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ESA 10ème CONFERENCE, 7-10-2011, Genève PRINTEMPS ARABES ET FLUX MIGRATOIRES Ebauche d’analyse du discours médiatisé en Europe Italo Musillo DOCUMENT DE TRAVAIL Working Papers PRINTEMPS ARABES ET FLUX MIGRATOIRES Ebauche d’analyse du discours médiatisé en Europe Italo Musillo et al. 1 Introduction Le mur de Berlin, la guerre en ex Yougoslavie, le printemps arabe Pour la troisième fois en moins de 25 ans, l’Europe rumine, à partir de l’éclosion de nouvelles et fort réjouissantes libertés démocratiques, la question des flux migratoires en provenance de l’Est et du Sud avec l’appréhension des grands événements. Tel fut le cas peu après la chute du mur de Berlin en 1989, ainsi qu’à la suite des guerres de l’ex-Yougoslavie et actuellement dans l’événement récent qu’on a dénommé populairement « le printemps arabe ». Face au bruit issu des cogitations politiques autour de ce dernier événement majeur dans l’histoire de la Méditerranée, rien de plus intéressant que de consulter de manière continue et multiple les discours apparaissant dans la presse quotidienne. Les mots lancés de droite à gauche d’un pays à l’autre de l’Union sonnent comme une cacophonie discursive qui ne pouvait être laissée pour compte par la sociologie de la communication. Le deuxième aspect de force pour le sociologue, comme pour tout observateur attentif aux humeurs collectives, est le constat de la régulation des comportements de masse intervenus à chacun des trois événements, soit : au début un chœur à l’unisson d’applaudissements et d’ovations à l’égard des nouveaux venus dans le champ des démocraties et, peu après, le même chœur d’indisponibilité quant à un partage solidaire, voire fraternel, conséquent à cette victoire. Ce protocole, lors du printemps arabe, n’est en rien différent de ce qui a été le cas pour l’événement qui a bouleversé la donne en Allemagne en 89 et celui, dix ans plus tard, de l’ex Yougoslavie. Les raisons du changement de ton ont été les mêmes hier comme aujourd’hui, la crainte d’un déferlement de population étrangère. L’Europe des travailleurs, des syndicats, des partis, de toutes les parties, a d’abord applaudi et ensuite tremblé lors de la chute du mur de Berlin, craignant un déferlement de citoyens de l’ancienne Allemagne communiste vers le restant de 1 Sociologue indépendant, ancien chercheur au service migration du Bureau International du Travail, Genève E-Mail : [email protected] 2 l’Europe. De la même manière, avec un enthousiasme initial un peu plus mitigé à l’égard des peuples anciennement soumis à la Yougoslavie communiste, l’Europe a admiré la ténacité des peuples du Kosovo et de la Croatie mais s’est tenue à l’écart de leur guerre, non seulement par peur d’en élargir les frontières, mais par crainte de voir arriver des millions de réfugiés dans l’espace européen. La leçon reçue est que ni l’un ni l’autre de ces événements n’ont mis l’Europe à genou, au contraire ils ont été déclencheurs de progrès et de promotion sociale pour toute une catégorie d’autochtones montés en grade en laissant aux nouveaux venus une partie des emplois du bas de l’échelle. Il s’est également affirmé un phénomène bouleversant l’histoire des flux migratoires. Car, à partir de la fin des régimes communistes, ce ne sont plus les populations de la Méditerranée, en particulier des Italiens, Espagnoles, Portugais qui font l’épaisseur du flux migratoire, mais les populations venant de l’Est, à commencer par les Polonais. Les questions posées La question de recherche posée ici est donc de savoir, en premier lieu, si dans le cas présent l’Europe s’affronte à une arrivée massive des migrants qui viennent de vaincre des dictatures pluridécennales. En deuxième lieu nous sommes intéressés par les discours des représentants politiques qui s’expriment publiquement sur la question des flux de ces nouveaux migrants et qui construisent, de fait, l’opinion publique. Notre intérêt est sélectif. Les citations reprises dans la presse consultée sont exclusivement celles qui se prononcent pour une ouverture, ou au contraire, qui montrent le peu ou manque de disponibilité à l’égard de politiques d’immigration favorisant les flux sud-nord de la Méditerranée. Le langage utilisé, les mots excitants, voire instigateurs dont sont parsemés certains propos des intervenants font également partie de notre intérêt en considération des répercussions qu’ils peuvent avoir dans la construction de l’opinion publique. En marge des questions nous avons posé une hypothèse : le printemps arabe va avoir une incidence historique et révolutionnaire sur les politiques de régulation des flux migratoires en Europe, ainsi que sur les accords énergétiques et de libre circulation. Dans une Europe qui cherche à faire, en ce moment, des économies sur les salaires, sur les retraites, sur les études, sur la sécurité sociale et sur la main-d’œuvre, notre prévision semble se profiler dans l’air du temps de la mondialisation et de la quête de nouvelles ressources énergétiques et humaines. 3 Quoi qu’il en soit des choix européens, il est certain que, en l’état des conditions déplorables du continent africain, un très fort mouvement migratoire va s’instaurer de manière irrésistible et in crescendo entre le sud et le nord de l’Afrique ainsi qu’entre l’Afrique et la Méditerranée. « Il est évident que l’exode se fera d’abord vers les pays voisins, mais aussi vers l’Europe. Il faut s’y préparer » devait déclarer récemment Cecilia Malmström, Commissaire européenne aux affaires intérieures2. Comme dans un cycle temporel ordonné, nous assisterons à un imposant tournus de voyageurs se déplaçant du Sud vers le Nord de manière plus incisive que le mouvement d’Est vers l’Ouest. Mode d’observation : de chiffres et des mots Les deux instruments de mesure pris en compte sont l’observation des chiffres relatifs aux arrivées récentes de migrants et la décodification des discours officiels signalés par quelques media-papier appartenant à deux grands pays de l’Union européenne, la France et l’Italie. L’analyse se termine par un volet consacré au différend explosé entre la France et l’Italie amenant la Commission de l’Union à proposer une modification des pactes de Schengen. Le premier pays de l’analyse a été choisi pour avoir été l’incitateur le plus fervent d’une réaction forte contre la dictature de Kadhafi mais également l’instigateur de la révision du pacte de Schengen, la France étant très réticente à l’idée d’hériter un poids trop lourd inhérent à l’action belligérante pourtant demandée de pied ferme par elle même. Par ailleurs, simultanément aux révoltes arabes, la France a en chantier la nouvelle loi sur l’immigration examinée en seconde lecture au Sénat le 12 avril dernier3. Le deuxième pays choisi est l’Italie, représentant, avec la Grèce et l’Espagne, l’une des portes d’entrée privilégiées par les migrants du Sud vers l’Union et qui, à l’époque du « printemps arabe », manifeste sur plusieurs plans son désaccord à l’égard de la politique de restriction du gouvernement mais également à l’égard les exploits personnels du chef du gouvernement, Silvio Berlusconi. Sanctionné par une votation référendaire en juin la chute, de popularité de Berlusconi a produit une avancée spectaculaire du parti qui est à sa droite, La Lega du Nord, foncièrement et ouvertement xénophobe. 