prise en charge des malades
peuvent faire l’objet d’un agrément par l’autorité administrative compétente soit au niveau régional, soit au
niveau national ». En outre, seule l’association ayant pour objet la « défense des droits des personnes
malades et des usagers du système de santé » peut recevoir agrément. L’article L. 421-1 du Code de
la consommation, quant à lui, dispose clairement que seule l’association ayant pour objet
statutaire la défense des intérêts des consommateurs sera apte à agir en justice. Agrément et
représentativité sont donc deux éléments fondamentaux que la loi du 4 mars 2002 a repris à
l’actif de ses dispositions. En raison des similitudes existant entre ces deux types
d’associations, le secteur sanitaire semble en passe d’ouverture sur les principes
consuméristes. Dés lors, le patient s’oriente nécessairement vers l’usage d’actions collectives.
Le patient n’est donc pas privé de tout recours, d’autant que l'article L. 1114-2 du
Code de la santé publique donne aux associations de santé agréées, comme c'est le cas
notamment pour les associations agréées de consommateurs ou les associations agréées
oeuvrant pour la protection de l'environnement, la possibilité d'agir en justice pour défendre
les intérêts collectifs des usagers du système de santé (14). Leur fonctionnement se détache
11
A ce sujet notamment : H. Fabre, « Chirurgie esthétique : le patient devient un consommateur averti et responsable » : Gaz.
Pal. 5 octobre 1997, p. 1378 ; A. Laude, « Le consommateur de soins » : D. 2000, chron. p. 415 ; G. Memeteau, « Le
patient consommateur et le professionnel de santé » : Petites affiches, 5 décembre 2002, n° 243, p. 52 ; A. Lamboley, B.
Pitcho et F. Vialla, « Le consumérisme dans le champ sanitaire : un concept dépassé ? », in Liber Amicorum Jean CalaisAuloy, 2004, p. 581 ; B. Pitcho, Le statut juridique du patient : Les Etudes hospitalières, Coll. Thèses, 2004 ; Ch.
Godard, Le patient consommateur de soins : Mémoire DEA Droit du Marché, Concurrence– Consommation, 2004, p.
86 et s.
12
Les personnes avec lesquelles un médecin conclut un contrat médical doivent être considérées comme des
consommateurs ; en cas d’infraction commise dans l’accomplissement d’un tel contrat, une association de
consommateurs peut donc exercer l’action civile pour demander réparation du préjudice, même indirect, causé à
l’intérêt collectif des consommateurs : Cass. Crim., 15 mai 1984 : D. 1985, IR, 401, obs. J. Penneau ; D. 1986,
106, note G. Mémeteau. Cass. Crim., 6 juillet 1994 : Bull. crim. n° 267 ; D. 1994, IR, 201.
13
Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : J.O. du 5
mars 2002.
14
Art. L. 1114-2 du Code de la santé publique : « Lorsque l’action publique a été mise en mouvement par le ministère
publique ou la partie lésée, et sous réserve de l’accord de la victime, les associations agréées au niveau national dans les conditions
19
malgré tout du modèle consumériste. En effet, si les associations de santé peuvent exercer
les droits de la partie civile, action subordonnée à la commission d’une infraction pénale, les
associations de consommateurs sont quant à elles également compétentes pour exiger la
suppression de clauses abusives (15), intervenir dans le cadre de litiges individuels devant les
juridictions civiles (16), et agir dans l’intérêt individuel de plusieurs consommateurs par le
biais de l’action en représentation conjointe (17). La spécificité du secteur de santé repousse
donc aux frontières l’action des associations représentatives des usagers de ce système (18).
III. – Les recours des associations d’actionnaires
58. – L’association d’actionnaires d’une société se voit quant à elle reconnaître le droit
de représenter en justice les actionnaires. Elle peut si elle satisfait à des conditions de
représentativité et de déclaration à la société (C. com., art. L. 225-120) « intenter l’action sociale
en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général. Les demandeurs sont habilités à poursuivre
la réparation de l’entier préjudice subi par la société à laquelle, le cas échéant, les dommages-intérêts sont
alloués » (C. com., art. L. 225-252). Une telle action est toutefois cantonnée aux sociétés dont
les actions sont admises sur un marché réglementé. Une association d’actionnaires peut
également exercer certains droits des associés tels que la demande de fixation d’un ordre du
jour à l’assemblée générale (C. com., art. L. 225-105) ou convoquer celle-ci (C. com., art. L.
225-103), demander en justice la révocation pour juste motif d’un commissaire aux comptes
(C. com., art. L. 225-230), poser par écrit des questions au Président du Conseil
d’administration ou du Directoire (C. com., art. L. 225-231 et L. 225-232).
59. – Il existe également un type d’associations d’actionnaires proche de celles
protectrices de l’environnement ou des consommateurs : elles aussi sont soumises à un
agrément et visent de manière générale à la protection de l’ensemble des investisseurs
mobiliers. Elles peuvent cependant, sans qu’une infraction pénale ne soit nécessairement
caractérisée, engager une action en réparation de l’atteinte à l’intérêt collectif des actionnaires
(plus généralement les investisseurs en valeurs mobilières ou en produits financiers) ou
demander la cessation de l’acte illicite (C. mon. et fin., art. L. 452-1). Une différence
importante avec les associations précédentes est que ces associations peuvent, pour obtenir
mandat des personnes lésées et demander la réparation de leur intérêt personnel, sous
condition d’obtenir l’accord du président de la juridiction saisie, faire un appel public à
mandats. Un mandat écrit est en effet toujours nécessaire pour représenter une victime.
Ces différents types de recours collectifs, si ils sont plus ou moins « calqués » sur le
système censé protéger les consommateurs, n’en conservent pas moins des différences
notables. Ces différences tendent d’ailleurs à compliquer encore la mise en œuvre d’un
prévues à l’article L. 1114-1 peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions prévues par les
articles 221-6, 222-19 et 222-20 du Code pénal ainsi que les infractions prévues par les dispositions du présent code, portant un
préjudice à l’intérêt collectif des usagers du système de santé. »
15
Art. L. 421-6 du Code de la consommation.
16
Art. L. 421-7 du Code de la consommation : ceci lorsque la demande initiale a pour objet la réparation d’un
préjudice subi par un ou plusieurs consommateurs à raison de faits non constitutifs d’infraction pénale.
17
Art. L. 422-1 et s. du Code de la consommation : lorsque plusieurs consommateurs ont subi des préjudices
individuels qui ont été causés par le fait d’un même professionnel et qui ont une origine commune, toute
association agréée, si elle a été mandatée par au moins deux consommateurs, peut agir en réparation devant toute
juridiction. Contrairement à l’exercice des droits de la partie civile, qui permet à l’association de demander
réparation du préjudice porté à l’intérêt collectif, l’action en représentation conjointe a pour objet de réunir les
intérêts individuels en une seule action exercée par l’association. Sur les critiques adressées à ce type d’action, V.
Jean Calais-Auloy et F. Steinmetz, Droit de la consommation, n° 561 : Op.cit. Les auteurs préconisent la création
d’une véritable action de groupe, ou « class action », qui serait exercée par une association agréée.
18
Sur cette spécificité, V. A. Laude, « Les droits collectifs des usagers du système de santé », Petites affiches, 19 juin 2002,
n° 122, p. 23.
20
éventuel recours collectif. Elles ont pour point commun de distinguer intérêt collectif et
intérêt particulier. Pour demander réparation de l’intérêt particulier il leur faut toujours un
mandat écrit de chacune des victimes laquelle, si elle s’y refuse, conserve son droit individuel
d’action. Il s’agit là d’une différence des plus notables avec le mécanisme de la Class Action.
