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De la résolution du triangle sphérique de position par
l’analemme à différents cadrans de hauteur
(3ème partie)*
par Yvon Massé
* voir Le Gnomoniste, Volume XIII (4), décembre 2006, pages 10-14 et Volume XIV (2), juin 2007, pages 23-28.
Les cadrans auxquels nous nous intéresserons dans la troisième partie de cette série d’articles ont tous en commun:
•
Des lignes horaires linéaires, parallèles et perpendiculaires à la ligne de visée du soleil.
•
Un fil lesté et suspendu en un point réglable sur un
réseau de droites.
•
Une perle coulissante à régler le long du fil lesté.
Quand la ligne de visée est dirigée vers le soleil, l’heure est
indiquée par la perle sur le réseau de lignes horaires. Du fait
que ces cadrans ne comportent que des lignes droites, ils
sont regroupés sous l’appellation cadrans rectilignes de
hauteur ou plus simplement cadrans rectilignes.
truction des instruments d’astronomie et une imprimerie
scientifique.
C’est de cette imprimerie que sortirent, en 1474, les premières éditions en latin et en allemand de son Calendrier, opuscule d’une soixantaine de pages qu’on qualifierait plutôt aujour’hui d’almanach. Cet ouvrage rencontra un grand succès, ses multiples rééditions et traductions font qu’aujourd’hui il est relativement facile de trouver cet incunable dans
les bibliothèques.
A la fin de l’ouvrage, se trouve la gravure sur bois suivante
qui correspond à un cadran de hauteur à heures égales. Cette
gravure fera attribuer à Regiomontanus l’invention de ce
cadran qui est universel dans le sens où il peut être utilisé
sous différentes latitudes.
Dans cet article nous n'insisterons pas sur les développements géométriques qui permettent de valider le fonctionnement de ces cadrans (on peut se reporter pour cela à [18] ou
{1}), on se bornera à donner un aperçu de leur richesse et à
indiquer les relations existantes avec les figures correspondantes du premier article. On tentera aussi, en s'intéressant uniquement à leur principe, de trouver une éventuelle
chronologie historique en reconstituant un instrument entièrement hypothétique, dont l'invention est toutefois plausible,
qui serait à l’origine de ces cadrans, origine malheureusement perdue à ce jour.
Le cadran universel de Regiomontanus
Géomètre et astronome allemand, Johann Müller (14361476) est plus connu sous le nom de Regiomontanus, nom
qu’il emprunta à sa ville natale Königsberg (montagne du
roi) de Franconie. Il est considéré comme le réformateur de
l’astronomie moderne. Elève de Peurbach, il devint ensuite
son collaborateur et ami. Ensemble ils travaillèrent notamment à la réécriture commentée de l’Almageste, initiative
encouragée par le cardinal Bessarion. A la mort de Peurbach
et sur l’invitation de ce prélat, Regiomontanus partit en Italie où il composa divers ouvrages et enseigna l’astronomie à
Padoue. De retour, il résida quelques années à Bude près du
roi de Hongrie. En 1471, Regiomontanus décida de s’établir
à Nuremberg où son collaborateur et mécène, Bernard Walther, lui fournit les moyens d’établir un atelier pour la cons4
Le Gnomoniste
Fig. 1 Le Cadran universel de Regiomontanus (Posner
Collection)
L’astronome Delambre, à qui l’on doit la mesure du méridien à la fin du XVIII° siècle pour établir la longueur du mètre, s’intéressa aux cadrans rectilignes [7]. Il savait, par la
Bibliographie Astronomique de J. de Lalande, que ce dernier possédait un exemplaire du Calendrier de Regiomontanus et qu’à la fin de cet ouvrage se trouvait la description du
Quadratum Horarium. A la vente de la bibliothèque de
Yvon Massé
Volume XV numéro 3, septembre 2008
Lalande, Delambre rechercha en vain le Calendrier, il le retrouva sans le chercher pendant l’impression de son article
auquel il eut le temps d’ajouter la traduction du passage
correspondant au cadran. La voici telle qu’il la donna alors,
elle nous servira ici de mode d'emploi:
En quelque habitation que vous soyez, vous trouverez les heures du jour par le carré horaire inséré dans ce volume, si vous
commencez par bien étudier l’office de chacune des parties
dont il se compose. L’échelle des latitudes est formée de lignes
qui se croisent; celles qui sont parallèles entre elles font
connaître les élévations du pôle par les chiffres qui sont marqués tout près à droite; celles qui descendent en convergeant
marquent les signes du zodiaque et leurs degrés, de 10 en 10
minutes; les signes sont indiqués par leurs lettres initiales.
