Download Service Central de Prévention de la Corruption
Transcript
Marchés publics et corruption Service Central de Prévention de la Corruption Entretien avec Monsieur Barrau, chef du service Le Service Central de Prévention de la Corruption (SCPC) est un service interministériel placé auprès du garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il a été créé par la loi 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques dont les modalités d’application ont été fixées par le décret 93-232 du 22 février 1993. Quelle aide peut apporter le SCPC aux collectivités en particulier ? L’Officiel de la Sécurité - Quel est le rôle du Service Central de Prévention de la Corruption ? Michel Barrau - Né d’un rapport sollicité concernant les problèmes de la probité en général, le SCPC est inclus dans une loi de janvier 1993 qui traite bien au-delà de la prévention de la corruption. Pour des raisons évoquées par le Conseil constitutionnel, le service ne s’intéresse qu’à l’aspect préventif. Le SCPC est placé auprès du garde des Sceaux, ministre de la Justice, à composition interministérielle, ce qui veut dire qu’il rassemble des gens provenant de toutes les administrations (les Impôts, l’Équipement, la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes), les services 22 L’Officiel de la sécurité [ Véronique DUBOS ] Qui peut saisir le SCPC ? collectivités territoriales et des autres établissements publics des collectivités territoriales 1. les ministres 15.les dirigeants des organismes privés chargés d’une mission de service public. 2. les préfets 3. les autorités judiciaires 4. les chefs des juridictions financières Comment saisir le SCPC ? 5. le président de la Commission relative à la transparence financière de la vie politique La saisine se fait par écrit directement auprès du chef de service. 6. le président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques - Les conseillers répondent aux questions soumises dans les meilleures délais. 7. le président du Conseil de la concurrence - L’ensemble des membres du SCPC est soumis au secret professionnel. 8. le président de l’Autorité des marchés financiers 9. TRACFIN 10.la MIEM 11.les chefs des services d’inspection ou de contrôle relevant de l’État 12.les présidents et directeurs des établissements publics de l’État 13.les trésoriers-payeurs généraux et les autres comptables publics 14.les présidents des Conseils régionaux et généraux, le président exécutif de Corse, les maires, les présidents de groupements de de Police et de Gendarmerie, la Douane et également des magistrats. Cette composition de services pluridisciplinaires avait pour but, dans l’esprit du législateur, de permettre une analyse croisée des phénomènes et d’apporter une réponse aux problèmes touchant, non pas seulement la corruption comme l’indique l’intitulé, mais également aux problèmes beaucoup plus larges qui sont les atteintes à la probité, c’est-à-dire également, trafic d’influence, favoritisme, concussion… tous ces délits qui sont prévus par le Code pénal. La loi avait prévu à l’origine trois missions pour le service : - Une mission centralisatrice afin de pouvoir établir des typologies d’infraction : il est chargé de rassembler les informations nécessaires à la détection et à la prévention des faits de corruption, trafic d’influence, concussion, prise illégale d’intérêts et d’atteinte à la liberté et à l’égalité des candidats dans les marchés publics. Il essaie ainsi de détecter les points de fragilité dans différents secteurs et de proposer, soit une attention particulière sur ces points, soit éventuellement une modification législative. Le SCPC émet chaque année un rapport destiné au Premier ministre et au garde des Sceaux qui N° 5 mars/avril 2008 - Les avis sont communiqués aux autorités qui les ont demandés et à elles seules. Les avis rendus sont confidentiels et constituent une aide à la décision. Sur quels sujets ? Les faits de corruption active ou passive, le trafic d’influence, la prise illégale d’intérêts, l’atteinte à la liberté et à l’égalité des candidats dans les marchés publics, et toutes les atteintes à la probité au sens large. aborde un certain nombre de sujets. Par exemple, il y a plusieurs années le service avait attiré l’attention sur toute le problématique de l’argent lié au sport