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Version finale du 13 mars 2007
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Forum de Delphes
Institut Supérieur d'Etudes Professionnelles
Région Ile de France
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Les élus locaux face à la décentralisation et au
fonctionnement de leur Commune
Première Session de formation, de février 2007
De Leener Philippe & Mappa Sophia
Enda Inter-Mondes & Forum de Delphes
Enda Inter-Mondes
Ottignies (Belgique)
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Rapport du premier cycle des formations des élus locaux
sur la décentralisation
Nouakchott- Mauritanie du 26 février au 2 Mars 2007
Réalisé par le Forum de Delphes avec le co-financement de
la Région Ile de France
Philippe De Leener (Enda Inter-Mondes) & Sophia Mappa (Forum de Delphes)
Introduction
Le premier cycle des formations des élus mauritaniens, dont nous présentons ici une synthèse,
fait partie du projet plus global de recherche/ action/ formation sur la Gouvernance dans les
politiques européennes, et plus largement occidentales, d'aide au développement. L'objectif de
ce projet est d'engager les acteurs sociaux et politiques dans un travail de clarification des
enjeux de la gouvernance, en tenant compte la diversité des contextes socio-culturels,
économiques et institutionnels dans une période de mondialisation.
Dans le cadre de ce projet, la Région Ile de France a cofinancé un projet plus spécifique de
recherche/formation des élus locaux en Mauritanie et au Sénégal. Il s'agit en effet de réaliser
une recherche sur la décentralisation dans ces deux pays, dans la double perspective d'élaborer
des documents pédagogiques et de réaliser trois cycles de formation des élus locaux dans
chacun de deux pays. Les enjeux théoriques et pratiques de cette action sont considérables. Il
s'agit en effet de dégager la perception et la pratique du pouvoir au niveau local et central dans
les deux pays et d'éclairer les politiques de décentralisation adoptées, notamment sous
l'impulsion de la France, par les dynamiques réelles internes.
La méthode que nous avons adoptée privilégie l'analyse du vécu des élus locaux en matière de
décentralisation. Ces derniers deviennent, de ce fait, davantage acteurs de leur propre formation
que recepteurs des recettes toutes faites, issues de l'expérience occidentale, comme c'est
malheureusement le cas, dans un grand nombre de formations dispensées dans les pays du Sud
par les bailleurs de fonds occidentaux1. Pour ce faire, nous sommes en train de réaliser une
série d'entretiens avec les élus locaux de ces deux pays et d'observer des formations sur la
décentralisation qui sont réalisées par d'autres acteurs. Les formations des élus que nous
réalisons font elles aussi partie de la recherche, dans la mesure où notre visée est de dégager
l’expérience des élus et leurs propres solutions aux problèmes identifiés comme tels par euxmêmes. A son tour, l'analyse de ces matériaux issus du "terrain" nourrira les formations à venir.
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Cf Sophia Mappa (dir.), Le savoir occidental au défi des cultures africaines, Paris, Karthala, 2005
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Regards d'élus locaux sur la décentralisation et le
fonctionnement de leur Commune
Extraits des moments forts de la formation de Nouakchott
(du 26 février au 2 mars 2007)
Philippe De Leener & Sophia Mappa
Forum de Delphes
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Eléments de synthèse de la première journée (26 février 2007)
Nous rassemblons quelques éléments clefs qui ont été partagés avec les élus sur le premier
thème retenu "Rôles et compétences des élus, problèmes rencontrés", éléments sur la base
desquels la réflexion se poursuivra le second jour. Les éléments sont livrés comme ils ont été
dits par les élus sans autre analyse. L'analyse est précisément au menu de cette seconde journée.
Le compte rendu commence par des précisions sur le rôle du conseiller communal à la suite de
quoi une liste de difficultés perçues est établie :
-
Le conseiller assure la liaison entre le Conseil Communal et la population.
Il recueille, interprète et ramène les besoins au Conseil Communal.
Il informe ou sensibilise les populations.
Il assiste au vote sur les priorités dans le cadre du Plan de Développement Communal.
Il est la voix du citoyen au sein du Conseil Communal.
Il trouve des solutions aux problèmes signalés par les citoyens.
Il défend les intérêts de tous les citoyens, pas seulement ceux qui ont voté pour lui.
Il participa et élabore la stratégie de la mairie.
Il conseille le maire dont le rôle est d'appliquer la stratégie décidée par le Conseil.
Il éduque le citoyen et veille à ce que la population participe à l'amélioration de la vie.
Il rencontre diverses difficultés pour mener ce rôle de conseiller communal :
-
Il n'a pas ou peu accès à l'information juridique.
Il y a pu de moyens d'action : le conseiller est là seulement pour voter "pour" ou "contre".
Il n'a pas de relation avec le personnel communal.
Le secrétaire communal est désigné par le Ministère et donc le Conseil Communal n'a pas
d'emprise sur lui.
- Il n'a pas de pouvoir, ni d'autorité pour agir dans la Commune.
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-
Il n'a pas de poids pour apporter quelque chose de nouveau.
Il n'a pas de salaire pour faire son travail de conseiller.
Il n'est pas considéré par le maire et ses adjoints.
Le rôle du conseiller est important "en théorie" puisqu'il vote le budget, élit le maire et élit
la Chambre Haute (les sénateurs). Mais, en pratique, ce rôle n'existe pas, il ne se joue pas
"et c'est frustrant".
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Eléments de synthèse de la seconde journée (le 27 février 2007)
Voici quelques éléments qui ressortent des échanges passionnants menés le deuxième jour
de la formation.
Si la première partie de la matinée a été quelque peu laborieuse, la seconde a permis de lever le
voile sur plusieurs aspects de grande importance. Sans être absolument complet, en voici
quelques-uns parmi les plus remarquables. Pour rester dans l'esprit de notre travail, nous avons
choisi de privilégier les questions. Parce que l'apprentissage passe par des questions.
Tout d'abord, disons quelques mots sur la méthode de travail. Voici deux remarques qui sont
en même temps deux pistes de réflexion pour les élus :
- Par la manière dont nous avons travaillé, les formateurs ont cherché à faire parler les
participants à partir de leur vécu d'élu, certains en tant que conseillers, d'autres comme
adjoints, selon les cas.
Ce n'est pas facile de parler de soi et de ce qu'on fait dans le contexte mauritanien. Ce
mardi matin, nous avions tous et toutes spontanément tendance à parler du "conseiller en
général" ou de la "Commune en général". Mais, en matière de décentralisation, il n'y a que
des situations concrètes vécues par les uns ou les autres. Des situations différentes, même
si certaines peuvent se ressembler. Pour discuter du changement dont nous rêvons peutêtre, il est indispensable de partir des situations réelles telles que nous les vivons chez nous
et de parler des préoccupations ou des problèmes précis qui nous rongent. Apparemment,
ce n'est pas facile.
