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Nous publions ici la 1ère partie d’une «Histoire des luttes antinucléaires en France» qui en comporte quatre. Les trois autres parties seront publiées dans nos prochains numéros. Il est possible de commander le texte complet (39 pages avec illustrations) pour 12 euros (port inclus) à l’adresse : Henry Chevallier «La Bertrande» 32400 FUSTEROUAU (Tél 05 62 09 08 25. Courriel : [email protected] ). Chèque à l’ordre de Ende DOMAN. L’auteur, Henry Chevallier, est animateur de Sortir du Nucléaire 32 (collectif membre du «Réseau Sortir du Nucléaire», coordonnateur de l’ouvrage «Nucléaire ? Non merci !» (publié par Utovie/Silence, 1993) Histoire des luttes antinucléaires en France (1ère partie : 1958 – 1975) A l’heure où la France s’engage dans une impensable relance du nucléaire, nucléaire « civil » avec l’EPR, nucléaire « expérimental » avec l’ITER, nucléaire militaire avec le programme des missiles à longue portée M51 pouvant être dotés de « mini » bombes atomiques, il est indispensable de faire le point sur nos luttes antinucléaires, passées, présentes et à venir. Cet historique que j’ai vécu, en étant maintenant un « vétéran » des premières marches anti-atomiques, devrait permettre de tirer les leçons, à la fois des erreurs commises dans les luttes, mais aussi des quelques succès remportés lesquels firent mettre au placard des projets de centrales et des projets de barrages-réservoirs liés au nucléaire. Cet historique sera également un devoir de mémoire envers celles et ceux qui se consacrèrent à ce combat contre le nucléaire, tant militaire que civil (Jean Rostand, Jean Pignero, Claude Bourdet, Pierre Fournier, Solange Fernex, Philippe Lebreton, Michèle Rivasi, les Belbéoch…) et envers ceux qui, hélas, y laissèrent leur vie : Vital Michalon, Fernando Pereira et Sébastien Briat. Le lancement de l’industrie nucléaire en France (1945 – 1960) A la veille de la seconde guerre mondiale la France était un des états où la recherche atomique était la plus avancée. Une équipe de pointe s’était créée avec Irène Curie, mariée à Frédéric Joliot, H. Halban, L. Kowarski et Francis Perrin. En 1940 elle était sur le point de réaliser la première pile atomique à l’eau lourde. Joliot avait déjà imaginé les applications civiles…et militaires de la fission nucléaire et avait déposé des brevets en ce sens (ce qui en dit long sur l’inconscience des savants atomistes). En 1945 ce sont les premières bombes atomiques américaines utilisées « réellement » sur des populations à Hiroshima et à Nagasaki. L’évènement fut salué par presque toute la communauté scientifique, les intellectuels et la classe politique comme «une révolution scientifiA CONTRE COURANT N° 202 - MARS 2009 que» (le Monde), comme «une conquête monumentale de l’homme» (l’Humanité). Le seul chroniqueur à dénoncer l’ignominie de l’arme nucléaire fut Albert Camus dans Combat. Cette nouvelle arme allait aussi passionner les militaires, en particulier le général De Gaulle qui s’était autoproclamé Président du Gouvernement Provisoire. En 1945 il crée, sur la proposition de Joliot-Curie et de l’ancienne équipe de recherche, le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA). Joliot, nommé haut commissaire du CEA, espérait que cet organisme servirait à promouvoir une « énergie atomique pacifique ». Communiste, il déclara à un congrès du PCF que les savants français ne feraient pas des armes nucléaires pouvant être utilisées contre l’URSS. Cette position lui valut son limogeage. En 1948 est réalisé, à Fontenay-aux-Roses, la pile atomique «Zoé» à l’eau lourde. Ce réacteur produit du plutonium utilisable pour faire une bombe. En 1949 deux autres réacteurs sont construits au centre de Saclay. En 1952 voit le jour le premier plan français de développement de l’énergie atomique, avec un volet civil (loi-programme votée par l’Assemblée nationale) et un volet militaire pour des « armes spéciales ». La décision d’un programme nucléaire militaire se pose en 1954. Cette décision ne sera pas débattue à l’Assemblée nationale, ni encore moins soumise à un référendum populaire (chose inconcevable sous la 4ème République). Ce sera le président du Conseil, Pierre Mendès-France (Parti radical) qui prendra la décision, « après avoir consulté des experts » (c’est-à-dire surtout Francis Perrin du CEA) . Bravo la démocratie ! Tout va aller ensuite très vite. Les successeurs de Mendès-France, Edgar Faure (1955) et Guy Mollet (1957), signent la construction des usines nucléaires de Marcoule et de Pierrelatte destinées à produire le plutonium et l’uranium 235 à usage militaire. En 1958 De Gaulle accède au pouvoir absolu et fait accélérer le programme des armes nucléaires dont il rêvait depuis 1945. En 1959 la Force de Frappe est opérationnelle et la première bombe atomique explose à Reggane au Sahara en 1960. Le - 15 - programme électronucléaire avait été mis en chantier parallèlement (premiers réacteurs graphite-gaz à la centrale de Chinon). Ban the bomb L’opposition au nucléaire commença par le refus de la poursuite de la fabrication de bombes atomiques, cri d’alarme poussé par des scientifiques, certains d’entre eux ayant participé à des programmes nucléaires (Appel de Stockholm, Mouvement Pugwash). En France les premiers contestataires furent quelques courageux isolés. Pierre Martin, avec d’autres pacifistes, tente de parvenir jusqu’au site de Reggane. Jean Pignero «simple» instituteur en Seine-etMarne, écrit en 1957 «Halte à l’atomis m e» et fonde une as s oc iation dénonçant les dangers des rayonnements (rayons X compris) utilisés en médecine(1). Jean Rostand, biologiste «indépendant», ne cache pas, dans ses écrits de vulgarisation, son inquiétude concernant les effets mutagènes et pathogènes de la radioactivité. Ainsi, si certains s’opposent à l’armement nucléaire pour des raisons surtout géopolitiques, d’autres, comme Rostand et Pignero, vont bien plus loin en condamnant toute la technologie engendrant une radioactivité aux effets biologiques nocifs. La prise de conscience des risques d’une guerre nucléaire se fit principalement aux USA lesquels se trouvaient confrontés avec la guerre du Vietnam (le Viet Minh étant aidé par la Chine et l’URSS) et avec la révolution cubaine se rangeant dans le clan soviétique. La plupart des pacifistes américains étaient ainsi contre la guerre du Vietnam et contre les bombes atomiques. Ce fut le mouvement Ban the Bomb (à bas la Bombe) popularisé par les chanteurs, les poètes et autres artistes de la «Beat Generation» (Bob Dylan, Joan Baez…) Le relais en France de ce mouvement fut principalement dû à Claude Bourdet qui participa à une réunion internationale en 1961. Bourdet était un vieux routard de la gauche non orthodoxe. Pendant la Résistance il fut un responsable du réseau Combat (qui se prolongea à la Li- bération par le journal du même nom). Il milita ensuite contre la guerre d’Algérie, dénonçant les tortures, ce qui lui valut d’être arrêté. Il fonda la revue France Observateur qui devait devenir le Nouvel Observateur. Il fut de ceux qui rompirent avec la SFIO, suite à l’ignoble politique répressive qu’elle avait menée en Algérie avec Robert Lacoste et Guy Mollet. Il créa un groupuscule néo-socialiste qui devait se fondre dans le PSU (Parti Socialiste Unifié). En 1963 Claude Bourdet poussa le PSU à épauler un mouvement c ontre l’arm em ent nuc léaire : le MCAA(2). D’autres organisations de gauche se trouvaient également sensibilisées sur les dangers des armes nucléaires, mais en se focalisant contre la Force de Frappe. Le MCAA, lui, se démarqua de ces organisations par son slogan «non à toutes les bombes» et par des manifestations bien ciblées. En novembre 63 eut lieu une marche à partir de Taverny (prés de Paris), commune où devait s’implanter le PC de la Force de Frappe. Le MCAA allait drainer, entre 1963 et 1967, des personnes venant d’horizons très divers. Il y avait des membres du PSU, des «dissidents» du PCF et de la CGT, des chrétiens étiquetés «de gauche» (l’Action Civique Non-Violente avec Lanza del Vasto, les Amis de Témoignage Chrétien, des pasteurs…), des antimilitaristes libertaires (l’Union Pacifiste, Louis Lecoin), des scientifiques (Jean Rostand, président d’honneur du MCAA, Théodore Monod du Muséum, l’explorateur du Sahara, l’agronome René Dumont, le Dr Albert Schweitzer, des physiciens atomistes…), le député tahitien John Teariki, des beatniks dont nous parlerons plus loin… En 1964 les partis de la gauche parlementaire décidèrent d’amplifier leur campagne contre la Force de Frappe. Une foule énorme répondit à l’appel avec 120 000 personnes au parc de Sceaux. Ce fut le premier et le dernier grand rassemblement antinucléaire de la gauche en France. Les organisateurs furent effrayés par la prise de conscience de «la base». Les participants avaient exprimé leur opposition à tout armement atomique et non aux seules vilaines bombes gaullistes. Cette prise de conscience découlait, en grande partie, de la «crise de Cuba» de 1962 (installation de missiles soviétiques dans l’île) qui faillit déclencher une guerre mondiale qui aurait été nucléaire. Les communistes, les socialistes et les radicaux s’employèrent dés lors à évacuer toute opposition au nucléaire de leurs discours et programmes. On voit ainsi l’énorme responsabilité de la gauche française (PSU excepté) dans le chloroformage de ses électeurs quant à la question nucléaire(3). Le MCAA resta l’unique organisation à poursuivre les marches anti-atomiques. Mobilisation contre l'électronucléaire (19711975) Beaucoup de soixante-huitards vont se mobiliser contre le programme électronucléaire grâce aux informations fournies par l’APRI de Jean Pignero (publications d’un solide niveau scientifique), par Pierre Fournier (chroniqueur et dessinateur dans Hara Kiri-Hebdo) et par les pionniers en Ecologie appliquée et politique (Réseau des Amis de la Terre créé en 1969 aux USA). seul. Des «francs tireurs», non attirés par le côté bureaucratique de l’organisation, agissaient de leur propre chef. Le «protest song» de la Beat Generation avait gagné la France avec des chanteurs contestataires dont les plus connus furent Antoine (quand on voit ce qu’il est devenu…) et Hugues Auffray qui avait traduit les chansons de Bob Dylan : Nous avons les bombes Les plus perfectionnées Que saute le monde S’il faut le faire sauter Un levier qu’on bascule Un bouton à pousser N’ayons pas de scrupules Dieu est à nos côtés. Les beatniks manifestaient en général avec le groupe anarcho-surréaliste des Amis de la Vie animé par Mouna, le «philosophe des rues». Ce groupe faisait des actions spectaculaires comme d’inonder de tracts anti-atomiques le stade du Parc des Princes lors de la finale du Tournoi des cinq nations (championnat de rugby). En 1967 le MCAA semble en perte de vitesse, sans doute par suite de sa décision de militer aussi pour la paix au Vietnam. Mai 68 diluera dans son raz de marée les adhérents au MCAA. Le discours de Jean Rostand à la Sorbonne fut la seule manifestation antinucléaire de la «révolution». Pourtant la Force de Frappe était passée à une vitesse supérieure (en août 68 fut expérimentée à Fangataufa une bombe H de 2,6 mégatonnes) et l’électronucléaire se trouvait en plein décollage (réacteurs de Brennilis, de Chinon A3 et de Chooz 1, centrale de Bugey). Toutefois les pratiques de Mai 68 (comités d’action, comités de base) allaient servir de mode d’emploi, les années suivantes, pour des auto-organisations locales populaires (comités de défense et comités antinucléaires). Mais le MCAA n’était pas toutefois A CONTRE COURANT N° 202 - MARS 2009 - 16 - En 1971 ont lieu les deux premières manifestations contre le nucléaire civil, à Fessenheim en Alsace (centrale en chantier) et à Bugey dans l’Ain (réacteur en fin de construction). La manif de Fessenheim est lancée par un «Comité de sauvegarde» comprenant Solange Fernex qui deviendra la «grande dame» de l’opposition au nucléaire civil et militaire et de l’Ecologie. La manif de Bugey (15 000 personnes en majorité des jeunes) a été préparée par Pierre Fournier et Emile Prémillieu («opération Bugey-Cobayes»). Fournier, se sentant mal à l’aise dans l’équipe de Hara Kiri, laquelle évite de se positionner de façon militante, crée, en 1972, la revue écolo et antinucléaire La Gueule Ouverte. Par sa radicalisation, son indépendance politique (plutôt anarchisante), son savoir et la justesse de ses analyses, Fournier aurait pu devenir le meilleur maître à penser de la contestation si une mort subite, mal explicable, ne l’avait fauché en février 73. En 1974 Giscard d’Estaing succède à Georges Pompidou. La famille d’Estaing ayant des intérêts dans le lobby nucléaire (avec le groupe Enpain-Schneider), Giscard fait accélérer la filière des réacteurs de seconde génération de type PWR (licence Westinghouse se traduisant par la société franco-américaine FRAMATOME). Une filière de surgénérateurs au plutonium est aussi lancée (prototype «Phénix» à Marcoule). EDF se trouve totalement sous la coupe du CEA, de FRAMATOME, de EURODIF, de la COGEMA… Les sites prévus pour les nouvelles centrales sont dévoilés par une presse militante en pleine expansion. Outre la Gueule Ouverte, on trouve l’APRE/ hebdo et Ecologie (publiés par l’APRE : Agence de Presse Ecologique), le Sauvage, filiale écolo du Nouvel Observateur, Combat Non Violent (organe du MAN: Mouvement pour une Alternative Non-violente), les publications des Amis de la Terre, de Greenpeace, des périodiques régionaux (comme Oxygène en Bretagne), enfin les bulletins des Comités antinucléaires (CAN). La formule de APRE/hebdo est particulièrement efficace. C’est un pério- dique hebdomadaire qui fournit des flashs et annonce les manifs à venir, alors que presque toutes les autres publications sont des mensuels en retard sur l’actualité. En 1975 tous les sites nucléaires (centrales en projet ou en construction) sont «couverts» par un CAN ou par une autre association (groupe local des Amis de la Terre, par exemple). La répression montre ses dents. Des manifs sont dispersées par les CRS, les grenades de Mai 68 faisant leur réapparition. A Paris, le PSU et les Amis de la Terre appellent à un cortège, mais sans aucune préparation (pas de tracts, pas de prises de parole). Des manifestants (surtout des jeunes des banlieues) s’opposent aux forces de l’ordre et défoncent les devantures de plusieurs banques(4). A Fessenheim, un sabotage à l’explosif est commis sur le réacteur en construction. Cette