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Nous publions ici la 1ère partie d’une «Histoire des luttes antinucléaires en France» qui en comporte quatre. Les trois autres
parties seront publiées dans nos prochains numéros. Il est possible de commander le texte complet (39 pages avec illustrations)
pour 12 euros (port inclus) à l’adresse : Henry Chevallier «La Bertrande» 32400 FUSTEROUAU (Tél 05 62 09 08 25. Courriel :
[email protected] ). Chèque à l’ordre de Ende DOMAN.
L’auteur, Henry Chevallier, est animateur de Sortir du Nucléaire 32 (collectif membre du «Réseau Sortir du Nucléaire»,
coordonnateur de l’ouvrage «Nucléaire ? Non merci !» (publié par Utovie/Silence, 1993)
Histoire des luttes antinucléaires en France
(1ère partie : 1958 – 1975)
A l’heure où la France s’engage
dans une impensable relance du nucléaire, nucléaire « civil » avec l’EPR,
nucléaire « expérimental » avec l’ITER, nucléaire militaire avec le programme des missiles à longue portée
M51 pouvant être dotés de « mini »
bombes atomiques, il est indispensable de faire le point sur nos luttes antinucléaires, passées, présentes et à
venir.
Cet historique que j’ai vécu, en
étant maintenant un « vétéran » des
premières marches anti-atomiques,
devrait permettre de tirer les leçons, à
la fois des erreurs commises dans les
luttes, mais aussi des quelques
succès remportés lesquels firent mettre au placard des projets de centrales
et des projets de barrages-réservoirs
liés au nucléaire. Cet historique sera
également un devoir de mémoire envers celles et ceux qui se
consacrèrent à ce combat contre le
nucléaire, tant militaire que civil (Jean
Rostand, Jean Pignero, Claude Bourdet, Pierre Fournier, Solange Fernex,
Philippe Lebreton, Michèle Rivasi, les
Belbéoch…) et envers ceux qui, hélas,
y laissèrent leur vie : Vital Michalon,
Fernando Pereira et Sébastien Briat.
Le lancement de l’industrie
nucléaire en France (1945 –
1960)
A la veille de la seconde guerre mondiale la France était un des états où la
recherche atomique était la plus avancée. Une équipe de pointe s’était créée
avec Irène Curie, mariée à Frédéric Joliot, H. Halban, L. Kowarski et Francis
Perrin. En 1940 elle était sur le point de
réaliser la première pile atomique à l’eau
lourde. Joliot avait déjà imaginé les applications civiles…et militaires de la fission nucléaire et avait déposé des brevets en ce sens (ce qui en dit long sur
l’inconscience des savants atomistes).
En 1945 ce sont les premières bombes
atomiques américaines utilisées « réellement » sur des populations à Hiroshima
et à Nagasaki. L’évènement fut salué par
presque toute la communauté scientifique, les intellectuels et la classe politique comme «une révolution scientifiA CONTRE COURANT N° 202 - MARS 2009
que» (le Monde), comme «une conquête
monumentale de l’homme» (l’Humanité).
Le seul chroniqueur à dénoncer l’ignominie de l’arme nucléaire fut Albert Camus
dans Combat.
Cette nouvelle arme allait aussi passionner les militaires, en particulier le
général De Gaulle qui s’était autoproclamé Président du Gouvernement Provisoire. En 1945 il crée, sur la proposition
de Joliot-Curie et de l’ancienne équipe
de recherche, le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA). Joliot, nommé haut
commissaire du CEA, espérait que cet
organisme servirait à promouvoir une «
énergie atomique pacifique ». Communiste, il déclara à un congrès du PCF que
les savants français ne feraient pas des
armes nucléaires pouvant être utilisées
contre l’URSS. Cette position lui valut
son limogeage. En 1948 est réalisé, à
Fontenay-aux-Roses, la pile atomique
«Zoé» à l’eau lourde. Ce réacteur produit
du plutonium utilisable pour faire une
bombe. En 1949 deux autres réacteurs
sont construits au centre de Saclay. En
1952 voit le jour le premier plan français
de développement de l’énergie atomique, avec un volet civil (loi-programme
votée par l’Assemblée nationale) et un
volet militaire pour des « armes spéciales ». La décision d’un programme nucléaire militaire se pose en 1954. Cette
décision ne sera pas débattue à l’Assemblée nationale, ni encore moins soumise à un référendum populaire (chose
inconcevable sous la 4ème République).