Pourquoi ? Quelles raisons nous poussent à parler en général plutôt qu'en particulier, c'està-dire à partir de ce qu'on vit vraiment ? Quand et de quelle manière les élus partent-ils de
l'analyse de leur vécu pour parler de changement ? Comment éventuellement s'empêchentils de parler et de penser à partir de leur vécu ? Au profit de qui alors ?
- Les formateurs ont tenté de privilégier les échanges entre les participants. Ils ont voulu
éviter de créer l'illusion que des experts auraient des choses importantes à dire. Tellement
importantes que les participants devraient se taire et écouter. En poussant les échanges, ils
ont voulu mettre en relief des points de désaccord. Pourquoi ? Pas pour provoquer des
disputes, pas du tout même. Mais pour rendre possibles des innovations. Quand A n'est pas
d'accord avec B, et que A et B discutent en toute franchise, leurs différences de points de
vue peuvent ouvrir leurs yeux et leur esprit sur des points de vue nouveaux auxquels ni
l'un, ni l'autre ne pensait.
Toutefois, durant cette seconde matinée, en dépit des efforts, il faut reconnaître que les
échanges ont principalement été concentrés entre les formateurs et les participants, mais
peu entre les participants eux-mêmes.
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Sans doute serait-il important de comprendre pourquoi : pour quelles raisons cherchonsnous plutôt à taire nos désaccords ? Pourquoi sommes-nous poussés à parler comme si
nous étions tous d'accord sur la chose, comme si il n'y avait qu'une seule manière de faire
ou de penser (qui est souvent celle du plus fort ou du chef) ?
Ensuite, sur le plan des contenus, plusieurs questions ont été soulevées. Elles sont sorties des
discussions.
1. Les raisons de se faire élire
Parlons d'abord des raisons qui ont conduit les élus à se présenter comme candidats.
Certains ont senti qu'il y avait quelque chose à faire dans leur quartier. Se faire élire était peutêtre une bonne manière de s'engager afin de donner de l'ampleur aux changements qu'ils
visaient. D'autres ont été choisis par les habitants de leurs quartiers parce qu'ils avaient des
compétences pertinentes pour régler tel ou tel problème, par exemple l'assainissement. D'autres
encore ont été identifiés par les partis parce qu'ils ont une grande capacité à drainer des
électeurs : ils ont beaucoup de gens derrière eux et donc ils ont plus de chance d'être élus et de
faire gagner la liste électorale dans laquelle ils sont inscrits. Même si chaque cas est différent et
même s'il est difficile de trancher catégoriquement, une tendance semble se dégager : la
tendance est plutôt à avoir été choisi par d'autres plutôt qu'à s'être choisi soi-même. Si c'est
vrai, pourquoi cela se passe-t-il de cette manière. Avec quelles conséquences sur qui ? Avec
quels effets sur son travail de conseiller ?
2. La considération et la reconnaissance du travail de conseiller communal
L'autre question qui a été débattue concerne la considération à laquelle aspirent les
conseillers, que ce soit de la part des autorités de tutelle, du maire, de la population ou d'autres
pouvoirs, y compris les forces de l'ordre (police). A ce niveau, une série de questions méritent
tout spécialement d'être posées : pourquoi ceux qui ont les moyens, quelle que soit la manière
de les avoir obtenus- honnêtement par le travail ou autrement- bénéficient-ils
systématiquement, et presque automatiquement, de la considération, sinon même de
l'admiration ? Pourquoi le simple fait d'avoir été élu suscite-t-il alors tellement d'espoirs de voir
ses problèmes réglés ? Pourquoi les élections créent-elles l'illusion que les problèmes vont être
résolus du fait même d'être élu ? Comment, nous-mêmes, en tant que conseillers, contribuonsnous à répandre cette conception trompeuse ? En pratique, cela mène à une question concrète :
comment, lorsqu'il s'agit d'élection et de mandat public, sortir de la logique des promesses
démesurées ? Comment ramener les perspectives à hauteur de ce que les acteurs locaux peuvent
réellement faire ?
En pratique, que faire concrètement pour que la fonction de conseiller soit mieux considérée,
c'est-à-dire à la fois respectée, connue et reconnue, dans sa commune pour commencer et plus
largement, ensuite ?
Dans le sillage de cette question, il s'en est posée une autre: celle des moyens nécessaires
pour que les conseillers puissent assurer leurs engagements et leurs activités de mandataires.
Comment mobiliser des moyens ? Localement, aussi loin que possible ? Au niveau de l'Etat ?
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Et dans ce cas, comment faire pour que l'Etat assure sa part dans le financement de l'activité des
Communes et de leurs mandataires ?
La plupart des élus ont pris la parole sur ces questions. Des propositions relativement concrètes
ont été avancées parmi lesquelles celles-ci :
- "Il faut qu'il y ait une volonté politique" a dit l'un de nous.
L'idée est sans doute vraie, mais il faut poser aussitôt cette autre question : qu'est-ce que les
conseillers vont faire concrètement, et de quelle manière, pour qu'une telle volonté
politique naisse là où ils l'attendent ? Car une telle volonté ne viendra pas toute seule
comme par miracle, il faut la construire et la faire naître. Comment ? Et que pouvons-nous
déjà faire là où on est en activité ?
- "Il faut motiver les conseillers et les mettre dans des conditions qui leur permettent de
jouer leur rôle".
Très bien, mais comment les conseillers vont s'y prendre concrètement pour que des
moyens supplémentaires soient mis à leur disposition ? Car de tels moyens ne viendront
pas à eux tout seuls.
- "Il faut créer un association ou même un syndicat des conseillers. Pour qu'ils puissent
modifier la loi en leur faveur…".
Bonne idée sans doute. Mais en pratique, comment cela peut se faire ? Et par quelles étapes
passer ? Ne faut-il pas modestement commencer par d'abord établir des relations entre
conseillers d'une même commune ou de communes voisines pour échanger sur comment
mieux faire son travail de conseiller ? Construire par le bas avant de monter plus haut ?
3. La conception du changement
Un grand nombre des interventions de cette seconde journée ont évoqué le changement. Par
exemple, certains ont rappelé que le pays vivait une transition, qu'il y a peu de temps le régime
était d'une autre nature qu'aujourd'hui, on ne parlait pas de choisir librement ses leaders, ni de
participation. Mais la transition ne signifie pas que tout a changé pour autant. L'un d'entre nous
a suggéré que ça prendrait du temps, que ce serait même une affaire de génération. La question
qui se pose alors est : comment la transition, la roue du changement, va-t-elle tourné ? Et qui va
la faire tourner là où on vit ? Un exemple. L'un d'entre nous a dit que "la tutelle avait la main
sur tout au niveau de la commune". Même les ordres du jour du Conseil Communal doivent
être signés par le préfet. Il arrive parfois que ce dernier refuse pour des raisons qui ne sont pas
nécessairement claires. "La tutelle nous a enchaînés", a dit l'un d'entre nous. Peut-être, mais
comment nous-mêmes aidons-nous la tutelle à nous enchaîner efficacement ? Quels
comportements, quelles pratiques invitent éventuellement la tutelle à nous enchaîner de cette
manière qui nous bloque ?