SECTION 3. – PROPOSITIONS ANTERIEURES D’INTRODUCTION D’UNE ACTION DE
GROUPE
60. – La Cour de cassation en 1985 avait rendu un arrêt de principe en cette matière :
« les mots « action civile » contenus au sein de l’action de l’article 46 de la loi Royer (dont est issu
aujourd’hui l’article L. 421-1 du C. consom., cf. supra) ont pour conséquence le fait que l’action en
réparation ne peut que résulter d’un dommage causé par une infraction pénale » (Cass. civ. 1ère 16 janv.
1985, JCP 1985, II, 20484, note J. Calais- Auloy). La portée de cet arrêt était simple : tout le
droit non répressif de la consommation échappait à l’action des associations de
consommateurs !
La Commission de refonte du droit de la consommation (Propositions pour un nouveau
droit de la consommation, La Documentation française 1985) était au contraire partisane d’une
extension de l’action en dehors de toute qualification pénale de l’infraction. Ce projet repris
par le secrétaire d’Etat chargé de la Consommation, M. Arthuis, se heurta cependant au
désaccord de la majorité parlementaire en place.
La loi de 1988 ne fut finalement qu’un compromis ; l’action issue de l’article L. 421-1
du Code la consommation (cf. supra) restait cantonnée au domaine pénal mais d’autres
actions étaient invocables par l’intermédiaire des associations de consommateurs.
En 1992, l’action en représentation conjointe fut introduite en 1992 et les associations
furent autorisées à intervenir dans les litiges individuels des consommateurs (articles L. 421-7
et s. C. consom).
En revanche, l’action de groupe imaginée par la Commission de refonte ne fut jamais
adoptée dans ses termes d’origine.
Cette action de groupe serait exercée par une association de consommateurs dans le
cas où plusieurs consommateurs subiraient des préjudices individuels ayant pour cause un
même fait. Elle n’aurait pas cependant à recevoir de mandat de chacun des consommateurs
lésés. Deux phases successives furent imaginées ; dans la première l’association introduirait
une action contre le professionnel malveillant et en cas de succès une publication du
jugement interviendrait dans le but de fédérer les consommateurs autour de la décision
rendue, et ainsi pouvoir requérir une indemnisation. Ceux qui ne désireraient pas s’associer à
cette action conserveraient le droit d’exercer une action individuelle pour ces faits. Or
l’obstacle de taille opposé à ce projet demeure la règle légale interne selon laquelle nul ne
plaide par procureur !
Reste à savoir ce qu’il sera décidé par le législateur français au regard de plusieurs
paramètres difficilement conciliables : l’exemple américain et ses dérives, le passé législatif et
jurisprudentiel français et nos règles de procédures civiles…
CHAPITRE 2. – LES OBSTACLES JURIDIQUES A L’INTRODUCTION D’UNE CLASS
ACTION (ANALYSE ET TECHNIQUES D’EVITEMENT) ET MOYENS D’Y REMEDIER
Par D. Mainguy, Professeur à la Faculté de droit de Montpellier
Et J.-L. Respaud, maître de conférences à la faculté de droit d’Avignon
61. – Bien des obstacles sont dressés devant l’introduction d’une Class action en droit
français. L’introduction d’un système de Class action inspiré du modèle américain ou d’un
21
autre dans le système juridique pose pour bien des auteurs19, à première vue, des
incompatibilités difficiles à lever.
62. – Il peut s’agit d’obstacles sociologiques, psychologiques et « culturels ».
Ainsi, a-t-on réellement besoins d’intégrer une telle Class Action en droit français ? Ne
procède-t-elle d’un phénomène d’acculturation déjà largement rencontré ? Par ailleurs, une
telle action serait-elle même utilisée, étant entendu que l’action en représentation conjointe,
son ancêtre, n’a jamais été mise en place ?
Un système juridique n’est en effet pas le produit du hasard, mais le fruit d’une
évolution souvent complexe, et tout spécialement s’agissant des institutions judiciaires d’un
pays et du régime du procès qu’il propose. Or, les cultures américaines et françaises se
ressemblent fortement sans doute, mais accusent aussi suffisamment de différences pour
qu’une institution juridique d’un pays ne puisse être automatiquement transposée d’un côté
ou de l’autre de l’Atlantique.
En même temps ces différences sont parfois formelles et les ressemblances peuvent
apparaître en profondeur. C’est qu’on aurait tort d’omettre la forte présence du procès pénal
en droit français de la responsabilité et, plus globalement, la pénalisation croissante de la vie
économique. Ainsi, à l’instar de la formule populaire révélatrice selon laquelle à la moindre
occasion on « porte plainte » mais on n’assigne pas, ou guère, son contradicteur, il n’y a que
très peu de dommages de masse – ici considérés comme des dommages importants, et non
comme des préjudices diffus – qui échappent au procès pénal et ce pour plusieurs raisons
connues : la puissance de la procédure pénale y est pour beaucoup, comparée à la
« faiblesse » de la procédure civile, mais c’est là affaire de spécialistes. Ce sont surtout les
symboles de la justice pénale qui importent : la publicité, l’ambiance, les juges, la menace de
sanctions terribles, même si elles sont finalement, peu risquées, la vindicte populaire, la
fonction d’expiation d’un dirigeant de l’entreprise concernée par un anthropomorphisme
finalement assez régressif, etc. Il n’est que se souvenir des grandes actions en responsabilité
de ce type déjà menées, sang contaminé, hépatites diverses, amiante, maladie de KreutzfelJacob, etc, pour en témoigner et d’observer à l’inverse les quelques très rares actions
simplement menées devant le juge civil où, quand elles sont médiatisées, on entend très
souvent dire des défendeurs, condamnés « simplement » à réparation, que « finalement, ils s’en
sortent plutôt bien ». Si techniquement, le mécanisme est radicalement différent du système de
la Class action convenons que socialement, il en est relativement proche : les sanctions
pénales, très lourdes, sont globalement similaires, à la lourdeur des sanctions civiles
américaines, le caractère systématique, ou presque, de telles actions pénales, n’est pas sans
rappeler, le caractère systématique, ou presque, des Class action américaines. Dès lors, au final,
et si véritablement ces actions sont, globalement, similaires dans leurs effets, force est de
constater le caractère franchement archaïque de notre droit processuel, au regard de la
longue progression du droit de la responsabilité, qui a su distinguer, d’une part, l’action
contre la personne fautive et l’action contre le patrimoine de la personne fautive et, d’autre
part, l’action pénale contre la personne fautive et l’action civile contre la personne fautive. Le
droit américain semble, à cet égard, un droit bien plus évolué, civilisé, que ne l’est le droit
français, encore empêtré dans la confusion entre pénal et civil, entre personne et patrimoine.
Si l’introduction des Class action permettait, enfin, de sortir de cette pénalisation
constante de notre vie économique, ce serait, alors, déjà un beau résultat.
19
C.Sordet, Vers des « securities class actions » à la française ?, Petites Affiches, n°244, 8 décembre 2003, p4 s, dans
lequel il était conclut que « le droit français est trop encadré pour permettre aux class actions sous la forme
existant aux Etats-Unis de se multiplier en France ».
22
63. – D’autres obstacles, techniques cette fois, se dressent. Ils sont d’ordre
constitutionnel et supra légaux s’agissant notamment de la compatibilité d’un futur
système de class action et la CEDH et surtout la question du droit à un procès équitable, où
tout pronostic est difficile à faire tant les décisions de la CEDH sont parfois surprenante.