et on voit bien aujourd’hui toutes les difficultés qui en découlent. Ces rapports thématiques sont également mis en ligne et peuvent être consultés par les intéressés. On peut avoir accès à tous les rapports depuis la création du service. - Une mission d’appui : il est chargé de prêter son concours, sur leur demande, aux autorités judiciaires, saisies de faits de cette nature. Il assure une assistance technique, moins dans les compréhensions de l’infraction elle-même qui est connue de tout magistrat, mais plutôt dans l’orientation de l’enquête : Dans quel sens devezvous aller ? Où est-ce que vous devez trouver ce document ? Quelles sont les perspectives ? Cela permet d’éviter que ces infractions économiques et financières ne deviennent des affaires que l’on traîne durant des années en saisissant des masses de documents dont on ne sait pratiquement pas comment les exploiter. - Une mission consultative : il est chargé de donner, sur leur demande, à diverses autorités administratives limitativement énumérées ainsi qu’aux maires, présidents de Conseils général et 23 Marchés publics et corruption régional, des avis sur les mesures susceptibles de prévenir de tels faits. En effet, si la corruption est un délit que l’on comprend très facilement, des matières un peu techniques comme les problèmes de favoritisme dans les marchés publics avec la complexité des lois successives en mille-feuilles font hésiter les maires. Ils se soucient de savoir dans quelle situation ils se trouvent et s’ils ont ou pas dépassé la ligne jaune. Nous sommes souvent interrogés par des maires de petites communes qui n’ont pas une équipe juridique étoffée autour d’eux pour savoir très exactement si l’opération qu’ils projettent peut revêtir éventuellement une coloration pénale. Il faut préciser que ce sont des avis consultatifs qui ne sont destinés qu’à la personne qui les sollicite, c’est-à-dire que cela n’est pas rendu public ; ces avis peuvent être suivis ou non, par l’intéressé, à ses risques et périls. À ces missions initiales, sont venus s’ajouter d’autres actions. - Le SCPC met en œuvre des actions de formation et de sensibilisation dans les centres publics de formation. Il assure actuellement une formation au plus haut niveau des écoles de l’État (celle de la Magistrature, l’ENA, auprès des universités, auprès des écoles de formation des services de police et de gendarmerie), auprès de différents corps d’encadrement français. L’objectif est de prévenir l’apparition de la corruption dans les organisations (publiques et privées) et d’aider les contrôleurs à détecter la fraude et la corruption en s’appuyant sur l’analyse des risques. - Le SCPC développe également des actions de sensibilisation en direction des entreprises. Pour les grands groupes internationaux, le plus souvent soumis aux exigences américaines, aux lois de Sarbanes Oxley et qui ont déjà un encadrement extrêmement précis, une équipe éthique et juridique importante autour d’eux, nous travaillons par exemple, sur comment décliner en interne ces problèmes d’éthique ? Quels sont les cheminements d’audit ? Est-ce uniquement un audit de conformité des textes ou un audit tendant à la détection des difficultés ou des pièges ?... Pour les petites entreprises, nous sommes beaucoup plus didactiques car elles sont complètement désarmées vis-à-vis de l’International : Comment se positionner vis-à-vis de l’International, des requêtes, du choix des correspondants locaux, du problème des législations ? - Enfin, au plan international et en étroite collaboration avec le ministère des Affaires étrangères, le SCPC intervient comme organisme de 24 référence en matière de prévention de la corruption, désigné par la France auprès du secrétariat des Nations Unies. Notre engagement à l’échelon international sur les problèmes de prévention nous amène ainsi à envoyer des conseillers dans différents pays ; nous ne nous positionnons pas en exportateurs « donneurs de leçons », mais nous livrons notre expérience française et libre à chaque pays d’y puiser ce qu’il peut considérer comme intéressant compte tenu de son passé ou de son positionnement face au problème. LODLS - Comment un maire peut-il saisir le SCPC ? M. B. - Les maires, quelle que soit l’importance de leurs communes, font partie de la liste des personnes qui