Ces questions soulèvent la question du changement. Comment le concevons-nous ? En
écoutant les échanges d'hier, une certaine conception du changement se dégage : celle du
changement qui vient de l'extérieur et qui s'impose de l'extérieur, un changement qui n'est pas
maîtrisé ni prévisible. Cette conception du changement subi nous rend prisonnier du destin que
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d'autres conçoivent pour nous, souvent à nos dépens. N'est-ce pas cette conception qui nous
enchaîne ? D'où nous vient-elle ? Comment nourrissons-nous cette conception ? N'est-ce pas
une telle conception qui nous pousse à ruser avec les situations, à nous adapter en nous
débrouillant ? S'adapter signifie que ce sont d'autres ailleurs qui prennent l'initiative et nous ici
on s'arrange pour s'en sortir autant que possible.
L'une d'entre nous a souligné que le changement exigeait la confiance en soi et le sentiment
d'appartenir à un groupe de gens qui veulent du changement. Une telle confiance en soi, un tel
sentiment d'appartenance à un groupe sont deux conditions qui ne se reçoivent pas, elles se
construisent petit à petit par des initiatives que nous prenons. Que faisons-nous pour créer cet
environnement ? Que devrions-nous faire de plus ou de mieux ? A notre niveau ?
Ici, nous soulignons une idée importante : le changement ne vient pas sans soi, ni contre soi.
Sans doute même ne peut-il venir que de soi-même. Sans doute doit-il passer par soi-même. Par
sa volonté et par son action sur les situations, deux éléments que justement la décentralisation
est sensée promouvoir. Or, nos travaux ont suggéré que souvent le premier réflexe est de
vouloir que notre demande pour tel changement devienne la demande de l'autre. On souhaite,
par exemple, que l'Etat veuille comme nous. Ici, nous évoquons une autre conception du
changement et du monde, celle du changement voulu et construit délibérément. Cette
conception du changement nous pousse à sortir de la logique "ici et maintenant, je m'adapte, je
ruse ou je me débrouille" à une logique "demain, voilà ce que je veux, et pour ça, maintenant je
fais ceci".
Pour le conseiller, cette réflexion sur le changement a une grande importance. Il souligne
deux manière de jouer son rôle : soit il attend qu'on lui dise ce qu'il faut faire, il devient alors
l'instrument des autres, et dans ce cas il attend ou il subit, soit il prend l'initiative parce qu'il a
des idées, il se donne un rôle et devient producteur de changement. Pas seul, mais avec d'autres,
par exemple ses collègues du Conseil Communal.
4- Loi comme ressource pour la collectivité ou comme moyen au service des puissants ?
Lors des discussions, il a été souvent question de la loi. On en a parlé comme de quelque
chose qui s'imposait de l'extérieur. Quelque chose de difficile à connaître, de difficile à
comprendre. Les échanges ont surtout suggéré que la compréhension des lois semblait être
l'affaire exclusive des puissants. D'où nous vient cette conception autoritaire ? Pourquoi lorsque
la loi est invoquée, ne pas en demander la lecture ? Pourquoi, lorsque le Préfet invoque tel
article de loi, ou tel texte, ne pas faire lecture de ce texte ? Et dès lors, en la lisant, en faire un
objet de discussion : la loi dit ceci, mais ici comment est la situation ? La loi peut-elle s'y
appliquer aveuglément ? En posant de telles questions, on pousse en avant une autre conception
de la loi, celle qui la considère à la fois comme une ressource et comme une construction
négociée. C'est-à-dire une conception où la loi s'inscrit dans une discussion entre des personnes
ou des groupes en position d'interpréter la loi. La discussion est nécessaire pour que les
personnes impliquées comprennent le bien fondé de la loi. Il se peut, alors, que la discussion
montre que la loi est mal adaptée et qu'elle doit être modifiée.
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Derrière cette discussion, il y a toute la discussion sur le pouvoir et sa nature en Mauritanie
et à tous les niveaux de la société mauritanienne, depuis les rapports dans la famille (le père, la
mère, les enfants,…), dans la tribu, entre les tribus,… jusqu'aux sommets de l'Etat. Hier, au
cours des échanges, une conception du pouvoir arbitraire a été régulièrement suggérée. Une
telle conception veut que celui qui a la force fait ce qui l'arrange le mieux, qu'il fasse ce qu'il
veut suivant ses intérêts. D'où vient cette conception ? Comment s'impose-t-elle dans notre
travail de conseiller ? Comment nous mêmes, les élus, faisons-nous pour que cette conception
soit si vigoureuse ? Quoi dans nos manières de penser (nos mentalités) ? Quoi dans nos façons
de faire (nos comportements) ? Comment encourageons-nous cette conception arbitraire du
pouvoir à s'imposer autour de nous jusque chez nous ?
Un autre aspect de cette thématique est la compétition de divers pouvoirs. Certains ont parlé
hier d'un jeu de "chiens et chats". Que faisons-nous pour maintenir un tel jeu, chacun à son petit
niveau ? Comment sortir de ce jeu ?
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Regards d'élus locaux sur la décentralisation et le
fonctionnement de la Commune
Relations entre les maires, les conseillers et les commissions
Eléments de synthèse de la Troisième journée (28 février 2007)
La troisième journée s'est déroulée en deux temps : d'abord, les élus de chacune des cinq
communes se sont retrouvés entre eux pour établir une liste de questions ou de préoccupations
relatives aux relations entre les maires, les conseillers et les commissions, ensuite ces éléments
ont été restitués en plénière et soumis à des discussions. En annexe, nous restituons les travaux
de quatre communes tandis que ci-dessous nous livrons quelques éléments de réflexion.
1. Les pouvoirs du maire vis-à-vis du Conseil Communal
Comme plusieurs l'ont souligné à de nombreuses reprises, en théorie le maire possède des
pouvoirs étendus : il est seul responsable des décisions. Comme un participant l'a déclaré, le
conseil peut préparer "la feuille de route", mais en fin de compte le maire a le dernier mot. En
somme, les conseillers éclairent le maire, construisent éventuellement une position en menant
des débats mais le maire n'est pas tenu d'appliquer ce que le conseil à décider. Cette position est
celle que semble dire la Loi : le maire peut suivre la décision du Conseil Communale mais n'est
pas obligé : "il peut mais ne doit pas". En pratique cependant, les situations sont contrastées.