Pour plus de clarté, nommons zodiaque de l’habitation chacune
des lignes parallèles. Chacun de ces zodiaques est divisé en
signes et en degrés, par les lignes qui descendent en convergeant. Sous cette échelle des latitudes on trouve deux suites de
nombres horaires. La rangée supérieure montre les heures
avant midi; la rangée inférieure sert pour les heures après midi.
Chaque ligne est accompagnée de son numéro. A la dernière de
ces heures, c’est-à-dire à celle de midi ou 12h, on a joint une
échelle divisée en certains espaces, dont chacun représente 10°.
Ces signes et ces degrés sont également accompagnés de leurs
lettres initiales. Cette dernière échelle pourrait très bien s’appeler le zodiaque du midi. Au-dessus de la première échelle est
attaché, par un bout, un bras mobile qui se plie par le milieu,
sous tous les angles possibles. Appelons main l’extrémité de ce
bras. Cette main porte un fil à plomb; le long de ce fil peut
glisser un nœud dont l’office sera de montrer les heures. Sur la
dernière et la plus élevée des lignes de latitude, ou sur le dernier zodiaque d’habitation, il faut placer à gauche un corps, tel
qu’une boule de cire, qui puisse jeter une ombre en arrière
quand on le présente au Soleil.
Photo 1 Magnifique cadran de Regiomontanus datant de la
fin du XV° siècle. Il est conservé au musée Huelsmann de
Bielefeld en Allemagne.
On peut résumer le principe du tracé de ce cadran à la Fig.
2. Deux trigones des signes (triangle isocèle formé avec les
angles de déclinaison du soleil à l’entrée de chaque signe du
zodiaque) sont disposés à 90° autour du point Q. La longueur QZ1 sera la base qui donnera la grandeur du cadran.
Le demi-cercle de rayon QZ1 découpé suivant les angles
horaires Ah donnera la position des lignes horaires. Les angles Φ de latitude tracés autour du point Z1 donneront la position des zodiaques de l’habitation.
En quelque habitation, c’est-à-dire sur quelque parallèle que
vous soyez, choisissez votre zodiaque, conduisez-y la main du
bras mobile, arrêtez-la sur le degré que le Soleil occupe pour le
moment; et laissant pendre librement le fil à plomb, conduisez
ce fil au degré du Soleil sur le zodiaque du midi; amenez le
nœud sur le degré du Soleil. Tout étant ainsi disposé, présentez
au soleil le côté gauche de l’instrument, en sorte que l’ombre
de la boule de cire s’étende le long de la dernière ligne de latitude; aussitôt la situation du nœud entre les lignes horaires
vous indiquera l’heure que vous cherchez.
Delambre reportera cette traduction avec quelques légères
modifications dans son Histoire de l'Astronomie du Moyen
Age [8] en apportant ensuite le commentaire suivant:
Regiomontan n’en dit pas davantage. […] Pour tout le reste, il
faut absolument tout deviner. Il n’est donc pas bien étonnant
que la démonstration ait été longtemps omise et sans doute
ignorée de tous les auteurs de Gnomonique. Regiomontan ne
s’attribue pas cette invention; il n’en nomme pas l’auteur, mais
l’étude particulière qu’il avait faite des livres arabes nous persuade qu’il tenait cette invention d’un auteur de cette nation.
En attendant, rien n’empêche qu’on ne la donne à Regiomontan, par qui nous la connaissons, jusqu’à ce que nous la retrouvions dans un livre plus ancien que son Calendrier […]
Volume XV numéro 3, septembre 2008
Φ
Q
Z1
Ah
Fig. 2
Yvon Massé
Principe du tracé de l’Universel de Regiomontanus
Le Gnomoniste
5
La figure suivante montre comment on peut relier le cadran
de Regiomontanus à la figure 4 du premier article (les repères sont identiques). C’est au point de suspension du fil qu’il
faut placer le centre du cercle que décrit la perle avec le
point Q à la pointe du trigone. Le cercle sera d’autant plus
grand que la latitude sera importante mais la corde Z1Z’1
sera toujours comprise entre les lignes de midi et minuit. Sa
décomposition en angles horaires se fera ainsi toujours sur
les mêmes lignes horaires.
1
Graduation
50°
5
50°
h
4
Z2
3
2
O
Z1
Fig. 4
ford
90 ° −d
S
Q
h
P
Z’
Z’2
Z’1
Perle
Fig. 3 L’Universel de Regiomontanus orienté au soleil
(Photo de Karen Robinson {2})
L’angle 90° - d nous donne le rayon OS parallèle à la ligne
de visée. De ce fait, quand le cadran pointe vers le soleil, la
position de la perle correspond au point Z’2 et, par conséquent, indique l’heure sur le réseau des lignes horaires.