2 3 Le Monde 08-04, F24 C’est la sixième révision sur la réduction des immigrations en France en cinq ans. 4 Chap. I DES CHIFFRES, DES MOTS DES ACTES I-1 Chiffres et contexte élargi de l’Union Selon des indicateurs officiels4, dans les dernières dix années, environ deux millions de ressortissants africains, toutes nationalités confondues, ont tenté de joindre les côtes nord de la méditerranée. Un dixième des personnes a obtenu un statut légal, le solde a choisi la voie de la clandestinité ou a été obligé au retour. Les chiffres sur les renvois, conformément aux accords de réadmission5 signés par la quasi totalité des pays de l’Union avec des pays africains, sont moins fiables. La France et l’Italie, c’est-à-dire les deux pays cibles de notre observation, renvoyaient environ 10.000 à 20.000 personnes à la fin des années quatre-vingt-dix, l’Italie recevant une proportion de migrants double de celui de la France 6. Actuellement les chiffres des renvois ont doublé voire triplé. Ceci sans compter les renvois des demandeurs d’asile qui n’entrent pas dans le cadre des accords de réadmission. Dans une récente déclaration Claude Guéant ministre de l’intérieur en France, a affirmé « en 2011 j’ai fixé l’objectif de 28 000 renvois, très franchement, j’espère que nous ferons mieux »7. Pour atteindre cet objectif la France est en train de se doter de 120 postes de contrôle d’identité avec lecteur biométrique8. A son tour le chef du mouvement italien La Lega qui fait partie du gouvernement a déclaré pouvoir faire autant et que de toute façon il n’y a plus de place pour les nouveaux migrants au nord de l’Italie « parce que les gens n’en veulent pas »9. Si l’ensemble des pays de l’Union, qui compte 500million de personnes, devaient décider d’appliquer aussi strictement la politique des renvois, ceux-ci pourraient atteindre le chiffre de 200 à 250.000 par année. Auquel chiffre s’ajoute celui d’environ 200.000 interpellations avec renvoi opérées par l’Agence Frontex (cf ciaprès). 4 Fortress Europe Les accords de réadmission sont des contrats « argent contre retour des immigrés » que la plupart des Pays de l’Union a signé avec différents Pays d’Afrique 6 La France reste en Europe l’un des grands pays avec le plus bas tôt d’immigration, soit 6,5 % d’immigrés contre 10% en Allemagne et 11% en l’Italie, Le Monde 16-03 F-11). Pour le cas spécifique des Tunisiens la France en a reçu 2700 en 2010, contre les 9.000 prévus par l’accord de 2008 , Valeurs actuelles 03-03 F12 et 47) 7 Figaro Magazine, 27-04, F-23) 8 Le Figaro Magazine 07-04, F-23 9 Information donnée par Radio Padana, l’antenne radio du parti La Lega et rapportée aussi par Le Monde du 28-03, F-20) 5 5 L’apparat Frontex Créeé par l’Union en 2004, l’agence Frontex est chargée de contrôler par voie de terre et de mer (bateaux et sémaphores terrestres) le franchissement irrégulier des frontières extérieures de l’Union. Elle coûte actuellement 90 millions d’Euro, budget qui sera augmenté encore d’une vingtaine de millions. Apparemment efficace, elle a pu détecter plus de 165.000 personnes « irrégulières » en 2009 et près de 200.000 en 2010 (notre extrapolation). Toutefois, tous les pays européens de la Méditerranée ne disposent pas de la même capacité de postes d’observation10 et l’effectif total en personnel est de 281 agents pour toute l’Union11. Dans ce cas le nombre d’immigrés qui, légalement ou illégalement arrivera à s’introduire chaque année dans l’Union, et y rester, ne dépassera pas les 250.000 à 300.000 unités. A première vue, cette proportion semble tellement modeste qu’elle devrait poser un problème de pénurie de forces nouvelles de travail et en termes de démographie dans une Europe qui souffre, en l’état, d’un très fort vieillissement de la population, plutôt que représenter une préoccupation d’invasion. I-2 Chiffres et contexte restreint au printemps arabe Dans ce paragraphe l’attention se focalise sur les mouvements de population du Sud au Nord de la méditerranée, dans le premier semestre de la révolution arabe, observés dans l’une des entrées privilégiées et fragiles de l’Union de part sa structure géographique : l’Italie. L’intérêt de cette observation ciblée étant d’établir le point de départ de la controverse survenue plus tard entre l’Italie et la France au sujet des migrants tunisiens, controverse ayant sollicité par la suite l’intervention de la Commission européenne. Dans le semestre janvier-juin 2011, les arrivées en Italie de migrants africains par voie de mer, majoritairement tunisiens mais plus tard aussi libyens et subsahariens, ont été estimées à environ 42.000 personnes 12sans compter le millier de décès intervenus en mer ou dans les bateaux mêmes13. La majeure partie de ces migrants débarquent dans la petite île de Lampedusa proche de la Sicile et sont pris en 10 11 12 13 La France, la mieux lotie, dispose de 15 sémaphores distribués sur la côte des Pyrénées à la Corse Valeurs actuelles 03-03 F-12. & Le Point Fr. 04-05, F48 La Repubblica, 01-06, I-1 Cf encart « La tragédie » en page suivante 6 charge avec des structures tout simplement inexistantes. La panique s’empare d’abord des autorités de l’île et, en suite, de la classe dirigeante italienne qui exprimera cette panique avec une ampleur qui a choqué plus d’un observateur comme on verra plus avant. Mais elle n’est pas seule à craindre un risque de perte de contrôle des nouveaux flux migratoires. La préoccupation d’un déferlement d’immigrants est présente un peu partout en Europe. Toute la presse consultée, soit une douzaine de quotidiens à grand tirage, français, italiens et suisses fait état d’interrogations de politiciens et d’observateurs indépendants sur le sujet. La France gouvernementale paraît particulièrement préoccupée par l’arrivée de vagues de migrants à un moment où elle est en plein débat sur la révision de la loi sur les migrants. Ecrit Valeurs actuelles (F) : « La carte tenue à jour par l’agence Frontex le prouve. Le nord de l’Afrique abrite des concentrations de clandestins, une bombe migratoire qui commence à faire peur aux pays méditerranéens »14 La tragédie : quelques rappels 15 mars: un bateau chargé de Tunisiens s’échoue dans les eaux de l’île de Lampedusa : 35 morts 22 mars : un bateau chargé de Tunisiens et Ethiopiens s’échoue dans les mêmes eaux : 335 disparus 25 mars : un bateau tunisien se dirigeant vers la Sicile disparaît au large des côtes tunisiennes : 70 décès 30 mars : un bateau libyen s’échoue entre la Libye et la Sicile : 11 morts Et ainsi de suite pour un total estimé à 519 morts et disparus entre les seuls mois de mars et avril 15. La tragédie n’a fait que s’accroître depuis et, à fin août, l’estimation est désormais de plus de mille entre décès et disparus. Le nombre d’embarcations visant la Sicile à un rythme régulier est de une à deux par semaine. A côté des morts par noyade ou asphyxie16 ou par homicide suite aux bagarres qui ont lieu sur des bateaux hyper chargés, on se doit d’évoquer la somme de souffrances au quotidien dues à l’improvisation des structures d’accueil dans le Sud de l’Italie, à la réticence des administrations locales, à l’enfermement pendant des semaines de milliers de personnes dans des camps d’attente d’identification inadéquats, qui provoquent régulièrement des troubles graves. 