Si, dans certaines communes, le maire fait cavalier seul, c'est-à-dire qu'il exerce son pouvoir de
manière absolue, voire arbitraire, comme la Loi le lui permet, ailleurs le maire et les
conseillers exercent leur activité dans le cadre d'une certaine collégialité. Dans ce cas, qui n'est
cependant pas la situation actuelle dans les communes représentées dans cette formation, le
maire et les conseillers construisent ensemble la décision. Il y a délibération, c'est-à-dire que
les décisions à prendre sont préalablement débattues : des opinions, des perspectives
différentes, voire opposées, sont mises en débat, argumentées, éventuellement des nouvelles
positions sont élaborées à force de discuter de manière à construire une décision qui rencontre à
peu près la satisfaction de la majorité des conseillers. Le conseil prend alors une décision que le
maire entérine officiellement: en clair, dans ce cas, le maire prend la décision qui a été élaborée
par les débats au sein du Conseil Communal.
Ainsi, deux conceptions opposées du pouvoir du maire peuvent se concevoir en théorie :
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- D'un côté, à un extrême, le pouvoir du maire est compris comme un pouvoir absolu, c'està-dire comme un attribut, une qualité que le maire peut exercer selon son envie, de
manière arbitraire, et qui le porte au-dessus des autres membres du Conseil Communal. Le
pouvoir communal est alors entre les mains d'une seule personne. On peut dire, de manière
imagée, que le maire est comme un seigneur. Les décisions font partie des privilèges que
le maire peut s'accorder en toute légalité.
- De l'autre côté, à l'autre extrême opposé, le pouvoir du maire peut être interprété comme
une fonction ou comme un travail à exercer : dans le groupe que constitue les conseillers,
une personne est chargée de porter la responsabilité des décisions qui sont prises
collégialement, cette personne est chargée par le groupe d'incarner la décision collégiale, et
cette personne est le maire. La prise de décision n'est plus un privilège mais une fonction
nécessaire pour que les activités du Conseil Communale puissent être menées et cette
fonction est exercée par une personne qualifiée qui est le maire. Dans ce cas de figure, le
maire est en quelque sorte le mandataire du collège de représentants que constituent le
Conseil Communal au sens où il exerce le mandat que lui a donné le Conseil Communal.
Dans le premier cas, celui du "maire seigneur", le pouvoir est limité en dernier recours par la
Loi Nationale sur les Communes, la limite imposée au pouvoir du maire est extérieure. Dans le
second cas, celui du "maire mandataire", le pouvoir est limité par le collège des conseillers qui
construit les décisions que doit appliquer le maire.
Figure 1
Deux conceptions opposées des liens entre maire et conseillers
Le maire comme
un "seigneur"
Le maire comme
un "mandataire"
Le pouvoir est vécu comme un attribut
personnel, il est source de privilèges exercés
aux dépens de la collectivité
Le pouvoir est vécu comme une
fonction au service d'un collectif, il
s'exerce à l'appui d'activités concertées
Seule la Loi et les réseaux d'influence
limitent le pouvoir du maire
Le collectif que constitue les
conseillers limite le pouvoir du maire
La logique de l'intérêt personnel prime
La logique de l'intérêt général prime
Bien entendu, dans la réalité, ces deux cas de figure n'existent sans doute pas sous leur
forme pure. On observera des tendances qui poussent vers un extrême ou vers un autre. Dans
les cas discutés en plénière, il a surtout été question du premier cas de figure. Ce n'est pas
surprenant puisque le contexte mauritanien, l'histoire et la culture, offre principalement des
repères du premier type. Certains d'entre nous ont expliqué que, dans la tradition
mauritanienne, il est courant que le chef soit entouré de sages, en général des anciens, pour
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prendre des décisions. Il consulte les personnes compétentes pour telle ou telle question. La
tradition de la palabre, implantée aussi en Mauritanie, valorise la recherche du consensus. Mais,
remarquons-le, il s'agit d'un consensus conservateur, c'est-à-dire un consensus qui aboutit à
protéger les équilibres et les rapports sociaux établis ainsi que le respect de la tradition. Il ne
s'agit généralement pas d'un consensus créateur qui aurait pour vertu de produire des solutions
nouvelles, c'est-à-dire inédites, susceptibles de remettre en question des rapports sociaux ou des
attributs. Dans ce contexte, le changement est pensé en termes de changement des personnes
qui détiennent le pouvoir et non en termes de modification du pouvoir et de la manière dont il
est perçu et pratiqué.
Le point le plus important à souligner dans ce cadre est sans doute le suivant : la Loi ou la
Règle ne fait rien par elle-même, ce sont les personnes qui utilisent la Loi ou la Règle d'une
certaine façon qui construisent les situations. Celles-ci sont toujours le résultat d'une action
menée par des acteurs, c'est-à-dire par des personnes qui font quelque chose. S'agissant de
l'exercice du pouvoir, on a le plus souvent affaire avec un jeu à deux, par exemple ici, d'un côté
le maire, de l'autre les conseillers. Le maire ne peut exercer son pouvoir qu'avec la
participation active des conseillers. Cela veut donc dire que le pouvoir totalitaire de tel maire
ne pourra s'exercer de façon efficacement absolue et autoritaire qu'avec la participation, sinon
même la complicité, des conseillers. "Le maire divise les conseillers" a suggéré l'un des
participants pour expliquer comment certains maires en arrivent à prendre des décisions qui les
arrangent contre la volonté du Conseil. C'est un exemple de pratique mise en œuvre par le
détenteur du pouvoir. Dans ce cas, la bonne question n'est pas de savoir comment le maire
divise pour mieux régner, mais plutôt comment les conseillers se laissent diviser par le maire
pour le laisser régner en chef absolu. De manière générale, la question que chaque conseiller
doit se poser est celle-ci : comment moi-même je participe à la construction du pouvoir du
maire ? En faisant, ou en ne faisant pas, quoi ? En empêchant de faire quoi ? En fermant les
yeux sur quoi ? En me rendant absent de quoi ? En me taisant de quelle façon ? Répétons-le :
la façon dont le pouvoir est exercé est toujours le résultat de l'activité, ou de la non activité,
menée par les acteurs sur lesquels s'exercent le pouvoir. Le pouvoir, par exemple celui du
maire, est une activité qui utilise d'autres activités et qui dépend d'autres activités. D'où
l'importance des questions comme "qui fait quoi, comment, pourquoi et pourquoi comme ça ?".
Des questions que chaque conseiller est amené à se poser dans sa pratique de tous les jours.
2. Discussions autour de la collégialité
Plusieurs ont expliqué comment, dans leur commune, les conseillers tentent d'implanter une
certaine collégialité. Cette préoccupation ne semble pas unanimement partagée dans toutes les
communes. En effet, il semble que dans certaines d'entre elles, le Conseil Communal ne soit
pas très actif et que ce soit le maire qui prenne l'essentiel des décisions. La collégialité évoque
cette situation où les décisions sont prises au sein d'un collège de représentants. En regardant de
près les façons de pratiquer cette collégialité, il semble que deux tendances différentes peuvent
se rencontrer :
- Dans un premier cas, la collégialité s'organise autour du consensus. Dans ce cas, ce sont
les convergences qui sont recherchées et privilégiées tandis qu'on fait taire les différences.