peuvent nous saisir. C’est une saisine parfaitement informelle : en effet, il n’y a pas de formalité particulière à respecter, il suffit de nous adresser un courrier. Et il n’y a d’ailleurs aucun risque à le faire puisque c’est une correspondance qui est entretenue entre un élu et un service et qui reste parfaitement close vis à vis de l’extérieur. Les avis donnés sont uniquement individuels. Par exemple, prenons le cas d’un maire qui dispose d’une équipe juridique étoffée, mais qui face à certaines législations peut hésiter sur la validité d’une opération à entreprendre ; notre service appréciera la demande au regard de toutes ses capacités en la transmettant à chacun des conseillers dont c’est la spécialité (équipement, fiscalité…). Nous faisons ainsi une analyse complète des difficultés qui nous sont soumises. L’avis donné, qui n’est qu’un avis consultatif, peut grandement aider le maire à prendre sa décision définitive. C’est une sécurité dans un certain nombre de domaine. Nous sommes très souvent interrogés sur des problèmes concernant les prises illégales d’intérêts. Quelles sont les relations d’un maire avec sa commune ? Est-ce que je peux passer tel marché avec ma commune ? Est-ce que je peux échanger telle parcelle, acheter ceci ou cela… ? Ce n’est pas un service qui va porter une évaluation, un jugement sur ce qui est fait. Il ne jugera pas de l’opportunité de la mesure. Il ne dira pas : Monsieur le Maire, il n’est pas opportun de faire ceci ou cela ; il dira simplement, ce que vous me proposez présente tel ou tel risque ou ne présente aucun risque juridique. Il suffit de nous écrire et pour les affaires mêmes les plus complexes, le service répond dans le mois. N’hésitez pas… n L’Officiel de la sécurité [ Noël pons ] L’audit de la corruption dans les marchés publics des collectivités locales Les collectivités qui ont fréquemment recours aux appels d’offres tiennent à ce que leurs marchés publics soient passés dans les règles de l’art par leurs services. ©k hz - Fo toli a En avant-première de la parution du prochain rapport annuel du Service Central de Prévention de la Corruption, Noël Pons leur propose une méthode d’audit pour une gestion correctement maîtrisée des marchés publics. .co m L es marchés publics peuvent constituer un domaine inépuisable de fraudes et de corruptions résultant de failles découvertes par hasard ou organisées au préalable. Si à première vue, la transposition au secteur public des principes et méthodes de l’audit privé ne semble pas soulever de difficultés particulières, passer à la loupe l’intérêt général et juger de l’opportunité de certaines opérations demande une méthodologie précise. L’audit de la fraude et de la corruption exige l’utilisation d’une cartographie des risques pour analyser et évaluer les opérations. N° 5 mars/avril 2008 25 Marchés publics et corruption 1- Élaboration d’une cartographie de risques Dans ce contexte, l’élaboration d’une cartographie des risques apparaît comme un préalable indispensable à la démarche d’un audit de fraude et de corruption dans les marchés publics. Cette cartographie des risques aura précisément pour objet de recenser et d’établir une typologie des méthodes utilisées pour permettre aux divers stades de la procédure, de maquiller l’image d’une opération de manière à ce qu’elle présente, aux yeux des observateurs ou des contrôleurs, une régularité apparente. Le SCPC, a déjà eu l’occasion, dans un précédent rapport d’évoquer les méthodes les plus courantes utilisées par les fraudeurs pour dissimuler leurs manipulations (rapport 1996). Le présent paragraphe se bornera donc à rappeler les principales dérives susceptibles d’affecter la vie des marchés à chacune de leurs étapes. En amont du marché, les manipulations portent principalement sur la définition des besoins ou sur les études préalables. S’agissant des besoins, il peut se produire qu’un besoin factice soit créé uniquement dans le but de justifier le paiement d’une prestation illégale ou inexistante à un fournisseur. De la même façon, des études peuvent être artificiellement rattachées à un besoin pour justifier une sortie de fonds non assortie de justifications. Dans ce cas, les factures sont généralement des faux grossiers et répondent à la nécessité de disposer de fonds très rapidement ou à une