Ce sera le président du Conseil, Pierre
Mendès-France (Parti radical) qui prendra la décision, « après avoir consulté
des experts » (c’est-à-dire surtout Francis Perrin du CEA) . Bravo la démocratie
!
Tout va aller ensuite très vite. Les
successeurs de Mendès-France, Edgar
Faure (1955) et Guy Mollet (1957), signent la construction des usines nucléaires de Marcoule et de Pierrelatte destinées à produire le plutonium et l’uranium 235 à usage militaire. En 1958 De
Gaulle accède au pouvoir absolu et fait
accélérer le programme des armes nucléaires dont il rêvait depuis 1945. En
1959 la Force de Frappe est opérationnelle et la première bombe atomique explose à Reggane au Sahara en 1960. Le
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programme électronucléaire avait été
mis en chantier parallèlement (premiers
réacteurs graphite-gaz à la centrale de
Chinon).
Ban the bomb
L’opposition au nucléaire commença
par le refus de la poursuite de la fabrication de bombes atomiques, cri d’alarme
poussé par des scientifiques, certains
d’entre eux ayant participé à des programmes nucléaires (Appel de Stockholm, Mouvement Pugwash). En
France les premiers contestataires furent quelques courageux isolés. Pierre
Martin, avec d’autres pacifistes, tente de
parvenir jusqu’au site de Reggane. Jean
Pignero «simple» instituteur en Seine-etMarne, écrit en 1957 «Halte à l’atomis m e» et fonde une as s oc iation
dénonçant les dangers des rayonnements (rayons X compris) utilisés en
médecine(1). Jean Rostand, biologiste
«indépendant», ne cache pas, dans ses
écrits de vulgarisation, son inquiétude
concernant les effets mutagènes et
pathogènes de la radioactivité. Ainsi, si
certains s’opposent à l’armement nucléaire pour des raisons surtout géopolitiques, d’autres, comme Rostand et Pignero, vont bien plus loin en condamnant toute la technologie engendrant une
radioactivité aux effets biologiques nocifs.
La prise de conscience des risques
d’une guerre nucléaire se fit principalement aux USA lesquels se trouvaient
confrontés avec la guerre du Vietnam (le
Viet Minh étant aidé par la Chine et
l’URSS) et avec la révolution cubaine se
rangeant dans le clan soviétique. La plupart des pacifistes américains étaient
ainsi contre la guerre du Vietnam et contre les bombes atomiques. Ce fut le mouvement Ban the Bomb (à bas la Bombe)
popularisé par les chanteurs, les poètes
et autres artistes de la «Beat Generation» (Bob Dylan, Joan Baez…)
Le relais en France de ce mouvement
fut principalement dû à Claude Bourdet
qui participa à une réunion internationale
en 1961. Bourdet était un vieux routard
de la gauche non orthodoxe. Pendant la
Résistance il fut un responsable du réseau Combat (qui se prolongea à la Li-
bération par le journal du même nom). Il
milita ensuite contre la guerre d’Algérie,
dénonçant les tortures, ce qui lui valut
d’être arrêté. Il fonda la revue France
Observateur qui devait devenir le Nouvel
Observateur. Il fut de ceux qui rompirent
avec la SFIO, suite à l’ignoble politique
répressive qu’elle avait menée en Algérie avec Robert Lacoste et Guy Mollet.
Il créa un groupuscule néo-socialiste qui
devait se fondre dans le PSU (Parti Socialiste Unifié). En 1963 Claude Bourdet
poussa le PSU à épauler un mouvement
c ontre l’arm em ent nuc léaire : le
MCAA(2).
D’autres organisations de gauche se
trouvaient également sensibilisées sur
les dangers des armes nucléaires, mais
en se focalisant contre la Force de
Frappe. Le MCAA, lui, se démarqua de
ces organisations par son slogan «non à
toutes les bombes» et par des manifestations bien ciblées. En novembre 63 eut
lieu une marche à partir de Taverny (prés
de Paris), commune où devait s’implanter le PC de la Force de Frappe.