Il reste que si la question de la compatibilité d’un tel système avec les exigences
constitutionnelles et conventionnelles est essentielle, l’est tout autant celle de la compatibilité
avec les principes du procès civil français. S’agissant, notamment, de la question de savoir
si le mécanisme de l’opt in est préférable à celui de l’opt out, etc.), et s’agissant des obstacles
processuels : le principe selon lequel « nul ne plaide par procureur », la question de l’intérêt à
agir, le droit à un procès équitable, le respect du principe du contradictoire, la relativité de la
chose jugée, la question de la production forcée des pièces, celle de l’audition de témoins
dans un procès civil, etc), qui, seuls, seront traités ici, et encore simplement en surface,
s’agissant des obstacles observés au regard de la procédure elle-même (Section 1) où il
apparaît que le mécanisme de l’« opt out » est compatible avec le droit français dès l’instant
qu’il se fonde sur le principe de l’effectivité de l’accès au juge et que le contentieux concerné
est d’une nature objective. Le caractère relatif de ces obstacles apparaît dès lors (Section 2).
SECTION 1. – OBSTACLES RELATIFS A L’ACTE DE JUGEMENT
Par Jean-David Bénichoux et Youssef Khayat
Master II Recherche, Droit du marché
Doctorants à la faculté de droit de Montpellier (CDCM)
64. – L’article 5 du Code civil pose le principe de prohibition des arrêts de
règlements, c'est-à-dire les arrêts qui ont une portée générale et abstraite. Cet article est mêle
l’objectif politique de protection de la séparation des pouvoirs, et la celui, procédural, selon
lequel nul ne peut voir sa situation juridique affectée par un jugement sans qu’il ait pu au
préalable faire valoir ses arguments dans l’instance.
I. – Le principe d’interdiction pour le juge de faire la loi : la prohibition des arrêts de
règlement (C. civ. Art. 5)
65. – Le principe de prohibition des arrêts de règlements est un obstacle à
l’introduction de la class action dans le système juridique français dans la mesure où la class
action deviendrait, par le rôle qu’elle confère au juge, un instrument d’action politique au
profit des groupes de pressions, contraire à l’article 5 du Code Civil, de valeur supra
législative. En effet, une lecture politique de celui-ci le considère comme la poursuite de la
séparation des pouvoirs scellée dans la loi des 16 et 24 août 1970, dont l’article 12 liait la
prohibition des arrêts de règlement et la solution du référé législatif assurant la suprématie du
législateur jusque dans l’interprétation de la loi, offrant alors une voie de critique d’un tel
mécanisme devant le Conseil constitutionnel. Celui-ci pourrait cependant admettre la Class
action en observant que le jugement obtenu ne concerne que le groupe des personnes
concernées et non pas l’ensemble des sujets de droit, le jugement ne modifiant donc les
règles objectives du système juridique. Mais le Conseil constitutionnel pourrait tout aussi
bien estimer que le jugement, en visant un type de personnes concernées, par exemple une
victime abstraitement décrite d’un comportement dommageable, modifie l’ordonnancement
juridique en ce qu’il sort du cas particulier et empiète sur le pouvoir législatif.
23
II. – Le principe de l’autorité relative de la chose jugée
66. – L’introduction des Class actions dans le système français risque de se heurter au
principe de l’autorité de la chose jugée dans la mesure où pour qu’une personne soit affectée
par un jugement, il faut que celle-ci ait été partie à l’instance. Or, le modèle américain
prévoit, après la première phase judiciaire qui établit la responsabilité de la personne mise en
cause, une deuxième phase consistant à réunir les victimes potentielles averties par publicité,
afin de les faire profiter du jugement rendu à l’issu de la première instance.
Ce principe à pour effet de ne pas permettre à une partie de soumettre une même
affaire contre une même personne devant un autre juge du premier niveau alors que cette
même affaire est déjà soumise à un premier juge sans avoir encore reçue l’autorité de la
chose jugée.
Ce principe est corroboré par le fait que le seul mode de protestation admissible est
l’exercice de voies de recours. En d’autres termes, il prive la partie d’un nouvel exercice du
droit d’action, qui est épuisé dans l’instance. Le droit d’agir devant un juge du premier niveau
demeure intact pour la personne qui n’a pas manifesté sa volonté d’être dans l’instance.
Cette dualité représente les deux faces du principe.
III. – L’incompatibilité de la class action avec la théorie générale du droit
d’action
67. – Le principal obstacle soulevé tient au principe selon lequel « nul ne
plaide par procureur ». Il y aurait ainsi un droit subjectif processuel couplé à un droit
subjectif substantiel fondé sur la notion d’intérêt : comme un droit substantiel est en cause la
victime peut exercer son droit processuel. La qualité pour agir se superpose à l’intérêt à agir.
La CEDH va plus loin en rejetant une action en l’absence de tout droit substantiel pour la
fonder.
Cependant, dans le cas des syndicats (qui ont la qualité pour agir pour défendre
l’intérêt d’autrui) on assiste à une dissociation de l’intérêt (du salarié) et de la qualité (du
syndicat qui agit au nom du salarié). Dans ce cas il est précisé que l’acceptation tacite du
salarié est soumise à la connaissance de l’action du syndicat qui exerce par ailleurs une
fonction de représentation des intérêts du salarié.
Dans les class action « à l’américaine », n’importe quel individu peut « représenter » le
groupe et agir en son nom. Dans ces conditions il n’y a pas d’intérêt à agir au sens où on
l’entend en droit français et la qualité pour agir est la conséquence de la possibilité d’agir sans
intérêt. Cette possibilité d’agir sans avoir un intérêt qui lui soit propre a longtemps été
retenue comme la prérogative du ministère public uniquement. Dans les actions en
représentation conjointe, l’intérêt et qualité à agir sont dissociés, comme pour les syndicats
de salariés. Ces actions ne sont donc pas des class actions « à la française ».
Par ailleurs, en pratique, ce sont les avocats, les grands cabinets d’avocats, qui, aux
Etats-Unis, prennent l’initiative d’une class action. Une telle initiative est possible en droit
interne sous réserve cependant de l’interdiction du démarchage à domicile pour les avocats
(L. 27 nov. 1991, art. 161, al. 2), qu’il faudrait bien alors lever dans le mécanisme des class
actions.
V. – L’incompatibilité avec les principes inhérents au droit de la défense
68. – L’incompatibilité repose sur l’opposition avec le principe processuel imposant
un déroulement contradictoire du procès. L’article 14 NCPC dispose que « Nulle partie ne
peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée ». Or, dans le déroulement d’une class action, le
24
défendeur ne peut pas, a priori, se battre à armes égales avec le demandeur qu’il n’a pas en
face de lui et qu’il ne connaît pas. C’est le principe d’égalité des armes largement promus par les
juridictions européennes 20 Ainsi, ce présenterait le phénomène d’asymétrie déjà connu en
droit québécois des class actions où le représentant de la class action a la possibilité de contester
par voie d’appel l’irrecevabilité de son action alors que le défendeur ne peut contester la
recevabilité de l’action. Or, le principe du contradictoire inscrit dans l’article 6 de la CEDH
impose une certaine symétrie du traitement procédural. Le caractère inéquitable du
mécanisme est encore plus marqué si l’on tire les conséquences de l’absence de connaissance
réciproque des parties à l’instance : en effet le défendeur ne pourra pas se prévaloir d’une
éventuelle cause d’atténuation de responsabilité propre à une victime (la faute de la victime
ayant directement participé à la réalisation du dommage) car le défendeur ne peut la
connaître qu’une fois sa responsabilité établie.
Il y aurait donc une violation caractérisée du principe du respect des droits de la
défense et du principe du contradictoire, tous deux ayant une valeur constitutionnelle.