La Navicula de Venetiis
On ne peut pas considérer l’Universel de Regiomontanus
sans évoquer la Navicula de Venetiis (petit navire de Venise) qui comporte sur sa faceprincipale un cadran du type
Regiomontanus et qui a parfois été présenté comme son ancêtre. La Navicula est un instrument médiéval dont on a
conservé quelques rares exemplaires, les plus anciens sont
tous de facture anglaise et datent de la première moitié du
XV° siècle [19] {3}. Cet instrument a été très mal compris
jusqu’à récemment; ce n’est qu’à la lecture des manuscrits
du XV° siècle, qui décrivent comment le fabriquer et l’utiliser, qu’on peut apprécier toute son ingéniosité et se convaincre que l’auteur de la Navicula connaissait parfaitement la
théorie de l’Universel de Regiomontanus ou, du moins, la
façon de le tracer correctement [13].
6
Le Gnomoniste
Navicula du Museum d’histoire des sciences à Ox-
La première remarque à prendre en compte avant de considérer le mode d’emploi de la Navicula est la façon d’obtenir
l’échelle des latitudes graduée sur son mât (voir Fig. 4).
Pour déterminer la position de ces graduations, contrairement à l’Universel de Régiomontanus, la base du triangle
rectangle utilisé n’est pas la distance entre les lignes horaires de 6 et 12h mais le rayon du cercle sur lequel est reporté
le zodiaque de midi (4) et dont le centre correspond à l’axe
de rotation du mât.
La Navicula s’utilise ainsi:
•
•
•
•
•
•
Yvon Massé
Faire glisser le curseur (1) sur le mât pour faire
correspondre le point de suspension du fil à la latitude du lieu.
Incliner le mât de façon que son index (2) corresponde à la date du jour sur le calendrier zodiacal (3).
Les signes du printemps et de l’été sont à droite, dans
ce cas le mât bascule vers la gauche.
Tirer le fil pour le faire passer à la date du jour sur le
calendrier zodiacal (4).
Sans modifier la position du fil, régler la perle coulissante sur la ligne de midi comme indiqué à la Fig. 5.
C’est ici le mode opératoire spécifique de cet instrument qu’il est important de bien appréhender sous
peine de se méprendre sur la précision que l’on peut
en obtenir.
Orienter la ligne de visée (5) dans la direction du soleil en maintenant la Navicula dans le plan vertical.
La perle indique alors l’heure vraie sur le réseau de
lignes parallèles.
Volume XV numéro 3, septembre 2008
3
8
4
9 10 11
3 2 1 12
1
Perle
2
Φ
Réglage sur
le signe du
jour
4
Fig. 5
Manière de régler la perle
Un examen un peu approfondi montrerait que ce mode opératoire donne, pour toutes les latitudes, une heure rigoureusement exacte aux équinoxes et aux solstices. Afin de limiter l’erreur entre ces périodes, pour les hauteurs faibles du
soleil, le concepteur de cet instrument a déformé le zodiaque
inférieur de réglage du mât en resserrant légèrement les graduations intermédiaires sur la graduation centrale. De la
même manière, pour diminuer l’erreur aux heures proches
de midi, les graduations intermédiaires du zodiaque latéral
sont légèrement déplacées en les écartant du centre des graduations.
Excepté pour la période de midi où la précision est très faible comme pour tous les cadrans de hauteur, l’erreur instrumentale obtenue grâce à cet ajustement est de l’ordre de
quelques minutes. Cette erreur est tout à fait acceptable et de
toute façon bien inférieure à l’erreur de mesure faite par l’utilisateur lui-même compte tenu des dimensions de l’instrument, à peine plus grand que la paume d’une main.
On ne peut être qu’admiratif devant les sophistications qui
ont été apportées à ce cadran et qui montrent bien que la Navicula de Venetiis est loin d’être l’instrument qu’on a parfois présenté comme rudimentaire ou maladroitement adapté
pour ne satisfaire qu’aux règles de l’esthétique.
Le Capucin
C'est dans l'ouvrage de Sebastian Münster, Compositio horologiorum paru en 1531, que l'on trouve la première description imprimée d’un cadran à lignes horaires parallèles
conçu pour une seule latitude Φ. La Fig. 6 donne la gravure
telle qu’elle se présente dans cet ouvrage avec quelques lignes supplémentaires pour comprendre sa construction. Les
lignes horaires se décrivent de la même façon que pour l’Universel de Regiomontanus. Le trigone des signes est orienté
suivant la latitude du lieu et le zodiaque (1) se situe à l’intersection de la ligne centrale du trigone avec la ligne de 6 h.
Volume XV numéro 3, septembre 2008
Fig. 6 Cadran rectiligne pour une latitude unique (MPIWG
Library Collection)
Son mode d’emploi est le suivant:
•
Régler le point de suspension du fil le long du zodiaque (1) au jour de l’observation.