motivation d’opportunité. Dans ce schéma, c’est l’acheteur public qui est à l’origine du montage : il décide de créer le besoin, tandis que le fournisseur use de son influence pour orienter la décision dans le sens souhaité. À un stade plus avancé, certains bureaux d’études, avec ou sans l’aval du maître d’ouvrage, imposent ou préconisent un type de prestation ou une solution technique déterminée. Au final, un fournisseur sera favorisé au détriment des autres. Toujours au stade de la préparation du marché, l’erreur non maîtrisée peut aussi générer des comportements frauduleux. Elle peut prendre la forme d’une évaluation non exhaustive des coûts, une étude incomplète, une expression imprécise des besoins et se traduira par des avenants au marché initial. De la même façon, des contrats insuffisamment validés par les services juridiques peuvent contenir des erreurs et des approximations qui ultérieurement feront l’objet de contentieux. Quel que 26 soit le cas de figure, des dépenses qui n’étaient pas prévues au départ seront engagées. Les études de marché ou les études techniques nécessaires pour l’évaluation du besoin présentent un risque élevé de dérives. La prestation prévue au marché peut être difficile à évaluer. Tricher sur la qualité des intervenants, sur la durée, sur la valeur des prestations extérieures permet de créer des flux financiers que l’on peut qualifier de non causés. Pour les fraudeurs, un intérêt supplémentaire réside dans le fait que les études, situées en amont de la prestation, peuvent être aisément disjointes au plan comptable de l’opération à laquelle elles devraient être rattachées. C’est pourquoi le poste « études » mérite une analyse approfondie de la part des services d’audit interne ou externe. Quatre grands types de montages frauduleux sont possibles : - la fausse étude dite « familiale » qui est réalisée par un proche, un ami, un obligé…; - l’étude « directive » propre aux montages en réseaux. L’expert oriente la réalisation de la prestation vers un fournisseur ou un processus déterminé ; - les prestations de « suivi d’activité », qui valident les prestations artificiellement gonflées assorties de surfacturations ; - certaines études « préalables », qui permettent d’organiser à la source des montages frauduleux, dans la mesure où elles se situent en amont du marché. Lors de la procédure proprement dite, les risques de fraude affectent principalement le processus de mise en concurrence. Les dérives destinées à favoriser un soumissionnaire sont bien connues : - absence de publicité ; - recours à une procédure irrégulière ; - objet du marché ou variantes non précisées ; - fractionnement de l’opération en dessous des seuils ; - application de critères non inscrits au cahier des charges mais connus du seul lauréat ; - absence de motivation pour choisir ou rejeter un candidat ; - modification des offres à partir d’informations sur celles de la concurrence ; - etc. Ces manipulations et le processus de « sélection » du titulaire peuvent revêtir des formes différentes selon les professions. Les ententes entre les candidats constituent un cas particulier de fraude, souvent lié à des pratiques de favoritisme. Il s’agit d’un montage externe, qui L’Officiel de la sécurité [ Noël pons ] permet à quelques entreprises de se partager un marché et de surfacturer une opération. Les entreprises s’entendent entre elles, soit pour ne pas répondre aux appels d’offre, soit pour y répondre mais à leurs conditions, notamment tarifaires. Il s’agit d’un montage en réseau qui peut se mettre en place au plan local ou national. Les entreprises qui ne bénéficient pas directement de la manipulation se voient octroyer des prestations en sous-traitance ou le paiement « d’indemnités » dans le cadre de contentieux fictifs. Enfin, des dérives peuvent intervenir lors de l’exécution du marché, et même au terme de cette exécution. Lors de l’exécution, le premier risque tient aux faiblesses des contrôles internes de l’acheteur public à l’occasion du paiement du marché. L’acheteur peine souvent à vérifier les documents falsifiés qui lui sont transmis à l’appui des demandes de paiement des prestations. Cette technique, classique, récurrente dans les rapports entre clients et fournisseurs, est qualifiée « d’embrouille ». Le fournisseur s’aperçoit, à