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Jean-Marie POIROT, UNSA
France 2025
Éric Besson, Secrétaire d'État chargé de la Prospective, de l'Évaluation des politiques publiques et du Développement
de l'économie numérique, a initié un exercice de prospective ayant l’ambition « d’identifier les meilleures
opportunités pour mieux éviter les scénarios les plus sombres ». Il a souhaité y associer des « parlementaires,
partenaires sociaux, hauts fonctionnaires, experts et représentants de la société civile » pour «examiner huit sujets
majeurs pour l'avenir »
1. Quel rôle pour l’Unsa ?
L’Unsa a souhaité limiter sa participation au « Diagnostic France 2025 » à l’observation des analyses et scenarii
proposés. Nous avons privilégié la « veille technologique » afin de laisser au Centre d’analyse stratégique son
rôle, tout en soulignant l’intérêt d’une planification indicative nécessaire à la mise en œuvre d’une politique
économique et sociale efficace, pertinente et transparente.
L’Unsa a mis en garde les initiateurs de ce diagnostic face au risque de mise en place d’une boite à idées
prédictive. Nous avons alors souhaité un éclairage de ces travaux à la lumière des « diffuseurs de pensées » de
1985. Nous constatons qu’aujourd’hui, les préoccupations de nos concitoyens sont éloignées des questions et
prédictions d’alors.
Lors des rencontres préparatoires, l’Unsa a fait part de ses craintes que les scenarii bloquant les participants
dans des questions fermées.
Nous considérons que chacun peut « faire son miel » de telles réflexions à condition que seules quelques
grandes tendances soient retenues à la fois pour leurs aspects plausibles et réalistes.
Par ailleurs nous avons trouvé le document introductif particulièrement documenté, détaillé et étayé mais dans
le même temps peu en prise avec les grands problèmes transversaux au niveau mondial. Nous avons eu le
sentiment que l’Europe n’était abordée dans ce document introductif qu’en filigrane ou par une clé d’entrée
strictement nationale
Pour ces raisons, l’Unsa a limité sa participation aux réunions plénières dans une démarche d’objection et de
questionnement.
Le présent document n’a pas l’ambition de proposer des solutions ou des axes de réflexions mais de mettre le
lecteur en garde face à un travail technique, élaboré mais, sans doute, par trop fermé.
2. L’intérêt des rapports.
Ils ont été conçus pour viser une démarche de consensus. Force est de constater cependant que les interventions
faites en réunions plénières n’ont eu aucun écho dans la présentation des rapports définitifs. L’Unsa n’avait
pour ambition que d’émettre des doutes ou des réflexions sur certaines démarches.
Nous n’avons même pas trouvé l’évocation ni même la trace de nos questionnements dans les documents
présentés lors des réunions finales.
a.
Quelques exemples.
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Lors de la présentation de « technologies et vie quotidienne de nos concitoyens », nous avons
montré nos réticences face à une présentations qui pouvait être regardée comme scientiste voire
comme empreinte de merveilleux technologique.
Au delà de ce sentiment, la présupposition de mise du malade au centre d’un système
dématérialisé ou la prégnance de la technologie dans la vie domestique risque, pour l’Unsa, de
laisser au second plan l’être humain dans sa dimension individuelle, psychologique, affective et
sociale. La référence aux robots humanoïdes passe sous silence les motivations de ces axes de
recherche au Japon ou en Corée.
Plus sujet à caution, est la priorité donnée à la médecine prédictive dans ce scénario. Quelques
séquençages du génome humain montrent que dans l’état des connaissances scientifiques
actuelles, tout n’est pas dans les gènes. Allier bijectivement génétique et consommation de biens
et services conduit un changement radical du lien social et porte atteinte à la liberté individuelle.
L’orientation vers les neutraceutiques ou les alicaments enferme l’individu dans un processus où
sa bonne santé ne dépend que de lui. Ne pas accepter ce prédicat conduit l’humain à être
« coupable de maladie ». Il est dès lors possible de résumer un scénario selon le schéma suivant :
il a pris un risque, il a été mis en garde, il ne s’est pas assuré en ce sens donc la solidarité ne peut
pas jouer. Plus légèrement, tout l’encadrement des évolutions des orientations alimentaires fait au
mieux sourire au pire isole l’individu dans un régime alimentaire sans doute strict et certainement
bien triste.