14 Valeurs actuelles 03-03 F-12 Fortress Europe I-5 16 Pour rappel le 5 août est arrivé en Sicile un bateau avec 25 morts asphyxiés dans la soute du bateau 15 7 3 LES MOTS : La tragicomédie ou la construction de la peur Dans ce chapitre essayons de montrer l’évolution du discours publique paru dans les médias consultés à partir de l’arrivée des premiers bateaux en Sicile jusqu’au moment où les autorités italiennes ont mis fin à leurs appels à la solidarité européenne et ont agi de manière autonome en octroyant 25.000 permis de libre circulation en Europe pour autant de migrants débarqués à Lampedusa. Premier temps, les prédictions dramatiques C’est avant tout dans la presse italienne que nous avons fait le constat d’une terminologie choisie pour impressionner, voire alarmer les gens sans pour autant développer dans un premier temps l’idée d’exclusion, de rejet de haine vers l’étranger. Le 12 février le ministre italien des Affaires étrangères, dans le discours tenu au Parlement italien sur la question des migrations arabes, utilise l’expression « Nous sommes en présence d’un exode biblique (...) dix fois plus qu’avec les Albanais ». L’expression est reprise par toute la presse italienne et étrangère consultée, avec larges commentaires qui vont d’une prise en considération sérieuse du propos17 du ministre à des réactions très critiques sur l’exagération volontaire de la situation. Quelques jours plus tard, le 23 février, lors de la réunion à Rome des ministres de la zone Méditerranéenne tenue à la demande de l’Italie, c’est au tour du ministre italien de l’Intérieur Roberto Maroni de prononcer la phrase «sommes en présence d’une catastrophe humanitaire » faisant allusion au fait qu’environ 300.000 migrants Libyens auraient l’intention de migrer vers le nord18. Toute la presse italienne consultée a repris cette déclaration, ainsi que Le Monde, Valeurs actuelles, Libération et le Figaro. Là aussi les réactions sont discordantes. Tandis que les quotidiens La Repubblica19, Le Monde20 et Libération commentent l’expression avec perplexité, voire incrédulité, d’autres quotidiens notamment italiens comme Il Messaggero, la considèrent comme probable. 17 C’est le cas des journaux «L’Avvenire », catholique, Il Tempo, il Messaggero, Sole 24 ore Ce chiffre a été prononcé aussi par la Croix rouge suisse lors de la conférence du 09-06-011 à Genève, mais il s’agissait de la totalité des gens qui avait fui la Libye et qui campait sur la frontière tunisienne 19 La Repubblica, 11-04 I-4 20 Le Monde28-03 F20 18 8 A son tour le Président français Nicolas Sarkozy devait prononcer le 27 février la phrase : « les conséquences de telles tragédies ( les révolutions arabes n.d.r.) sur les flux migratoires sont connues, c’est la France qui est en première ligne 21 Et Le Figaro du 10 mars pose la question : « Le printemps arabe va-t-il entraîner une déferlente migratoire en Europe? »22. Deuxième temps, les propos rassurants «Il ne faut pas de prime à l’immigration illégale », devait prononcer le 15 février dans une intervention publique Monsieur Laurent Wauquiez, ministre français aux Affaires européennes23. Le même quotidien, Point.fr, reprend également les propos tenus à l’Assemblée nationale par Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur avant d’être remplacée par Monsieur Claude Guéant : « Un étranger en situation irrégulière a vocation à être reconduit dans son pays d’origine sauf situation humanitaire particulière (...) ce n’est l’intérêt ni de la Tunisie, qui l’a parfaitement compris, ni de l’Europe, ni de la France que d’encourager et accepter ces migrations clandestines ». Troisième temps, des propos alarmants Fin février : En attribuant le propos au ministre de l’intérieur Roberto Maroni, le quotidien La Repubblica24titre en première page : « Un million et demi d’expatriés, l’Italie dispose sa flotte pour arrêter les bateaux ». Le chiffre de 300.000 annoncé par le même ministre dans une précédente allocution s’est multiplié par cinq. Le quotidien Libération commente ainsi le 1er mars la réunion tenue par le parti UMP : « La réunion des députés de l’UMP a été consacrée à deux sujets : la controverse sur l’Islam et la menace d’une explosion des flux migratoires dans la foulée des révolutions arabes »25. Le quotidien souligne la volonté du parti de demander au gouvernement de prendre immédiatement toutes les mesures pour éviter toute immigration autant de Tunisiens que d’autres populations insurgées au Nord de l’Afrique. 21 22 23 24 25 Le Monde 27-02-F11 Le Figaro, 10-03 F-8 Le Point fr 15-02-011 F-1 La Repubblica 24-02 I-15 Libération 02-03 F-5 9 Et le 6 mars le même quotidien fait remarquer que le Président de la République française, dans son allocution destinée à justifier le remaniement ministériel, a mis en garde les Français contre « les flux migratoires potentiellement incontrôlables en provenance de Tunisie et Libye »26. Quatrième temps, les mots de la xénophobie « Il faut les renvoyer chez eux » et plus tard de la même source :« Il faut vider la baignoire »27, devait prononcer Umberto Bossi, chef du parti italien d’extrême droite La Lega, présent dans le gouvernement, en réponse à la requête des autorités siciliennes de créer des camps d’accueil au Nord du pays et non seulement au Sud. Et d’ajouter dans la même intervention : « De toute façon, les centres d’accueil sont mieux au sud, le climat est plus convenable pour ces gens »28. Dans le même esprit, Madame Marina Le Pen du Front National dira en toute simplicité : « On n’a q’à remettre les gens dans leurs bateaux »29. Autrement dit : : « Après tout remettons ces gens dans les bateaux », propos venant cette fois-ci de la bouche d’une députée UMP, Madame Chantal Brunel, à la grande surprise d’autres députés du même parti 30. « Cette sortie atroce de la part de la députée UMP donne envie de vomir » rétorque à son tour Pierre Laurent numéro un du PCF31. Commentaire Les quelques propos rapportés étaient évidemment associés à des commentaires que n’avons pu intégrer dans notre observation vu les dimensions de ce travail. Ainsi, les morceaux de phrases captés expliquent la distorsion à laquelle est soumise toute référence qui s’appuie sur un fragment de discours et non sur son intégralité. L’autre limite de l’observation réside dans le fait que lorsque les mêmes propos sont présents dans plusieurs medias, ils ont été réduits à un seul récit, ceci afin d’éviter un effet de redondance et de saturation de l’intérêt. 