•
Tirer le fil pour qu’il passe par le point (2) et régler la
perle coulissante à ce point.
•
Orienter la ligne de visée (3) en direction du soleil et
laisser pendre librement le fil. L’heure se lit par la
position de la perle sur le réseau des lignes horaires
(4).
En traçant, à même le cadran, la trajectoire de la perle aux
différentes dates d’entrée dans les signes, on obtient un réseau d’arcs de cercle convergeant au point (2) (voir Fig. 7,
remarquons l’inversion droite-gauche de la construction par
rapport à la figure précédente). C’est la ressemblance de ce
réseau avec le capuce pointu d’un moine qui a fait donner le
nom de Capucin à ce type de cadran dont on peut trouver un
exemplaire daté de 1573 au Musée d’Histoire des Sciences
de Genève.
Capucin, c’est aussi le nom d’un ordre religieux remontant
au début du XVI° siècle quand Matthieu de Basci voulu restaurer la vie Franciscaine primitive jusque dans la manière
de se vêtir. Les émules attirèrent immédiatement l’attention
par la forme originale de leur capuce: long et plus pointu
que celui des Franciscains. Dès le milieu du XVI° siècle, le
sobriquet populaire de capucin devint rapidement leur nom
officiel. La coïncidence des dates, des noms et des motivations de l’appellation est des plus surprenantes. Peut-être
trouvera-t-on un jour une quelconque relation entre ces entités.
C’est la figure 2 du premier article qui nous permettra de
retrouver les lignes du Capucin (voir Fig. 7). Ici encore, le
centre du cercle est donné par le point de suspension du fil.
Quant au point Q, il doit se situer au centre du zodiaque, la
corde S2S’2 correspond alors à la ligne centrale du trigone,
sa longueur reste constante quel que soit le point de suspension du fil.
Yvon Massé
Le Gnomoniste
7
S2
h
90 ° − φ
S’1
P
Q
O
90 ° −h
S’
Z
S’2
S1
Fig. 7 Le Capucin tel qu’on peut le trouver dans les Récréations Mathématiques et Physiques. Le parcours de la
perle est remplacé par des arcs de cercle.
L’angle 90° - Φ nous donne ensuite le rayon OZ parallèle à
la ligne de visée. Quand le cadran est correctement orienté
au soleil, le fil nous donne le point S1 sur le cercle et par
suite l’heure sur le réseau des lignes horaires. Ces droites
sont la décomposition en angles horaires de la corde S2S’2
par des parallèles à la corde S1S’1.
Fig. 8 Relation entre le Capucin et l’Universel d’Apian
proposé par F. J. de Vries [16]{4}
Le point de suspension du fil lesté est alors déterminé par
l’intersection de lignes en forme de papillon paramétrées en
déclinaison et en latitude. C’est Apian qui donna en 1532 la
première représentation imprimée de ce cadran dans son ouvrage Quadrans Apiani Astronomicus.
Photo 2 Capucin de poche datant du XVII-XVIII° siècle.
© Musée d’histoire des sciences de Genève .
Fig. 9 L’Universel d’Apian tel qu’il fut publié en 1532
(Reproduction SLUB)
Le cadran universel d’Apian
Pour passer du Capucin à l’Universel d’Apian, l’illustration
de Fer J. de Vries suivante parle d’elle-même. L’idée est de
tracer sur un même cadran, à partir d’un unique réseau de
droites horaires, des Capucins pour différentes latitudes en
maintenant fixe le point Q de la Fig. 7.
8
Le Gnomoniste
Remarquons que le réglage de la perle se fait à gauche sur la
Fig. 8 tandis qu’il est prévu à droite sur la Fig. 9. Si on alterne ces deux possibilités en fonction des saisons, notamment suivant le signe de la déclinaison du soleil, on peut
remplacer le “papillon” de suspension du fil par un
“chapeau pointu” tel qu’on peut le voir à la figure suivante.
Yvon Massé
Volume XV numéro 3, septembre 2008
Ce Cadran tire son origine d’un certain Cadran rectiligne universel, qui
a été autrefois publié par le P. de Saint-Rigaud Jésuite, sous ce titre:
Analemma novum.
Il donne ensuite la description de cette analemme (voir Fig.
11) avec son mode d’utilisation ainsi qu’une petite adaptation personnelle: des courbes en forme de collier qui n’ont,
en fait, pas de lien direct avec l’analemme.