action (revendiquée plus tard par un groupe révolutionnaire) va retarder d’un an les travaux. tait en lui des faiblesses. La composition de ces groupes est très hétérogène. Les deux composants principaux sont, d’une part, des militants s’appuyant sur une idéologie ou des idéaux (anarchistes, gauchistes, sociaux-démocrates, écologistes, régionalistes) et, d’autre part, des «gens du pays», sans idéologie politique précise mais défendant leur environnement et leur qualité de vie. Ce pluralisme ne posera pas de problèmes pour certains groupes, mais, pour d’autres, provoquera, surtout à partir de 1977, des conflits et des clashs dont nous parlerons dans le seconde partie de notre historique. Notons que les victoires obtenues furent, en général, le fruit d’organisations où les «gens du pays» avaient pris les choses en main en évitant de se faire manipuler par des «professionnels» du militantisme et de la politique. Pour le nucléaire ce fut le cas des projets de centrale à Erdeven (Morbihan), à Pontsur-Yonne (Yonne) et, plus tard, à Plogoff. A Pont-sur-Yonne, par exemple, ce furent les agriculteurs qui se mobilisèrent, bloquant les routes avec les tracteurs et empêchant les géomètres de jalonner le site. Dans d’autres domaines ce fut le même chose: extension du camp militaire du Larzac, barrages dans le bassin de la Loire, barrages-réservoirs dans le Sud-Ouest…(6) La Polynésie française de la honte C’est en 1966 que l’expérimentation des bombes atomiques fut transférée du Sahara en Polynésie : « expériences nucléaires (…) par lesquelles on va permettre de traiter en cobayes des hommes qui ont la malchance d’habiter un archipel lointain » s’indignait Jean Rostand. Quoi de mieux, en effet, que d’utiliser des atolls perdus dans le Pacifique dans un territoire d’outre mer continuant à subir une dictature colonialiste. On aurait pu espérer une mobilisation des travailleurs de EDF, mais la CGT y fait régner la loi du silence (le PCF étant totalement partisan de l’énergie nucléaire). Seule la CFDT conteste le «tout nucléaire» (slogan en 1976 de la Fédération CFDT gaz électricité: «exigeons la diversification des sources d’énergie») et fait paraître un livre expliquant les rouages de l’électronucléaire français(5). Ce sera ensuite la chape de silence de «la Maison», chape qui perdure toujours malgré le démantèlement des services publics de l’énergie. La constitution des CAN, des CRIN (comités régionaux d’information nucléaire) et de groupes plus ou moins écolos de défense de l’environnement fut un moyen de lutte très positif mais qui porA CONTRE COURANT N° 202 - MARS 2009 Le « Centre d’Essais du Pacifique » (CEP) procédera de 1966 à 1974 à 44 tirs atom iques dans l’atmosphère, soit 39 sur l’atoll de Moruroa et 5 sur celui de Fangataufa. A partir de 1975 les explosions auront lieu en profondeur sous l’atoll de Moruroa. De Gaulle voulut assister au second tir en septembre 1966, mais la météo était mauvaise. Qu’à cela ne tienne, le général ordonna le tir et un vent d’est entraîna des retombées radioactives jusqu’à des îles situées à plus de 3000 km. D’autres tirs atmosphériques furent également polluants et touchèrent des îles habitées assez proches de Moruroa : Tureia, Rea et Mangareva, cette dernière dans l’archipel des Gambier. Les essais les plus contaminants furent celui de la bombe H d’août 68 et un essai - 17 - «sale» en 1971. En 1968, les habitants de Tureia furent évacués dans un camp militaire de Tahiti où ils furent retenus pendant plusieurs mois. Ce fut la seule évacuation car on avait construit dans les îles exposées des abris où les militaires poussaient la population lors des tirs. Certains abris n’étaient que de simples baraquements ! Le CEP devait embaucher 12 000 Polynésiens pour travailler à Moruroa. De nombreuses pathologies, des décès et des accidents mortels s’y produisirent. Les travailleurs « indigènes » opéraient sans aucune protection et beaucoup furent contaminés ou irradiés. D’autres furent atteints par la « ciguatera », intoxication souvent mortelle due à la consommation de poissons contaminés par une microalgue très toxique (cette microalgue se développe dans des milieux marins bouleversés: c’était le cas avec les tirs souterrains à Moruroa et avec des dragages dans les coraux). La ciguatera s’étendit jusqu’à Fangataufa et autres îles habitées(7). La «Bombe coloniale» en Océanie française va aiguiser les actions des Polynésiens indépendantistes. En 1972 un commando pénètre dans une caserne de Tahiti pour y voler des armes. Trois activistes sont arrêtés et condamnés à 5 ans de prison ! Les essais nucléaires vont susciter aussi des actions pacifistes au moyen de voiliers qui tenteront d’atteindre Moruroa au moment d’un tir. Le canadien David Mac Taggart met son voilier sous la bannière de Greenpeace (bateau le Vega rebaptisé Greenpeace III). En juin 72 le voilier, approchant de la zone de tir (lequel eut lieu), se trouve encerclé par des vaisseaux de guerre français. Un dragueur de mines éperonne alors le Vega et ceci dans les eaux internationales. Le bateau de Mac Taggart est escorté jusqu’à Moruroa puis « expulsé » vers Rarotonga sans avoir été réparé par les autorités françaises lesquelles relateront l’évènement de façon la plus mensongère ! L’année suivante un acte de piraterie bien plus grave sera commis envers le Grenpeace III. En 1973 plusieurs bateaux pacifistes mettent le cap sur Moruroa. Deux d’entre eux seront arraisonnés par la Marine française : le Fri et le bateau de Mac Taggart. Ce dernier comprend un équipage de deux hommes et deux femmes. Au large de Moruroa, le « comité d’accueil » de la Marine est là comme l’an passé. Mac Taggart remet à un officier les documents lui donnant le droit de naviguer dans les eaux internationales. La réponse de la Marine est l’envoi d’un Zodiac portant une demie douzaine d’homm es qui prend à l’abordage le Greenpeace III. Ses deux hommes d’équipage sont sauvagement matraqués. Mac Taggart, blessé à un œil, perd connaissance. Une fille prend des photos et parvient à cacher la pellicule. Les pacifistes sont retenus plusieurs jours dans les bases de l’Armée puis expulsés de la Polynésie française. Mac Taggart portera plainte pour acte de piraterie, mais les autorités françaises, selon leur habitude, fourniront leur version mensongère des faits. Les photos du matraquage seront censurées en France. A Paris, le politicien Jean-Jacques Servan-Schreiber qui avait participé à la manifestation contre la Bombe à Papeete (voir plus loin) refusa d’appuyer les démarches de Mac Taggart (8). L’autre bateau, le Fri, a à son bord des Français : Jean Toulat, prêtre catholique et journalis te, J ac ques de Bollardière, ex général devenu un pacifiste non violent après avoir renvoyé au gouvernement ses médailles de Compagnon de la Résistance et Brice Lalonde, le président des Amis de la Terre France. Le Fri est arraisonné par la Marine mais (1) Hommage à Jean Pignero (décédé en 2005) paru dans Stop Golfech n°53 (2) L’historique du MCAA-MDPL a été publié dans le «n°spécial-bilan» de Alerte atomique (mars 1997). Le congrès de dissolution du mouvement eut lieu le 11 mai 1996 quelques mois après le décès de Claude Bourdet. (3) Invité par le MCAA, en juin 66, dans un meeting à la «Mutualité» de Paris, François Mitterrand y prononça un discours alambiqué qui admettait «dans un gouvernement de gauche la reconversion de la Force de Frappe», tout en insinuant que si celle-ci était détestable c’était parce qu’elle était gaulliste et capitaliste (repeintes en rose, les bombes atomiques devaient être acceptables…). Le masque tombera en 1981… (4) Libération, noyautée alors par le PS, traitera de "branquignols" les manifestants. Les fondateurs de «Libé» devaient être aussi des branquignols… (5) «L’électronucléaire en France» par le Syndicat CFDT de l’énergie atomique (édit. Du Seuil, 1975) (6) Pour les luttes contre les barrages, voir mon ouvrage récent. H. Chevallier : «L’Eau un enjeu pour demain. Etat des lieux et perspectives» (édit. ElléboreSang de la Terre, 2007) (7) «Témoignages. Des Polynésiens prennent la parole» (publication Greenpeace-Damoclès, 1990) (8) D. Mc Taggart : « La Croisière Nucléaire » (édit. Hallier, 1975) (9) J. Toulat : « Objectif Mururoa » (édit. Laffont, 1974) Chronologie des luttes 1950 : appel de Stockholm signé par 36 prix Nobel à l’initiative du savant américain Linus Pauling pour l’arrêt de l’industrie nucléaire militaire. 1958 : nouvel appel auquel se joignent Jean Rostand, le philosophe Bertrand Russell, le Prof. Alfred Kastler… sans violence (vu les personnalités à son bord..) Bollardière est renvoyé en France par avion ; les autres passagers du Fri, après avoir été retenus, parviennent à Tahiti. Une manifestation et un meeting contre la Bombe ont lieu à Papeete avec des élus tahitiens et métropolitains et des représentants des églises (9). Si le CEP devait enrichir certains Tahitiens, il devait, en quelques années, totalement pulvériser la société polynésienne traditionnelle et créer des milliers de précaires, de malades et d’handicapés. Les bidonvilles actuels de Papeete sont la triste illustration des méfaits de la « Bombe coloniale » française. (à suivre) 1959 : un groupe de pacifistes comprenant Pierre Martin, un pionnier de l’objection de conscience, essaie de gagner le Sahara pour pénétrer à Reggane, zone de tir de la première bombe atomique française. Les pacifistes sont interceptés par les gendarmes français en Afrique Occidentale. Pierre Martin entame une grève de la faim avec le soutien de nombreux Africains. Les autorités l’expulsent de l’Afrique. L’instituteur Jean Pignero tire un signal d’alarme sur la nocivité des rayonnements utilisés en médecine. 1961 : réunion internationale à Tyringen (Suède) contre l’armement nucléaire. Claude Bourdet y participe pour la France. Henry Chevallier A CONTRE COURANT N° 202 - MARS 2009 - 18 - février-mars 1963 : création du MCAA (Mouvement Contre l’Armement Atomique). Claude Bourdet en sera le président, Jean Rostand le président d’honneur. Le mouvement bénéficie, au départ, de l’aide du PSU (Bourdet étant un des dirigeants du parti). mai 1963 : premières marches antiatomiques en province contre la Force de Frappe. 17 nov. 1963 : marche Taverny-Bessancourt organisée par le MCAA avec d’autres partenaires. A l’appel d’un «Comité temporaire contre la Force de Frappe et pour le désarmement général» des marches et des rassemblements ont lieu aussi à Nantes (6000 manifestants), à Lorient, au Havre, à Nic e, à Besançon… 26 avril 1964 ; le Comité National contre la Force de Frappe, présidé par Jules Moch (ancien ministre, SFIO), suscite un énorme rassemblement de 120 000 personnes au parc de Sceaux près de Paris. Les partis, syndicats et mouvements participants sont: le PCF, la SFIO, le PSU, le Parti Radical, la CGT, la CFTC, l’UNEF, le SNI, le MCAA, le Mouvement de la Paix (filiale du PCF), la Ligue des Droits de l’Homme… Pâques 1965 : le MCAA reste la seule organisation à susciter les marches anti-atomiques « contre toutes les bombes ». février 1966 : le congrès du MCAA oriente les actions du mouvement pour la paix au Vietnam et contre les essais nucléaires en Polynésie. Claude Bourdet est réélu président. 1966 : Jean Pignero transforme son association sur le danger radiologique en une Association pour la Protection contre les Rayonnements Ionisants (APRI). mai 1968 : Jean Rostand intervient à la tribune de la Sorbonne. Passé la «révolution», le MCAA se rebaptise MDPL (Mouvement pour la Paix, le Désarmement et la Liberté). 1971 : opération «Bugey-Cobayes» organisée par Pierre Fournier et Emile Prémillieu. 1972 : Fournier crée un périodique militant écolo et antinucléaire: la Gueule Ouverte. Le prof. Philippe Lebreton, Jean Pignero et d’autres y participent. 1973 : la Marine répond à une campagne contre un essai nucléaire à Moruroa par des actes de piraterie envers des bateaux pacifistes. Décès de Pierre Fournier. 1975 : actions des CAN (Comités Anti-Nucléaires) contre les projets de centrales nucléaires. Manifestation assez violente à Paris. Sabotage à la centrale de Fessenheim. Nous publions ici la 2ème partie d’une «Histoire des luttes antinucléaires en France» qui en comporte quatre. Les deux autres parties seront publiées dans nos prochains numéros. Il est possible de commander le texte complet (39 pages avec illustrations) pour 12 euros (port inclus) à l’adresse : Henry Chevallier «La Bertrande» 32400 FUSTEROUAU (Tél 05 62 09 08 25. Courriel : [email protected] ). Chèque à l’ordre de Ende DOMAN. L’auteur, Henry Chevallier, est animateur de Sortir du Nucléaire 32 (collectif membre du «Réseau Sortir du Nucléaire», coordonnateur de l’ouvrage «Nucléaire ? Non merci !» (publié par Utovie/Silence, 1993). Histoire des luttes antinucléaires en France (2ème partie : 1976-1985) Dans la première partie, nous avons relaté les débuts de l’opposition au nucléaire avec une campagne ciblée contre l’armement atomique. Ce fut le «non à toutes les bombes» du MCAA, mais le «non à la Force de Frappe» des partis et syndicats de gauche. Forte mobilisation de «la base» en 1964 puis enterrement total de la campagne par les dites organisations de gauche. Il n’y aura que quelques pacifistes pour dénoncer, à partir de 1966, les méfaits de la «Bombe coloniale» française en Polynésie. Après 1968 c’est le démarrage des luttes contre l’électronucléaire, contre des réacteurs en chantier (Fessenheim, Bugey) et contre des centrales en projet: Erdeven, Beg An Fry, Pont-sur-Yonne et Port-la-Nouvelle (projets qui seront mis au placard), Braud-et-St-Louis (le Blayais), Gravelines, Paluel, Flamanville, Dampierre, Cruas, Nogent-sur-Seine…, sans oublier l’usine de retraitement de La Hague en fonctionnement. Superphenix : Superpholix Une centrale de type particulier va cristalliser les luttes en 1976 : c’est le surgénérateur de Creys-Malville, baptisé «Superphénix». Un surgénérateur, appelé aussi «réacteur à neutrons rapide» (RNR) a pour combustible de l’uranium naturel et du plutonium. Une «couverture» d’uranium naturel génère, par ailleurs, du plutonium, ce qui fait dire à ses promoteurs qu’un RNR produit plus de plutonium qu’il n’en consomme. Cette filière électronucléaire est la plus dangereuse de toutes. Le réacteur de Tcherno- A CONTRE COURANT N° 203 - AVRIL 2009 byl, en explosant, aurait été au moins dix fois plus polluant s’il avait contenu du plutonium, radioélément artificiel le plus toxique et à très longue période ( 25 000 ans pour perdre la moitié