26 Libération 05-03 .F-6. Le Monde Fr 28-03 F20 28 Le Monde Fr 28-03 F-20 ; Repubblica 04 et 11-04 I-4 27 29 Le Monde 28-03 F-20 Le Monde Fr 09-03 doc 10 31 Le Monde Fr 09-03 doc10 30 10 Par ailleurs, la presse a fait évidemment état aussi des propos dédramatisant venant de quelques représentants politiques, d’observateurs et spécialistes des migrations et d’organisations non gouvernementales. Plusieurs medias ont aussi reproduit l’exhortation de chefs d’Etat, de l’ONU et du Pape à une plus grande tolérance et fraternité à l’égard des nouveaux migrants en relativisant la portée de la vague d’arrivées Les quotidiens La Repubblica , Il Corriere della sera et l’Unità en Italie, ainsi que Le Monde , Libération et Le Figaro en France, ont fait apparaître des statistiques de l’OCDE, du Haut Commissariat des réfugiés et d’instituts financiers et/ou humanitaires privés, donnant leurs informations sur les mouvements factuels de population. A l’opposé d’autres informations, celles de ces organismes ont probablement servi à dédramatiser32 le climat de par l’autorité dont ils jouissent. Mais, dans l’ensemble, ces voix ont été relativement modestes en volume, le contraire donc des propos de type alarmiste, péremptoire ou même ridicule,33 comme si l’incitation à la peur et à la dramatisation des choses avait été considérée comme plus demandée ou plus adéquate à la réalité politique du moment, ou encore et plus simplement plus attrayante. En quelques sorte, nous avons été, à notre tour, fascinés par cet aspect. Mais, le différend surgi entre la France et l’Italie à propos des migrants du printemps arabe, dont il est question dans le paragraphe qui suit, change totalement la donne de par la gravité réelle de son issue. 32 Les exemples parus : le % des immigrés en Europe qui est de 8,6% contre 12,9% aux USA (source Fondation Schumann) ; la charge soutenue par les Pays en développement de 80% de tous les migrants du monde contre le 20% dans les pays développés (source OCDE), etc. 33 Comme la quantité de titres de presse qu’a suscité la phrase du Président Berlusconi quant il a promis aux habitants de Lampedusa de proposer que leur soit conféré le prix Nobel de la Paix. 11 4 LES ACTES Par le terme « actes » on entend ici parler des dispositions prises au niveau d’instances politiques nationales et de l’Union, qui ont été couvertes par les media que nous avons consultés. 4-1 Les initiatives de l’Union suite à l’épiphénomène francoitalien En observant l’importance qui leur a été accordée par la presse, deux initiatives majeures se sont imposées, dans un premier moment, en termes d’actes officiels et consensuels de l’Union: a) Les mesures d’aide financière immédiate34 et à plus long terme en faveur des pays en révolte, y compris le maintien des accords énergétiques et de commerce préexistants ; b) Les mesures d’autoprotection contre le risque d’arrivée des nouveaux migrants en renforçant notamment le rôle, le budget et le personnel de Frontex . Mais l’investissement majeur de la Commission de l’Union a visé un autre objet : un épiphénomène inattendu est venu s’ajouter peu après aux deux précédentes opérations en faisant déplacer à plusieurs reprises des chefs d’Etat, des ministres et les membres de la Commission. Quant à la presse elle en a rempli des pages entières pendant des jours. La France et l’Italie se sont en effet lancées dans une bataille de frontière comme au temps des altercations entre producteurs de vins des deux pays. L’événement instigateur du différend a été la tentative de deux à trois milles Tunisiens de passer la frontière italienne à Vintimille pour se rendre en France. 4-2 LE DIFFEREND FRANCE - ITALIE Entre janvier et fin mars sont arrivées officiellement en Sicile, via l’île de Lampedusa et deux autres petites îles voisines environ 25.000 migrants de plusieurs nationalités du Nord Afrique et subsahariennes. Les autorités italiennes qui n’avaient pas réagi immédiatement à l’appel du maire de l’île de Lampedusa, ont pris des mesures allant notamment du déploiement de nombreux navires pour 34 Le programme MEDA a libéré 4 milliards d’Euro pour la période 2011-2012, La Croix, F38 12 intercepter les embarcations35 à la redistribution des migrants sur d’autres sites que la seule Sicile. L’une de ces mesures aura eu un impact désastreux sur les rapports du pays avec le restant de l’Union. Dès l’arrivée des premiers milliers de migrants, l’Italie en appelle à Bruxelles afin de bénéficier du fond de solidarité de l’Union. Mais, c’est le début des complications, elle demande aussi l’application de la norme 55 de la directive de l’Union qui avait été promue à l’occasion des conflits des Balkans et qui comporte, en cas d’arrivée massive de migrants, leur répartition sur l’ensemble de l’Union et non seulement dans le pays de leur première destination36. Afin de donner du poids à cette deuxième demande le ministre italien des Affaires étrangères prononce la fameuse phrase reprise largement par tous les quotidiens de l’Union : « Nous sommes en présence d’un exode biblique » qui a de fait suscité plus d’irritation que de compréhension. Sur quoi le ministre allemand Hans Peter Friedrich affirme dans les pages du Die Welt : « l’Italie n’a qu’à résoudre seule son problème ». Et dans une interview au quotidien La Repubblica l’ex conseiller de Helmuth Kohl, Michael Stuermer, à la question posée par le journaliste « Et si l’Italie devait vraiment sortir de l’Union ?» répond : « Contre qui veut aller Berlusconi, contre l’Allemagne ?...L’Italie a besoin de l’Europe bien plus que l’Europe n’a besoin de l’Italie »37. Et, côté français, le ministre Claude Guéant s’empresse de déclarer lors de sa première intervention à l’Assemblée parlementaire : « les deux responsabilités de la France sont d’ accompagner ces peuples vers une vie réellement démocratique et ne pas subir une immigration non contrôlée. Les personnes qui se présenteront en France en situation irrégulière seront refoulées »38. Plusieurs observateurs font remarquer que l’Italie, envahie par un vent de panique, a agité trop les eaux et a créé un problème. Le gouvernement italien « dans l’incapacité de gérer la crise met en scène le grand bluff »39 « A bien des égards, l’Italie paie ainsi les lacunes de sa politique européenne »40, ou encore :« Faillite du gouvernement de l’irresponsabilité »41 35 dont la première fonction était de freiner les arrivées, mais qui de fait s’est transformée, dans un premier temps, en une assistance à plusieurs bateaux allant à la dérive et à des centaines de personnes sauvées d’une mort certaine 36 Pour rappel, c’est l’Allemagne qui avait demandé de créer un tel instrument lorsqu’elle recevait quelques 600 mille réfugiés du Kosovo. 37 La Repubblica 11-04, I-5bis 38 Libération 02-03, F 31. 