Fig. 10 Variante de l’Universel d’Apian extraite d’Ars magna lucis et umbrae d’A. Kircher (MPIWG Library Collection)
Le cadran de Saint-Rigaud
François de Saint-Rigaud naquit le 3 janvier 1606, il fut admis dans la Compagnie de Jésus l’année de ses 18 ans, le 6
septembre 1624. Dès lors, il vécut dans, par et pour les livres, en digérant de grandes quantités, pour apprendre et
transmettre à ses élèves. Il enseigna au collège de la Trinité
à Lyon, actuel lycée Ampère, la grammaire, la rhétorique, la
philosophie, la théologie, l’Ecriture Sainte, les mathématiques et enfin l’hébreu. Il mourut à Lyon, le 27 septembre
1673.
Saint-Rigaud a beaucoup écrit, mais peu lui importait de
publier. Son confrère, le P. Jean Bertet, écrivait à son sujet:
“Je le persécute incessamment de mettre au jour 7 ou 8 traités commencés, qu’il m’a communiqués”. On peut cependant tenir pour acquis qu’il fit imprimer deux ouvrages cités
dans la Bibliothèque de la Compagnie de Jésus [10]:
•
Système nouveau du Ciel
•
Analemma
Jacques Ozanam est né en 1640 à Bouligneux, village situé
entre Bourg-en-Bresse et Lyon. Adolescent il se passionna
pour les mathématiques et, jeune homme, il s’installa à
Lyon où il les enseigna pour en vivre. Lyonnais et mathématicien, séparé seulement par une différence d’age de 34 ans,
Saint-Rigaud et Ozanam se sont peut-être rencontré voire
connus, l’histoire ne nous éclaire pas sur ce point. Ozanam
eut toutefois connaissance de la publication de SaintRigaud. Il la présenta dans ses Récréations Mathématiques
et Physiques dès leur première édition en 1694 à la suite de
la description du Capucin. Il l’introduisit par cette phrase
qui sera reprise systématiquement dans la vingtaine de rééditions qu’a connues son ouvrage, refonte de Montucla
comprise:
Volume XV numéro 3, septembre 2008
Fig. 11 L’Analemme du P. de Saint-Rigaud adapté par
Ozanam
On peut facilement remarquer que cette analemme est de
la famille de l’Universel d’Apian. De l’ensemble des lignes composant le papillon, Saint-Rigaud n’a gardé que
les lignes parallèles horizontales, les lignes obliques sont à
tracer suivant la latitude de l’observation, à partir du point
A, en utilisant les graduations de la ligne verticale la plus à
gauche. La ligne de midi sur laquelle on doit régler la perle
est située à droite.
Avec l’aide de Paul Gagnaire, Lyonnais, nous avons longuement recherché la publication Analemma Novum, sans
succès. Notre seule consolation fut d’aboutir à la conclusion que cette publication n’a eu qu’une faible diffusion ce
qui conforta l’intuition initiale que sans l’ouvrage d’Ozanam cette publication serait sans doute ignorée de nos jour.
Ozanam a d’ailleurs peut-être fait bien plus que d’éviter
cet oubli, par le nombre important des rééditions de son
ouvrage il a fortement marqué les esprits si bien qu’on
nomme facilement aujourd’hui le Capucin cadran de
Saint-Rigaud.
Le sabot à voile
Dans son article A "universal" Capucin Dial [16], {4} paru
dans le bulletin de la NASS, F. J. de Vries nous présente le
cadran universel suivant conçu par le Hollandais Jan Kragten en 1992. J. Kragten baptisa son cadran zeilende klomp,
soit en français: le sabot à voile.
Yvon Massé
Le Gnomoniste
9
Fig. 12 Le sabot à voile de J. Kragten (figure de F. J. de
Vries)
Ce cadran est un subtil mélange des cadrans précédents avec
la particularité de simplifier le réglage de la perle en le ramenant, dans tous les cas, à la pointe du sabot. Toutes les
lignes utiles restent cependant droites, ce qui fait que ce cadran appartient de plein droit à la famille des cadrans rectilignes.
Chronologie historique
17]. Il a ainsi été conduit à formuler l’hypothèse, non confirmée, qu’Habash pourrait être l’inventeur des cadrans rectilignes universels.
Il fait également remarquer qu’il existe encore une grande
quantité de manuscrits médiévaux traitant d’astronomie qui
attendent d’être étudiés et que la réponse à cette énigme a
des chances de se trouver dans ceux-ci.
D’autres auteurs dont M. Archinard [11], G. Fantoni [12] et
N. Severino [14] ont voulu retrouver une chronologie historique du Capucin, de la Navicula et du Regiomontanus par
déduction logique. Ils s’accordent tous sur le fait que le Capucin, cadran particulier, a précédé l’universel. Leurs raisonnements ont aussi en commun de ne pas prendre en
compte l’Universel d’Apian, peut-être parce qu’il est jugé
plus tardif ou que son origine ne présente aucun mystère.