Souvent, les échanges sont structurés pour conduire vers une unanimité, le collège cherche
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donc à ce que tous soient d'accord. En pratique, ce sont souvent les rapports sociaux et les
statuts qui indiquent la route à suivre pour créer la décision.
- Dans un second cas, la collégialité s'organise autour des divergences. Il y a débat et les
discussions s'appliquent à mettre en lumière des positions différentes. La délibération
permet au collège de se prononcer, à la majorité, sur l'option qui paraît la meilleure à la
lumière des débats et des échanges d'opinions. La qualité des échanges dépend de la qualité
des divergences. Ici, le collège ne parle pas forcément d'une seule voix sous l'influence
d'un chef. Chacun parle de son point de vue. Il peut y avoir des regroupements mais les
discussions ne visent pas à éliminer les différences, encore moins à les taire. Ce sont les
arguments qui passent au premier plan et qui conduise à la décision.
Dans les deux cas, le rôle du maire n'est pas pareil.
Dans le premier cas, la maire agira sans doute à l'image du chef traditionnel entouré de ses
sages préoccupés à recréer l'unanimité ou la paix qui a éventuellement été perturbée par une
situation.
Dans le second cas, le travail du maire consiste plutôt à créer de la cohérence dans la
diversité ou, plus exactement, à rendre les divergences productives de cohérence. En somme, le
maire anime un débat et veille à ce que le débat aboutisse à un résultat qui peut déboucher sur
une décision ou une perspective, éventuellement inédite, et efficace.
3. Le défi de l'intérêt général
Dans beaucoup de situations où les conseillers et le maire sont appelés à décider et à agir, il
existe une tension entre des intérêts privés ou particuliers (qui ne concernent que quelques-uns)
et l'intérêt général (qui concerne le bien-être de tout le monde). L'élaboration de l'intérêt
général, et surtout d'une mentalité d'intérêt général, est un enjeu majeur dans la plupart des pays
où il est question de démocratie. Comment prendre en compte l'intérêt d'autrui dans ce qui est
entrepris ? Comment, en faisant son travail d'élu, contribuer à construire cette mentalité
d'intérêt général ? Concrètement, à partir des situations qui se présentent. Nous en avons parlé à
propos de la gestion des déchets. Par exemple, le cas de l'animal mort sur la voie publique : qui
doit réagir ? Au nom de qui et de quoi ? Comment, à partir de cette situation, créer une
situation qui permet de discuter et de débattre mais aussi d'agir dans une perspective d'intérêt
général ? Comment sortir de la gestion actuelle du cas par cas et mettre en place des services
communaux dans la durée ?
Cette perspective est un défi à une époque où la montée de l'individualisme ("Je fais ce qui
me plaît, je ne m'occupe que de moi") est un fait majeur. Le défi pourrait d'ailleurs se définir
plus précisément encore : comment construire de l'intérêt général à partir de dynamiques
individuelles ? Le défi est grand parce que, dans la tradition mauritanienne, l'intérêt général se
réduit à l'intérêt de sa tribu ou de son clan. Il s'agit donc de créer de nouveaux liens sociaux qui
ne relèvent pas de la tradition tribale. Comment, à travers leurs activités, les élus peuvent-ils y
contribuer ?
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4. La commune comme laboratoire de la démocratie
La Commune, en Mauritanie, comme ailleurs, est le laboratoire permanent de la démocratie.
C'est-à-dire le lieu social où la démocratie est créée et recréée en permanence. En pratique, cela
a une conséquence immédiate : les conseillers, le maire, leurs adjoints,… ne sont pas élus pour
appliquer ou mettre en œuvre une loi ou une série de décrets, mais pour inventer – dans le cadre
de la Loi – la démocratie locale.
En Mauritanie, en cette phase de transition où une très large majorité des élus sont nouveaux
et ne possèdent que peu d'expérience de la vie de représentant, il y a place pour innover, non
seulement dans les manières de faire et de se comporter en tant qu'élu, mais aussi dans les
manières de penser et de pratiquer la démocratie locale. Par exemple, quelle sorte de
collégialité construire ? De quelle manière et dans quel sens faire évoluer la tradition de
collégialité mauritanienne ? Comment expérimenter concrètement des façons autres de réfléchir
et de décider ensemble ? Les textes ne disent pas tout. Ils donnent des indications générales,
parfois contraignantes ou contradictoires, mais c'est à chaque élu et à chaque Conseil
Communal d'inventer sa façon particulière de faire ce que demande la Loi. L'un d'entre nous l'a
déclaré "chaque commune a son style de pouvoir".
5. Développer le pouvoir d'agir
Une dernière idée, qui peut-être résume une partie des travaux de la journée, mérite d'être
soulignée : le conseiller possède un vrai pouvoir d'action. Un pouvoir qui dépend de son
initiative. Et qu'il lui revient de prendre. Ici, il convient de ne pas confondre entre d'une part le
pouvoir formel – ce que le texte de la Loi dit – et, d'autre part, le pouvoir d'agir. On a toujours
un pouvoir d'agir. Car si la Loi dit parfois clairement ce qu'il faut faire, elle ne dit jamais le
détail de comment il faut le faire.
Un des rôles d'un Conseil Communal ne serait-il pas l'accroissement du pouvoir d'agir de
chaque élu qui le compose en même temps que le pouvoir d'agir du collectif que constitue ce
Conseil Communal ? Un des rôles du conseiller ne serait-il pas d'accroître le pouvoir d'agir de
chaque citoyen ? Pas n'importe quelle action, bien entendu, mais l'action qui va dans le sens de
servir les intérêts de la collectivité.
Annexes : Synthèse des travaux de groupe
A1 : Commune d'El Mina
Relations entre le Maire et les conseillers
- Le pouvoir totalitaire du maire fait qu'il est souvent difficile de le faire lier sur certaines
décisions.
- Les ambitions de certains conseillers bloquent souvent la bonne marche au niveau des
commissions.
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Relations entre le Maire et ses adjoints
- Pour le moment, la collégialité dans les décisions est appliquée à tous les niveaux.
Rôles des commissions
- Recenser les problèmes de la Commune et proposer des solutions à ces problèmes.
- Elles ont un rôle consultatif.
Rôles du président des Commissions
- Il est membre de l'exécutif de la Commune.
- Il conseille le Maire dans ses domaines d'activités.
Rôles du rapporteur
- Il dresse le PV.
- Il est chargé de les ventiler.
- Il est le dépositaire de toute la documentation concernant la commission.
A2 : Commune de Ksar
Questions à débattre :
- Est-ce que le Conseil Municipal pourrait destituer le Maire ?
- Est-ce que la Loi permet aux conseillers de gérer la Commune en même temps que le
Maire ?