la suite d’une erreur, que les factures qu’il adresse à son client ne sont pas ou sont mal contrôlées. Il utilise cette faille en émettant plusieurs fois la même facture, et en en obtenant leur paiement sur des périodes différentes. Si cette manœuvre est découverte, il plaidera l’erreur matérielle. Cette fraude peut s’accompagner d’une corruption de l’agent chargé de contrôler la validité des factures. Cette manipulation peut atteindre un haut degré de perfection lorsque sont utilisées concomitamment les factures, les acomptes sur des exercices dont la date de clôture est différente. Le deuxième risque réside dans les surfacturations : celles-ci portent sur le coût de la maind’œuvre et de la sous-traitance. Les montages consistent, par exemple, à facturer des heures d’ingénieur ou de consultant, et à faire réaliser le travail à un coût moindre par un stagiaire. Dans le courant de l’exécution, il peut également se produire que la nature et la qualité des prestations soient elles-mêmes manipulées. Ainsi, il peut arriver que la qualité de la prestation soit différente ou soit moindre que celle prévue au contrat. Le gain ainsi obtenu constitue alors pour le fournisseur un profit supplémentaire, et ce au détriment des clients. Dans ce cas de figure, la corruption se produit au niveau des contrôleurs de chantier et des structures de maîtrise d’œuvre, seuls à même de détecter la manipulation. N° 5 mars/avril 2008 Les fraudes peuvent aussi porter sur la qualité et la quantité du matériel livré. Par ailleurs, le contrat lui-même peut ne pas être respecté : il peut y avoir des modifications injustifiées, l’application de tarifs approximatifs, l’acceptation sans contreparties de majorations diverses (volumes, prix, etc.), sans que l’acheteur y trouve à redire. Enfin, l’achèvement de l’exécution du marché ne signifie pas que tout risque soit écarté. Certaines pratiques sont de nature à majorer ex post le coût du projet initial. En premier lieu, l’absence de sanction ou de pénalités pour une prestation qui n’est pas ou est mal réalisée peut être un indicateur de corruption. Ces manquements peuvent affecter tous les types de malfaçon à l’exception de celles qui se traduiraient par l’engagement de la responsabilité civile ou pénale. Ensuite, la multiplication parfois abusive de contentieux peut conduire à modifier l’équilibre financier du marché sans que le client soit en mesure de démasquer les intentions délictueuses de ses auteurs. Enfin, le paiement d’avenants non justifiés peut conduire à des dépassements de coûts qui seront d’autant plus discrets qu’ils s’appliquent au cours des exercices ultérieurs. Une fois cette cartographie connue, il faut organiser les recherches en fonction de cette dernière. 2 - La nécessité de recherches ciblées Revue des contrats et des engagements juridiques En premier lieu, il convient d’opérer une revue des contrats et de l’ensemble des documents présentant les mêmes caractéristiques juridiques que ces derniers, c’est-à-dire de tout document valant engagement juridique. Cette revue permet : - d’identifier l’existence de carences dans la gestion juridique, les contrats gérés avec rigueur et ceux qui, au contraire, échappent à tout contrôle que ce soit par secteur d’activité ou par service ; - d’évaluer le niveau d’implication des fournisseurs par secteur et par type de procédure ; - enfin de détecter l’existence de « domaines réservés » ou de gestion « personnalisée » (par exemple, le gestionnaire incontournable par lequel l’ensemble des contrats transite). Revue analytique des postes sensibles et de leur évolution Une revue exhaustive de la tendance et de l’évolution des postes les plus exposés au risque 27 Marchés publics et corruption de corruption (fichiers, comptes fournisseurs, modalités de paiement) doit être effectuée, et ce à périmètre constant afin d’éviter l’introduction de biais méthodologiques. L’objectif est d’identifier les corrélations entre les fournisseurs et les responsables d’achats par secteur, et ce afin de mettre à jour d’éventuels conflits d’intérêts. Les informations pertinentes sont extraites des fichiers et des comptes, et elles sont corroborées par des entretiens avec les personnes compétentes. L’analyse de ces éléments permet de comprendre l’évolution des postes et de rechercher