Enfin, concernant la Navicula, les opinions divergent mais
aucun de ces auteurs n’a considéré son mode opératoire.
Concluons donc ici rapidement sur ce dernier instrument
qui, au vu des raffinements utilisés pour sa construction, ne
peut, à mon point de vue, que découler de la connaissance
parfaitement assimilée du principe de l’Universel de Regiomontanus.
Si on introduit dans la réflexion l’Universel d’Apian on ne
peut que se poser cette question lancinante: pourquoi le passage du particulier à l’universel s’est-il fait en direction du
cadran de Regiomontanus alors qu’il semble bien plus évident vers l’Universel d’Apian ? En effet, si on associe les
différents cadrans d’après les projections dont ils découlent
en allant du particulier à l’universel, on obtient le synoptique suivant:
Avant d’aborder ce chapitre, rapportons ici une conclusion
de Delambre [8] qui, nous l’avons vu, avait recherché l’origine des cadrans rectilignes.
Nous n’avons trouvé chez eux [les gnomonistes arabes] aucun vestige
du cadran universel de Regiomontan, non plus que des cadrans analemmatiques [il faut entendre ici les cadrans rectilignes] qui donnent
l’heure par la hauteur du soleil; ils n’avaient aucune idée des angles au
centre des divers cadrans.
Nous trouverons ces angles et diverses autres nouveautés, dans les
premiers auteurs européens qui ont écrit sur la Gnomonique; mais ces
géomètres ne se donnent pas pour inventeurs de ces innovations heureuses. Il y a donc dans l’histoire de la Gnomonique une lacune qu’il
nous a été impossible de remplir. Nous voyons des progrès marqués,
sans savoir précisément à qui nous en avons obligation. Ces découvertes ont précédé probablement l’invention de l’Imprimerie. Les ouvrages originaux se sont perdus; la tradition nous a transmis ce qu’ils renfermaient de plus utile. Les plus anciens d’entre ces auteurs, Munster et
Schoner ont affecté d’imiter les Arabes, en supprimant toutes les démonstrations; comme Albategnius et Ebn-Jounis, ils se sont bornés à
donner des constructions reposant sur des principes qui n’ont été exposés nulle part; il en résulte une obscurité qu’il n’est pas aisé de dissiper.
Deux siècles plus tard, cette conclusion est malheureusement toujours d’actualité. Le Dr. David A. King, professeur
à la faculté de Frankfort et spécialiste des sciences orientales
médiévales, a toutefois trouvé certains éléments communs
entre la Navicula de Venetiis et un cadran universel donnant
l’heure aux étoiles conçu par Habash à Bagdad au IX° siècle
10
Le Gnomoniste
Figure I.2
(analemme)
Figure I.4
Capucin
???
Universel d’Apian
Universel de
Regiomontanus
Fig. 13 Liens logiques à partir des figures du premier article
L’équivalent au Capucin dans la progression de la figure I.4
serait, par complémentarité, un cadran indiquant l’heure
pour différentes latitudes mais pour une seule déclinaison du
Yvon Massé
Volume XV numéro 3, septembre 2008
Supposons que l’on se trouve à Tolède, en Espagne, à l’instant où le soleil est à la verticale de La Mecque. Sur la figure
suivante on peut voir l’éclairement de la sphère terrestre à
cet instant particulier.
La Mecque
Tolède
Equateur
Soleil
La Mecque
soleil. Cette possibilité qui m’a longtemps paru sans intérêt,
prend tout son sens quand on l’associe à une de préoccupation majeure des musulmans depuis le début de l’Islam:
connaître la direction de La Mecque. Une méthode, connue
des scientifiques médiévaux [15] et encore utilisée de nos
jours, consiste à observer la direction du soleil à l’instant où
il se trouve au zénith de La Mecque. Par chance, en effet,
cette ville est située dans la zone intertropicale et à deux périodes dans l’année, autour du 28 mai et du 16 juillet Grégorien, le soleil passe à sa verticale à midi vrai. L’heure étant
de nos jours une mesure précise et facilement accessible, il
est assez simple de déterminer cet instant. Mais ce n’était
pas le cas au moyen âge et les scientifiques arabes de cette
époque ont pu avoir recours à un moyen qu’ils avaient coutume d’utiliser: la hauteur du soleil.
Tolède
Z’1
∆l
Pôle
nord
ΦM
ΦT
h
Q
Horizon du soleil
O
Equateur
Pôle sud
Z1
Fig. 15 Projection des différents cercles de la sphère terrestre sur le plan du méridien de La Mecque.