- Le Maire élu a-t-il l'autorité de nommer un conseiller ou un adjoint pour le représenter en
cas d'absence ? (sans consulter le Conseil)
- Est-ce que le Maire peut désigner une commission responsable du suivi des autres
commissions ?
A3 : Commune de Dar-Naim
Relations entre Maire et Conseillers
- Il existe un consensus général entre les différents conseillers et le maire pour la bonne
gestion des affaires de la Commune.
- Il existe respect réciproque entre le maire d'une part et les conseillers d'autre part.
Relations entre le Maire et les Adjoints
- Manque de collégialité dans la distribution des rôles, tâches, etc.
Rôles des Commissions
- Suivre la gestion communale.
- Elaborer des études, chaque commission dans son domaine.
- Diagnostiquer des problèmes, difficultés.
- Proposer des solutions efficaces.
- Présenter des rapports d'activités aux sessions du Conseil Communal.
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Rôle du Président de la Commission
- Participer aux réunions du bureau, discuter et défendre les activités de sa commission.
- Présider les travaux de sa Commission.
Rôle du rapporteur
- Présente et défend les rapports devant le Conseil Communal.
A4 : Commune de Teyarett
Relations entre Maire et Conseillers
- Incompréhension due aux différentes origines des élus.
- Ingérence faite par le Maire.
- La délégation de pouvoirs fait problème
Relations et difficultés entre le Maire et les Commissions spécialisées
- Les relations entre les commissions doivent être spécifiées.
Le bureau de la Municipalité et les commissions
- Il comprend le maire, les adjoints, les présidents de commission et le secrétaire général.
- Chaque commission comprend : un président, un vice-président, un rapporteur.
- Le président élabore l'ordre du jour de la réunion, assure la discipline.
Relation entre la tutelle et la Commune
- La tutelle valide ou rejette les travaux du Conseil Communal.
Relation entre les électeurs et la Commune
- Les élus sont à la disposition totale des citoyens.
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Regards d'élus locaux sur la décentralisation et le
fonctionnement de la Commune
La question des pouvoirs et des rapports au pouvoir
Eléments de synthèse de la quatrième et cinquième journée (1er et 2 mars 2007)
Les deux dernières journées ont été consacrées à l'examen des pouvoirs par les participants
élus. Deux groupes avaient été formés librement, regroupant des participants originaires de
communes différentes. Il avait été demandé à chacun de ces deux groupes de dresser, au moyen
d'un schéma sur une affiche grand format, une sorte de paysage des pouvoirs autour et dans la
Commune et de préciser le type de relations qui relient ces différents pouvoirs au moyen de
questions ressources telles que : qui influence qui ?, qui domine qui ?, qui s'oppose à qui? , qui
coopère avec qui? etc. Il avait également été demandé de repérer des questions ou des
problèmes en rapport avec ces pouvoirs ou relations. Les deux groupes se sont mis à la tâche
pendant deux heures, ensuite il y a eu restitution et discussions autour des éléments présentés.
Les éléments de synthèse qui suivent sont extraits des discussions qui ont eu lieu à la suite des
présentations.
1. Echanges sur la nature et l'exercice du pouvoir à l'échelle communale
L'analyse du paysage proposé par les deux groupes a fourni l'opportunité d'ouvrir des débats
de grande portée sur la nature du pouvoir en Mauritanie. Bien entendu, la réflexion n'a fait que
commencer. Mais déjà quelques éléments forts se dégagent, des éléments que nous pouvons
résumer en quelques mots. Comme nous l'avons fait jusqu'à ce jour, nous privilégierons les
questions. En espérant que la réflexion se prolongera en chacun et chacune.
Commençons par quelques éléments d'interpellation susceptibles de nous éclairer sur la
manière dont le pouvoir est vécu (et conçu) par les élus participants.
- "Nous voulons nous libérer du joug de la tutelle…", "C'est nous la Commune qui nous
nous opposons à la tutelle…", "Nous subissons l'influence totale de la tutelle dans tous nos
actes,…". Ces propos et bien d'autres énoncés par les participants évoquent une manière
particulière de voir les choses, comme si les situations de pouvoir ne pouvait se concevoir
que comme l'opposition de certains contre d'autres. Le pouvoir ne peut-il être envisagé que
sur ce seul mode, certains qui s'opposent à d'autres ? Et sur quoi se construit l'opposition ?
Contre d'autres gens ? Ou alors contre les idées ou les positions d'autres gens ? (dans ce
cas, ce ne sont pas les personnes en tant que personnages ou rôles qui sont visées mais ce
qu'elles défendent). Est-on contre le préfet parce qu'il est préfet ou contre telle position
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défendue par le préfet ? Cette distinction, importante selon nous, n'a pas toujours été faite
en toute clarté.
- Les rapports entre la tutelle et la Commune, le maire en particulier, ont régulièrement été
cités en termes de liberté, comme si les Communes et leurs élus devaient être autonomes.
Est-ce bien cela la voie du changement, des Communes et des élus autonomes, "libérés de
toute tutelle" comme l'un d'entre nous l'a déclaré ? Mais alors, n'observerait-on pas un
retour vers les pouvoirs traditionnels, des tribus libres entre elles avec leur propre
chefferie ? L'enjeu, du moins dans une perspective d'une société démocratique, ne se situet-il pas plutôt dans l'élaboration de nouveaux rapports entre les divers niveaux de pouvoir ?
Des rapports de collaboration plutôt que de domination ? Dans cas cas, la question prend
une forme différente et il faudrait sans doute se demander comment repositionner les
pouvoirs de tutelle dans une fonction d'appui à des Commune.
Il existe en Europe un concept pour caractériser une telle situation, celui de subsidiarité.
Ce concept veut dire que les pouvoirs de niveau supérieur et inférieur se partagent le travail
et les compétences dans un double souci d'efficacité et de complémentarité. Il existe deux
sortes de subsidiarité : soit descendante, soit remontante. La subsidiarité descendante
désigne cette situation où un pouvoir supérieur délègue certaines de ses prérogatives et
compétences à un niveau de pouvoir inférieur. Le mouvement de rétrocession va du haut
vers le bas.
C'est l'inverse dans le cas de la subsidiarité remontante, c'est le pouvoir inférieur qui
fait appel à un pouvoir doté de compétences plus larges pour régler des questions qui le
dépassent. La relation s'établit alors du bas vers le haut.
Le langage de la subsidiarité permet de sortir du schéma "dominant / dominé" que
semblaient évoquer les élus. Dans les deux cas, subsidiarité descendante et remontante, il y
a création d'autonomie mais, soulignons-le, à l'issue d'une négociation et dans le cadre de
règles du jeu acceptées par toutes les parties.
Plusieurs question sont à soulever à cet endroit : comment sortir le pouvoir et son
exercice des logiques de compétition ou de complot ? Quelles pratiques des élus ou des
autres acteurs encouragent la généralisation de telles logiques ? Où de telles logiques
prennent-elles racine ? Dans quelles conceptions de la société que, peut-être sans y penser,
à notre insu, nous contribuons à divulguer ?