39 La Repubblica 24-02, I- 7 40 Le Monde 18-04, F25 41 l’Unità 18.03.011, I-31 13 A partir de ce moment les rapports entre la France et l’Italie se crispent et l’un et l’autre pays dramatisent le climat à travers une série de réactions et contre réactions en chaîne dont l’effet plus pervers est de provoquer des sentiments d’hostilité entre les populations des deux Pays42. 4-3 La chronologie de la mésentente entre France et Italie Durant le mois de mars plusieurs navires italiens se rendent à Lampedusa pour transférer les migrants dans plusieurs centres d’accueil existants ou improvisés dans le sud de la péninsule. A partir de ce moment, beaucoup d’entre eux se dispersent dans la péninsule et ailleurs. 04-avril: La gendarmerie française aurait reçu des renforts à la frontière de Vintimille pour bloquer systématiquement43 l’entrée des Tunisiens . « La France gratifie les gendarmes qui repoussent les tunisiens ».. » Le gouvernement de Sarkozy offre des gratifications salariales sur la base du nombre de personnes repoussées à la frontière italienne » fait remarquer le quotidien La Repubblica 44 qui poursuit : « La Présidence italienne a dépêché 25 agents à la frontière pour vérifier si les critères adoptés par les autorités françaises sont conformes à la réglementation de l’Union». L’information sur l’envoi de troupes françaises à Vintimille sera confirmée par Le Monde, par Libération, par l’Humanité et La Croix. 06 avril : Le ministre Claude Guéant émane, via son chef de cabinet le préfet Stéphane Bouillon, une circulaire demandant aux forces de l’ordre de vérifier que les Tunisiens arrivant d’Italie puissent justifier de leur identité et de leurs ressources suffisantes (de l’ordre de 31 à 62 Eur. par jour selon le cas, n.d.r.). Ordre est donné, dans le cas contraire, de les renvoyer vers l’Italie »45.. La presse italienne s’empresse de nommer le ministre Guéant « Le faucon de la politique française »46 07 avril : Le Ministre italien Roberto Maroni annonce lors de l’émission télévisée du soir Porta a Porta que l’Italie va octroyer 25.000 autorisations de séjour 42 A Vintimille, le 04-04 il y a eu des invectives d’une foule d’Italiens appartenant à des associations d’assistance aux migrants contre la police et les douaniers français 43 L’accord de Schengen interdit les contrôles systématiques aux frontières internes de l’Union 44 La Repubblica, 04-04, I 4 45 L’Humanité F,15-04 , F 29) 46 Corriere della sera 08-04, I-30 14 provisoires aux Tunisiens débarqués à Lampedusa depuis janvier jusqu’au 5 avril 2011. Ces autorisations, selon les accords de Schengen, leur donnent le droit de se déplacer dans toute l’Europe pendant trois mois. Et d’ajouter : « Je comprends qu’il y a des élections en France en 2012 et que Monsieur Sarkozy subit la concurrence de l’extrême droite, mais mettre des troupes aux frontières est la plus grosse erreur »47 Ce que Monsieur Maroni n’a pas dit dans l’allocution et qui fait l’objet de commentaires le lendemain dans une large partie de la presse italienne est que Monsieur Berlusconi et le Gouvernement italien ont exactement le même problème que Monsieur Sarkozy soit l’échéance électorale de 2012, et un puissant parti d’extrême droite qui a fortement avancé dans les votations administratives, et qui n’attend que la sortie de l Italie des accords de Schengen. Quelques jours plus tard les considérations de Monsieur Maroni seront reprises ainsi par le quotidien Les Echos : « En clair la phrase prononcée par Monsieur Sarkozy vendredi 22 avril c’est un clin d’œil au Front national qui réclame une sortie au plus vite de l’espace Schengen ..... comme de l’Euro ? »48 08 avril : Les ministres de l’Intérieur Maroni et Guéant négocient à Milan un accord sur le sort des 25 mille Tunisiens débarqués à Lampedusa : Le Ministre Maroni confirme qu’en absence de soutien de l’Union (cf réunion de la Commission du12 avril) l’Italie accordera des permis provisoires d’une validité de trois mois avec lesquels les gens pourront circuler dans toute l’Union au titre des accords de Schengen. Cette entrevue est une confirmation du désaccord sur les positions italiennes et françaises. 08 avril : « Au cours du mois de mars, 2800 Tunisiens venant d’Italie ont été interpellés par les CRS français. 1700 ont été reconduits en Italie et 200 directement en Tunisie annonce Le Monde 49. Pendant plusieurs jours courant avril, la presse italienne confirme que beaucoup de Tunisiens, une fois débarqués en Italie trouvent mille manières de s’échapper des camps d’accueil où ils risquent d’être retenus très longtemps pour en contrôler l’identité, voire, en vue d’une expulsion, et disparaissent dans la nature. 47 48 49 Corrieredella sera I-11) et F-22 Les Echos 27-04-011 F-39 Le Monde Fr 11-04 F-14 15 Se pose ainsi la question de savoir quelles structures sont adaptées à recevoir et à identifier les gens dans un laps de temps adéquat et juste pour la dignité des migrants et la sécurité de la population autochtone. Le débat est vif sur le sujet et les associations de défense des droits humanitaires, en tête la représentante italienne de l’HCR, Madame Laura Boldrini50, demandent que l’on réfléchisse à des moyens plus adéquats à la situation de crise du moment. Autre problème : est-ce que l’actuel apparat de contrôle sert vraiment à encadrer les flux migratoires ? C’est la question posée dans un article paru dans Le Monde du 11 avril sous le titre « Est-il possible de contrôler les flux migratoires ? L’auteur affirme que les intentions politiques, autant de droite que de gauche (celle ci aurait découvert l’intérêt d’une « politique d’immigration maîtrisée » sans en préciser le contenu, ni le mode de réalisation), sont quelque peu illusoires pour toute une série de facteurs tels que: le contrôle de toutes les côtes de la Méditerranée et de l’Atlantique ; les arrivées par infusion lente et peu visible des gens, l’interprétation sans limites des accords de réadmission ; le caractère spécifique d’un accord par rapport à un autre ; la difficulté concrète d’expulser compte tenu du droit international protégeant la famille, etc. ; enfin la grande capacité de moyens dont disposent les organisations de transport des clandestins et les accords entre clans liés à la mafia sur l’exploitation des migrants, (liens qui s’étendent jusqu’aux lieux d’identification des pays d’immigration permettant aussi d’organiser les fuites de ces camps, n.d.r.) . L’article termine en affirmant que « seuls les flux migratoires inscrits dans des accords de migration de travail peuvent partiellement être maîtrisés ». 