SECTION 2. – LA RELATIVITE DE L’INCOMPATIBILITE DE LA CLASS ACTION AVEC LE
SYSTEME JURIDIQUE FRANÇAIS
I. – Relativité des obstacles relatifs à l’acte de jugement
69. – Caractère relatif de l’obstacle posé par la prohibition des arrêts de
règlement et de l’autorité de la chose jugée. Ce caractère relatif découle d’une certaine
hypocrisie dans l’affirmation du principe de prohibition des arrêts de règlement face au
phénomène plus global de la jurisprudence et de sa reconnaissance comme source de droit,
qu’il n’est pas possible d’exposer en détail ici.
On ne peut cependant pas nier l’obstacle technique particulier posé par l’article 5 du
Code civil, de sorte que le mécanisme de la Class action devrait, pour y échapper, reposer :
– d’une part sur le principe de l’ « opt in » : il faut un acte positif du justiciable pour être
partie à l’instance et, donc, à l’éventuelle décision de justice qui ne peut qu’être particulière,
même pour un grand nombre de particuliers. Ce faisant le principe selon lequel « nul ne plaide
par procureur » qui n’est d’ailleurs pas absolu, est respecté, dans la mesure où l’on retrouve une
autorisation expresse du justiciable pour être représenté, ce que le mécanisme de l’opt out ne
permet pas ;
– d’autre part sur un mécanisme inverse du système américain, à savoir une première
instance délimitant le champ des personnes concernées, via une publicité à définir, avant la
procédure, « au fond » envisageant la responsabilité du défendeur.
II. – Relativité des obstacles inhérents aux principes procéduraux français
A. – Caractère relatif de l’obstacle de la théorie générale du droit d’action
70. – Le remède réside dans une dissociation légale de l’intérêt et de la qualité pour
agir. L’introduction d’un class action ne pourrait se faire qu’a condition d’introduire dans la loi
une certaine dissociation entre l’intérêt et la qualité pour agir. Pour ce faire, il faut sans doute
s’intéresser à la décision n°89-257 DC du Conseil Constitutionnel du 25 juillet 1989 relative
à la loi sur le licenciement économique21, qui permet à un syndicat d’agir non seulement pour
ses adhérents mais également pour les membres du groupe social qu’il est censé représenter.
20
21
Comp. S. Guinchard, Une class action à la française ?, art. cit. sp. p. 2184.
Voir action des syndicats cf. supra
25
La décision précise alors que la loi, pour être conforme à la Constitution, maintient un
certain degré de liberté au salarié représenté par le syndicat.
On observera surtout que c’est le syndicat qui est reconnu comme légitime pour
représenter le groupe social, par les avocats ni une association. M. Guinchard (22) observe
alors que ce la résulte d’une longue tradition constitutionnaliste française qui tend à bannir
les personnes morales dans le champ des droits de l’homme.
Dans ces conditions, et pour être conforme à la Constitution, une loi introduisant une
« class action » devrait organiser un droit de sortie au bénéfice de toute personne membre
naturel de l’organisation représentative.
Une telle décision condamne donc, comme cela apparaît déjà largement le système
d’opt out et promeut largement le système d’opt in. On pourrait se demander cependant si, au
mécanisme de l’ « opt in », il ne faudrait pas ajouter, un mécanisme, postérieur, d’opt out de
façon à valider pleinement le respect du principe de la liberté individuelle promu dans le
considérant 23 de la décision précitée du Conseil constitutionnel.
B. – Caractère relatif de l’obstacle du principe du contradictoire
71. – Pour contourner ces obstacles, on pourrait envisager la limitation de la class
action aux contentieux objectifs (relatifs aux actes).
En effet, l’asymétrie procédurale plus haut envisagée, ne se pose pas avec la même
acuité pour le contentieux relatif aux actes. Par exemple le recours pour excès de pouvoir
peut s’analyser en une class action : ce qu’obtient le requérant au titre de l’annulation du texte
visé profite également aux autres personnes visées par l’acte l’annulé, sans opt in ni opt out.
En outre dans le cadre du contentieux des contrats-types la class action s’avère très
pertinente quand elle permet d’écarter une clause abusive ou de faire sanctionner la fixation
unilatérale du prix ou pour écarter des clauses constitutives de comportements
anticoncurrentiels.
– Le mécanisme de class action pose davantage de difficultés lorsque le contentieux est
de nature subjective, c'est-à-dire liée a un comportement plus particulier tant du demandeur
et du défendeur, notamment en matière d’actions en dommages et intérêts. Cela justifie des
arguments plus particuliers, c'est-à-dire tenant à leurs personnes mêmes, pour qu’elles
puissent être opposer et entrer dans le débat judiciaire.
Une fois de plus, l’extension du domaine des class actions à des actions en responsabilité
impose les limites plus haut formulées : opt in puis opt out et procédure de certification avant
la procédure d’indemnisation.
CHAPITRE 3. – LES DERIVES PROBABLES ET LES TECHNIQUES PERMETTANT DE LES
EVITER
Par Daniel Mainguy
Professeur à la faculté de droit de Montpellier
72. – Auprès de certains juristes français, l’expression « class action » inspire craintes et
réticences. Il suffit d’ailleurs de rencontrer un juriste américain – un avocat d’un industriel
par exemple pour qu’ils soient immédiatement formulés : montre « Frankenstein »,
phénomène de l’« Ambulance Chasing », effet de « deep pocket », les honoraires des avocats, la
médiatisation négative (« Defearent effect ») et la tendance à la transaction automatique, la
déperdition des dommages et intérêts, la responsabilité de l’introduction d’une instance, etc.
22
S. Guinchard, Une Class action à la française ? préc. Supra, n° 2.
26
73. – Ces inconvénients, ces obstacles renvoient principalement au système américain
d’action de groupe et aux excès qui ont pu être relevés précédemment (cf. partie 1 droit
comparé). Pour autant, bien que ces craintes et dérives soient fondées, la question se pose de
savoir si elles sont insurmontables, auquel cas, le choix du renoncement s’imposerait.
Pour l’instauration d’une class action en droit français, trois phases sont impérativement
à observer. Il paraît inévitable que, dans un premier temps, l’intégralité des victimes ne soit
pas identifiée. Ce n’est que dans une deuxième phase que celles-ci seront recensées. Enfin,
dans un troisième et dernier temps, les membres du groupe identifiés pourront obtenir
indemnisation.
Un tel traitement collectif d’une situation juridique donnée n’est pas inédit. Par
exemple, la Loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation
judiciaires des entreprises posait déjà l’appréhension collective d’un groupe, à l’origine,
indéterminé de créanciers.
74. – A l’heure actuelle, les débats autour d’une « class action à la française » se
cristallisent autour de deux points. D’une part, il est craint que la transposition du principe
rime avec la transposition des dérives mercantilistes propres aux Etats-Unis (Section 1).
D’autre part, la question se pose de la compatibilité de ce type d’action avec les principes
fondamentaux du droit de la responsabilité (Section 2).
SECTION 1. – LES RISQUES DE DERIVES MERCANTILISTES
Par Charles Cogniot
Master II Recherche, Droit du Marché
75. – Afin d’annihiler les éventuels excès constatés aux Etats-Unis (A), il semble
opportun d’utiliser les règles et les structures existantes (B).
I. – Les dérives américaines : les marchands de justice
76. – En France, l’avocat américain spécialisé dans les class actions ont mauvaise presse.
Deux reproches leur sont principalement adressés.
77. – En premier lieu, il s’agit du démarchage : « Ambulance Chasing ». Il n’est pas rare
que, par intérêt pécuniaire, un avocat prenne l’initiative d’inciter des victimes potentielles à
rejoindre la classe de manière à gonfler l’indemnisation globale, donc sa rémunération.