Se laisser gouverner par la seule technologie c’est abandonner la dimension humaine qui doit à
notre sens « prendre en main » la technique et rechercher l’essence de cette technique.
•
Sur l’énergie nous partageons globalement les analyses, d’autant que l’aspect spéculatif a été
réintroduit dans les travaux. Cependant cette présentation n’envisage pas assez d’autres voies et ne
présente pas d’objection alternative. Dans le cadre du raisonnement de ce document, les
conséquences sont déclinées à partir d’un consensus insuffisamment argumenté. Par exemple, les
options sur les niveaux de réchauffement sont des hypothèses que nous pouvons retenir mais qui
ne nous semblent pas pouvoir être opposées au monde entier tant pour des raison de volonté de
croissance des PMA que pour une certaine faiblesse de la démonstration. Il conviendrait sans
doute de nuancer les statistiques de production de gaz à effet de serre (GES) à l’éclairage du
niveau de PIB par habitant, de la croissance économique et de la structure démographique.
L’aspect « prédictif incertain » est renforcé dans notre esprit par le fait que le rapport rejette les
conséquences les plus graves mais les plus incertaines au delà de 2050 ; ce sera selon le mots de
Keynes « le long terme où nous seront tous morts »
b.
D’autres rapports ont cependant présentés plusieurs variantes voire plusieurs scenarii.
•
Nous approuvons le mode d’analyse et les perspectives contenus dans le rapport du groupe
« Production et emploi ». Nous notons l’apport du document traitant du regard historique sur la
longue période et particulièrement la notion de PIB relatif. L’Unsa cependant regrette que les
observations faites en séance plénière sur une piste d’explication proposée par Gilbert Cette sur la
spécificité des relations sociales françaises, à l’éclairage du rôle des grands corps, n’ait pas été
explorée. Cela aurait, à notre sens, enrichi le questionnement sur les « relations de confiance
entre les acteurs du marché du travail » ou « les relations de travail ».
De même, estimons nous, à l’Unsa que l’analyse pertinente sur la multiplication des PME comme
facteur de développement aurait due être prolongée sur des axes sociaux.
Sur l’analyse des facteurs de production et sur le taux d’emploi des seniors, nous manquons
d’arguments chronologiquement cohérents avec les autres conditions figurants dans le document
(référence à un haut niveau d’enseignement notamment).
L’affirmation du président, en séance, du fait que des traces de la crise subsisteront en 2025
nécessite une poursuite de l’examen des scenarii et leur ajustement. Cela renforce aussi l’opinion
de l’Unsa selon laquelle une régulation est nécessaire et qu’elle ne doit pas être impulsée
seulement au niveau national, ni en désordre. Il convient pour nous de dépasser l’entité France
positionnée en regard du reste du monde. Nous réémettons des réserves dans ce rapport comme
dans les autres aux seules solutions « tout Hi Tech ». Elles portent, à notre sens, trop de risques
sectateurs.
•
Le document « Création, Recherche, innovation » est sans doute celui qui ouvre le plus les
champs des possibles. En ce sens il convient de ne pas l’envisager comme le mode d’emploi d’une
action politique. Les scenarii fixent des hypothèses des grands axes et pour nous ne sont pas
définitifs. Il convient de compléter l’analyse sur les systèmes éducatifs en évitant l’auto
flagellation. Les critiques sur le système universitaire sont un point de vue ; il semble partagé au
niveau mondial voire européen, il semble parfois par trop réducteur. Le document a le mérite
d’insister sur le rôle du réseau, de la recherche de l’excellence - et de l’excellence de la recherche
- pour maintenir l’attractivité de la France dans ces domaines, le tout intégré dans une dimension
européenne.
Encore faudra-t-il que les priorités puissent être fixées au niveau européen.
Dans le déroulement et le choix des scénarios, une attention particulière devrait être portée aux
relations avec les entreprises. Sur le choix des partenaires et surtout sur l’orientation des marchés
publics il y aura très rapidement un débat sur la sélection des soumissionnaires entre « new
business act » et « smal business act ». D’une façon plus prosaïque nous ne sommes pas certains
que les petites entreprises soient les mieux à même de répondre comme nous ne sommes pas surs
que les nouvelles soient les plus innovantes.