les indices de la présence du risque de corruption : - un nombre élevé de marchés passés avec le même fournisseur par secteur, par entité, par type d’achats ; - une augmentation significative du chiffre d’affaires réalisé avec un fournisseur jusqu’alors peu actif, alors que dans le même temps le niveau d’affaires réalisé avec d’autres fournisseurs, pourtant techniquement incontournables, baisse dans les mêmes proportions, et que ces derniers interviennent comme sous-traitants ; - la présence de liens évidents ou à rechercher entre un fournisseur et un acheteur ; - l’existence d’un chiffre d’affaires captif et en rapide expansion réalisé par un fournisseur isolé ; - l’octroi d’opérations à forte marge attribuées à un fournisseur spécifique, les autres se partageant les marchés moins rentables ; - la détection d’un fournisseur « dormant » ou utilisé uniquement dans des périodes clés comme les derniers jours du mois ou les périodes proches des prises de décision. La validation matérielle des pièces justificatives Comme c’est le cas pour toute démarche d’audit, la revue analytique décrite précédemment doit s’accompagner d’une validation des pièces justificatives relatives aux opérations analysées. Cet examen doit se focaliser sur les opérations pour lesquelles : - un même fournisseur emporte systématiquement les marchés ; - la liste des fournisseurs agréés dans le cadre d’appels d’offres restreints n’est pas tenue à jour, le coût du marché est excessif, un nombre élevé de modifications avec dépassement de coûts est identifié ; - des prestations sont payées sur la base de factures peu explicites ou insuffisamment documentées ; - les justificatifs originaux et la documentation requise sont inexistants : seules sont disponibles 28 des copies illisibles ou de mauvaise qualité ; - les sommes facturées n’avaient pas été prévues dans le contrat et ont été versées au fournisseur ; - la séparation des fonctions dans la chaîne de décision ayant conduit au choix du fournisseur est inexistante, partielle ou manipulée. Au vu de ces éléments, l’auditeur devra évaluer si les opérations sont globalement mal gérées en raison d’un contrôle interne défaillant, ou bien si les informations qui lui ont été communiquées ont délibérément été manipulées ou tronquées de manière à rendre les contrôles inefficients. Au terme de ces analyses, un tri quasiment exhaustif des opérations engagées a pu être réalisé. En effet, les pratiques d’achat de la collectivité ont été comparées à la cartographie des risques généraux, la plupart des dossiers à risques ont été identifiés et vont désormais pouvoir faire l’objet d’une étude séparée. L’auditeur dispose désormais d’une liste d’opérations, de contrats ou de pratiques présentant des indicateurs soit de présence de risques graves, soit de présomption de camouflage de montages qu’il est utile d’approfondir. L’évolution technologique rend nécessaire un nouveau volet d’analyses Une nouvelle typologie des risques est apparue avec la dématérialisation des procédures. En soi, le recours à Internet ne modifie pas substantiellement les procédures des marchés, ni même les risques déjà évoqués. Cependant, Internet crée de nouveaux points d’entrée et de liaison, qui, s’ils ne sont pas suffisamment protégés, constituent autant de zones à risques. L’expérience acquise sur les différents modes de détournement des marchés publics et sur les manipulations propres à Internet permet de dégager plusieurs facteurs de risques. Un premier risque consiste en une intrusion depuis l’extérieur dans les fichiers informatiques contenant les offres du maître d’ouvrage. Mais, alors que les manipulations classiques destinées à obtenir des informations « privilégiées » nécessitent du temps et des efforts, dans le cas d’Internet, cette intrusion est immédiate. Il n’est même plus nécessaire de corrompre le ou les détenteurs de ces informations ; un simple technicien (hacker) suffit à la tâche. Par ce moyen, le candidat à l’obtention d’un marché peut connaître les particularités de l’offre proposée par un concurrent ou bien le prix retenu par l’acheteur public. Lorsque ces informations sont connues suffisamment à l’avance, elles peuvent permettre de reconsidérer le contenu et le montant d’une offre. L’Officiel de la sécurité [ Noël pons ] Exemple de 3 