On peut alors tirer la corde orange correspondant à la trace
du cercle reliant les observateurs qui voient le soleil à la
même hauteur, hauteur qu’on obtient par l’angle h entre le
rayon menant à l’extrémité de cette corde et l’horizon du
soleil.
Faisons tourner la figure précédente de 90° et profitons-en
pour graduer la corde Z1Z’1 pour plusieurs différences de
longitude suivant le principe utilisé pour obtenir la corde
orange.
Horizon du
soleil
Fig. 14 Le soleil, à la verticale de La Mecque, est vu de
Tolède à une certaine hauteur, hauteur relevée par tous les
observateurs situés sur le cercle orange.
O
ΦT
h
Q
Regardons le globe terrestre depuis l’est de l’Arabie et projetons les cercles de la sphère sur le plan du méridien de La
Mecque (voir Fig. 15, les couleurs sont conservées).
Plaçons la direction du soleil verticalement, on peut alors
dessiner, avec l’angle ФM ≈ 21,5° correspondant à la latitude
de La Mecque, la trace de l’équateur et l’axe polaire qui lui
est perpendiculaire. De l’équateur, en utilisant l’angle
ФT ≈ 40° correspondant à la latitude de Tolède, dessinons la
corde Z1Z’1 répondant à son parallèle. Rabattons le sur le
plan de la figure et, avec l’angle ∆l ≈ 44° correspondant à la
différence de longitude entre La Mecque et Tolède, plaçons
cette dernière ville sur la figure.
Volume XV numéro 3, septembre 2008
Z’1
∆l
Z1
Fig. 16
Yvon Massé
100
80
60
40 20
Le Gnomoniste
0
11
Imaginons à présent qu’on suspende au point O un fil avec
une perle telle qu’elle décrive le cercle rouge. Dans la position de la Fig. 16 le fil recouvrira la partie basse du diamètre
bleu mais si nous inclinons cette figure dans le sens des aiguilles d’une montre en suivant l’ascension du soleil, la
perle se déplacera à travers le réseau de lignes parallèles jusqu’à atteindre la ligne orange. Le soleil sera alors, à cet instant précis, au zénith de La Mecque.
60
Pour des latitudes d’utilisation différentes, il suffit de graduer la ligne OQ en conséquence, on obtient ainsi l’instrument de la figure suivante que nous appellerons Chercheqibla.
50
40
30
20
10
100
80
60
40
20
Echelle des
latitudes
60
Fig. 18 Le Cherche-qibla utilisé à Tolède le 28 mai avant
midi alors qu’il relève la hauteur du soleil à l’instant où il
se trouve au zénith de La Mecque. La direction du soleil et
de l’instrument indiquent à cet instant précis la qibla.
Pinnules
50
Conçu pour fonctionner en tout lieu de la terre, le Chercheqibla comporte déjà le germe de l’universalité. Pour obtenir
l’Universel de Regiomontanus, il ne reste plus qu’à faire le
passage de la différence de longitude à la notion de temps,
équivalence bien connue des navigateurs, puis à compléter
l’instrument pour toutes les déclinaisons du soleil.
40
30
20
10
Différence
de longitude
100
Point de
réglage de
la perle
coulissante
80
60
40 20
0
Fig. 17 Le Cherche-qibla avec ses échelles, son fil et ses
pinnules.
Cet instrument utilisé dans le cadre de notre exemple se présentera de la façon suivante.
12
Le Gnomoniste
0
L’introduction de cet instrument hypothétique permet de
revoir sous un nouveau jour le synoptique des liens logiques, voire historiques, entre les différents cadrans rectilignes (voir Fig. 19). Le Cherche-qibla, s’il a existé ou si un
scientifique arabe a imaginé son principe, pourrait être à l’origine du premier cadran universel de type Regiomontanus
dont la connaissance se serait perpétuée soit par un savoirfaire d’artisan ou par des manuscrits perdus ou inconnus à
ce jour. Cette connaissance aurait donné le jour à une adaptation ingénieuse sous la forme de la Navivula de Venetiis.
Enfin, à la Renaissance européenne, la grande diffusion des
Calendriers de Regiomontanus aurait largement fait connaître l’invention arabe au point d’éclipser leurs auteurs et de
donner l’illusion d’un nouvel instrument.
Rien n’interdit ensuite de penser qu’on ait trouvé une simplification à l’Universel de Regiomontanus, avant ou après
la diffusion de ses Calendriers, pour obtenir le Capucin. Une
autre possibilité est que le Capucin ait été imaginé indépendamment à partir de l’analemme, largement connu et utilisé
depuis l’antiquité. Du Capucin découle ensuite naturellement, nous l’avons vu, l’Universel d’Apian.