de sa radioactivité !). Un RNR est, enfin, un réacteur particulièrement non fiable car son fluide caloporteur, au lieu d’être de l’eau comme pour les réacteurs PWR, est du sodium liquide, élément qui prend feu au contact de l’air et explose au contact de l’eau. Plus ieurs états nuc léaires s e lancèrent dans cette filière mais avec de graves déboires. En 1966 le RNR américain «Enrico Fermi», prés de Detroit, frôle la catastrophe et doit être arrêté définitivement après seulement 30 jours de fonctionnement. En 1974 le RNR soviétique de Chevtchenko subit un incendie (feu de sodium ?). La liste est loin d’être close… La France inaugura cette filière avec les prototypes «Rapsodie» à Cadarache et « Phénix » à Marcoule. «Superphénix» devait être le plus gros RNR du monde : 1200 mégawatts. La société NERSA, consortium franco-italo-germanique, est le financeur de «Superphénix» (la France, EDF, détenant 51 % des parts). Deux hommes politiques sont ses principaux promoteurs : Giscard d’Estaing, le président de la République, et Raymond Barre, premier ministre et maire de Lyon(1). Dés le projet connu, les CAN et les associations d’environnement de la Région Rhône-Alpes vont se mobiliser, informer et organiser le 10 juillet 1976 un rassemblement sur le site en pré-travaux. Il y aura 20 000 manifestants dont beaucoup d’habitants du pays. Des paysans ont attelé à un tracteur un corbillard sur lequel est écrit : «voici ce qui vous attend» Dans une conférence de presse, le Prof. Philippe Lebreton illustre le danger du sodium en jetant un gram m e du m étal dans une bas s ine d’eau: une explosion projette une flamme à dix mètres de hauteur (le RNR devrait renfer- - 12 - mer 5000 tonnes de sodium…) Des manifestants cisaillent la clôture du chantier et pénètrent dans le site. Les CRS interviennent, font évacuer des campings et matraquent des antinucléaires (37 blessés dont 8 hospitalisés). A l’issue de ce rassemblement, qui véritablement marqua des points, un «bulletin information Malville» est réalisé : Super Pholix (à partir de son n° 3 il s’intitulera «journal des comités Malville»). En 1976 sera aussi fondé le GSIEN (Groupement des Scientifiques pour l’Information sur l’Energie Nucléaire) qui publiera La Gazette Nucléaire, revue indispensable faisant l’analyse technique de l’actualité nucléaire. Ce sont principalement deux couples de physiciens qui animeront le GSIEN et sa revue: Monique et Raymond Séné, Bella et Roger Belbéoch. Monique Séné rejoindra plus tard les Verts et le Réseau Sortir du Nucléaire. Les Belbéoch animeront le Comité Stop Nogent. Anarchiste, Roger Belbéoch ne voudra pas rallier une coordination nationale antinucléaire. Il restera toutefois, avec son épouse, au GSIEN jusqu’en 2005. Quand l'électoralisme écolo montre son nez Avant de poursuivre l’historique des luttes antinucléaires, arrêtons-nous sur un phénomène qui va, en fin de compte, plomber l’Ecologisme et l’opposition au nucléaire. Il s’agit de l’Ecologie électoraliste. Il serait trop long de faire ici l’analyse approfondie du phénomène. Posons seulement quelques questions essentielles. Etait-il utile que des «militants écologistes», ou des personnes s’intitulant ainsi, participent à des élections ? Dans quel but ? Pour uniquement informer leurs concitoyens dans le cas d’élections sans chance d’être élu (législatives, cantonales) ? Pour espérer d’être élu et de pouvoir défendre des actions «écologiques» au sein d’une assemblée (élections municipales, régionales, européennes) ? Pour, mais on ne l’avouera pas, entreprendre une carrière politique ? Mais avec quel programme ? Avec quelle idéologie sous-jacente ? Répondons rapidement. On peut, d’abord, mener des actions revendicati- Mise au point d’un lecteur Un lecteur, Alain-Claude Galtié, nous a adressé une mise au point. Alain-Claude Galtié a participé à l’alerte écologiste depuis les années soixante, en contribuant à l’agence de presse réhabilitation écologique (APRE) et à Ecologie dès le début, au bulletin des Amis de la Terre (le courrier de la Baleine), à la Gueule Ouverte aussi. Il a connu le dynamique Comité Antinucléaire de Paris qui était animé par Pierre Cuesta, Pierre Merejkowsky, “les Mellet” (un couple), Patrick et Annie Pamelard... En 1973/74, il a lancé une réflexion sur le risque totalitaire induit par la maîtrise d’une technique aussi dangereuse et concentrée que l’énergie nucléaire (aux antipodes de la récupération des communaux et de la maîtrise du quotidien qu’il défend). En collaboration avec Pierre Samuel (qui venait du groupe Survivre et Vivre), il a amorcé le développement de cette critique. Cela a donné un document qui a été assez largement diffusé à l’époque. (si vous êtes intéressé, contactez-le : [email protected] ) Cet aspect du risque nucléaire, un peu oublié depuis, lui apparaissait encore plus important que les questions de pollution. Le point qui chiffonne Alain-Claude Galtié dans le texte d’Henry Chevallier est l’attribution du titre de président des Amis de la Terre à Brice Lalonde. "Il ne l’était pas", nous écrit Alain Claude Galtié, qui ajoute : "Cela serait à peu près sans intérêt si cela ne correspondait pas à l’une des premières manipulations d’importance qui ont finit par faire couler le mouvement alternatif de l’époque; le plus radical, et le plus cohérent avec les défis planétaires qui étaient parfaitement identifiés depuis longtemps déjà. Lalonde était un entriste du PSU, plus exactement un fidèle agent d’un Michel Rocard en quête de tous les coups fourrés imaginables pour conquérir le pouvoir. Lalonde avait déjà quelques heures de vol derrière lui quand il s’est glissé discrètement dans le groupe écologiste le plus remuant, mais le moins bien prévenu contre les magouilles politiciennes. Par exemple, il s’était fait élire président de l’UNEF Sorbonne en 1968 au terme d’une manipulation probablement comparable à celles qu’il allait reproduire dans l’écologisme. Mais, mes compagnons et moi étions très loin de tout cela. Nous fûmes des proies faciles, écrit Alain-Claude Galtié qui évoque le saccage de l’assemblée générale des Amis de la Terre par la claque de Brice Lalonde dans «Trahisons du présent, sabotage de l’avenir» (voir le blog : http://naufrageplanetaire.blogspot.com). ves et avoir, assez souvent, gain de cause sans avoir à entrer dans le jeu électoral. C’est le cas des actions menées par les associations de protection de la nature et de l’environnement et les comités de défense. Ce fut le cas pour la lutte au Larzac; ce fut le cas du combat mené pour la libéralisation de la contraception et de l’IVG. Cela s’appelle faire du lobbying. Cela s’appelle aussi de la démocratie car les actions sont en principe décidées en assemblée, alors que trop souvent un candidat à une élection est un «électron libre» qui peut dire et écrire ce qu’il veut. En effet quel sera la teneur du discours du candidat «écologiste» et quelle sera, dans les faits, la politique qu’il mènera s’il est élu ? Beaucoup ont confondu «Ecologie politique» et «Electoralisme écologiste». La vraie Ecologie politique, qui n’implique nullement un électoralisme, est une démarche véritablement révolutionnaire car c’est le refus de tous les piliers de notre société hiérarchisée, capitaliste, technocratique et militariste : la pseudodémocratie républicaine, les technologies inutiles, polluantes et dangereuses, le lobby militaro-industriel…(2) Presque tous nos braves écolos électoralistes partirent en campagne avec un programme réformiste de type social-démoA CONTRE COURANT N° 203 - AVRIL 2009 crate qui évacuait ces questions primordiales. Il y eu, au départ, des énormes malentendus, d’abord entre les écologistes et les antinucléaires. Les premiers ne comprirent pas que l’Ecologisme impliquait logiquement la disparition du nucléaire et de l’armement (qu’il soit nucléaire ou pas). Les seconds ne saisirent pas qu’en refusant le nucléaire ils faisaient de l’Ecologie politique. Un dernier malentendu vint de beaucoup d’organisations anarchistes qui, face au discours réformiste et frileux de gens se disant écologistes, considérèrent que l’Ecologie - ou l’Ecologisme - comme une idéologie «à la mode» professée par des «petits bourgeois». Par exemple, ce n’est qu’à son congrès de 1996 que la CNT reconnut : «Nous avons eu tord de délaisser ce terrain de lutte».(3) Il n’y eut que trois écologistes électoralistes à mettre l’accent sur le refus du nucléaire : Solange Fernex, Philippe Lebreton et Didier Anger. Les deux premiers étaient entièrement compétents dans les domaines de l’Ecologie et, étant élus, ils poursuivirent leur militantisme de terrain. Anger, lui, devenu antinucléaire par nécessité (il habitait prés de Flamanville et de La Hague), mènera une carrière d’homme politique. Il fut un - 13 - bel exemple de «vert-rose», fustigeant un jour les socialistes pronucléaires pour s’allier avec eux le lendemain…(4) Un exemple bien pire de carriérisme politique sous l’étiquette «Ecologie» est donné par Brice Lalonde. Lalonde se forma à la magouille politico-militante en étant président de l’UNEF et membre du PSU. La légende veut qu’il tomba par hasard sur l’officine des Amis de la Terre France fondés principalement par le journaliste Alain Hervé(5). Lalonde va vite s’imposer aux AT. Il lance la manif «des vélos, pas d’autos !» en 1972. Devenu président des AT, il participe, en 1973, à une croisière contre un tir atomique à Mururoa, comme nous l’avons raconté. Son antinucléarisme se refroidira car on ne le verra pas à la manif de 1975 à Paris «organisée» par les AT et le PSU, ni dans le Comité Stop Nogent… Déjà se profile la cassure entre la classe politique écolo et les militants de terrain qui reçoivent les grenades. En 1976 Lalonde se présente à une législative partielle dans le 5ème arrondissement de Paris. Il a pris comme suppléant le brave René Dumont, le «candidat des écologistes» à l’élection présidentielle de 1974. Chose grave, Lalonde va utiliser le Réseau des Amis de la Terre France comme cheval de bataille pour son carriérisme politique. La coloration politique des écolos électoralistes commence à se manifester. Lalonde s’appuie surtout sur des «gauchistes» parisiens à la sauce PSU, ce PSU qui se met à lorgner vers le PS…(6) A Paris s’est créé aussi le Mouvement écologique occupant un petit local de la «Cité fleurie», cité d’artistes du bvd Arago. Ce collectif, plutôt sympathique, se proclame indépendant. En Alsace, Solange Fernex et Antoine Weachter ont été des pionniers dans l’électoralisme écolo. Le «groupe des Alsaciens» sera taxé de droitisme sans doute parce que Solange est croyante.. Dans des élections des groupuscules écolos pourront entrer en concurrence et se faire des «coups tordus».. A partir de 1977 cet électoralisme va accaparer l’énergie de beaucoup de militants au détriment des luttes de terrain, mais va aussi écoeurer des personnes qui croyaient en une Ecologie sincère et constructive. Le désastre de la manif de Malville sera la triste illustration de cet état de fait. Le désastre de Malville (1977) Le rassemblement de juillet 76 avait jeté les bases d’une organisation focalisée contre «Superphénix». En début 77 des «assises des comités Malville» définissent des actions radicalisées: «action directe, désobéissance civile, campagne d’autoréduction des factures EDF» et «feu vert à toute action qui peut retarder ou bloquer les travaux (…) l’initiative de la violence étant laissée à EDF et ses électro-flics». En mars un commando subtilise dans les locaux de la NERSA des documents révélant toutes les entreprises impliquées dans la construction du RNR. Ces informations sont publiées dans Super Pholix (n°11). Une Coordination Rhône Alpes prend le relais des assises pour préparer un grand rassemblement «offensif», mais «pacifique», sur le site, en juillet (Super Pholix n°12 et 13). Un autre périodique militant, la Gueule ouverte, lance aussi, de son côté, des mots d’ordre. Cette revue n’a pourtant plus la réflexion de ses premiers numéros, due à la houlette de Pierre Fournier. Elle est dirigée par Isabelle Cabut (l’épouse de Cabu), avec pour rédacteur principal un dénommé Arthur. En juin 77, la Gueule ouverte, en difficultés, a dû s’associer à Combat Non-violent l’organe du MAN (Mouvement pour une Alternative Non-violente). Pour la campagne anti-Malville la Gueule ouverte, surtout sous la plume d’Isabelle Cabut, prend des positions brumeuses et contradictoires: débordement par la non-violence des forces de l’ordre et occupation du chantier ! Ces mots d’ordre irréalistes et aventuristes peuvent faire craindre le pire comme votre serviteur se permet de l’écrire dans Ecologie hebdo n°246 (nouvelle appellation de APRE/hebdo). Un cafouillage dés juillet confirme ces craintes avec la dissolution de la Coordination Rhône Alpes et son remplacement par une nouvelle coordination «(qui) se mettra en place le 20 juillet avec représentation de tous les groupes et comités présents à Malville à cette date». C’est l’improvisation la plus totale ! Nous ne raconterons pas le déroulement de la manifestation du 31 juillet qui rassembla 60 000 personnes, renvoyant à l’ouvrage réalisé par un «Collectif d’Enquête» et publié en 1978(7). Si le rassemblement est mal préparé avec des objectifs contradictoires, l’Etat français a décidé d’utiliser les grands moyens pour stopper les manifestants et pour casser les reins au mouvement antinucléaire de nature, disons le, spontanéiste et soixanthuitard. Cinq mille CRS et gendarmes mobiles forment un rempart infranchissable autour du chantier de la centrale. Les donneurs d’ordre sont le ministre de l’intérieur Christian Bonnet et le préfet de l’Isère René Jannin, particulièrement décidé à «casser les casseurs». Une pluie continuelle et des champs boueux aggraveront les choses. Outre les grenades lacrymogènes «classiques», les policiers lancent des lacrymogènes explosives (types Alsetex GLI et GLEP) et des grenades offensives soufflantes (modèle OF 37). Ces grenades feront des blessés graves et un mort. Michel Granjean a un pied arraché, Manfred Schutz des doigts sectionnés. Main arrachée aussi pour un gendarme mobile. Le mort est Vital Michalon jeune A CONTRE COURANT N° 203 - AVRIL 2009 professeur de physique qui a le poumon éclaté par une grenade offensive. Thèse officielle : «crise cardiaque» ! Les matraquages feront, en outre, une centaine de blessés. Lors de la dispersion du rassemblement des policiers arrêtent des manifestants et tout particulièrement des étrangers. Le préfet