78. – En second lieu, la Class action est souvent perçue comme excessive en raison de
son mode de calcul. En effet, la pratique américaine veut que les avocats passent
régulièrement des conventions de résultat. Or, dans le cadre d’une class action, la somme
globale allouée aux victimes peut atteindre des montants exorbitants et le montant de la
rémunération frise alors l’indécence (Le record serait d’environ 150 000 000 euros). Ceci est
d’autant plus choquant que, une fois le partage entre les victimes effectuées, chacune d’entre
elles peut toucher jusqu’à 1 000 000 de fois moins que son avocat. En même temps, un seul
avocat a conduit l’action, permettant à toutes les victimes d’être indemnisées et le résultat
n’est finalement pas si éloigné de la pratique de création d’une association de victimes par un
avocat de l’une d’entre elles qui devient l’avocat de l’association et conclut une convention
d’honoraires. Seuls les montants alloués choqueraient, alors, mais ils sont indexés sur le
montant des dommages et intérêts, qui n’atteignent les sommets américains.
27
II. – Les réponses données par les règles et structures existantes
A. – Les obligations de l’avocat français.
79. – En France, la profession d’avocat est particulièrement encadrée. Ils sont soumis
à un Code de déontologie rigoureux. Celui-ci leur interdit de procéder à toute publicité. Or, a
pratique de démarchage des victimes est expressément interdite par la loi du 27 novembre
1991 (art. 161 et cf. supra, n° 67). De plus, s’agissant de la rémunération de l’avocat, celle-ci
n’est pas complètement libre. Ainsi, non seulement la déontologie impose une part fixe de
rémunération et interdit la convention de résultat proprement dite, n’admettant que la notion
d’ « honoraire complémentaire », mais le juge peut également intervenir en réduction de ces
honoraires. Sur le fondement de l’article 1134 du Code Civil, la Cour de cassation a admis
que le juge pouvait évaluer le travail fourni afin de réduire le montant des honoraires en cas
d’abus (23). Or, l’initiative d’une class action est très onéreuse de sorte que la question des
honoraires de résultat se posera certainement à nouveau.
Par ailleurs, il est opportun de s’interroger sur le pouvoir d’action du juge dans la
réfaction du contrat. Celui-ci s’exerce-t-il sur le mode de calcul ou sur le montant de la
rémunération ? Dans le cadre d’une action de groupe, cette question s’avèrerait
déterminante. En effet, si le caractère excessif s’apprécie dès la conclusion du contrat, l’excès
sera plus difficilement caractérisable. En revanche, si l’excès peut également s’apprécier une
fois la rémunération totale fixée, ce contrôle judiciaire se révèlerait beaucoup plus efficace.
B. – Les structures représentatives de groupes.
80. – En droit positif, il existe de nombreux domaines dans lesquels est organisée la
représentation d’un groupe. Ainsi, en droit de la consommation, les associations de
consommateurs agréées pourraient être associées à une action collective intentée par un
groupe de consommateurs.
C’est ce que propose notamment le Professeur Jean Calais-Auloy qui envisage de
confier le monopole des actions de groupe aux seules associations de consommateurs, qui
seraient désintéressées, limitant alors le risque de dérive mercantiliste. Au surplus ces
associations étant agréées, l’administration pourra le cas échéant opéré un contrôle
déontologique préalable.
Enfin, de manière à convaincre les plus sceptiques, il pourrait être institué une
procédure administrative de retrait d’agrément quand il est avéré que l’association a abusé de
son droit de représentation ou de son droit d’action. Si l’on poursuit le parallèle avec le droit
des procédures collectives, l’association de consommateur jouerait le rôle du représentant
des créanciers.
On perçoit légitimement que l’introduction d’un intermédiaire entre le groupe et
l’avocat réduit à néant les risques de transpositions des excès américains.
Il convient de noter que ces considérations ne se limitent pas au droit de la
consommation. Ainsi, d’une part, dans d’autres domaines, il existe également des institutions
représentatives (ex : syndicat professionnel et association d’entreprises). D’autre part, il est
fort probable que dans les secteurs où celles-ci n’existent pas, l’introduction d’une action de
groupe contribuerait à les développer.
La pratique des « avocats-commerçants », même sans réserver l’action de groupe aux
seules associations de consommateurs agréées, parait donc très incertaine. Plus important
parait l’enjeu au regard du droit de la responsabilité civile.
23
Civ 1ère, 3 mars 1998, Bull. civ. I n° 85.
28
SECTION 2. – LES RISQUES DE BOULEVERSEMENT DE PRINCIPES FONDAMENTAUX
DE DROIT FRANÇAIS.
Par Vincent Cadoret
Master II Recherche, Droit du Marché
81. – Le succès des class actions aux Etats-Unis s’explique tant par la finalité répressive
de la responsabilité civile (I) que par la spécificité de leur système procédural (II).
I. – Les principes de responsabilité : la crainte française des « punitive
damages ».
82. – La responsabilité civile peut être appréhendée sous deux angles, rapidement
présentés ici. Elle peut consister à réparer le dommage subi mais aussi, elle peut avoir pour
objet de sanctionner l’auteur de la faute ou de voir cesser un comportement.
A. – Les Punitive Damages sont-ils souhaitables ?
83. – Les Etats-Unis privilégient la finalité répressive, sanctionnatrice de l’action de
responsabilité.
Ce sont ces fameux « punitive damages » et « treble damages » qui effraient tant de juristes
français. Aussi, ceux-ci se demandent si l’introduction en droit français d’une action de
groupe n’aurait pas pour conséquence automatique l’apparition d’une responsabilité punitive,
crainte qui ne semble pas justifiée.
Il faudrait cependant démontrer en quoi l’introduction de « punitive damages » est si
horrible que cela ne pourrait être institué, pour autant que ce ne soit pas urgemment
souhaitable au contraire comme Mme Clothilde Grare l’a magistralement démontré (24),
montrant que la fonction de réparation de la responsabilité civile n’exclut en rien, dans une
logique de rénovation des principes du droit de la responsabilité civile d’une fonction
d’expiation, dont les « punitive damages » seraient l’outil.
Or, nous avons déjà observé que cette fonction d’expiation était, en France, largement
assumée par le procès pénal, ce qui n’est guère de nature à porter au crédit de la Justice
française.
B. – Les Punitive Damages existent en droit français
84. – Par ailleurs, des formes alternatives de « punitive damages » existent en droit
français, par exemple l’action en responsabilité engagée dans l’intérêt commun des
consommateurs. Cet intérêt n’a jamais été défini de manière positive en droit français. Il ne
s’agit ni de l’intérêt général, ni de la somme des intérêts particuliers des consommateurs. Ce
fameux intérêt collectif se situe entre les deux. Cependant, ces considérations n’emportent
pas conviction car elles n’éclairent personne sur ce qu’est concrètement l’intérêt collectif des
consommateurs. Dès lors, à supposer qu’il existe, comment mesurer l’atteinte à cet intérêt ?
Par un « tour de passe-passe théorique », la jurisprudence présuppose que, plus la faute commise
est grave, plus l’atteinte à l’intérêt collectif des consommateurs est importante. En pratique,
cela revient à calculer le montant de l’indemnité en fonction de la gravité de la faute
commise. Cette « pirouette » rhétorique ne trompera donc personne ; il s’agit de « punitive
damages », comme le souligne le Professeur Jean Calais-Auloy. Par ailleurs, adapté à la
24
C. Grare, Recherches sur la cohérence de la responsabilité délictuelle, l’influence des fondements de la responsabilité sur la
réparation, Th. Paris II, 2003.