08 avril : A la suite des demandes présentées par l’Allemagne, l’Autriche et autres pays à Bruxelles en vue d’autoriser un rétablissement temporaire des frontières, la Commissaire européenne Madame Cecilia Malmström répond aux journalistes: « Des Etats membres évoquent cette hypothèse dans le cas de circonstances extrêmes et me demandent d’examiner la question. Je le ferai » Dans la suite des déclarations avancées par Madame Malmström le Journal a aussi noté son affirmation: « La politique d’accueil dépend des Etats et la solidarité ne se fait que sur la base du volontariat »51 08 avril : Le Président de la République italienne Giorgio Napolitano exhorte les pays de l’Union à trouver ensemble une issue à la question des nouveaux immigrés en soulignant l’inadéquation des stratégies unilatérales52 50 La Repubblica, 02-08 I-12bis Le Monde, 08-04, F24 52 Il Corriere della sera, 08-04, I-21 51 16 12 avril : Réunion du Conseil européen des ministres de l’intérieur. Le ministre italien espère à nouveau convaincre ses collègues d’activer la directive 55/2001. L’Italie n’ayant accueilli, au moment de la réunion du Conseil, que vingt à trente mille migrants reçoit un refus net de toute l’Union, alors que Malte reçoit l’aide de plusieurs pays en termes de redéploiement des quelque centaines de migrants venus de Libye53 12 avril : Les trains en provenance d’Italie et dirigés vers la France sont arrêtés à Vintimille par ordre des autorités françaises. Quelques jours plus tard le quotidien La Croix commente : « Paris a suspendu la circulation des trains depuis la ville frontière de Vintimille vers la France (...) Paris veut revoir les clauses de sauvegarde de façon à pouvoir établir des contrôles aux frontières nationales »54. 15 avril: « Cet affrontement entre Européens ressemble à un bal d’hypocrites. Les Ministres italien et français font monter les enchères pour alimenter des discours xénophobes liés à des enjeux de politique interne (...) Au milieu du dialogue de sourds au Luxembourg, la création d’une Europe forteresse est le seul consensus qui émerge «. Le quotidien poursuit : « Cette résurgence des égoïsmes nationaux illustre l’échec de la politique migratoire commune 55. 18 avril : « La stratégie de Guéant : endiguer les étrangers et stopper lady Le Pen » annonce le Corriere della Sera le 18 avril56 22 avril : Monsieur Nicolas Sarkozy annonce publiquement qu’il va demander la suspension des accords de Schengen. La Commission de l’Union se réunira à ce propos le 4 mai. Selon le porte parole de la Commission, Olivier Bailly « il s’agit de dire ce qu’il est possible de faire quand un Etat qui est frontière extérieure de l’Union ne respecte pas ses obligations ou quand il prends des décisions unilatérales. Il est déjà possible de rétablir temporairement des contrôles aux frontières nationales. Ce que nous cherchons, c’est de préciser les conditions dans lesquelles cela sera possible »57 53 Tandis que la presse italienne commente cette décision avec une certaine déception, (La France nous est hostile ! etc.), une partie de la presse française, suisse et plus marginalement la presse anglaise consultée expliquent cela comme une évidence au vu d’une décennie de politique internationale italienne en marge de l’Union (L’Italie n’a pas pensé à jouer la carte européenne commente par exemple Le Monde du 18-04) F-25 54 La Croix 26-04- doc 38.et Repubblica 18 aprile, I-10bis 55 l’Humanité, F-29 56 Corriere della sera 18-04, I-50 57 Les Echos Fr 27-04, F- 40 17 24 avril : « Ce qui est dramatique c’est l’escalade politicienne des mots. Le premier devoir des responsables politiques c’est de faire baisser la tension. Ce n’est manifestement pas le choix de Nicolas Sarkozy, de Claude Guéant et de Jean Francois Copé. En matière de flux migratoires nous avons des devoirs – l’asile et le regroupement familial- ainsi que des intérêts –accueillir chez nous un utile complément de main d’œuvre. Le refus de toute immigration est une aberration intellectuelle et politique, une sorte d’utopie fasciste», interviewe de Jean Louis Bourlanges (Président de la Fondation du Centre, proche de Monsieur Bayrou )58. 26 avril : Les chefs de Gouvernement Berlusconi et Sarkozy se rencontrent à Rome. L’accord trouvé entre les parties se déclinera par une demande à la Commission européenne de revoir certaines clauses de l’accord de Schengen. La rencontre est commentée, avec photos souriantes des deux hommes d’Etat, par toute la presse italienne et française consultée. D’un côté comme de l’autre, les commentaires sont quasi unanimes dans l’affirmation qu’on est en présence d’une forte tension entre les deux chefs de gouvernement. 04 mai : Déclaration du porte parole du Quai d’Orsay après la validation par la Commission européenne de la demande de la France : « La Commission européenne répond aux préoccupations de la France quant aux pressions des frontières extérieures communes de l’Union Européenne. Il est urgent de rétablir la confiance de nos concitoyens dans notre espace commun de libre circulation »59. Ainsi, la Commission européenne prend le parti de ne pas changer l’essentiel des accords de Schengen, mais d’ajourner les travaux dès le mois de juin pour éventuellement ajouter une clause d’exception à la convention, ceci afin de permettre à tout Etat de rétablir momentanément des contrôles systématiques60 aux frontières d’un pays « en cas de défaillance d’un des pays aux frontières extérieures à la zone Schengen ou quand la poussée migratoire est trop lourde sur un point de cette frontière ». 58 Le Monde 24-04, F-34 Le Point Fr 04-05, F 48 60 C’est à dire une entorse à l’essence même de la convention qui est de ne pas systématiser les contrôles 59 18 CONCLUSION Si le premier but de mener cette investigation était de saisir les indices d’une nouvelle orientation des flux migratoires organisés entre le Sud et le Nord de la Méditerranée, il s’est vite trouvé qu’il existe, en l’état, un grand décalage entre ladite orientation et les priorités des pays de l’Union européenne. L’hypothèse avancée d’un retour de flux du Sud vers le Nord à la faveur d’un marché européen qui comprend des poches d’activité, notamment l’agriculture, requérant un apport de travailleurs manuels considérable, n’a pas l’air de se substituer à la réalité immédiate qui est d’utiliser cette main d’œuvre en dehors d’un cadre légalement structuré. Selon la littérature consultée, quelques media-papier à grand tirage de deux grands pays de l’Union européenne, les nouveaux flux migratoires qui étaient notre premier objet de curiosité, constituent effectivement un événement majeur et actuel. Mais il s’agit et il s’agira encore pour un temps indéterminé de flux clandestins , de flux de « la peur » de « noyades », de « morts ». Plus de 15.000 migrants d’Afrique sont décédés dans les derniers dix ans lors de leur parcours vers l’Europe dont 11.000 perdus en mer. La pression de ces flux reste imposante et, en l’état désastreux de l’Afrique, ne pourra qu’augmenter selon La Commissaire de l’Union Madame Cecilia Malmström61. Par ailleurs, » tout en défendant la proposition de la Commission (retablissement momentanée des contrôles aux frontières demandé par la France), Cecilia Malmström a critiqué les solutions populistes et a dit attendre en contrepartie des gestes de Paris en matière d’asile »62. Elle poursuit : « La libre circulation des personnes est une des avancées majeures de l’Europe, il ne faut pas revenir en arrière »63. Entre ce flux de clandestins et l’éclosion d’une politique migratoire qui signerait la fin de la rigidité des rapports actuels entre Nord et Sud de la Méditerranée, il y a un abîme. La tentative abordée par le Président Sarkozy de créer une Union des Etats de la Méditerranée semble s’éloigner comme si, suite aux révolutions démocratiques, le projet avait perdu en lieu de gagner du terrain. 