a, en effet, monté une campagne de xénophobie politique : les révolutionnaires allemands ont envahi la France ! Douze arrêtés seront traduits en justice sous le coupe de la «loi anti-casseurs» de 1970. Malville sera un désastre pour les antinucléaires du fait d’une absence de riposte appropriée. Une bonne organisation militante aurait pu retourner la situation en déclanchant une campagne d’indignation remobilisatrice. C’est, au contraire, le défaitisme qui prévalut. Les titres de la presse militante ou contestataire sont révélateurs : «60 000 sous la pluie» (Super Pholix n°14), «Irons-nous jusqu’à la guerre civile ?» (la Gueule ouverte du 4 août), «Malville 77 : et demain ?» (Ecologie hebdo antidaté du 5 août: sa rotative se trouvait curieusement en panne après la manif ), «Préméditation !» (Rouge du 1er août), «Le nucléaire tue» (Libération du 1er août)… Le rassemblement du Larzac, le 15 août, avec presque autant de monde que pour Malville, aurait pu être l’occasion de définir une riposte à la répression. Ce ne fut nullement le cas. Nous nous retrouvâmes seulement quelques dizaines pour nous concerter pour le procès en appel des inculpés de Bourgouin (voir ci-après). Sur une colline voisine des écolos s’étaient réunis pour préparer les législatives de 78. Finalement les écolos et les gauchistes «politiciens» n’étaient pas fâchés de la déroute des antinucléaires anarchisants. Alain Krivine l’avouera: «La force des mobilisations de cet été [Malville, Larzac, ainsi que l’opposition au barrage de Naussac lié au nucléaire], leur combativité représentent un phénomène important que nous avons, pour notre part, sous-estimé» (Rouge du 16 août). Epilogue. Les 12 inculpés passèrent en jugement au Tribunal de Bourgouin le 6 août et subirent une parodie de justice - 14 - avec des témoignages inconsistants de policiers. Le verdict sera un emprisonnement ferme pour 6 manifestants (dont 5 allemands). Même verdict en appel à Grenoble le 24 août. Le 5 août, à Paris, il n’y eu que 2000 personnes pour manifester un soutien aux inculpés. Toujours au début d’août des cocktails molotov sont jetés sur des locaux EDF à Paris, Toulouse et Gap. En novembre une «vague d’attentats à l’explosif» a lieu. Ce sera une «nuit bleue» revendiquée par un collectif anarcho-autonome s’intitulant CARLOS. Ce collectif ensuite s’autodissoudra. Quant à Isabelle Cabut, l’égérie de la prise d’assaut du chantier de Malville par la non-violence, elle quittera la Gueule ouverte…pour finir au PS… L’après Malville (1978-1980) La bérésina de Malville va entraîner: 1°la démobilisation de beaucoup («c’est la dernière fois que je manifeste contre le nucléaire»), 2°la voie électorale «pour se faire entendre» (campagne «Ecologie 78» avec de nombreux candidats écolos aux législatives), 3°la focalisation des luttes sur des sites d’implantation de nouveaux réacteurs (Golfech, Plogoff, Chooz, Le Pellerin-Le Carnet, Nogent-sur-Seine…), 4° le développement de l’argumentaire techno-alternatif pour démontrer que l’énergie nucléaire peut être remplacée par des énergies «écologiques» non polluantes, non dangereuses, décentralisées et peu onéreuses. 1979 sera l’année du premier accident majeur dans une centrale nucléaire, évènement qui enrichira l’argumentaire antinucléaire. Le 28 mars 79, le réacteur n° 2 de la centrale de Three Mile Island (prés d’Harrisburg, Pennsylvanie) subit «l’excursion nucléaire» : la fonte du cœur et la rupture du circuit primaire. Le niveau catastrophique fut évité de justesse car l’hydrogène libéré n’explosa pas comme ce fut le cas à Tchernobyl. Les USA jouèrent la transparence et firent évacuer 300 000 habitants durant quelques jours. Le réacteur devint une cocotte-minute bourrée de radioactivité. Sa décontamination durera des années et coûtera un milliard de dollars. Le ministre français de l’Industrie, André Giraud, minimisera l’accident. En décembre 79 se déroule l’enquête publique du projet de la centrale de Golfech (Tarn-et-Garonne). Des opposants «fissurent» le dossier de l’enquête, c’està-dire déchirent publiquement ses pages. La mobilisation de la population est importante. Beaucoup de municipalités sont contre le projet. Une pétition de 30 000 signatures est portée à l’Elysée en février 80: la Présidence refusera de recevoir les antinucléaires ! Très forte mobilisation aussi à Plogoff où une enquête publique se déroule le même mois: rassemblement de 25 000 personnes sur le site à la Pointe du Raz(8). Le politicarisme viendra malheureusement ternir cette belle mobilisation des populations. La gauche parlementaire se trouve très embarrassée. Risque-t-elle de perdre des électeurs en se déclarant contre le nucléaire ? Risque-t-elle d’en perdre davantage en se déclarant favorable ? A Golfech le MRG aux mains de la famille Baylet (journal la Dépêche du Midi) se positionne contre la centrale (Mme Baylet mère est parmi les «fissureurs» !). Les socialistes du Conseil Général du Tarn-et-Garonne et ceux du Conseil Régional de Midi-Pyrénées se prononcent aussi contre. Le PCF reste inébranlablement pour. A Plogoff, Paul Quilés, secrétaire national du PS, déclare : «Nous refusons le tout-nucléaire» (mais non le nucléaire…) Le PS s’efforcera de ménager la chèvre et le chou, de temporiser, de jouer la montre…dans l’attente de l’élection présidentielle de 81. Il utilisera aussi la tactique de la «taupe rose», en infiltrant les associations et les comités, en distillant l’utopie mitterraniste chez les contestataires (un propagandiste PS s’affichant antinucléaire et écolo sera le vulcanologue Haroun Tazieff). Incertitude aussi du côté des écolos électoralistes. Le Mouvement écologique s’est fondu en un MEP (Mouvement d’Ecologie Politique). En mai 80, des assises réunissent, à Lyon, le MEP et les Amis de la Terre. Brice Lalonde tentera de s’imposer comme candidat à l’élection présidentielle. Ca commence à puer le magouillage et la guerre des chefs. Pourtant les antinucléaires «indépendants» et les populations «apolitiques» sont en progression. La «Pentecôte antinucléaire» de Plogoff (mai 80) rassemble 100 000 personnes. Malville parait vengé. Une première Coordination nationale antinucléaire, serpent de mer qui aura une gestation longue et difficile, appelle à un rassemblement à La Hague avec le CCPAH (Comité contre la pollution atomique de La Hague) en juin 80. Il y aura 50 000 personnes, mais une pluie torrentielle ruinera une nuit musicale et plombera financièrement le CCPAH. Le CAN Golfech crée le journal le Géranium enrichi, constitue un GFA (groupement foncier agricole) pour geler des terrains sur le site, y construit une «Rotonde» abritant «Radio-Golfech» et organise trois jours d’animations qui attirent 10 000 personnes en septembre 80. La station météo préparant le chantier est incendiée à cette occasion. de centrales seront abandonnés, ainsi que (peut être ?) les centrales en début de chantier, pas de nouveaux projets, ouverture d’un vaste débat public sur le nucléaire et l’énergie… Des opposants n’hésitent pas à prendre position. Le Bureau du CAN Golfech écrit : «Nous sommes convaincus qu’une victoire de la gauche soulèverait une véritable vague d’espoir chez tous les citoyens désireux de changer les choses. Rappelons nous 1936 et le Front populaire, etc.» La démocratie dans la lutte n’est plus respectée. Une AG de tous les groupes du SudOuest (la coordination régionale qui existe en principe) devait se prononcer. Ceux qui ne se font pas d’illusions sur le PS et Mitterrand se sentent floués… Côté écologistes, les primaires pour désigner le candidat ont été saignantes. Les deux favoris furent Philippe Lebreton et Brice Lalonde. Lalonde, en vieux professionnel du magouillage étudiant parisien, avait rameuté ses troupes : de jeunes bobos de gauche du Quartier Latin. Grâce aussi au miracle des pouvoirs de vote, il fut élu. Les sondages révèlent un faible score en sa faveur. Par contre, Coluche qui se permet de ridiculiser les élections est crédité de plus de 10 %... Lalonde obtiendra 3,87 % et ne donnera pas de consigne de vote pour le 2ème tour, à l’inverse des partis gauchistes. Beaucoup d’écolos et d’antinucléaires voteront Mitterrand au 2ème tour. «On a gagné !» crie-t-on dans «La Rotonde» de Golfech après l’élection de Mitterrand. Au mois de juin le CAN Golfech se met à croire un peu moins aux promesses socialistes car les travaux de la centrale se poursuivent. Restant cependant optimiste, il présente un candidat aux législatives sous l’étiquette «Golfech Alternative». En juillet le Conseil des ministres confirme l’abandon de la centrale de Plogoff et annonce la suspension de la construction de cinq centrales dont Golfech. La plupart des élus du pays qui étaient contre la centrale réclament maintenant la poursuite des travaux. Les retournements de veste, les Baylet en tête, se multiplieront. La tension s’accroît; les antinucléaires durcissent les actions. Le 4 octobre, une marche de 4000 manifestants se ter- Les 6 et 7 octobre, le grand débat promis par le PS se réduit à des séances à l’Assemblée nationale où le gouvernement fait savoir sa décision de poursuivre le programme électronucléaire et de lever le gel des travaux des centrales en construction. Le 29 novembre nouvelle mobilisation offensive des antinucléaires de Golfech. Mais cette fois c’est la répression la plus sauvage. «La Rotonde» est incendiée. Les gendarmes mobiles lancent des grenades offensives, brûlent des voitures de manifestants avec des chiens dedans, attaquent la halle de Valence-d’Agen où se tient un meeting. A 20 h 30 des policiers (dont des gendarmes parachutistes) reviennent dans la halle pour coffrer des militants attardés. Ceux-ci sont conduits dans deux gendarmeries où ils sont tabassés pendant plusieurs heures. Le gouvernement a changé, mais les matraqueurs restent les mêmes. Le CAN réalise son erreur d’avoir appelé à voter Mitterrand. «A Golfech démocratie bafouée. Renvoyez votre carte d’électeur» dit une affiche. Comme l’écrit le CRAS dans son gros bouquin : «1981 portera le fruit de la défaite. Un très bel exemple du mensonge démocratique, un très beau retournement de veste d’élus, mais surtout une monstrueuse crédulité populaire». Les années noires (1982-1985) Le gouvernement PS va violer tous ses engagements sur le nucléaire. La construction de réacteurs est poursuivie pour huit centrales. Pas de moratoire pour le RNR de Malville. L’usine de retraitement de La Hague continue à s’agrandir (atelier UP 3). Pas de moratoire pour les essais nucléaires (le 3 août 81 fut «testé» à Mururoa une bombe à neutrons). La gauche au pouvoir (1981) L’approche de l’élection présidentielle va jeter la confusion chez les antinucléaires, les écologistes et même chez bon nombre de gauchistes. Le PS avance de belles promesses : les projets A CONTRE COURANT N° 203 - AVRIL 2009 mine par l’invasion du site et par un affrontement avec les gendarmes mobiles. Des installations et du matériel sont détruits sur le chantier. - 15 - Le moral des antinucléaires est au plus bas. Le CAN Golfech se met en quasi sommeil après mai 82, ébranlé aussi par une sombre affaire d’un de ses animateurs retrouvé assassiné (mais cela n’avait rien à voir avec un assassinat politique). Dans le secteur de Malville et à Lyon des irréductibles continuent à s’opposer au surgénérateur en plein chantier. Super Pholix cède la place à une revue sous-titrée «Ecologie. Alternatives. Non-violence» : Silence, qui sera gérée démocratiquement. La principale organisation antinucléaire à occuper le terrain sera Greenpeac e avec s a s uc c urs ale française ayant pignon sur rue à Paris. Mais Greenpeace France est dépourvue d’une base militante ce qui la rend particulièrement vulnérable; nous le verrons plus loin avec le honteux plastiquage du Rainbow Warrior. Le PS va faire peser une chape de silence sur le nucléaire, mais aussi sur d’autres graves problèmes d’environnement et de santé publique (amiante, agriculture chimique, pollutions industrielles…) Les socialocrates feront tout pour museler, torpiller, calomnier, infiltrer, soudoyer ou récupérer les organisations militantes et la presse écolo-alternative. Le Sauvage a disparu avant l’élection présidentielle, liquidé, selon Alain Hervé, parce qu’il refusait de rouler pour Mitterrand. Libération est depuis longtemps noyautée par le PS. Les Amis de la Terre semblent mettre le pied sur le frein, ayant peut être touché des subsides, tout comme certaines grandes associations de protection de la nature et de l’environnement. Le gouvernement PS phagocytera le PSU en nommant Huguette Bouchardeau, sa secrétaire, secrétaire d’état puis ministre de l’environnement. Il n’y eu pas de congrès au PSU pour accepter ou refuser cette participation. Le parti, saigné ainsi par le départ de ses cadres vers le PS, n’en survivra pas. En 1983, suite à l’installation en Allemagne et en Angleterre de missiles US, le PCF et sa filiale le Mouvement de la Paix, les socialistes sous des bannières syndicales, les gauchistes, les écolos et les pacifistes appellent à manifester. Ce sera une manipulation similaire au rassemblement de Sceaux de 1964 que nous avons raconté. Pour le PCF les méchantes bombes sont américaines. Le CODENE, éphémère collectif, vilipende les bombes des USA et celles de l’URSS. Et la Force de Frappe dans tout ça ? Edmond Maire de la CFDT expliquera qu’elle se justifie face aux missiles des deux super-grands. C’est donc : «non à ta bombe ! oui à ma bombe !» Lamentable… En 1984 la Coordination nationale antinucléaire (qui fonctionne avec un secrétariat confié à tour de rôle à un CAN) éclate. Le serpent de mer replonge dans les profondeurs… Rainbow Warrior ? coulé ! Greenpeace n’avait pas lâché les baskets de la France quant à ses tirs atomiques à Mururoa. En 1985 son navire amiral, le Rainbow Warrior doit intervenir lors d’un tir. Le gouvernement français, surtout en la personne du président Mitterrand, est bien décidé à empêcher qu’une organisation écolo internationale dévoile à l’opinion publique la poursuite des essais nucléaires français en Polynésie et ses conséquences, sur les habitants, sur les travailleurs embauchés à Mururoa et sur les militaires, tous exposés à la radioactivité, faits d’autant plus révoltants que commis par un gouvernement «de gauche». Le 10 juillet le Rainbow Warrior, en escale dans le port d’Auckland (Nouvelle Zélande), est secoué par une explosion. Les pacifistes évacuent le navire, mais le photographe de l’expédition, Fernando Pereira, remonte à bord pour chercher son