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Le rapport « Vivre ensemble » satisfait l’Unsa au niveau de la description des trois modèles. Il est
un des rares documents à fixer des perspectives dans le cadre de l’Europe. A notre sens il peut-être
considéré comme la clé d’entrée des perspectives sur les années prochaines, notamment grâce à un
constat argumenté sur la situation actuelle. Le plus important nous semble être l’interpénétration
des regards, des points de vues et des scenarii. Cependant, l’abondance de la documentation et
surtout la multiplicité des combinaisons possibles demandent un effort important d’analyse pour
permettre une orientation politique bien comprise. Cette complexité doit s’accompagner d’un suivi
tant au niveau de l’actualisation des données que de celle des perspectives.
Cela éclaire la difficulté du choix politique à partir d’analyses rationnelles qui ne peuvent qu’être
difficilement partagées et le risque de rétrécir le champ des possibles.
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Le rapport du groupe « Risques et protection » élabore plusieurs scenarii. Cependant ils sont
disjoints selon les risques : santé, retraite, perte d’autonomie, emploi. Au delà de cette difficulté
méthodologique nous ressentons une constante assurantielle. A titre d’exemple : le rapport
souligne le rééquilibrage vers la prévention sur les risques sanitaires individuels ; mais cette
analyse en utilisant l’aspect multifactoriel des pathologies peut être comprise comme
l’enfermement du malade dans un processus de responsabilité individuelle voire de
culpabilisation. De plus, les incitations que le rapport évoque peuvent être envisagées comme une
atteinte aux libertés individuelles.
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Le document « Etat, action publique et services publics » fait un inventaire exhaustif de la
situation sans céder à la facilité de la mode visant la remise en cause des statuts.
Cependant plusieurs incertitudes subsistent. Il n’a pas été étudié la démarche de délégation et le
risque de déposséder l’action publique de son savoir et son savoir-faire. Nous aurions souhaité
l’introduction d’un questionnement sur la méthodologie de rédaction des cahiers des charges, sur
l’élaboration des spécifications, sur le contrôle de la réalisation, sur l’évaluation des missions ainsi
réalisées et plus généralement sur la place laissée à la maîtrise d’ouvrage et sur ses relations avec
la maîtrise d’œuvre. Dès, aurait été posé le problème de l’émergence de la demande citoyenne et
ensuite celui du processus du contrôle afin que « La Société [puisse] demander compte à tout
Agent public de son administration. »
Dans sa conclusion générale, le document issu de ce groupe met en lumière les démarches
possibles. Encore faut-il que le scénario le plus plausible « La puissance publique prend en charge
de nouveaux besoins » puisse être sujet de débat et objet d’orientations politiques.
3. L’utilisation des rapports.
La structure et le contenu de la plupart des documents s’appuient essentiellement sur les travaux du Centre
d’Analyse Stratégique. Si cette source est un gage de qualité, cela conduit à une uniformité. Afin de ne pas
risquer la « pensée unique », il est nécessaire de s’interroger sur le statut de ce travail.
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Quelles interactions y a-t-il entre les rapports ? Les différentes analyses sont assez rarement en
opposition. Cela signifie-t-il qu’il y a harmonisation ou contrainte commune ? Comment présenter
à l’extérieur une démarche d’action sans être soupçonné de démarche univoque ?
Le raisonnement parait parfois trop rigide, le « SI, ALORS » se résumant à une seule orientation
sans espoir de retour.
La participation des membres « non experts » a pu être ressentie comme un prétexte au
politiquement correct. La publication ou la mise en ligne de ces documents ne peut pas être
considéré comme une caution ni de la méthode, ni du contenu, ni des orientations qui pourraient
en résulter.
Le lecteur devra être averti contre la tentation de considérer ces documents comme une
« Modélisation de l’avenir de l’humanité »
Le scénario des scenarii est nécessaire ; il est uniquement politique et résulte d’un choix
démocratique éclairé et non dicté par la fatalité de l’expertise. En ce sens il conviendra de
généraliser la dimension européenne du regard et même de la démarche.
Pour l’Unsa, le citoyen est celui qui doit réfléchir à la société où nous voulons aller.
Ces démarches ne doivent pas se limiter à un exercice prédictif national à long terme et nous
pourrions conclure avec Jules Lagneau « Le temps est la forme de mon impuissance ; l'étendue, la
forme de ma puissance »
Enfin, nous regrettons que notre expression soit ainsi dissociée des rapports et que lors de la réunion d’étape à
l’Assemblée Nationale aucune marge de débat n’ait été laissée aux participants, ceux-ci apparaissant comme
caution ou faire valoir.
JM Poirot
UNSA