61 Cf note 2, page 4 Les Echos Fr. 04-05 F49 63 Le Point Fr 04-05, F48 62 19 Quant aux demandeurs d’asile, les camps d’accueil et d’examen des demandes sont toujours à la limite de la saturation et les procédures d’examen des demandes de plus en plus longues. Cette situation se complexifie davantage encore suite à l’arrivée de personnes qui fuient actuellement la côte nord de l’Afrique sans appartenir aux pays qui sont en révolution. Le statut de ces personnes ne correspondant pas à celui de candidats réfugiés. Que faire à l’égard de ces deux réalités ? La double tentative faite par l’Italie d’octroyer à des migrants Tunisiens des permis de séjour d’immigrés « légaux » valables pour l’ensemble de l’Europe et d’octroyer des permis de réfugiés aux migrants subsahariens qui ont fui la Libye, constitue de fait une double entorse au droit européen totalement novatrice et totalement en marge des règlements internationaux. Qui plus est, ces mesures, désolidarisées du restant de l’Union, constituent un appel d’air à une immigration chaotique et à la rupture de l’uniformité d’interprétation des accords sur lesquels se fonde l’Union. L’Union dans l’empasse Par ailleurs, de par leur chronologie les convulsions observées dans deux Pays de l’Union, L’Italie et la France, sont devenues à elles seules un sujet d’intérêt majeur. Si l’on voulait résumer tout ce qui est encore à faire dans la très jeune Union européenne, le printemps arabe a été un thermomètre extrêmement illustratif et exemplaire. La chasse aux Tunisiens organisée par la police française à Vintimille avec prime de récompense aux gendarmes pour la bonne prise ; l’envoi depuis Rome de 25 policiers pour vérifier cette étrange chasse et en référer à Bruxelles ; des trains qui sont arrêtés pour éviter le transit de migrants et qui bloquent dans le faits aussi de milliers de travailleurs et de touristes qui ont la malchance d’utiliser ces mêmes trains ; la menace des députés de la droite italienne de sortir de l’Union ; les déclarations de tous les gouvernements européens quant à leur indisponibilité à recevoir les rescapés du printemps arabe, constituent autant de gestes qui ont redessiné l’image de l’Union. Plus grave encore, ces exploits précipités ont induit des sentiments de peur, d’insécurité et finalement d’inimitié entre concitoyens de la même Europe64. Qui plus est, ils ont touché à l’un des piliers principaux du mythe fondateur de l’Europe, la fluidité de la circulation par l’abolition des contrôles aux frontières internes. 64 L’hostilité a été nourri avec de multiples arguments, jusqu’à rappeler dans la presse italienne le contentieux qui désunit les deux pays depuis 30 ans au sujet du refus de la France d’extrader le chef terroriste italien Cesare Battisti. Corriere della Sera 08-04-, I-30 20 L’Europe aurait-elle fait un bond en arrière de dix ans ? La responsabilité de la France et de l’Italie A première vue, la France a gagné la partie en obtenant que l’Italie arrête de lui envoyer des migrants tunisiens ; l’Italie a perdu la bataille tout en continuant à recevoir des migrants d’Afrique auxquels ne pourra plus délivrer des permis Schengen. Dans les faits, l’un comme l’autre pays sortent perdants dans ce combat. Contrairement à la capacité inventive montrée dans plusieurs circonstances par le duo Franco Allemand, celui composé de la France et l’Italie, a été incapable d’accoucher une idée plus adéquate que la bagarre d’un vieux couple. Reprenons une analyse qui est apparue dans les pages du Le Monde. Le cri d’alarme lancé par l’Italie est apparu exagéré à plus d’un titre et démasqué comme une stratégie électorale. Cela aurait pu être corrigé et excusé par les partenaires européens si le gouvernement italien avait eu le reflex de revenir à des positions plus nuancées et si la politique européenne italienne avait été un peu moins isolationniste depuis quelques années déjà. « A bien des égards, l’Italie paie ainsi les lacunes de sa politique européenne (...) Silvio Berlusconi et son gouvernement semblent totalement isolés sur la scène européenne comme si les derniers scandales avaient définitivement rendu son gouvernement infréquentable à Bruxelles » dit l’auteur de cette analyse, un directeur de recherche de l’institut IRIS65. D’autres avis mettent en exergue l’attitude peu constructive de la France. « De la Libye à la Côte d’Yvoire Sarkozy Président guerrier pour reconquérir les français » titre La Repubblica du 11 avril66 Certes, avec ses gendarmes aux frontières avec l’Italie et avec son veto en accord avec l’Allemagne à la demande italienne adressée à Bruxelles, elle a donné une réponse épidermique qui n’a certainement pas servi à faire descendre la fièvre. Otage à son tour des élections de 2012, la France a privilégié la voix des « antimigration » alors même que le nombre de Tunisiens arrivée aux portes de Nice dans toute l’année 2010 n’a couvert qu’un tiers du contingentement d’entrées stipulé dans l’accord franco-tunisien de 2008. 65 66 Le Monde 18/04 F 25 La repubblica 11-04, I-47 21 La toile de fond Mais les deux acteurs qui ont amené l’Union à retoucher les accords de Schengen ne sont pas les seuils personnages de la scène. Dans la convulsion qui a secoué l’Union européenne dans un bal de consultations de ministres, de chefs d’Etat, de commissions ministérielles et de gendarmes par mer et par terre, le printemps arabe,« l’instigateur apparent » a été instrumentalisé à d’autres fins. La presse, autant italienne que française, ont très fortement souligné le jeu électoraliste que les partis gouvernementaux doivent jouer pour ne pas être pris en otage par deux fortes tendances d’extrême droite, le FNL de Madame Marina Le Pen et la Lega de Monsieur Umberto Bossi. Comment se porteraient les politiques migratoires si ces formations, et toutes celles que leurs ressemblent, devaient assumer de plus grandes responsabilités ? Et si la peur qu’on instaure contre ces mouvements était une stratégie pour justifier les mesures qu’on prend ou qu’on ne prend pas « pour ne rien changer » se demande un observateur. Et d’ajouter : « ce n’est pas justement en inculquant la crainte de l’islamisme que des hommes comme Ben Ali ont pu diriger le pays pendant trente années sans changer son régime prédateur?»67 Les pressions conservatrices n’épargnent pas non plus la Chancelière allemande Madame Merkel qui est sous le feu de critiques de la droite populiste qui lui reproche de dilapider les finances du pays dans une action de secours perpétuel en faveur de pays, comme la Grèce, qui dissipent l’argent. Pressions