matériel. Une seconde explosion perfore le bateau qui coule aussitôt. Pereira périra noyé. Ce sont les services secrets français (la DGSE) qui sont responsables de l’attentat, réalisé d’une façon digne des Dupont et Dupond. La polic e néozélandaise arrête un curieux couple de touristes qui trimbalait du matériel de plongée. On découvre aussi la présence d’un mystérieux bateau bourré de matériel radio (ce bateau transportait des nageurs de combat d’un centre de Corse). Une troisième équipe avait été aussi débarquée depuis Tahiti à Auckland. Enfin une femme-officier de la DGSE avait infiltré l’équipage du Rainbow Warrior en se faisant passer pour une universitaire. En tout une trentaine de personnes (dont le frère de Ségolène Royal) avait été mobilisée dans cette rocambolesque opération baptisée «Satanic» (les barbouzes ont un humour…) La France parviendra à éviter le scandale de la manière la plus méprisable. Le ministre de la Défense, Charles Hernu, et un patron des services secrets servent de fusibles et doivent démissionner. Mitterrand gardera A CONTRE COURANT N° 203 - AVRIL 2009 - 16 - les mains propres… Les «faux époux Turenge» (le couple arrêté) sont libérés après une tractation entre la France et la Nouvelle Zélande. Ils seront ensuite médaillés et on fera un film sur leurs «exploits» ! Une campagne ignoble sera orchestrée contre les écolos-pacifistes : «Greenpeace a été soudoyé par le KGB». Commentaire de Laurent Fabius, premier ministre : «Greenpeace n’avait qu’à s’occuper des bébés phoques». Quant à Huguette Bouchardeau, elle ferme sa gueule… Cette répression criminogène aurait du donner lieu à des manifestations d’indignation. Cela ne fut pas le cas pour plusieurs raisons. Greenpeace, et en particulier son bureau français, fonctionnait avec un militantisme élitiste et fermé, à la manière de l’équipe de la fondation Cousteau. Si l’organisation en France se prévalait de milliers de membres, il s’agissait d’abonnés à la revue, de cotisants et d’acheteurs de tee-shirts. Les autres organisations antinucléaires se trouvaient, nous l’avons évoqué, au plus bas. Il n’existait plus de coordination nationale et le MDPL ( ex MCAA) était devenu fantomatique. L’affaire du Rainbow Warrior se solda, ainsi, par une capitulation de l’opposition au nucléaire et par l’affirmation du totalitarisme de la gauche parlementaire dans le domaine du nucléaire militaire et civil. (à suivre) Henry Chevallier (1) L’APRE a publié un très bon dossier sur « Superpholix » dans le n°spécial (n°7) de Ecologie (3 ème trim. 1976) (2) Il s’agit de l’Ecologie libertaire, la «deap ecology» professée aux USA par Murray Bookchin (décédé en 2006). Pour moi l’Ecologisme est forcément libertaire et tout anarchiste devrait être écologiste. (3) Le vent se lève (périodique de la FTTE filiale de la CNT), n°6, printemps 2006. (4) Didier Anger : «Silence on contamine» (chez l’auteur, 1987) (5) Alain Hervé, poussé sur la touche par Brice Lalonde, se consolera en fondant Le Sauvage ,filiale écolo du Nouvel Observateur. Hervé écrit actuellement dans l’Ecologiste, édition française de The Ecologist. (6) Le temps est bien fini oùle PSU épaulait le MCAA. Michel Rocard, son secrétaire, s’affiche pronucléaire. Il quittera le PSU pour le PS comme chacun le sait. (7) «Aujourd’hui Malville demain la France. Livre Noir» (édit. La pensée sauvage, 1978) (8) Les évènements de Golfech et l’analyse des luttes antinucléaires et écologistes en France sont relatés dans le « pavé » de 587 pages réalisé par le CRAS, groupe libertaire toulousain. : «Golfech le nucléaire. Implantation et résistances» (édit. CRAS-Collectif La Rotonde, 1999) Nous publions ici la 3ème partie d'une "Histoire des luttes antinucléaires en France" qui en comporte quatre. La dernière partie sera publiée dans notre prochain numéro. Il est possible de commander le texte complet (39 pages avec illustrations) pour 12 euros (port inclus) à l'adresse : Henry Chevallier "La Bertrande" 32400 FUSTEROUAU (Tél 05 62 09 08 25. Courriel: [email protected] ). Chèque à l'ordre de Ende DOMAN. L'auteur, Henry Chevallier, est animateur de Sortir du Nucléaire 32 (collectif membre du "Réseau Sortir du Nucléaire", coordonnateur de l'ouvrage "Nucléaire ? Non merci !" (publié par Utovie/Silence, 1993). Histoire des luttes antinucléaires en France (3ème partie : 1986-1996) En 1985 l’opposition en France au nucléaire se trouva au plus bas, conséquence principale de l’affaire du Rainbow Warrior. Il n’y eu pas de réponse militante à cet attentat criminogène commis par l’Etat français. Greenpeace France eut son bureau dissous par Greenpeace international ; le MDPL (ex MCAA) était devenu fantomatique le Réseau des Amis de la Terre avait été décimé par le politicarisme d’un Brice Lalonde ; une Coordination nationale antinucléaire n’existait plus ; le parti écolo Les Verts , créé en 1984, était englué dans l’électoralisme ; des organisations de protection de la nature se trouvaient « achetées » par le gouvernement PS… Tchernobyl (1986) La prophétie des antinucléaires à savoir le risque de l’accident majeur, explosion d’un réacteur, se concrétisa tragiquement avec la catastrophe de Tchernobyl, en URSS, le 26 avril 1986. Le réacteur n°4 de cette grosse centrale nucléaire, située prés de Kiev (Ukraine), se trouva mal piloté dans le cadre d’un «exercice» simulant une baisse de puissance (!). Une excursion nucléaire engendre la fusion du combustible et un dégagement d’hydrogène. Une terrible explosion se produit soulevant la dalle de béton coiffant le réacteur. Un nuage radioactif, poussé par les vents, atteint la Scandinavie, puis balaie l’Europe moyenne et gagne la Suisse, le nord de l’Italie, la Corse, la France et la Grande Bretagne. En France, le gouvernement est passé à droite, suite aux Législatives de mars 86. Mitterrand, refusant de démissionner, est resté Président de la République. Tous les ministres vont nier le danger des retombées nucléaires, alors que les autres pays européens touchés ont pris des mesures sanitaires (non commercialisation des produits agricoles frais, non récolte du foin…). Citons ces ministres, auteurs de mensonges ou de silences criminels : Jacques Chirac (premier ministre), Michèle Barzach (santé), Alain Carignon (environnement), François Guillaume (agriculture), Alain Madelin (industrie) et Charles Pasqua (intérieur). Autre désinformateur avec Michèle Barzach: le Prof. Pierre Pellerin directeur du SCPRI(1). La catastrophe de Tchernobyl et sa «gestion» par les autorités françaises vont réveiller bon nombre de militants. A Paris une manifestation de 5000 personnes regroupe les Verts (voir ciaprès), des gauchistes (surtout la LCR) et des anarchistes. Mille manifestants aussi à Toulouse. Des CAN se réactivent: Rassemblement de 15 000 manifestants à Cattenom. Le CAN Golfech renaît sous la forme d’une association à Agen: VSDNG (Vivre sans le Danger Nucléaire de Golfech) et d’une coordination régionale: Stop Golfech. A Montélim ar une biologis te, Michèle Rivasi, avec d’autres scientifiques, entreprend des relevés de radioactivité, contre-expertises face aux falsifications du SCPRI. Rivasi peut s’exprimer à la télé en septembre (émission de Michel Polac) pour annon- A CONTRE COURANT N° 204 - MAI 2009 -13- cer la création d’un laboratoire indépendant: la CRII-Rad. En Normandie une association similaire voit le jour: l’ACRO (Assoc .pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest). Des publications «underground» révèlent les conséquences de Tchernobyl, en particulier la contamination en France des sols, des plantes, du foin, du thym, du lait de brebis, de l’eau de réservoirs…(le Cri du Rad, publication de la CRII-Rad, la Gazette nucléaire, revue du GSIEN…) Un médecin exerçant en Corse, le Dr Denis Fauconnier, constate une augmentation significative des thyroïdies en Haute Corse en 1986 et 1987. Dans les années suivantes études et ouvrages s’accumulent montrant l’ampleur des pathologies engendrées par la catastrophe - surtout en Ukraine et en Biélorussie -, révélations réfutant la désinformation perpétrée par des organismes nationaux (comme le SCPRI en France) et internationaux (l’AIEA, Agence Internationale de l’Energie Atomique, exerçant une pression sur l’OMS, Organisation Mondiale de la Santé). Les Verts L’émergence en Europe de partis écologistes s’intitulant «les Verts» (principalement en Allemagne Die Grünen qui ont obtenu 28 sièges au parlement en 1983) va inciter les écologistes plus ou moins électoralistes français à créer une structure similaire. Trois formations, après de laborieuses tractations, parviennent à s’unir pour créer, en janvier 1984, Les Verts. Confédération écologiste – Parti écologiste. Les Verts rejoignent rapidement le réseau international Les Verts Européens. Trois élections sont aussitôt visées : les Européennes et les Régionales en 84, les Législatives en 86. Mais ce sera compter sans un nouveau magouillage de Brice Lalonde, furieux de ne pas avoir été accueilli à bras ouverts chez les Verts, suite à sa position acceptant le nucléaire. Aux Européennes Lalonde crée, avec des caméléons politiques, une liste, ERE (Entente Radicale Ecologiste), qui empêchera les Verts de dire, si on se permet le pléonasme, de militants également radicalement antinucléaires, antimilitaristes, pacifistes et démocrates dans le sens d’une démocratie directe et autogestionnaire. Il ne faut alors pas s’étonner des positions frileuses et ambiguës que manifesteront les Verts vis-à-vis du nucléaire et du lobby militaro-industriel. Relance des luttes (1987-1988) Tchernobyl n’est pas la seule cause de la relance des luttes antinucléaires, mais aussi le Extrait d'une interview de Lalonde au Figaro illustrée par développement incroyaRiss dans Charlie Hebdo du 26 mai 1993 ble, en Franc e, de l’électronucléaire et du franchir la barre des 5 %. Les Verts se nucléaire militaire. De 1984 à 1989 vingt consoleront un peu avec quatre élus et un nouveaux réacteurs sont mis en conseillers régionaux. Les Législatives service. Le surgénérateur «Superphéseront un nouveau fiasco pour les Verts, nix» se met à collectionner des avaries échec qui ruinera certains candidats. inquiétantes (dont une fuite de sodium). (c ’es t beau le m ilitantis m e Les déchets nucléaires s’accumulent et électoraliste !) le centre de stockage de La Hague se trouve saturé. Les tirs atomiques souterQui composent les Verts ? Le parti rains se poursuivent à Moruroa: 8 tirs est une sorte d’auberge espagnole raspar an de 1985 à 1988. En 85 un semblant des anciens du PSU et autres sixième sous-marin nucléaire est lancé : sociaux-démocrates «ayant le cœur à «l’Inflexible». gauche» (Didier Anger, Yves Cochet, Pierre Radanne, Etienne Tête…), des Les antinucléaires de Lyon et de anciens maoïstes, quelques anciens du Malville (le Comité Malville et la revue PCF (Jean Brière), enfin des écolos écolo Silence) lancent une campagne «weac hteriens » s ans idéologie de signatures pour l’arrêt de «Superphémarxiste. Cette dernière tendance denix» (130 000 signatures recueillies). viendra majoritaire en 1986. Avec cette Sur l’estuaire de la Loire une résistance majorité, le parti s’intitule «indépense poursuit contre l’implantation d’une dant», refusant toute alliance et tout décentrale. Un premier site, Le Pellerin, sistement au profit d’une autre formation doit être abandonné. Un nouveau projet politique («l’Ecologie n’est pas à voit le jour pour le site du Carnet(2). marier !» répète Antoine Weachter). L’information sur les dangers du nuCette position est tout à fait originale cléaire se traduit par des conférences dans le paysage politique français (mis de Michèle Rivasi, Pierre Radanne, à part les anarchistes qui se proclament, Louis Puiseux… eux aussi, ni de gauche, ni du centre, ni Au lendemain d’une AG nationale de droite). des Verts, se crée un Réseau pour un Le parti les Verts porte pourtant en avenir sans nucléaire. Le principal prolui ses fragilités. Les sociaux-démocramoteur de ce collectif est Didier Anger. tes et les marxistes ne rêvent que d’obLe Réseau fait paraître un fascicule très tenir la majorité pour amener le parti à modéré (le titre du Réseau était révélarejoindre l’armada des organisations de teur)(3) et prépare une manifestation gauche. L’opposition au nucléaire est un pour le 20 juin 87 à Paris. Cette manides principes des Verts, mais nombre festation regroupera essentiellement d’entre eux n’en font pas une priorité. des militants de CANs (plus de 5000 L’opposition à l’armement et à l’armée manifestants). Silence total des médias, est surtout l’idéal de pacifistes non vioen particulier de Libération. Une ardoise lents comme Solange Fernex. Beaude 110 000 F devra être épongée par un coup des Verts admettent, paradoxalegroupe libertaire parisien, Didier Anger ment, la «nécessité d’une défense», ne s’étant pas manifesté pendant et mais qui serait européenne et non natioaprès la manif. Ce beau Réseau antinunale et sans armes nucléaires ! Bref, le cléaire national aura une vie éphémère : parti ne compte en ses rangs que très il s’éteindra en 1990. peu de véritables écologistes, c’est-àEn janvier 1988, le Conseil général A CONTRE COURANT N° 204 - MAI 2009 -14- du Tarn-et-Garonne voulant sans doute se dédouaner de «l’opacité» du programme électronucléaire, lance, à Montauban, un colloque intitulé «Nucléaire, santé, sécurité». Ce colloque sera très instructif car les intervenants comprennent des scientifiques indépendants : le Dr Fauconnier, Michèle Rivasi, les Belbéoch, les Sené… Seule fausse note: un désaccord entre des groupes antinucléaires, les uns appelant à un boycott du colloque, les autres à une participation critique. Ce fut un exemple du manque de démocratie dans un stratégie de lutte : la coordination Stop Golfech aurait dû se réunir avant le colloque pour définir une position commune aux groupes(4). A l’inverse de ce cafouillage, imputable à des militants «professionnels», une opposition unitaire exemplaire se fit, en 1988, contre des projets de stockages souterrains de déchets nucléaires. Les «gens du pays» se mobilisent dans des sites prévus en Maine-et-Loire, dans l’Ain, dans l’Aisne, à Istres (13) et à Neuvy-Boin (79). A Neuvy-Boin pratiquement toutes les communes du pays (230) sont contre le projet. Des rassemblements sur le site (une magnifique forêt aux rochers semblables à ceux de Fontainebleau) atteignent 20 000 personnes. C’est l’échec total pour l’ANDRA, l’agence chargée du programme. Le stockage de déchets radioactifs ne