- Dans les situations qui ont été évoquées par les participants, la tendance était à diaboliser le
pouvoir supérieur et dès lors de présenter le pouvoir inférieur comme la victime des
agissements du pouvoir supérieur. Sans doute faut-il parfois envisager cette situation mais,
il convient aussi chaque fois de se demander quelle est la responsabilité de chaque partie.
Par exemple, s'agissant des rapports entre maire et préfet, comment le maire aide-t-il le
préfet à le dominer efficacement ? A un autre niveau, on pourrait se demander comment les
conseillers se laissent marginaliser par le maire ? Que font-ils, ou que ne font-ils pas,
concrètement pour que cette situation défavorable se produise à leurs dépens ?
- L'examen des deux paysages des pouvoirs a laissé apparaître clairement, de façon plutôt
étonnante pour de élus représentatifs, l'absence de plusieurs familles d'acteurs, par
exemple les chefs traditionnels, les acteurs économiques, etc. et, de manière générale, les
populations. Pourquoi avoir oublié ces acteurs ? L'un d'entre nous a proposé une
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interprétation de cet oubli interpellant. Reprenons ses mots : "La population est absente de
nos schémas parce qu'elle est absente de notre esprit. Et elle est absente de notre esprit
parce qu'elle est absente de nos pratiques". Pourquoi est-elle absente de nos pratiques
d'élus en activité ? Comment la population – ou plus exactement les populations dans toute
leur diversité – pourrait-elle être plus présente à la fois dans notre esprit et dans nos
activités ?
- L'argent, en particulier l'argent des autres, a été régulièrement évoqué parmi les "moteurs"
les plus puissants de nombreux dysfonctionnements. Comme si l'argent, ou plus
exactement le désir de s'accaparer de l'argent, guidait souterrainement les conduites ? Le
pouvoir des élus ou des autres acteurs, la tutelle par exemple, se construirait-il seulement
autour de la perspective de s'accaparer des ressources financières afin d'en disposer à sa
guise ? Comme l'un d'entre nous l'a dit, "les problèmes commencent quand le maire et le
préfet veulent mettre de l'argent de côté et qu'ils ne s'entendent plus". D'où nous vient cette
situation ? Qu'est-ce qui, dans notre société, pousse à ce comportement ? Comment peut-on
sortir de ce schéma qui semble motiver la conquête du pouvoir ?
- Actuellement, l'image d'une société décomposée en diverses clientèles à satisfaire, paraît
dominer. Dans ce cas, la conquête du pouvoir devient un leitmotiv pour les élus ou les
autorités, tous pressés de répondre aux sollicitations innombrables et toujours renouvelées
des réseaux sociaux dans lesquels ils sont insérés. Etre chef signifie être la tête de pont (le
robinet ultime) d'un "réseau pompeur". Comment dépasser ce schéma qui, dans le cadre
d'une société démocratique, paraît visiblement incapable de satisfaire tout le monde ? Cette
question prend toute son importance aussitôt qu'on s'attaque à la question de l'intérêt
général et qu'on en fait de sa généralisation un objectif. Dans la situation, actuelle, la scène
du pouvoir semble, au contraire, être configurée par la lutte des intérêts particuliers.
2. Les rapports à la loi comme révélateurs des rapports au pouvoir
Les échanges du vendredi 2 mars 2007 ont régulièrement posé la loi et le rapport à la loi
comme objet des échanges. De là, il est possible de mettre en lumière diverses postures :
- Une posture passive face à la loi perçue comme une donnée qui s'impose à soi de
l'extérieur sans que l'on ne puisse rien y faire, sauf ruser avec elle ou la détourner. L'un
d'entre nous l'a dit dans des termes radicaux : "La loi est mise dans le tiroir… Chacun fait
sa loi ou applique sa loi à sa façon… car il existe toujours la possibilité d'acheter le
pouvoir…".
- La loi est tenue secrète. C'est même un secret que semble protéger ceux qui exercent le
pouvoir. L'exemple des manuels ou de recueils des textes de loi "tenus secrets" par la
tutelle, a été cité à plusieurs reprises. Mais, comme cela a été souligné, la loi reste secrète
parce que, souvent, on attend l'information plutôt que d'aller vers elle. Comme si le
changement pouvait venir sans qu'on y travaille délibérément.
- La loi comme impensé : la loi devient incontestable parce qu'elle n'est pas l'objet de remise
en question par les humains. A l'image de la loi divine, on pense avant tout à la contourner
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ou à ruser avec les contraintes qu'elle impose. Il en va tout autrement lorsque la loi est
pensée comme un instrument qui doit faire l'objet de débats.
En creusant la question, il est apparu que les échanges ont mis en tension deux conceptions
opposées de la loi, d'une part la loi conçue comme une arme dirigée contre l'autre et, d'autre
part, la loi interprétée comme un instrument au service de la collectivité en vue d'une régulation
externe des rapports de force.
- La loi comme arme: la loi est appropriée par les personnes pour manœuvrer contre l'autre,
pour le soumettre, pour le faire plier par la force, la loi donnant justement cette force grâce
à laquelle on peut faire plier l'autre. L'autre, remarquons-le, est aussi bien le "puissant" que
le "faible", car l'un et l'autre utilise la Loi au service de leurs manœuvres et stratégies.
- La loi comme un instrument au service de la collectivité en vue d'une régulation
externe des rapports de force: la loi sert à réguler les rapports de force, une régulation
qui s'exerce de l'extérieur pour faire en sorte que le conflit d'intérêts qui sépare les parties
en opposition soit arbitrer par des règles que la collectivité s'est données pour contrôler
l'usage de la force et de la violence. Dans ce cas, celui de la loi régulatrice, la loi est audessus des acteurs et s'interpose entre eux. Que l'on soit puissant ou faible, la loi s'applique
de la même manière.
Figure 1
Deux postures face à la Loi
La Loi comme arme
La Loi régulatrice
La LOI
Le Puissant
La LOI
Le Faible
Le Puissant
Le Faible
La LOI
La LOI est prise pour soi comme une arme
contre l'autre, comme outil pour accroître
sa capacité à "faire plier" l'autre.
La LOI est placée au-dessus et entre
les acteurs pour réguler leurs rapports
de force et "désactiver" la violence.
Philippe De Leener & Sophia Mappa, Nouakchott, mars 2007
D'après les discussions en plénière, il est clair qu'aujourd'hui, dans les Communes, et dans
les rapports qui lient les différents pouvoirs, il semble que ce soit le cas de la loi comme une
arme, qui domine. Le changement pourrait surgir si une autre conception de la loi était investie.