qui ont certainement influé sur l’attitude de l’Allemagne à l’égard de la demande italienne. Autre toile de fond, la crise financière et de croissance du moment rigidifie tous les gouvernements de l’Europe comme aux USA. Dans une meilleure conjoncture, la diplomatie aurait suggéré autant à la France qu’à l’Allemagne de proposer à l’Italie une voie médiane pour trouver une solution à l’arrivée des nouveaux migrants. Par ailleurs, la bagarre entre la France et Italie semble avoir travaillé en faveur de l’idée qui prend une place croissante dans toute l’Europe d’encadrer les migrations dans un système européen de quota en luttant simultanément contre les immigrations clandestines grâce à l’accroissement des moyens de l’Agence Frontex et en renforçant les accords de réadmission avec les pays exportateurs de migrants afin que ceux-ci retiennent dans le Pays leur concitoyens. Or, ces accords ont un sens si, simultanément, les pays d’émigration sont aidés avec de grands moyens à se reconstruire après des décennies de dictatures largement soutenues par l’occident. Par ailleurs, les accords de Schengen 67 Le Monde diplomatique juin-011, F-100 22 comportent une page blanche qui crée la confusion permettant les dérapages du genre vu avec le gouvernement italien. Comme le fait remarquer dans un récent ouvrage l’écrivaine Isabella Peretti68, l’Union a bien mis en place l’instrument Frontex pour freiner les arrivées massives de migrants, mais elle n’a aucun instrument consensuel pour traiter le statut de ceux qui passent à travers ce filtre, autorisant ainsi chaque pays à se débrouiller à sa manière. Qui plus est, l’arrivée de cet instrument indispensable n’est pas pour demain car les Etats ne sont pas prêts à déléguer toutes les compétences sécuritaires à Bruxelles69. Musulman, persona non grata L’Europe entière est traversée par un vent d’anti-multiculturalisme70. De la Finlande à la Suisse des groupements de citoyens ou des partis demandent un abaissement substantiel du pourcentage d’étrangers, parfois en amalgamant des idées contradictoires comme par exemple l’énoncé du mouvement ECOPOP (écologie et population) en Suisse qui lance une initiative contre la surpopulation en la motivant comme une préservation des ressources naturelles. La Hongrie qui se donne une nouvelle constitution tout sauf basée sur des principes de multiculturalisme et que par conséquent ne protège pas ses propres minorités (des milices fascistes ratonnent les roms sous le regard, bras croisés, des autorités «71. Pourtant, c’est le paradoxe et le mot de la fin, le rejet des nouveaux migrants n’est pas en contradiction avec les besoins de main d’œuvre de l’Europe. « L’immigration est une garantie de croissance» affirment économistes et démographes dans une série d’articles parus autant en France qu’en Italie qu’en Suisse et en Allemagne72. Pour reprendre l’exemple italien, qui vaut aussi bien pour l’Espagne et pour la France, toute l’agriculture du sud est assurée par l’apport d’une main d’œuvre foncièrement nord africaine. Une main d’œuvre fortement appréciée et qui est, malgré tout, mal aimée. Et selon une étude italienne, le pays souffre également d’un manque de main-d’œuvre qualifiée de part le fait que dans les prochaines années il n’y aura qu’un seul jeune italien disponible sur le marché pour remplacer quatre ouvriers qualifiés partant à la retraite73. A qui confier alors les autres trois places ? 68 Schengenland, éd. Ediesse 2011-08-27 Madame Simonetta Sommaruga, Conséillere fédérale a aussi répondu dans ce sens lors de la réunion des Ministres du 4 mai (Le Courrier (Ch) du 05-05-011) 70 Le Point du 12-05 retrace une mappe montrant l’évolution de ces mouvements dont les représentants siègent dans les parlements de 18 pays de l’Union,voire dans les gouvernements. ( F-50) 71 Libération 29-04, F45 72 Corriere della Sera 18-04 doc I-12 sous le titre “Pourquoi nous aurons toujours plus besoin d’eux” 73 Gianpiero Dalla Zuanna in Corriere della Sera 18-04, I-12 69 23 Toutefois les études sur l’impacte économique de l’immigration non qualifiée sont controversées. Entre, d’une part, les coûts élevés de sécurité et assistance sociale, y compris le chômage que comporte l’immigration et, d’autre part les avantages exposés plus haut, le débat est loin d’être bouclé74. Par contre, il est certain qu’il existe un grand problème de perception dans le monde occidental qui réside dans la peur de l’intégrisme musulman considéré comme un tout bien mélangé de terrorisme, de corruption, d’abus contre la femme et du souvenir du 11 septembre. Or, le printemps arabe est une révolte de peuples musulmans dont on craint la transition du pouvoir aux mains de leaders intégristes. Notre énigme à nous occidentaux, c’est de savoir quand nous serons prêts à oublier le 11 septembre. 74 Jean Paul Gourevitch, « L’immigration ça coûte ou ça rapporte ? » éd. Larousse 2009 24 Bibliographie de l’auteur concernant la migration Musillo I. 1971 : Travail social et émigration, in : TRAVAIL SOCIAL/SOZIALARBEIT, Berne, No 6 Musillo I. 1972 : La Svizzera e l’integrazione degli immigrati, in ETUDES MIGRATIONS, Roma, No 25-26 Musillo I. 1981 : Bibliographie préliminaire sur les migrants de la deuxième génération en Europe occidentale. Genève, Bureau International du Travail, W.P. 79/001 Musillo I. 1981 : Retour et Emploi des migrants dans le Mezzogiorno. Rapport de recherche. Genève, Bureau International du Travail, W.P. 51 Musillo I.1981 : A propos de la 66ème Conférence internationale de l’OIT, in AFFARI SOCIALI INTERNAZIONALI, Rome, No 4 Musillo I. 1983 : Faux débats et vrais problèmes, les réfugiés, un autre aperçu, in EXPRESSION, H-G, Genève, No 33 Musillo I. ( sous la direction ), Bolzman C., Tavier C., 1985 : Les réfugiés en attente, rapport de recherche, H-G Genève Musillo I. 1995: Des réfugiés et des mythes, une lecture systémique du discours sur la société multiculturelle, in : ETUDES MIGRATIONS, Centro studi emigrazione, Roma, No 118 Musillo I. 1997: La place du récit dans la recherche sociale et dans le travail avec les familles migrantes, in : On est né quelques part mais on peut vivre ailleurs, Béday-Hauser, P., Bolzman, C. (sous la dir.), Genève, Ed. IES Musillo I. 1998 : L’albero del viaggiatore, mito e contabilità familiare nel progetto migratorio, in : PLURIVERSO, Milano, No 3 Musillo I. (sous la dir.), Bolzman C. Tavier C., 1986: De l’accueil à l’insertion, les demandeurs d’asile à Genève de 1974 à 1983. Genève, H-G Musillo I. 1993 : Asile et société multiculturelle, le métissage n’est pas pour demain. Genève, HG, cahier 2 Musillo I. : Rossini S.,1996 : La statistique sociale, débat et mode d’emploi, in : REPERES, H-G, Genève, No 12 Musillo I. (sous la dir.), Bolzman C. Dejean L., 1999: Suisses Migrateurs, Genève, H-G Musillo I. 2000 : Violence, exil et immigration, in : Livre blanc du FORUM, SOCIETE et VIOLENCE, Genève, H-G Musillo I. (sous la dir.), Comba F., Gaberel P-E., 2000 : Les besoins des réfugiés, Genève, H-G 25