pourra se faire, à partir de 1992, qu’à Soulaines (Aube). L’âge d’or des verts (1988-1989) Les Verts ont désigné leur candidat à l’élection présidentielle: Antoine Weach- ter. La campagne des écolos sera difficile à mener: moyens financiers insuffisants, consigne faite par le PS et le MRG aux élus de leur parti de ne pas parrainer Weachter… Lalonde, de son côté, va rejoindre le PS auprès de Rocard (un ancien du PSU comme lui) et d’Allègre. Il appellera à voter Mitterrand au premier tour. Les socialocrates le remercieront en le nommant secrétaire d’état à l’environnement. Weachter obtiendra un score similaire à celui de Lalonde en 1981. Il n’appellera pas à voter Mitterrand au 2ème tour, selon la philosophie des Verts. Pour les Législatives le Conseil national des Verts décide la non participation (absence de moyens d’expression et risques financiers). Toutefois, violant cette consigne, Didier Anger se présente sur une liste «majorité présidentielle». Statutairement il devrait être exclu du parti. C’est le premier symptôme du clivage politique chez les Verts. Les Verts participeront aux élections cantonales dans 67 départements puis, en mars 89, aux élections municipales. Ils obtiennent des élus municipaux dans de nombreuses villes. Les Verts apportent leur soutien à la lutte contre «Superphénix» et à celle contre les barrages projetés sur la Loire et sur l’Allier, barrages en partie liés aux centrales nucléaires. Le 10 juin 89, au Puy, Weachter est à la tête d’une manif de 12 000 personnes refusant le barrage de Serre-de-la-Fare. Le 10 juin, cinq antinucléaires ont escaladé une des deux tours de refroidissement de la centrale de Golfech (la mise en route du réacteur n°1 étant imminente). Les Verts Aquitaine et les Verts Midi-Pyrénées se montrent divisés: certains, membres de Stop Golfech, sont solidaires de l’action pour réclamer la non-mise en route de la centrale, d’autres seraient favorables à son démarrage sous certaines «garanties». Cinq jours plus tard deux militants sont toujours en haut de la tour à 178 m de hauteur. Antoine Weachter vient sur le site et, dans une conférence de presse, prononce un discours radicalisé: gel et désengagement du programme électronucléaire français, non-mise en service de la centrale de Golfech, arrêt des travaux de la centrale de Civaux, arrêt du surgénérateur de Malville, information et débat public pouvant déboucher sur un référendum(5). Le point d’orgue du succès politique des Verts sera les élections européennes. La liste «Les Verts-Europe-Ecologie» est conduite par Weachter. Elle obtiendra 10,59 % des voix, ce qui fait des Verts un des principaux partis politiques en France, presque à égalité avec le Front National. «Europe-Ecologie» envoie au Parlement européen 9 députés: 7 Verts et 2 «invités» (Max Siméoni, A CONTRE COURANT N° 204 - MAI 2009 représentant le régionalisme autonomiste et Djida Tazdait pour les beurs lyonnais). En incluant les co-députés qui remplaceront les titulaires à mi-mandat, les députés européens français compteront trois anciens des luttes antinucléaires: Solange Fernex, Didier Anger et Renée Conan(6). De graves menaces planent toutefois pour les Verts. D’abord le clivage, au sein du parti, entre deux grandes tendances se manifeste de plus en plus. D’un côté les «fondam entalis tes », les weachteriens «ni gauche ni droite», les antinucléaires radicalisés, les pacifistes, de l’autre les modérés, les Verts «de gauche», les «réalistes», les arrivistes, les opportunistes… Ensuite les manœuvres du PS et de Brice Lalonde destinées à déstabiliser les Verts. Lalonde a créé un parti concurrent, Génération Ecologie, qui accueille des personnalités très divers es : Noël Mamère, Haroun Tazieff, Jean-Louis Borloo, Corine Lepage, Philippe Lebreton… Les revirements des Verts (1990-1991) Les leaders des Verts sont à présent bien installés comme élus: adjoints au maire, conseillers régionaux, députés européens. Ils se comporteront, presque tous, en notables républicains. Le militantisme du parti va s’essouffler à partir de 1990. Les Verts sont de moins en moins présents dans les luttes antinucléaires, dans l’opposition aux barrages, dans l’opposition aux technologies destructrices et polluantes… L’invasion du Koweit par l’Irak précipitera l’implosion du parti. En sept. et oct. 90 les Verts se positionnent en refusant une intervention armée sous l’égide des USA, mais la question n’est pas débattue dans leur AG de novembre. Quand la guerre éclate en janvier 91, le Conseil national du parti fait un communiqué disant : «les Verts se déclarent solidaires de celles et ceux qui ne veulent pas participer à la guerre». Il n’y aura pas, toutefois, unanimité chez les adhérents pour condamner la participation de la France à la Guerre du Golfe. Alain de Swarte, le patron absolutiste de la revue Combat Nature (et membre des Verts), enfourche la propagande du PS : «Saddam = Hitler; ceux qui sont contre l’intervention de la France soutiennent ainsi Saddam, etc». Les revues Silence et les Réalités -15- de l’Ecologie, par contre, sont catégoriquement contre la guerre. Jean Brière appelle à la désobéissance civique et l’écrivain politologue Gilles Perrault à la désertion (comme Silence). Weachter, interviewé à la télé, déclare, quant à la position de G. Perrault : «ses paroles ont du dépasser sa pensée». Même attitude de la part de trois autres porteparoles verts: «Non à l’incivisme !» La guerre «term inée», des règlements de compte se font chez les Verts. Les modérés et les «Verts roses» vont s’attaquer d’abord au communiste Jean Brière pour son texte dénonçant «le rôle belligène d’Israël et le lobby sioniste». Brière sera le premier membre des Verts à être exclu du parti, et pour «antisémitisme» ! Parmi les signataires pour l’exclusion de Brière (ou pour sa démission «sollicitée») : Dominique Voynet, Gérard Onesta (député européen qui sera, plus tard, pour le oui à la Constitution européenne), l’écrivain de science-fiction Yves Frémion… Brière sera même traduit en justice par la LICRA, ligue antiraciste aux mains de sionistes. Weachter et d’autres se tairont. Par contre Brière sera soutenu par de nombreux militants, des verts (qui la plupart quitteront le parti) et des non-verts. C’est véritablement la fin d’un mouvement écologiste qui aurait pu jouer, en France, un grand rôle réformateur (et pourquoi pas révolutionnaire ?), qui aurait pu contribuer, dans le domaine qui nous préoccupe, à l’abandon des programmes nucléaires… milliers de personnes… La filière surgénératrice paraissant compromise, l’Etat imagine une autre utilisation du plutonium avec le MOX (mixed oxyde: oxyde mixte). Il s’agit d’un combustible nucléaire à l’uranium 235 et au plutonium. En 1990 a été mise en service, à Marcoule, l’usine MELOX pour la fabrication de ce nouveau combustible qui devrait être utilisé dans 28 réacteurs (en 2000, 16 réacteurs étaient «moxés»). Un conseiller général de Verts, Marc Faivet, se démarquant des autres élus verts politicards, crée le Collectif Stop Melox. "Affiche électorale" publiée dans Charlie Hebdo du 19 avril 1995 La lutte continue, le marécage politique se poursuit (1992-1996) Souvent à l’écart des magouilles politiques, la résistance antinucléaire va se poursuivre. Pour Golfech, c’est un peu le baroud d’honneur. Une semaine après le démarrage du réacteur n°1, en déc. 90, un pylône de la ligne de 400 000 volts à la sortie de la centrale s’écroule, dynamité. En 1993 c’est la mise en service du réacteur n°2. En 1994 un sabotage est commis sur le canal d’amenée de la centrale. Le CAN Stop Civaux s’oppose au chantier de cette nouvelle centrale dotée du plus gros réacteur du parc électronuc léaire franç ais : 1450 MW (mégawatts). En juin 92 trois antinucléaires occupent deux grues du chantier. EDF porte plainte pour «violation de domicile» et fait traduire en justice les trois opposants ainsi qu’un quatrième «complice». Leur procès aura lieu en janvier 94. En 1993 se crée, à Lyon, un collectif les Européens contre Superphénix qui publie un bulletin Stop Malville. En 1994 le collectif organise une «Marche Malville-Matignon» pour que soit arrêté l’acharnement thérapeutique pour le fonctionnement du surgénérateur lequel continue d’accumuler les pannes . Campagne en 1995 : «Superphénix ne marche pas, nous non plus !». Manif à Lyon, le 27 avril 96, à l’occasion du 10ème anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl («Si Techernobyl vous a fait rire, ne manquez pas Creys-Malville !» disait une affiche figurant une tête de mort rigolarde). Une plainte en justice est déposée pour «mise en danger de la santé et de la vie d’autrui». Le procureur ne retiendra pas la plainte signée par des A CONTRE COURANT N° 204 - MAI 2009 Chez les Verts c’est, en effet, le naufrage dans les pires magouilles politiques. Aux Régionales de 92, dans deux Régions, les Verts se sont alliés à leurs adversaires de Génération Ecologie. Essai transformé, dans l’ensemble du territoire, pour les Législatives de 93. C’est le grand «copinage-panier-àcrabes» des Verts avec GE et le PS. Silence sur le nucléaire dans les discours électoraux et les professions de foi. En 93 parait un livre «Nucléaire ? Non merci !» faisant le point sur le nucléaire en France(7). Les Verts refuseront d’en faire la publicité, alors que le livre renferme des articles de Didier Anger, de Marc Faivet et autres membres du parti : «camarade, ce n’est pas le moment de parler du nucléaire…» Pour les Européennes de 94, les Verts et GE présentent chacun une liste. Résultat: aucun élu au Parlement européen. Les Verts vont, cette fois, totalement exploser et perdre la moitie de leurs adhérents. Weachter créera un groupuscule: le MEI (Mouvement Ecologiste Indépendant). Les «Verts roses» se retrouvent entre eux pour convoler avec le PS. A l’élection présidentielle de 95 c’est la claque pour le PS. Dominique Voynet, candidate des Verts, récolte 3,33 %. Jacques Chirac au pouvoir fait procéder à 6 «ultimes» tirs atomiques souterrains dans le lagon de Morur o a . Greenpeace lance, comme dans le passé, sa flotte vers Moruroa; deux de ses bateaux sont arraisonnés par la Marine. Silence de Corine Lepage, la ministre de l’environnement du gouvernement Juppé. Une prospection de nouveaux sites pour le stockage en profondeurs de déchets hautement radioactifs est engagée. L’opposition est menée par des comités de sites regroupés en collectifs régionaux, eux-mêmes fédérés en une coordination nationale. Un site essentiel sera sélectionné pour un «laboratoire» de stockage : Bure (Meuse). Henry Chevallier (1) SCPRI : Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants, service dépendant du Ministère de la Santé. Pierre Pellerin se rendit en URSS pour minimiser, auprès des « experts » soviétiques, les effets biologiques de Tchernobyl. En 1987 l’Académie des Sciences devait décerner un prix au SCPRI pour son « œuvre d’intérêt national et international » ! Le SCPRI a été remplacé par l’OPRI. (2) Le Pellerin-Le Carnet sera un des projets de centrale qui ne se réalisera pas. En 1997 Le Carnet devait accueillir l’EPR. La résistance menée par la FAN 44 (Fédération antinucléaire de Loire Atlantique) fit transférer l’implantation de l’EPR à Flamanville. (3) « Sortir du nucléaire : un plus…pour l’économie ? ». Le siège du Réseau, au départ, était celui des Verts. (4) Voir les précisions dans l’ouvrage « Golfech, le nucléaire, implantations et résistances » (édit. CRAS/La Rotonde, 1999). Les actes du colloque ont été publiés en 1989 par le Conseil général du Tarn-et-Garonne. (5) Discours reproduit dans les Réalités de l’Ecologie n°3, « mensuel d’informations sur l’Ecologie », créé, en avril 89, par des antinucléaires implantés à Moissac. Les Réalités de l’Ecologie deviendront, en février 90, une très bonne revue militante. (6) Renée Conan, ancienne de la lutte de Plogoff, défendra en particulier, au Parlement européen, les marins pêcheurs artisanaux. Elle décèdera au cours d’une banale opération chirurgicale. (7) « Nucléaire ? Non merci ! Dossier bilan-perspectives coordonné par Henry Chevallier « (édit. Utovie & Silence). Signalons aussi, pour le nucléaire militaire et les tirs atomiques, des ouvrages instructifs écrits par Solange Fernex, Bruno Barillot et Mary Davis ainsi que les publications du CDRP (Centre de Documentation et de Recherche sur la Paix et les Conflits). -16- Nous publions ici la 4ème et dernière partie d'une "Histoire des luttes antinucléaires en France". Il est possible de commander le texte complet (39 pages avec illustrations) pour 12 euros (port inclus) à l'adresse: Henry Chevallier "La Bertrande" 32400 FUSTEROUAU (Tél 05 62 09 08 25. Courriel: [email protected] ). Chèque à l'ordre de Ende DOMAN. L'auteur, Henry Chevallier, est animateur de Sortir du Nucléaire 32 (collectif membre du "Réseau Sortir du Nucléaire", coordonnateur de l'ouvrage "Nucléaire ? Non merci !" (publié par Utovie/Silence, 1993). Histoire des luttes antinucléaires en France (4ème partie : 1997-2008) En 1996 le bobby nucléaire français poursuit son développement : filière plutonium avec le combustible MOX et l’acharnement thérapeutique pour le fonctionnement du surgénérateur Superphénix, projet d’un réacteur d’un nouveau type, l’EPR, prospections pour le stockage en profondeur de déchets hautement radioactifs, nucléaire militaire avec la construction d’un simulateur d’explosions thermonucléaires, le Laser Mégajoule, au Barp dans les landes bordelaises. L’opposition à ce développement s’organise avec des collectifs nationaux: les Européens contre Superphénix, Stop Melox, Forum Plutonium et la Coordination nat. contre l’enfouissement des déchets radioactifs. et solidarité») et Michèle Rivasi, la fondatrice de la CRII-Rad (élue comme «apparentée PS»). En juin, Lionel Jospin déclare : «Si l’industrie nucléaire est un atout important pour notre pays, elle ne doit pas (…) poursuivre des projets dont le coût est excessif et la réussite très aléatoire…». Le gouvernement PS se prononce donc pour l’arrêt de Superphénix. Il abandonnera aussi le site du Carnet, mais non le projet EPR. D’un Une période charnière : 1997-2001 La droite au pouvoir se trouvant de plus en plus discréditée, Chirac dissout l’Assemblée nationale. Le PS va tenter à nouveau sa chance en rassemblant auprès de lui ses vassaux de la «Gauche plurielle»: le PCF, le PRG et les Verts. «Rouge, Rose ,Vert, la belle alliance !» titre Politis. Le nouveau modèle de réacteur est l’EPR (European Presurized Reactor), imaginé par