Comment, dans l'exercice de leur mandat, les élus locaux, qu'ils soient maire, adjoints ou
conseillers, peuvent-ils contribuer à promouvoir une conception régulatrice de la loi ? Pour
avancer, sur ce terrain difficile, n'hésitons pas à le souligner, il faut certainement se poser bien
d'autres questions. Par exemple, il faut se demander pourquoi la conception de la loi comme
une arme contre l'autre est-elle si répandue en Mauritanie ? D'où provient une telle conception ?
Comment est-elle propagée dans les différentes sphères de la vie en Mauritanie ? Pourquoi ?
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2. Poursuite du processus d'apprentissage
La formation n'était pas une simple intervention ponctuelle, destinée à délivrer un paquet de
connaissances. Depuis que les travaux ont commencé, lundi 26/02, nous sommes restés loin
d'une perspective de transfert, c'est-à-dire cette situation où des formateurs, en position
d'enseignants, transmettent aux apprenants des connaissances qu'ils supposent pertinentes et
qu'ils croient que les apprenants devraient absolument connaître. Nous avons, dès le premier
jour, refusé cette option pour privilégier une approche de formation action qui fait la part belle
à deux éléments centraux, le vécu des élus d'une part et, d'autre part, les questions ouvertes, des
questions qui exigent de la part des apprenants une investigation active et créative qui
débouche, idéalement, sur la production et l'expérimentation concrète de réponses. Des
réponses construites par eux, et non plus reçues de l'extérieur, c'est-à-dire pensées et formulées
en dehors d'eux.
Une telle perspective de "formation action" s'inscrit plutôt bien avec le cycle de formation en
trois sessions qui est prévu dans notre programme. Sans doute, dans ce cas précis, serait-il plus
exact de parler d'apprentissage plutôt que de formation. En effet, l'accent est placé sur les
personnes et non pas seulement sur les connaissances que les personnes doivent acquérir.
L'apprentissage suppose en effet que les apprenants changent non seulement dans leur manière
de penser, mais aussi dans leurs façons de faire.
Dans ce contexte, la question qui se posait, tant aux participants qu'aux organisateurs, était
de savoir comment poursuivre la réflexion entre les sessions. C'est-à-dire concrètement
comment mettre en processus les efforts de formation ? La solution que nous avons discutée
conduit à transformer le cycle de formation en une sorte de cycle de recherche-actionformation. Suivant cette perspective, les choses pourraient se dérouler en trois temps :
- Chaque commune participante identifierait une ou deux questions, parmi celles que nous
avons laissées en suspens depuis le début de nos travaux. Les élus au retour dans leur
commune présentent leurs travaux à leurs collègues et, avec eux, choisissent la ou les
question(s) qui leur paraît pertinente à creuser.
- Chaque commune ensuite proposerait des pistes de solution ou de réponse et les testerait
concrètement dans des situations réelles qui mobilisent l'intérêt des gens.
- Lors de la prochaine session, chaque commune présenterait les essais qu'elle aurait initiés
de manière à ce que nous puissions en discuter ensemble. La seconde session prévue en
mai serait alors le lieu où les participants pourraient évaluer et mettre en débat leurs essais.
Le genre de questions que les élus de chacune des communes présentes aux travaux
devraient identifier et travailler en préparation de la prochaine session sont nombreuses. A titre
d'exemple, en voici quelques-unes qui émergent directement de nos travaux:
- Comment les conseillers peuvent-ils générer autour d'eux de l'intérêt général en menant
leurs activités ? Par exemple à travers la manière concrète de pratiquer la gestion des
déchets ou de conduire d'autres actions concrètes qui soulèvent la question de l'intérêt
général.
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- Comment promouvoir la logique de la loi régulatrice en menant ses activités de conseiller,
d'adjoint, de président de commission, de maire ? A travers quelles situations concrètes ?
Répétons-le, ce ne sont que des exemples. Il revient à chaque commune d'identifier la ou les
deux questions sur lesquelles leurs élus, au minimum ceux ou celles qui ont pris part à la
formation, veulent travailler. Dans tous les cas, il s'agit de proposer des réponses concrètes et
de les mettre à l'épreuve dans des situations réelles, de sorte que lors de la prochaine session en
mai nous puissions parler de situations réelles (et pas seulement d'intentions ou d'idées).
Une seconde activité qui pourrait maintenir vigilante la réflexion des élus participants
pourrait être de repérer, dans le manuel d'instructions destinés aux élus, quelques thématiques
qui pourraient faire l'objet d'une analyse collective dans le sens d'une comparaison entre ce que
le texte dit d'une part et, d'autre part, ce qui se fait ou se vit en pratique : "Le texte dit ceci. Et
nous, nous faisons quoi ?". Cette comparaison devrait mettre en lumière des contradictions. Et
donc des opportunités de réfléchir et de mettre en processus des pratiques impensées, c'est-àdire des choses qu'on fait "comme ça" sans y penser vraiment parce que ça s'est toujours fait de
cette manière.
Une troisième activité a été envisagée, celle d'inviter un maire expérimenté et de le faire
partager son expérience les situations et questions qui ont fait l'objet de nos débats. Il revient à
chaque élu de penser dès à présent aux questions qui mériteraient d'être approfondies en
interaction avec le maire qui serait invité.
Pour les deux prochaines interventions, deux séries de dates ont été convenues en attendant
d'être confirmées :
- Mai 2007 : du lundi 27/05 au vendredi 1/06
- Octobre 2007 : du lundi 22/10 au vendredi 26/10.
Lors d'une de ces prochaines sessions, sans doute celle de fin 2007, aurons-nous la possibilité
d'inviter des élus du Sénégal de manière à confronter les perspectives et de les soumettre à la
discussion. Il est probable également que le chemin inverse puisse être envisagé, des élus
Mauritaniens participant aux travaux au Sénégal.
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Tableau
Programme de la Formation (du lundi 26/02/07 au vendredi 2/02/07)
Thèmes retenus
collectivement
1- Compétences des conseillers
communaux et, de manière
plus large, les rôles des élus
locaux et les problèmes qu'ils
rencontrent dans leur pratique.
Mardi 27
Mercredi
28
Jeudi 01
Vendredi
02



2- Relations entre les élus et les
populations, y compris la
société civile.
3- Rôles et prérogatives du
Secrétaire Général. Gestion de
l'administration communale.
4- Relations entre le Maire et
les conseillers, le Maire et ses
adjoints.
Rôles
des
commissions, de leur président,
de leur rapporteur.
Plus
tard



5- Relations entre le Maire et
l'Association des Maires. Rôle
de l'Association des Maires.

6- Relations entre, d'une part,
les autorités de tutelle
(Préfecture, Gouvernorat,
Direction Générale des
Collectivités Locales DGCL,…)
et, d'autre part, la Commune
et ses élus.


7- Décentralisation "ici" (en
Mauritanie) et "ailleurs"

8- Gestion du budget
communale
(Recettes,
dépenses, décision, procédures,
instruments,…)

9- Relations entre la CUN
(Communauté Urbaine de
Nouakchott) et les 9 communes
membres

23