29
problématique de la class action, ce système se révèlerait particulièrement propice au cas du
dommage diffus. En effet, par hypothèse, le préjudice ressenti par chaque consommateur est
si minime que l’indemnisation devient inutile. Pour autant, il est choquant que le
professionnel génère du profit de cette manière. Une responsabilité civile à finalité répressive
– c’est-à-dire expiatoire – apparaît donc fort opportune.
Par conséquent, il pourrait être opportun de dissocier le cas du préjudice diffus et de le
réserver à l’exercice d’action en responsabilité dans l’intérêt collectif des consommateurs
(punitive damages à la française) ; ou alors il faut admettre que, étant donné que les punitive
damages existent déjà en droit français, ce ne sont pas les Class actions qui seront leur cheval de
Troie, et admettre que le préjudice diffus puisse être réparé par une Class action.
C. – Faut-il instaurer les Punitive Damages ?
85. – En outre, en cas de préjudice de masse, l’introduction de punitive damages peut
paraître inutile et inadaptée. En effet, la combinaison des projets de 1985 et de 1994, des
propositions du Professeur Jean Calais-Auloy aussi et de la loi du 25 janvier 1985 sur les
procédures collectives peuvent suffire à convaincre qu’un système de responsabilité
réparatrice est possible. En outre, elle peut paraître inadaptée dans la logique étroite des
principes de la responsabilité civile française, en ce que la responsabilité à finalité réparatrice
aurait l’avantage de la cohérence. Ainsi, le droit français de la responsabilité civile ne pourrait
conserver sa nécessaire intégrité que si le projet d’action de groupe privilégie la fonction
réparatrice. Par exemple, une faute légère peut causer un préjudice lourd et la victime ne
serait pas indemnisée à hauteur du dommage, en application des punitive damages, en
admettant que cette technique puisse conduire à réduire l’indemnité normalement due. A
l’inverse, une faute lourde peut ne causer qu’un préjudice léger, notamment parce que
l’auteur de la faute s’est efforcé de minimiser le dommage. La responsabilité punitive
conduirait à indemniser la victime dans une mesure plus importante que le préjudice réel. La
responsabilité civile deviendrait donc une source de profit et les dérives mercantilistes
seraient de nouveau perceptibles.
Cependant, une considération plus globale du système de responsabilité français
impose d’y intégrer également les mécanismes de responsabilité pénale. Or, la peine, pénale,
a une indéniable fonction expiatoire, sanctionnatrice, disproportionnée au regard des enjeux
pris en terme de réparation d’un préjudice de masse. Or, un droit civil véritablement
moderne sans doute dissocier davantage encore les mécanismes de responsabilité pénale et
civile. La fonction expiatoire du procès en réparation du préjudice de masse conduit, dans
cette logique à retenir les Punitive Damages comme alternative moderne de la peine pénale.
Il ne suffirait alors d’admettre le principe des Punitive Damages mais d’écarter la
tentation du recours au juge pénal. Il faudrait alors que le juge civil de l’action de groupe, qui
pourrait être un juge spécial, dispose de moyens procéduraux aussi puissants que ceux du
juge pénal. D’une justice civile fondamentalement accusatoire, la justice civile de la
réparation des préjudices de masse deviendrait alors plus inquisitoire, faute de quoi, Punitive
Damages ou pas, le recours au juge pénal, via l’instruction, même épouvantablement longue,
demeurerait la pratique en la matière.
II. – Les principes procéduraux : le jury populaire ?
86. – Le mécanisme de la class action n’est pas absolument indissociable du système
procédural de jury populaire. Bon nombre de pays ont un mécanisme d’action de groupe
sans pour autant avoir transposé un jury populaire (cf. droit comparé). Toutefois, la question
mérite d’être posée à cause de l’influence du jury sur le succès de class action.
30
A. – Le système de jury populaire.
87. – On ne peut observer mécanisme juridique américain en le dissociant du système
américain, de ses traditions, de ses pratiques, de sa culture, même de façon très rapide, pas
davantage que l’explication de mécanismes typiquement français ne pourrait s’expliquer en
eux-mêmes, simplement de façon technique. Aux Etats-Unis, le jury populaire dispose d’un
statut quasi sacré. Il a trouvé sa place à la fois dans la Constitution et dans le Bill of Rights qui
lui est adossée. Il s’agit de l’expression du principe d’autodétermination. En effet, aux EtatsUnis, la participation populaire ne peut se limiter au droit de vote. Les américains se méfient
du concept virtuel de volonté générale de peur de voir la démocratie leur échapper. Dès lors,
la participation populaire doit se manifester dans le cadre de chacun des trois pouvoirs, dont
le pouvoir judiciaire. C’est ainsi que des magistrats sont élus au suffrage universel et que le
système de jury populaire est généralisé. En outre les Etats-Unis dispose d’un système
juridique issu de la tradition de Common Law. Le jury populaire est donc une expression de la
démocratie en matière de création du droit. Il s’agit du principe de consentement préalable
du peuple aux règles qui lui sont applicables.
En matière de class action le jury populaire apparaît comme un facteur de réussite de
l’action du groupe. En effet, non seulement le jury peut statuer en équité, mais encore il n’est
pas tenu de motiver sa décision. Or, la prise en compte d’arguments politiques sociaux et
moraux (dans une autre tradition issue du puritanisme américain) est forcément plus
favorable au groupe qu’aux professionnels. Enfin on peut constater un effet « boule de
neige ». Plus les class actions aboutissent à une condamnation du professionnel, plus de
nouvelles class actions sont intentées.
Ainsi, même si le jury populaire n’est pas impérieusement nécessaire, il participe
grandement au succès des actions de groupe. Il convient donc de se demander si il ne
faudrait pas introduire un jury populaire en matière civile en même temps que une class
action à la française.
B. – Les obstacles à l’introduction du jury populaire.
88. – Les obstacles à l’instauration d’un jury populaire sont d’abord d’ordre
philosophique. En effet la France conçoit, dans une conception très rousseauiste, la
participation populaire au stade de la composition des organes politiques. Cette participation
permet de dégager la volonté générale qui innerve tout notre ordre juridique. Dès lors, tout
autre participation populaire n’est plus nécessaire.
En effet, même si elle est aujourd’hui bousculée, la tradition légicentriste est tenace. La
loi étant toujours considérée comme la source première et absolue, reléguant la jurisprudence
au rang d’ « autorité » au mépris de l’évidence quotidienne), chaque citoyen est présumé avoir
préalablement consenti à toute règle obligatoire en ayant participé à la composition des
assemblées parlementaires. En outre, il parait impossible d’introduire un jury populaire au
sein d’une juridiction comme le Tribunal de Grande Instance.
Il faudrait donc créer une juridiction spéciale qui ne traiterait que les actions de
groupe. Dès lors on peut se demander si cela ne distendrait pas le lien entre l’action de
groupe et le droit de la responsabilité civile.
89. – Des obstacles d’ordre juridique, ensuite, se dressent. Le jury populaire
pouvant statuer en équité et n’étant pas tenu de motiver sa décision, la Cour de cassation
serait dans l’impossibilité d’opérer son contrôle. Il existe donc un risque d’incohérence de la
jurisprudence. De plus se pose la question de l’impartialité du jury populaire. En effet, au
début de la procédure, le groupe de victimes est indéterminé. On ne peut donc avoir la
31
certitude qu’un membre du jury ne devienne par la suite un membre du groupe de victimes.
Cette personne serait donc à la fois juge et partie et il y aurait contradiction avec l’article 6§1
CEDH. Les mécanismes de récusation et de désistement pourront limiter ce risque mais ne
peuvent permettre aucune certitude. La question est donc de savoir comment réagirait la
CEDH.