fiches d’analyse sur les 35 élaborées RISQUE : CRÉATION D’UN FAUX BESOIN Objectifs recherchés par les fraudeurs: - accroître l’avantage de certains fournisseurs ; - limiter et/ou éliminer la concurrence ; - susciter des opportunités pour des ordres de modifications. RISQUES INDICATEURS DE PRESENCE QUESTIONS D’AUDIT BONNES PRATIQUES Informations fausses, tronquées ou modifiées. - niveau élevé des stocks ; - absence d’étude de l’offre interne et/ou de la disponibilité des produits/services ; - liens entre le gestionnaire des stocks (ou du magasin) et/ou le décideur avec le fournisseur ; - fréquence élevée des ordres de modifications ; - coûts d’exploitation élevés/aux estimations. - vérifier l’origine des informations et la qualité des travaux préparatoires ; Mise en place d’une politique d’achat régulièrement actualisée et en adéquation avec les besoins de la collectivité. RISQUES INDICATEURS DE PRESENCE QUESTIONS D’AUDIT Surestimation de l’analyse des avantages/coûts. - avantages exagérés et/ou coûts sous-estimés ; - coûts sur le cycle de vie non reflétés ; - absence de consultations sur les aspects commerciaux ; - absence de solution alternative ; - dérives financières lors de la réalisation du projet. - mesurer l’impact de ces fausses informations sur l’exécution du marché. S’assurer que les besoins concernés ne peuvent pas être satisfaits en interne pour un coût moindre. Séparation des tâches entre évaluation des besoins et pouvoirs d’engagement. Idem que précédemment. Identifier l’origine de cette surestimation (BE, acheteur ou impréparation). BONNES PRATIQUES Mise en place d’une politique d’achat régulièrement actualisée et en adéquation avec les besoins de la collectivité. Déterminer et mesurer, en termes qualitatifs et quantitatifs l’importance relative de chaque activité pour la collectivité. Séparation des tâches entre évaluation des besoins et pouvoirs d’engagement. RISQUES INDICATEURS DE PRESENCE QUESTIONS D’AUDIT BONNES PRATIQUES Mauvaise interprétation délibérée des exigences juridiques. Absence de consultation du service juridique. - vérifier s’il y a eu intervention de juristes. Repérer les activités actuelles et/ou les besoins futurs afin de déterminer les besoins. Séparation des tâches entre évaluation des besoins et pouvoirs d’engagement. Pour les dossiers complexes, intervention d’un juriste dès le début de l’opération. Sous-estimation des coûts. - absence de consultation ; - absence de solutions alternatives ; - absence d’étude des coûts induits ; - dérives financières lors de la réalisation. - comparer le marché exécuté/au budget initial ; - identifier l’origine du chiffrage. Repérer les activités actuelles et/ou les besoins futurs afin de déterminer les besoins. N° 5 mars/avril 2008 Séparation des tâches entre évaluation des besoins et pouvoirs d’engagement. 29 Marchés publics et corruption Les rapports du Service Central de Prévention de la Corruption • Années 1993/1994 : Sujets traités : Lobbying et trafic d’influence - Sport et corruption - Commerce international et corruption - Décentralisation, faits de corruption et contrôle de légalité. • Année 1995 : Sujets traités : La corruption dans les marchés publics, dans le secteur de la santé, dans le commerce international. • Année 1996 : Sujets traités : Les régies publicitaires - Les produits dérivés - Fraudes et corruption dans les marchés publics - Transaction commerciale internationale, concurrence et corruption, rationalité économique et fraude internationale. • Année 1997 : Sujets traités : Les sectes - Les marchés d’informatique - Commerce intérieur de détail, artisanat et services marchands - L’utilisation des fonds de la corruption. • Année 1998/1999 : Sujets traités : Le conseil et l’intermédiaire comme vecteurs d’un montage frauduleux - Les risques de dérives dans la grande distribution - Les risques de dérives dans le secteur de la formation professionnelle. • Année 2000 : Sujets traités : Publicité et contrôle interne « Pantouflage » et zone grise - Détresse et corruption : le cas de l’adoption. • Année 2001 : Sujets traités : De la corruption - Corruption et exclusion - Mondialisation, corruption et nébuleuse caritative - Les montages utilisés pour faire échec à la convention de l’OCDE de 1997 - Sécurité privée : émergence d’un cercle vertueux ? - Les risques de dérive dans le secteur du nettoyage - Fiche pratique sur la prise illégale d’intérêts. • Année 2002 : Sujets traités : La déontologie, les dérives du monde associatif - De l’art de manipuler les comptes - Quels services pour lutter contre la corruption ? • Année 2003 : Sujets traités : Du secret, blanchiment et corruption - Les associations : quelques bonnes pratiques - Le wistleblowing. • Année 2004 : Sujets traités : Le conflit d’intérêt - Intelligence économique et corruption - Les sociétés écrans : l’utilisation dévoyée de la personne morale - Le point sur quelques secteurs particuliers du blanchiment - La lutte internationale contre la corruption - La corruption dans les transactions commerciales internationales. • Année 2005 : Sujets traités : La commande publique - Le conflit d’intérêt dans le secteur privé - La contrefaçon, etc. • Année 2006 : Sujets traités : Fraudes, fausses factures, corruption et manipulation des logiciels - Analyse des flux de corruption : analyse des filiales dans une économie mondialisée - Fiche pratique : la recherche des montages de corruption dans une entreprise. (Disponibles à La Documentation Française) 30 L’Officiel de la sécurité [ Noël pons ] Noël Pons Conseiller au SCPC Auteur de « Cols blancs et mains sales - Économie criminelle, mode d’emploi » chez Odile Jacob, mars 2006. Une autre manipulation consiste à modifier les données des appels d’offres numérisés une fois qu’ils ont été transférés. De la même façon, les manipulations informatiques internes à la collectivité maître d’ouvrage, à partir du support de stockage par exemple, deviennent difficiles à identifier (repérer les intrusions nécessite une analyse des log ou des dates système), en particulier pour les non-spécialistes. Cela peut se produire par exemple lorsqu’un membre de la collectivité puise les informations utiles pour un concurrent dans les dossiers déjà déposés par les autres. Enfin, il est possible d’envisager l’hypothèse de l’intrusion dans les fichiers des concurrents à partir de leur propre système informatique. Il n’y a, a priori aucune raison que ces pratiques, répandues dans le domaine des ventes internationales, ne s’étendent pas à un domaine à fort enjeu financier tel que celui des marchés publics. Il est donc indispensable de s’assurer que la dématérialisation des procédures s’effectue dans un cadre informatisé offrant toutes les garanties de protection au regard de ce risque spécifique. L’audit de la corruption dans les marchés publics semble être un outil d’avenir pour un contrôle renforcé des procédures d’achat public. Son utilisation, à titre préventif, peut contribuer à assurer plus efficacement la protection des acheteurs publics contre les risques de sanctions pénales qui pèsent sur leur activité et sur les comportements de leurs partenaires privés. Cependant, l’audit ne peut pas et ne doit pas se substituer aux contrôles administratifs existants : N° 5 mars/avril 2008 ces contrôles, conservent toute leur utilité. Il est également important de souligner que l’audit de la corruption a un objet et un périmètre qui restent limités ; il n’a pas directement pour finalité la recherche d’économies ou l’efficacité de la commande publique. C’est pourquoi cette méthode d’audit doit d’abord être perçue comme un auxiliaire, mais un auxiliaire particulièrement souple à utiliser. Il peut en effet être mis en place en tant qu’audit diagnostic, avec pour objet d’identifier le risque présent dans le processus établi au regard de la corruption, ou en tant qu’audit d’investigation : dans ce dernier cas, l’objectif est de rechercher la preuve de l’existence des montages frauduleux pour, lorsque les indicateurs de risque sont pertinents et que la probabilité de fraude est élevée, disposer de tous les éléments utiles pour une saisine des autorités judiciaires et la sanction des comportements déviants. n Bibliographie sur la détection des fraudes « Audit & fraudes », François Vidaux et Noël Pons, Paris, 2004, éditions IFACI. « Halte aux fraudes », Olivier Gallet, Paris, 2005, éditions Dunod. « Cols blancs et mains sales - Économie criminelle, mode d’emploi », Noël Pons, Paris, 2006, éditions Odile Jacob. « Contrôle fiscal des comptabilités informatisées », Sylvie de Gentile, Paris, 2006, éditions Lefebvre. 31