FRAMATOME et Siemens, réacteur en fait assez peu différent des PWR qui équipent le parc électronucléaire français. Le site pour la construction du «prototype» est choisi : Le Carnet sur l’estuaire de la Loire. Mais le secteur a une longue tradition de résistance antinucléaire, car c’est dans le site proche du Pellerin que fut mis au placard un projet de centrale. Au 2ème tour des élections législatives, le collectif régional FAN 44 mobilise 45 000 personnes au Carnet. Cela donnera à réfléchir au gouvernement Jospin issu des élections. A l’Assemblée nationale la gauche, majoritaire, comprend 8 députés écolos dont Dominique Voynet, Yves Cochet, Noël Mamère (ayant fait campagne sous l’étiquette «Convergence, écologie A CONTRE COURANT N° 205 - JUIN 2009 autre côté, le surgénérateur expérimental Phénix de Marcoule sera remis en service (!) et les travaux du Laser Mégajoule se poursuivront. Dominique Voynet, nommée Ministre de l’Environnement, montrera, dés 1997, sa soumission aux «éléphants» du PS. Elle signera le démarrage du réacteur n°1 de Civaux et l’autorisation du chargement de MOX dans les réacteurs de Chinon. Les couleuvres avalées par les Verts sont des boas… Le Collectif Les Européens contre.. va appeler à un rassemblement sur trois jours à Malville (31 juillet-2 août 97) afin que l’arrêt définitif du surgénérateur soit confirmé. Cette rencontre sera illustrée par un hommage émouvant à Vital Michalon…et par l’agressivité des travailleurs CGT de la centrale, déversant des flots de propagande pro-nucléaire par haut-parleurs. Un fort pétard fut même jeté, la nuit, dans la tente où se -10- trouvaient des jeûneurs qui tenaient compagnie au Prof. Théodore Monod, âgé de 95 ans et devenu presque aveugle. Les Européens contre.., presque totalement assurés du démantèlement de Superphénix, décident de dissoudre leur collectif dans un réseau (ou fédération, ou coordination) national antinucléaire. L’assemblée constitutive de cette nouvelle organisation a lieu en septembre à Agen, préparée par les militants locaux de VSDNG/Stop Golfech. Cette AG rassemble des représentants des Européens contre.., de CANs, des collectifs contre l’enfouissement des déchets, de Greenpeace, des Verts, de la LCR… A cette AG s’affrontèrent, de façon inimaginable, les partisans d’une sortie «immédiate» ou «la plus rapide possible» du nucléaire et les défenseurs d’une sortie «progressive». Une «Charte» fut péniblement élaborée, se concluant par cette phrase byzantine : «(Nous) voulons une décision immédiate de sortie du nucléaire». Le Réseau Sortir du Nucléaire sera formalisé par une AG à Nantes en février 98. Pour son siège, à Lyon, il partagera les locaux de la revue Silence. Adhèreront au Réseau, outre les organisations précédemment citées, la Confédération Paysanne, Nature & Progrès, Les Amis de la Terre, Les Alternatifs, la Fédération Anarchiste… Il est important de souligner l’engagement dans la voie antinucléaire et écologiste de deux partis marxistes : la LCR et Les Alternatifs(1). Indiquons aussi que la plupart des groupes libertaires , boycottèrent le Réseau, mis à part la FA. Les anarchistes et anarcho-communistes pensèrent, a priori, que le Réseau était trop modéré (sa Charte pouvait le laisser penser) et qu’il était manipulable par des organisations de nature socialdémocrate. Ce fut, peut-être, le cas en octobre 99 où une manifestation à Paris contre l’EPR fut annulée, suite à une pression des Verts et de Greenpeace, mais les actions du Réseau, les années suivantes, démontrèrent que la fédération était suffisamment démocratique et radicalisée. En 1998 le Réseau lança une campagne contre l’enfouissement des déchets, ciblée sur le principal site du programme : Bure, dans la Meuse, stockage à 500 m de profondeur, présenté comme un «laboratoire». En décembre 99, la tempête qui balaie les régions océaniques de la France entraîne l’inondation des locaux techniques souterrains de la centrale du Blayais. Les pompes du circuit d’eau de refroidissement des réacteurs se trouvent noyées et l’alimentation électrique est coupée (le vent de 150 km/h abattra les lignes THT d’autres centrales). L’accident majeur fut évité de justesse grâce à un circuit d’alimentation de secours(2). En avril 2000, le CAN s’intitulant Tchernoblaye et animé par Stéphane Lhomme organise, avec les autres CAN du Sud-Ouest, une marche sur la centrale. Les manifestants, non-violents et comprenant des enfants, sont arrêtés par les CRS qui tirent des grenades lacrymogènes. Les nouveaux opposants au nucléaire réalisent la dictature nucléocrate et la raison des plus forts… En 2001 le Réseau est parvenu à une vitesse de croisière et dispose d’un bon budget, alimenté par les cotisations et des dons. Il veut faire un grand coup en communication en tirant à un million d’exemplaires un journal d’information qui se présente comme un plagiat de Libération : l’Aberration. Le vrai Libération, toujours dirigé par Serge July, viscéralement anti-écolo, menace d’attaquer en justice le Réseau. L’affaire s’arrange avec la promesse que le Réseau détruise les journaux. C’est ce que font des groupes en jetant leurs exemplaires…dans les boites à lettres. Les naïfs du Réseau qui pensaient que le gouvernement allait abandonner l’EPR réalisent leur erreur. Un appel à manif est lancé en octobre 2001. C’est un succès : 20 000 personnes à Paris, 8 000 à Toulouse. A CONTRE COURANT N° 205 - JUIN 2009 Le naufrage du PS et des Verts En 2002 le mandat de Chirac expire. Ce sera l’heure du verdict populaire pour l’élection présidentielle. Il est bon de citer la position des candidats et des ténors de l’Ecologie. Olivier Besancenot (LCR) : «la LCR se prononce pour une sortie rapide du nucléaire (…) Je suis convaincu que l’écologie politique ne peut être qu’une écologie de rupture...». Antoine Weachter (MEI) : «sortie immédiate du nucléaire». Brice Lalonde (Génération Ecologie, en principe toujours existante) : «je suis d’accord pour qu’à terme on arrête le nucléaire». Noël Mamère (qui a rejoint et représente Les Verts) : «sortir du nucléaire c’est souhaitable et possible». Corine Lepage ne remet pas en cause le nucléaire, mais se prononce contre le MOX, contre Bure et contre l’EPR. Le PCF est toujours inébranlablem ent pro-nucléaire : «le candidat communiste [Robert Hue] est favorable à l’utilisation civile de l’énergie nucléaire…». Pour Arlette Laguiller (LO), c’est le silence-radio. Les deux grands candidats, Chirac et Jospin, promettent un débat public sur le renouvellement du parc électronucléaire. Le PS, Les Verts et le PCF vont payer leur immobilisme, leur absence de politique sociale : Jospin est battu par Le Pen. Pour le 2ème tour, Le Pen ne pouvait, mathématiquement, pas être élu, mais cela aurait été «politiquement incorrect» qu’il fasse un bon score derrière Chirac. Alors, chose ahurissante, la gauche parlementaire et les Verts appelèrent à voter Chirac. Noël Mamère insultera les votants nul et les abstentionnistes en ces termes : «ceux qui ne voteront pas Chirac sont des munichois !». Octobre 2002 : manif antinucléaire «européenne» de 10 000 personnes à Strasbourg. Le débat public sur l’énergie nucléaire, promis par Chirac, aura bien lieu en mars 2003, mais ce sera un «débat bidon», Raffarin, le Premier Ministre, fournissant d’emblée la réponse : «oui au nucléaire, énergie «durable» et non polluante». Manifs des antinucléaires tapant sur des bidons devant les centres -11- de «consultation». Canicule de l’été 2003 : les centrales fluviales auraient dû être arrêtées par suite d’une température de l’eau dépassant le seuil autorisé; mais un décret gouvernemental permettra ce dépassement. On est en plein arbitraire, en pleine désinformation délirante : on montre à la télé un réacteur «refroidi» à l’aide d’un tuyau d’arrosage ! En 2004, la pétition pour la sortie du nucléaire, lancée par le Réseau, a recueilli 100 000 signatures. Le Président de l’Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, digne fils de son père gaudillot du Général, refuse de recevoir la délégation apportant les signatures. Nicolas Sarkozy, Ministre de l’Economie, vante les bienfaits du libéralisme économique et de la croissance illimitée. Un nouveau mode de scrutin va anéantir le peu de démocratie électorale qui existait, avec la proportionnelle, pour les Régionales et les Européennes. Aux Régionales, une barre est fixée à 10 % des voix. Les Verts devront à nouveau s’accoquiner avec le PS pour avoir des élus. Midi-Pyrénées sera la seule région où une liste «alternative» se présente (avec Les Alternatifs, Les Verts, le Partit Occitan et des «motivé(e)s» de Toulouse). La barre des 10 % aurait pu être franchie si la LCR avait rejoint cette liste au lieu de s’allier avec LO. Résultat des courses : aucun élu «alternatif» au Conseil Régional. Pour les Européennes, c’est le découpage en grandes régions électorales. Pour le «Grand Sud-Ouest», le candidat écolo est le député sortant Gérard Onesta. Il est soutenu par Daniel CohnBendit, Noël Mamère et José Bové. A la stupéfaction de beaucoup de militants, tous ces réformistes (sauf Bové embarqué dans cette galère) font savoir qu’ils soutiendront le projet de la nouvelle Constitution européenne de nature libéraliste. Le 7 novembre 2004, dans la Meuse, un groupe d’antinucléaires se couche sur une voie ferrée où doit passer un convoi de déchets nucléaires (genre de manif déjà bien rodée, le train, averti par un hélic optère, étant obligé de s’arrêter). Cette fois-ci le train ne s’arrêta pas car l’hélicoptère était parti faire le plein. Un manifestant, Sébastien Briat, âgé de 22 ans, participant aussi au combat contre l’enfouissement des déchets et membre de la CNT, eut la cuisse sectionnée par la locomotive et mourut sur place. Ce drame fut assez peu relayé par les médias et, pire, par les milieux soi-disant contestataires. Cabu, dans le journal Charlie-Hebdo, «s’amusa» à faire un dessin ignoble sur l’évènement. Un groupe du Réseau déposa une motion à l’AG de la fédération, invitant au boycott de la publication. La motion fut rejetée au nom de la sacrosainte «liberté de la presse». Chacun jugera… En 2005, pour le Référendum sur la Constitution européenne, Mamère, Cohn-Bendit, Onesta, Voynet et C° persistent et signent. Les Verts (tout au moins leurs représentants) se discréditent totalement. En juin-juillet a lieu l’enquête publique pour le renouvellement de l’autorisation des rejets chimiques et radioactifs de la centrale de Golfech. Les antinucléaires de Stop Golfech «fissurent» le dossier de l’enquête, comme cela avait été fait lors de la première enquête publique en 1979. Pour la centrale du Blayais, une procédure similaire aurait du avoir lieu en 2003, mais elle ne se fit pas. Techernoblaye alors porta plainte contre EDF pour fonctionnement illégal de la centrale. En octobre, une mascarade de débat public a lieu pour l’EPR. Le gouvernement refusant que soit abordée la résistance (ou la non-résistance) du réacteur à la chute d’un avion de ligne, les antinucléaires et les écologistes se retirent du débat. Le temps des grandes manifs : 2006-2007 Le site pour l’implantation de l’EPR sera la centrale de Flamanville dans la Manche. C’est le nucléaire tous azimuts avec aussi le projet d’une machine «expérimentale» à fusion qui ne produira (produirait ?) aucun kilowatt/h : l’ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor). La plaisanterie coûtera (coûterait ?) au moins 10 milliards d’euros, soit le coût annuel estimé pour la restauration des terres arables dans le monde… Il faut signaler aussi la libération du Prof. Youri Bandajevsky qui, directeur de l’Institut de médecine de Gomel (Biélorussie), étudiait les pathologies engendrées par la catastrophe de Tchernobyl. Ses révélations ne plaisant pas aux politiques, il fut incarcéré après un procès fabriqué de type stalinien. Une mobilisation internationale permit, sans doute, l’adoucissement de sa détention, puis sa libération. Solange Fernex et son mari Michel furent les artisans français de cette issue. Bandajevsky devait reprendre ses recherches dans un institut indépendant à Minsk, mais il fut expulsé de Biélorussie. Le Réseau mobilise ses troupes pour une manif massive anti-EPR à Cherbourg pour Pâques 2006. Ce sont 22 000 personnes qui défilent sous la pluie avec des pancartes virulentes du style : «L’EPR Noël est une ordure», «Un jour d’électricité nucléaire, des milliers d’années de radioactivité !». Dominique Voynet participe au rassemblement, elle qui déclarait : «l’opposition au nucléaire ne fait pas partie de ma culture écologiste». Sont également venus : Didier Anger (toujours aussi «vertrose», mais entré dans le conseil d’administration du Réseau), Olivier Besancenot, José Bové, Michèle Rivasi (qui a terminé son mandat de député)… Citons aussi le Prof. Vassili Nesterenko de l’Académie des Sciences de Bélarus qui dénonça, lui aussi, les effets pathogènes des retombées de Tchernobyl. Il fonda, en 1990, avec l’aide d’ONG occidentales, l’Institut indépendant Belrad. Il déclarait : «Le lobby atomique international ne veut pas reconnaître les dimensions de la catastrophe chez nous parce que, si on les reconnaissait, l’énergie atomique n’aurait plus le droit à l’existence». S’il ne connut pas le sort de son collègue Bandazhevky, il dut subir les pressions du gouvernement biélorusse, ce qui l’épuisa. Il décèdera en 2008. En septembre un autre monstre nucléaire est dénoncé : le nouveau programme de la Force de Frappe avec le missile intercontinental M51 lançable à partir d’un sous-marin nucléaire et porteur probable d’une nouvelle minibombe atomique. Le TNP (Traité de non-prolifération), signé par la France, se trouve violé (qui sont les «états voyous» ?). Le M51 est fabriqué prés de Bordeaux par EADS (filiale militaire de Air Bus Industrie) et il est testé par le CEL (Centre d’Essais des Landes) dont le PC se trouve à Biscarosse-Plage. Une m anif, s urtout pilotée par Greenpeace, a lieu devant le CEL. Une abondante documentation a été publiée sur les conséquences de Tchernobyl. Citons Wladimir Tcherkoff qui a réalisé deux films : «Controverses nucléaires» et «le Sacrifice»; citons le terrible recueil de témoignages de Svetlana Alexievitch : «la Supplication»...