En effet, la problématique est différente de celle de la Cour d’assises car, devant cette
dernière, les victimes sont identifiées avant la désignation des jurés. On observera au passage
que les décisions de Cour d’assises ne sont pas motivées en droit sans que cela empêche une
bonne administration de la justice criminelle. Le jury populaire n’est donc ni indispensable à
la class action, ni absolument impossible à introduire en droit interne. Il s’agit d’une question
de choix politique.
CHAPITRE 4. – LE DOMAINE PERTINENT D’INTRODUCTION D’UNE CLASS ACTION
90. – La question de la détermination du domaine des Class action est également
difficile à résoudre.
La Pr. J. Calais-Auloy, dans les projets de loi relatifs à l’introduction d’une action de
groupe limitait ces actions aux seuls préjudices subis par un consommateur dans ses relations
avec un professionnel.
Il est exact que là réside sans doute le domaine efficace des actions de groupe, mais on
sent, instinctivement, que s’il faut introduire les actions de groupe, on voit mal comment ce
domaine ne serait pas difficile
CHAPITRE 5. – PROPOSITIONS
SECTION 1– RENFORCEMENT DE L’ACTION EN REPRESENTATION CONJOINTE
Par Elodie BRAUD
DEA Concurrence et Consommation
Master II Professionnel, Droit des Contentieux
91. – Le Professeur Jean Calais-Auloy, dans ses projets de loi relatifs à l’introduction
d’une action de groupe, limitait cette action aux seuls préjudices subis par un consommateur
dans ses relations avec un professionnel.
Il est exact que là réside sans doute le domaine efficace des actions de groupe, mais on
sent instinctivement que s’il faut introduire les actions de groupe, on voit mal comment ce
domaine ne serait pas difficile.
En vue de la défense des intérêts collectifs des consommateurs, le législateur français a
opté pour un système reposant sur la base d’associations agréées, auxquelles se consacre le
Livre quatrième du Code de la consommation. L’agrément de ces associations est soumis à
certaines conditions définies par voie réglementaire, notamment leur représentativité sur le
plan national ou local.
Il est accordé pour cinq ans, par arrêté conjoint du ministre chargé de la
consommation et du garde des sceaux ou par arrêté du préfet du département dans lequel
l’association a son siège social selon le cas. Dès lors, l’article L. 421-1, alinéa premier, du
Code de la consommation prévoit que « les associations régulièrement déclarées ayant pour objet
statutaire explicite la défense des intérêts des consommateurs peuvent, si elles ont été agréées à cette fin, exercer
les droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt
collectif des consommateurs ». L’article L. 421-2 du même Code précise qu’elles « peuvent demander à
la juridiction civile, statuant sur l’action civile, ou à la juridiction répressive, statuant sur l’action civile,
32
d’ordonner au défenseur ou au prévenu, le cas échéant sous astreinte, toute mesure destinée à faire cesser des
agissements illicites ou à supprimer dans le contrat ou le type de contrat proposé aux consommateurs une
clause illicite ». L’article L. 421-7 ajoute qu’elles « peuvent intervenir devant les juridictions civiles et
demander notamment l’application des mesures prévues à l’article L. 421-2, lorsque la demande initiale a
pour objet la réparation d’un préjudice subi par un ou plusieurs consommateurs à raison de faits non
constitutifs d’une infraction pénale ».
Par ailleurs et surtout, « lorsque plusieurs consommateurs, personnes physiques, identifiés ont subi
des préjudices individuels qui ont été causés par le fait d’un même professionnel, et qui ont une origine
commune », l’article L. 422-1 dispose que « toute association agréée et reconnue représentative sur le plan
national (…) peut, si elle a été mandatée par au moins deux des consommateurs concernés, agir en réparation
devant toute juridiction au nom de ces consommateurs », étant immédiatement précisé que « le mandat
ne peut être sollicité par voie d’appel public télévisé ou radiophonique, ni par voie d’affichage, de tract ou de
lettre personnalisée. Il doit être donné par écrit par chaque consommateur ». Cette dernière possibilité
correspond à l’action dite « en représentation conjointe », qui n’est cependant pas le pendant,
en droit français, du système anglo-saxon de la class action.
La class action, en effet, désigne également un recours de masse entrepris pour le
compte de personnes identifiées ayant subi des préjudices individuels qui ont été causés par
le fait d’un même auteur et dont l’origine est commune. Cependant, à la différence de
l’action en représentation conjointe qui suppose que la personne concernée exprime sa
volonté de se joindre à l’action (opt in), la class action présume au contraire de son
appartenance à la classe sauf volonté exprimée en sens contraire (opt out). Ainsi apparaît-il
que le modèle de la class action a déjà été importé dans notre système juridique (25). Cela dit,
l’on connaît les incompatibilités entre notre droit d’origine romano-germanique et le droit
anglo-saxon, et cette transposition ne pouvait être réalisée sans les aménagements qu’exigeait
le droit français. A titre d’exemple, et sans verser dans les difficultés d’ordre purement
universitaire, le seul principe selon lequel « nul ne plaide par procureur » interdisait une
assimilation pure et simple du mécanisme (26).
Pour autant, force est de constater que le dispositif français a peu séduit les
consommateurs et leurs associations représentatives – et c’est un euphémisme, puisqu’elle
n’a jamais été utilisée – qui militent aujourd’hui, avec le soutien de nombreux avocats, en
faveur de l’introduction de la class action en France. Ce que l’on reproche, en effet, à l’action
en représentation conjointe, c’est principalement de ne pas permettre une mobilisation
suffisante des personnes concernées, susceptible d’impressionner le professionnel défendeur.
Plus précisément, c’est la souplesse du mécanisme anglo-saxon qui est recherchée. La
solution ne viendrait-elle pas alors tout simplement d’un assouplissement des modalités
d’exercice de l’action en représentation conjointe ?
Dans la prospective, nous ne perdrons pas de vue que la production et la distribution
participent tout autant à l’économie nationale que la consommation et qu’il convient donc
d’être mû par une recherche constante d’équilibre. Or, face à leurs intérêts si divergents, le
législateur français se devrait, peut-être, d’agir avec prudence et employer la technique des
« petits pas ». En effet, si la class action est en parfait accord avec son environnement anglosaxon, modifier le mécanisme français emporterait conjointement la nécessité d’adapter
certaines des règles applicables à nos professionnels, voire des principes directeurs de notre
droit. Difficile alors de rebrousser chemin. L’on pourrait donc commencer, par exemple, par
supprimer l’alinéa second de l’article L. 422-1 du Code de la consommation qui interdit de
solliciter le mandat « par voie d’appel public télévisé ou radiophonique, [ou] par voie d’affichage, de tract
25
En ce sens, L. Boré, L’action en représentation conjointe : class action française ou action mort-née ? : D. 1995, chron., p.
267.
26
Pour une étude détaillée des obstacles procéduraux à l’introduction des class actions en droit français, cf. M.-A.
Frison-Roche, Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la class action : obstacles et compatibilités :
Petites affiches, 10 juin 2005, p.22, et supra.
33
ou de lettre personnalisée ». Cela correspondrait d’ailleurs à l’objectif de transparence et de
loyauté affiché depuis ces derniers mois. Corrélativement, il faudrait encore envisager de
modérer les conditions de l’agrément des associations de consommateurs. Au terme d’une
période d’observation, l’on sera enfin à même de prendre position pour la préservation du
système ainsi mis en place, l’introduction pure et simple de la class action en droit français ou
un retour au droit antérieur.
92. – M. Serge Guinchard, quant à lui, propose une formule plus audacieuse et très
astucieuse : celle de l’action en déclaration de responsabilité pour préjudice de masse
(27), qui permettrait au juge de suspendre une action engagée de manière à ce que les autres
victimes puissent se faire connaître, et où l’on retrouverait les deux phases que l’action de
groupe propose. Cela pourrait bien constituer la solution médiane finalement retenue par le
législateur, en raison, précisément, de sa position médiane et de son équilibre.