Yvon Massé
Volume XV numéro 3, septembre 2008
[8]
ChercheQibla
[9]
[10]
Universel primitif
de type
Regiomontanus
Figure I.2
(analemme)
[11]
[12]
Navicula de
Venetiis
[13]
Capucin
[14]
Universel de
Regiomontanus
Universel d’Apian
[15]
Fig. 19 Hypothèse des liens historiques entre les différents
cadrans rectilignes
Peut-être aurons-nous la chance de retrouver ou quelques
manuscrits ou quelques instruments qui permettront de
confirmer l’existence du Cherche-qibla et par suite cette
chronologie qui, pour l’instant, bien que satisfaisante d’un
point de vue théorique n’est que purement hypothétique.
Je tiens ici à remercier particulièrement Mrs Denis Savoie et
Armin Zenner pour les documents importants qu’ils m’ont
gracieusement fait parvenir. Sans eux cet article n’aurait pas
pu avoir la dimension historique que j’ai tenté de lui donner.
Je remercie aussi vivement Mr Paul Gagnaire qui m’a beaucoup aider à marcher sur les traces du Père de Saint-Rigaud.
Nous n’avons malheureusement pas pu atteindre le Graal de
nos recherches: sa publication Analemma Novum.
[16]
[17]
[18]
[19]
Dans le prochain article nous aborderons les cadrans donnant l’azimut du soleil à partir de sa hauteur. La majorité de
ces instruments fut conçue par J.-H. Lambert à la fin du
XVIII° siècle.
J.-B. DELAMBRE: Histoire de l’Astronomie du
Moyen Age pp 323-335. Paris. 1819.
A. W. FULLER: Universal rectilinear Dials. The
Mathematical Gazette. Vol 41. 1957.
C. SOMMERVOGEL: Bibliothèque de la Compagnie de Jésus. Tome VII, colonnes 439 et 440.
1960.
M. ARCHINARD: Les cadrans solaires rectilignes.
Nuncius 3:2. 1988.
G. FANTONI: Orologi Solari - Trattato completo
di Gnomonica pp 412-413. Rome. 1988.
J. KRAGTEN: The little Ship of Venice – Navicula
de Venetiis. Eindhoven. 1989.
N. SEVERINO: Sulla successione cronologica degli orologi solari d’altezza rettilinei. Antologia di
Storia della Gnomonica. Roccasecca. 1995.
D. A. KING: Astronomie et société musulmane:
“qibla”, gnomonique, “mīqāt”. Sous la direction de
R. RASHED: Histoire des sciences arabes. Tome 1
(Astronomie, théorique et appliquée) pp 173-215.
Editions du Seuil. 1997.
F. J. de VRIES: A "universal" Capucin Dial (or The
Sailing Wooden Shoe). The Compendium Volume
6 Number 1. Mars 1999.
D. A. KING: 14th-century England or 9th-century
Baghdad ? New insights on the elusive astronomical instrument called Navicula de Venetiis. Centaurus. Volume 45. 2003.
Y. MASSE: Les cadrans de hauteur à lignes horaires rectilignes. Cadrans-Info n° 10. Octobre 2004.
C. EAGLETON: Medieval Sundials and Manuscript Sources: The Transmission of Information
about the Navicula and the Organum Ptolomei in
Fifteenth-Century Europe. Transmitting Knowledge. Oxford university press. 2006.
Site Internet:
Bibliographie:
[1]
[2]
[3]
[4]
[5]
[6]
[7]
REGIOMONTANUS: Calendarium latinum / Der
deutsche Kalender. 1474.
S. MUNSTER: Compositio horologiorum.1531.
P. APIAN: Quadrans Apiani Astronomicus. 1532.
A. KIRCHER: Ars magna lucis et umbrae. Iconismus
XII, p 511. 1646.
C. F. MILLIET DECHALES: Cursus mathematicus.
Tome III pp 257-263. 1674.
J. OZANAM: Récréations Mathématiques et Physiques. Volume 1, problème XIII: Décrire un Cadran
portatif sur une Carte. Paris. 1694.
J.-B. DELAMBRE: Théorie purement trigonométrique de l’analemme rectiligne universel et particulier.
Connaissance des Temps. 1819.
Volume XV numéro 3, septembre 2008
{1} Les cadrans de hauteur à lignes horaires rectilignes:
http://perso.wanadoo.fr/ymasse/gnomon/democh.
htm
{2} Karen's Sundial Page: http://www.angelfire.com/
my/zelime/sundials.html
{3} Epact: Navicula dial
http://www.mhs.ox.ac.uk/epact/catalogue.php?
Eber=14477&Level=Detail&Sort=InstrumentGloss
aryID
{4} F.J.deVries:
capuchin.htm
Yvon Massé
http://www.dse.nl/~zonnewijzer/
Le Gnomoniste
13