(3) En 2007, le Réseau décide une remobilisation contre l’EPR, le chantier du réacteur se trouvant lancé à Flamanville et un autre EPR, vendu à la Finlande, étant en cours de travaux. A Bure les opposants ont acquis une ancienne ferme qui servira de base de résistance : «Bure Zone Libre». Manif à Bar-le-Duc en septembre 2005 : 6 000 personnes. A CONTRE COURANT N° 205 - JUIN 2009 Le samedi 17 mars cinq manifs se déroulent à Rennes, Toulouse, Lille, Strasbourg et Lyon, soit au total 60 000 antinucléaires très motivés. Contrairement aux manifs précédentes, les quotidiens restent muets le lundi et les hebdomadaires la semaine qui suit. Un petit -12- coup de fil du ministère de l’Intérieur pourrait expliquer ce silence incroyable de la presse… Seule exception : une pleine page dans Libération (explication : le journal est enfin débarrassé de Serge July). Une cascade d’autres actions ont lieu cette année 2007. Deux pylônes de lignes THT ,allant à Flamanville, sont occupés, mais une occupation, près de Fougères, se solde par une répression féroce : 7 antinucléaires du GANVA, groupe du Réseau, sont traduits en justice et risquent 600 000 euros de dommages et intérêts ! Au niveau européen, une pétition pour la disparition du Traité EURATOM est remise à la Commission Européenne avec 630 000 signatures. Au printemps et en été 2007 se tient un piquet protestataire permanent devant le siège de l’OMS à Genève pour exiger l’indépendance de l’OMS face au diktat de l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Nucléaire) qui impose sa désinformation sur Tchernobyl. Et c’est à nouveau une élection présidentielle avec, en gros, les mêmes choses qu’en 2002 : toujours «l’ouver- ture d’un débat public sur l’énergie» pour le PS (Ségolène Royal), la radicalisation de Besancenot, le silence de Laguiller, la nucléocratie du PCF (MarieGeorges Buffet)…José Bové, qui s’est présenté tardivement et de façon irréfléchie, déçoit son monde en proposant un «moratoire sur la construction de l’EPR» (et un moratoire sur la culture des OGM). Voynet, comme Weachter qui ne put se présenter, se prononce contre le nucléaire, mais pour le «transfert progressif des forces et équipements [militaires] vers une défense européenne»; mais peut-on envisager une défense «moderne» sans nucléaire ? Nous sommes loin du pacifisme total d’une So- lange Fernex, déc édée l’année précédente(4). Nicolas Sarkozy, qui sera le vainqueur de l’élection, déclarera : «Il serait irresponsable de ne pas préparer le remplacement (du parc électronucléaire actuel) par des centrales plus performantes». Le nouveau gouvernement est organisé de façon à faire croire qu’il se préoccupe de l’Environnement, mais en ayant transformé le ministère chargé de cela en un «Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable et de l’Aménagement du Territoire». Le ministre s’occupant de cet ensemble est Jean-Louis Borloo, un des fondateurs, rappelons-nous, de Génération Ecologie. Les questions purement environnementales seront laissées à un Secrétaire d’Etat, une polytechnicienne, dépourvue de moyens. Ceci signifie que le Ministre «de l’Ecologie» est aussi un ministre-bis de l’Industrie ayant un pouvoir décisionnel dans le secteur de l’Energie, donc dans le nucléaire, dans les stockages souterrains de gaz, etc. ! AREVA, EDF, Suez-GDF, Total… C’est la valse des milliards d’euros, c’est la dictature la plus totale, les citoyens et les consommateurs ne pouvant rien contrôler. En automne 2008, Pierre Gadonneix, le patron de EDF, fait savoir que le «service» français de l’électricité est prêt à acquérir British Energy et à entrer à 50 % dans le capital de Constellation Energy (USA). Au lieu de financer un programme d’énergies renouvelables, EDF achète de vieux réacteurs nucléaires anglais et américains ! La crise boursière et économique va aggraver les choses : AREVA et EDF perdent de l’argent et leur cotation en bourse dégringole. Une des diverses causes de cette débâcle financière est le surcoût dans la construction de l’EPR de Flamanville et de l’EPR finlandais qui collectionnent les mal-façons. Les contri- l’électricité. L’eau est pompée dans un aquifère, inestimable ressource pour un pays aride. La centrale électrogène est alimentée en charbon grâce à un gisement local. Les concessions minières s’accaparent des espaces utilisés par les éleveurs indigènes. Ainsi les habitants du Niger se voient voler leur ressource en eau, leur charbon et leurs pâturages, un assassinat économique, social et culturel d’un pays qui pourrait être développé avec des captages d’eau, avec des cultures irriguées d’oasis, avec un élevage bien géré. Ce pillage, on peut l’imaginer, est accompagné d’une pollution radioactive et atmosphérique affectant les mineurs et les habitants des secteurs miniers. buables payeront, comme ils payeront la faillite des banques et celle de l’industrie automobile… plient un peu partout. La centrale de Fessenheim, dont les antinucléaires réclament la fermeture, bat le record pour les réacteurs : 202 «incidents» de 2000 à 2007 contre 77 pour la moyenne française(5). En juillet et en septembre 2008, le complexe nucléaire de Tricastin collectionne des accidents graves : une cuve de produits radioactifs déborde à l’usine de Socatri (filiale d’AREVA) ce qui entraîne une pollution aquatique : une centaine de travailleurs est contaminée par des poussières radioactives dans le bâtiment d’un réacteur; en septembre, lors du rechargement d’un réacteur, deux assemblages de combustible devant être extraits restent coincés; pépins aussi à l’usine franco-belge de Romans-sur-Isère qui fabrique des combustibles, à la centrale de Saint-Albans…(6) Le vieillissement des installations nucléaires françaises devient de plus en plus alarmant. Les «incidents» se multi- Un autre coup tordu du gouvernement Sarkozy-Fillon sera de «mouiller» les organisations environnementalistes dans une réforme poudre-aux-yeux intitulée le «Grenelle de l’Environnement». Le Réseau Sortir du Nucléaire fit savoir qu’il ne participerait au Grenelle que si, au préalable, le projet EPR était abandonné. Evidemment il ne fut pas invité, ainsi que la CRII-Rad, et on n’aborda pas le nucléaire dans les discussions qui rassemblèrent différents acteurs dont des organismes pas du tout favorables à de véritables réformes écologiques… Silence on irradie ! 2008 va voir exploser le nucléaire tous azimuts : électronucléaire avec l’EPR que la France va tenter de vendre à plusieurs états (après la Finlande, la Chine passera commande), nucléaire militaire avec le nouveau programme de la Force de Frappe (bombes atomiques «mini nuckes», Laser Mégajoule pour simuler les explosions thermonucléaires, missile M51 et, comme autre «vecteurs», les sous-marins nucléaires, les avions Dassault…), enfin nucléaire «expérimental» ou de recherche avec la machine à fusion ITER, avec les accélérateurs de particules…Le gouvernement Sarkozy est le promoteur de tout cela, mais aussi les hommes politiques de la gauche parlementaire. Ainsi François Hollande, en 2007, déclarera à la radio : «La France doit vendre à l’étranger sa technologie nucléaire». Avec le capitalisme libéraliste et la privatisation plus ou moins totale des services publics, c’est la curée des groupes pour le lobby nucléaire: A CONTRE COURANT N° 205 - JUIN 2009 L’EPR sera-t-il, pourtant, cloné en France ? Fin 2008, les élus des côtes de la Manche, le maire de Dieppe en tête, réclamaient un EPR qui pourrait être construit dans la centrale de Penly, même démarche de la part d’élus de l’Est qui proposent le site de la centrale de Chooz. La France, ayant abandonné l’extraction de l’uranium sur son territoire (en laissant en quasi abandon les anciennes mines, ceci se traduisant par une grave pollution nucléaire des sols et des eaux surtout en Limousin), AREVA exploite maintenant des mines d’uranium dans la «Françafrique». Au Niger la mine principale est celle d’Arlit, mais une dizaine de concessions ont été octroyées à divers états et sociétés. Le Niger subit un néo-colonialisme atomique à l’égal des essais nucléaires de la Polynésie française racontés dans notre première partie. Pour extraire et traiter le minerai d’uranium il faut de l’eau et de -13- Le Réseau Sortir du Nucléaire s’efforce d’être sur tous les fronts. Plus d’une centaine de manifestations de ses groupes a lieu en 2008. Le 12 juillet, une manif rassemble 5000 personnes à Paris pour saluer la nomination de Sarkozy à la présidence de l’Union Européenne. Les antinucléaires adoptent divers déguisements et accessoires satiriques dans leurs manifs. Ils accrochent à des monuments, comme le pont médiéval fortifié de Cahors, des banderoles géantes où est écrit : LE NUCLEAIRE TUE L’AVENIR ou bien, c’est le slogan du Réseau, : SORTIR DU NUCLEAIRE, C’EST POSSIBLE !. Un groupe va jusqu’à poser nu en face du Mont St Michel, chaque manifestant portant une lettre peinte dans son dos, ceci donnant: EPR MON CUL !(7). Une répression larvée se manifeste envers des responsables antinucléaires. Stéphane Lhomme, porte-parole du Réseau, est interrogé pour la 2ème fois par la DST et mis en examen pour avoir violé un «secret défense» sur la vulnérabilité de l’EPR à la chute d’un avion de ligne (révélation pourtant des plus succinctes…). Le Président de l’association Médiane, menant une information contestataire sur l’ITER (prévu dans le site de Cadarache), est retenu pendant 19 heures dans le commissariat de Manosque. Deux responsables de Tchernoblaye (dont Lhomme) passent en jugement pour avoir escaladé un échafaudage du Palais de Justice de Bordeaux en protestation face à la lenteur du Parquet pour instruire la plainte dépos ée par l’as s oc iation (voir précédemment). Nouvelle inculpation du GANVA pour avoir bloqué un train de déchets nucléaires se rendant à La Hague. Le procès aura lieu en mars 2009, à Caen. Verdict : 7500 euros à verser à la SNCF. Le 5 juin, le Ministère de Borloo lance un appel à candidature auprès de 3115 communes pour des sites de stockage de déchets radioactifs à faible activité et à vie longue. La liste de ces communes n’est pas révélée, mais les départements sont connus. L’opposition se manifeste via des groupes du Réseau ou via des collectifs qui se créent. Des collectivités territoriales, de leur côté, refusent d’accueillir un tel stockage. Que peut-on conclure ? La lassitude et le dégoût peuvent saisir des «vétérans» antinucléaires comme moi qui ont vécu le démarrage du nucléaire militaire et de l’électronucléaire en France. On ne peut que s’attrister de la faiblesse de l’opposition antinucléaire (même s’il y eu quelques belles victoires, mais ponctuelles et localisées), de la passivité du plus grand nombre, de la lâcheté de la classe politique, des commis de l’Etat, des fonctionnaires d’EDF, des officiers de l’Armée et, pire, de leur engagement en faveur de la Force de Frappe et de l’énergie atomique. A CONTRE COURANT N° 205 - JUIN 2009 Comment des personnes sensées, comment des intellectuels, comment des scientifiques, comment des «gens de gauche» ont-ils pu accepter et même applaudir cette technologie dont la catastrophe de Tchernobyl fut la terrible confirmation de son aspect mortifère ? On peut s’attrister aussi de tous les errements et contradictions de la part de militants s’intitulant écologistes, antinucléaires, voire révolutionnaires. Nous les avons évoqués tout au long de cet historique : des opposants au nucléaire mais votant pour des nucléocrates, des écologistes s’associant à des destructeurs de l’environnement, des anarchistes pratiquant la politique de la chaise vide… Les dernières occasions pour un changement de cap ont été manquées en 1968, en 1981, en 1986…Maintenant la situation est devenue catastrophique, surtout en France, l’état le plus nucléarisé au monde, quant à sa superficie, quant à sa population et quant à la part du nucléaire dans sa production d’électricité. Notre pays se trouve, à présent, truffé d’installations nucléaires, en activité ou abandonnées et de déchets atomiques que l’on ne sait où mettre. Hélas, ce n’est pas fini; la fuite en avant se poursuit.. Si l’électronucléaire peut avoir du plomb dans l’aile (on arrête bien plus de réacteurs qu’on n’en construit), on se rabat, surtout en France, sur le nucléaire militaire et sur la «Big Science» de la physique des particules, avec des machines à fusion et avec des collisionneurs de particules qui ne produisent aucune énergie, mais qui absorbent des budgets colossaux et des quantités phénoménales d’électricité (bonjour les «économies d’énergie» !) Nos descendants, si nous en avons, nous maudiront pour notre inconscience, pour notre turpitude… Henry Chevallier (1) Les Alternatifs se dénommèrent, au départ, l’Alternative Rouge et Verte. Le parti fut créé, principalement par des anciens du PSU. (2) Le déroulement de «l’incident» du Blayais est donné par les rapports du syndicat des travailleurs de la centrale et du GSIEN, publiés dans La Gazette nucléaire, n°181-182 (avril 2000). La centrale du Blayais devait connaître un évènement presque similaire lors de la tempête du 24 janvier 2009 suivie d’épisodes venteux en février: les quatre réacteurs se mirent en «arrêt automatique» suite aux déchets végétaux -14- charriés par la Gironde et colmatant les filtres des stations de pompage. Il faut savoir que l’arrêt d’urgence d’un réacteur est une opération à risques (d’après Stop Golfech, n°63 de février 2009). (3) Le livre de S. Alexievitch a été publié en français en 1998 et réédité, en livre de poche, dans la collection «J’ai lu». Les films de W. Tchertkoff sont diffusés par le Réseau Sortir du Nucléaire (9, rue Dumenge – 69317 Lyon cedex 04. Tél.04.78.28.29.22) (4) Solange Fernex fut une admirable exception chez les Verts. Elle fit la preuve, pendant toute sa vie militante, de la nécessaire «convergence des luttes», en s’opposant au nucléaire, tant civil que militaire, en s’occupant de questions sociales (Droit des femmes) et en étant compétente en médecine, en Ecologie, aussi bien fondamentale (protection de la nature) qu’appliquée (pollutions, énergies, agroécologie, pêche artisanale…) (5) Dernières nouvelles de Fessenheim, supplément de Sortir du Nucléaires, la revue du Réseau SDN, avril 2009. (6) Courant alternatif n°184, nov.2008. Cette revue mensuelle est l’organe de l’OCL (Organisation Communiste Libertaire), radicalement antinucléaire, mais qui ne voulut pas rejoindre le Réseau SDN. (7). Photo parue dans Sortir du Nucléaire n°40 (nov.2008). Dans le n°39 (été 2008) et le n°38 (mai 2008) des infos sur les mines d’uranium au Niger… Abonnement à la revue auprès du Réseau Sortir du Nucléaire (4 numéros par an) : 12 euros. Les associations peuvent adhérer au Réseau avec une cotisation de base de 20 euros (abonnement à la revue inclus).