SECTION 2. – L’ACTION DE GROUPE DES ASSOCIATIONS DE CONSOMMATEURS
AGREEES (PROJET « CALAIS-AULOY »)
Par Caroline Raja
Allocataire-Moniteur
93. – L’action de groupe, telle qu’elle avait été entendue par le Pr. J. Calais-Auloy il y a
déjà vingt ans (28), serait dans cette hypothèse exercée par une association de consommateurs
agréée, et recevable en cas de préjudices individuels causés à des consommateurs par le
même fait.
L’introduction d’une telle procédure présenterait des avantages considérables. L’action
aurait alors le mérite de présenter des caractères de simplicité et de fiabilité. Simplicité, car il
s’agirait pour elle d’agir sans identifier au préalable les consommateurs concernés, et sans
leur demander mandat (29). Fiabilité puisque, l’action se déroulant en deux phases (la
première, mettant en cause l’association et le professionnel et donnant lieu à débats
contradictoires, aboutirait sur un jugement de principe reconnaissant ou non la
responsabilité du professionnel. La seconde, intervenant en cas de responsabilité, consisterait
à faire publicité du jugement afin que les consommateurs intéressés puissent demander à en
bénéficier (30) ; Seuls les consommateurs désireux d’en bénéficier auraient alors à se
manifester.
Reste cependant à remarquer que cette action n’englobe que très restrictivement les
victimes potentielles d’un dommage. En ne visant que le « consommateur », l’action de
l’association agréée ne pourrait permettre à toute personne d’agir collectivement, certains
préjudices de masse demeurant subis par des personnes ayant agi hors de la sphère du « droit
de la consommation », pour autant que ses frontières puissent être aisément définies. C’est
notamment le cas des patients, victimes par exemple d’un préjudice sanitaire de masse, c’est
le cas des associés de sociétés cotées, c’est encore le cas des préjudices subis par des usagers
ou du fait d’un dommage à l’environnement (reste à définir un terme pour considérer,
subjectivement, les personnes concernées : citoyens, usagers de la nature, consommateurs
d’environnement ? on peine à trouver un terme qui ne soit pas foncièrement ridicule).
En outre, et il s’agit du problème récurent entourant l’introduction des class actions en
droit français, cette action se heurte fondamentalement à la règle selon laquelle « nul ne
27
Cf. S. Guinchard, Une class action à la française ?, art. cit., sp. p. 2186.
Option Présentée dans le cadre du rapport de la Commission de refonte du droit de la Consommation
Proposition pour une code de la consommation, La Documentation française 1990, art. L. 271 et s.
29
Jean Calais-Auloy et F. Steinmetz, Droit de la consommation, n° 561 : Op.cit.
30
Sur les inconvénients d’une telle proposition, V. D. Mainguy, « A propos de l’introduction de la class action en droit
français » : Op.cit.
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plaide par procureur » et le principe de la relativité de la chose jugée (cf. supra) bien que seuls
les consommateurs concernés pourraient en bénéficier. Une autre solution consisterait alors
à introduire une véritable action de groupe.
SECTION 3. – L’ACTION DE GROUPE
Par Daniel Mainguy
Professeur à la Faculté de droit de Montpellier
94. – La possibilité pour toute personne d’exercer une action au nom du groupe
qu’elle représente doit donc être envisagée (31). Là encore, la procédure se déroulerait en
deux phases, la première assurant la certification de l’action et ouvrant par des mesures de
publicité la possibilité à toute victime de se manifester, la seconde reposant sur le procès en
responsabilité. Il s’agirait donc de permettre à toute association d’agir, et non seulement aux
associations de consommateurs. La solution reposant sur la création d’une véritable action
de groupe semble être la plus adéquate car s’agissant d’une action ouverte, toute personne
pourrait y accéder sans obstacles. L’ensemble de cette étude tend à montrer comment une
telle action pourrait être envisagée.
95. –
Résumons, pour conclure :
Culturellement, en premier, l’action de groupe est une nouveauté totale pour le
droit français, habitué, s’agissant des dommages de masse, à jongler entre
procédure civile et procédure pénale
– Déontologiquement, les avocats devraient, par eux-mêmes ou du fait de la loi,
s’adapter à cette nouvelle action, s’agissant, entre autres, la question des
honoraires de résultat ;
– Juridiquement, l’opposition entre les techniques pénales de sanction et les
techniques civiles de réparations est, en pratique, de peu de portée en raison de la
force des règles de la procédure pénale. Il faudrait alors sans doute couper ce lien.
Le criminel tiendrait-il, encore, en la matière, le civil ? Il faudrait également
introduire la notion de punitive damages ;
– Processuellement, et c’est le plus difficile, il faudrait :
– une procédure de certification fondée sur le mécanisme d’ « opt in » (formule
intraduisible à franciser) mais aussi d’ « opt out » précédant le procès au fond ;
– une procédure efficace permettant au juge de traiter un procès de masse, avec les
coûts – publics – engendrés mais aussi avec une exigence de choix de la technique
processuelle, entre le système accusatoire (le plus efficace mais qui risque à nouveau
d’opposer techniques pénales et civiles) et le système inquisitoire (singeant la
procédure pénale mais à un coût prohibitif et avec un risque de ralentissement
considérable et inévitable).
– restera enfin la question de savoir à qui profitera l’action.
–
Bien d’autres obstacles, naturellement se dresseront et notamment ceux, constitutionnels ou
internationaux systématiquement mis en avant.
Tous ces obstacles juridiques ne sont cependant pas insurmontables. La loi peut tout, sauf
changer un homme en femme disent les anglais. Elle peut donc proposer un système de class action
en droit français, mais resteront, en toute hypothèse les obstacles culturels, les plus importants. La
class action américaine est, même critiquée comme elle l’est, l’une des conséquences de la
31 A ce propos : V. la proposition du Professeur D. Mainguy : « A propos de l’introduction de la class action en droit
français » : Op.cit. Une association de consommateurs pourrait d’ailleurs être à l’origine de l’action.
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construction de la République américaine, conçue comme étant au service des citoyens, dans la pure
logique rousseauiste : le contrat politique est conclu et il est imparfait, de sorte que chaque citoyen
peut, à tout moment demander des comptes à ses gouvernants comme à toute autre personne. La
Class action est, dans cet esprit, un outil peut-être plus politique, au sens où il devient un mécanisme
de pression, que juridique. Les lobbies ne se privent donc pas de l’utiliser, par exemple en matière de
protection de l’environnement. Ce n’est pas dire que le justiciable français ne dispose pas de
technique processuelle « politique » : le recours pour excès de pouvoir, l’action engagée devant la
CEDH, l’action en inconventionalité reconnue par les autorités communautaires pour, éventuellement,
éliminer une li contraire aux règles communautaires en sont des exemples. Mais il n’y a pas, en
dehors des exemples strictement contingentés déjà envisagés, d’action de nature « horizontale », entre
justiciables eux-mêmes. Le poids de la procédure pénale est l’une des données, sans doute. Comme
jadis la roue, l’écartèlement, l’ordalie et autres petites sanctions de ce type étaient publiques, de
même, garde-t-on le souvenir de la sanction publique de comportements révélant des atteintes à des
intérêts privés.
Bref, l’introduction d’une « classe action » en droit français fût-elle « à la française » pose
davantage de questions qu’elle n’en résout. C’est bien le paradoxe d’une part pour une proposition
censée, précisément apporter des solutions nouvelles et, d’autre part, pour une telle étude.
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