Le MCAA allait drainer, entre 1963 et
1967, des personnes venant d’horizons
très divers. Il y avait des membres du
PSU, des «dissidents» du PCF et de la
CGT, des chrétiens étiquetés «de gauche» (l’Action Civique Non-Violente avec
Lanza del Vasto, les Amis de Témoignage Chrétien, des pasteurs…), des
antimilitaristes libertaires (l’Union Pacifiste, Louis Lecoin), des scientifiques
(Jean Rostand, président d’honneur du
MCAA, Théodore Monod du Muséum,
l’explorateur du Sahara, l’agronome
René Dumont, le Dr Albert Schweitzer,
des physiciens atomistes…), le député
tahitien John Teariki, des beatniks dont
nous parlerons plus loin…
En 1964 les partis de la gauche parlementaire décidèrent d’amplifier leur
campagne contre la Force de Frappe.
Une foule énorme répondit à l’appel avec
120 000 personnes au parc de Sceaux.
Ce fut le premier et le dernier grand rassemblement antinucléaire de la gauche
en France. Les organisateurs furent effrayés par la prise de conscience de «la
base». Les participants avaient exprimé
leur opposition à tout armement atomique et non aux seules vilaines bombes
gaullistes. Cette prise de conscience découlait, en grande partie, de la «crise de
Cuba» de 1962 (installation de missiles
soviétiques dans l’île) qui faillit déclencher une guerre mondiale qui aurait été
nucléaire. Les communistes, les socialistes et les radicaux s’employèrent dés
lors à évacuer toute opposition au nucléaire de leurs discours et programmes.
On voit ainsi l’énorme responsabilité de
la gauche française (PSU excepté) dans
le chloroformage de ses électeurs quant
à la question nucléaire(3). Le MCAA resta
l’unique organisation à poursuivre les
marches anti-atomiques.
Mobilisation contre
l'électronucléaire (19711975)
Beaucoup de soixante-huitards vont
se mobiliser contre le programme électronucléaire grâce aux informations fournies par l’APRI de Jean Pignero (publications d’un solide niveau scientifique), par
Pierre Fournier (chroniqueur et dessinateur dans Hara Kiri-Hebdo) et par les
pionniers en Ecologie appliquée et politique (Réseau des Amis de la Terre créé
en 1969 aux USA).
seul. Des «francs tireurs», non attirés
par le côté bureaucratique de l’organisation, agissaient de leur propre chef. Le
«protest song» de la Beat Generation
avait gagné la France avec des chanteurs contestataires dont les plus connus
furent Antoine (quand on voit ce qu’il est
devenu…) et Hugues Auffray qui avait
traduit les chansons de Bob Dylan :
Nous avons les bombes
Les plus perfectionnées
Que saute le monde
S’il faut le faire sauter
Un levier qu’on bascule
Un bouton à pousser
N’ayons pas de scrupules
Dieu est à nos côtés.
Les beatniks manifestaient en
général avec le groupe anarcho-surréaliste des Amis de la Vie animé par
Mouna, le «philosophe des rues». Ce
groupe faisait des actions spectaculaires
comme d’inonder de tracts anti-atomiques le stade du Parc des Princes lors
de la finale du Tournoi des cinq nations
(championnat de rugby).
En 1967 le MCAA semble en perte de
vitesse, sans doute par suite de sa décision de militer aussi pour la paix au Vietnam. Mai 68 diluera dans son raz de
marée les adhérents au MCAA. Le discours de Jean Rostand à la Sorbonne fut
la seule manifestation antinucléaire de la
«révolution». Pourtant la Force de
Frappe était passée à une vitesse supérieure (en août 68 fut expérimentée à
Fangataufa une bombe H de 2,6 mégatonnes) et l’électronucléaire se trouvait
en plein décollage (réacteurs de Brennilis, de Chinon A3 et de Chooz 1, centrale
de Bugey). Toutefois les pratiques de
Mai 68 (comités d’action, comités de
base) allaient servir de mode d’emploi,
les années suivantes, pour des auto-organisations locales populaires (comités
de défense et comités antinucléaires).
Mais le MCAA n’était pas toutefois
A CONTRE COURANT N° 202 - MARS 2009
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En 1971 ont lieu les deux premières
manifestations contre le nucléaire civil, à
Fessenheim en Alsace (centrale en
chantier) et à Bugey dans l’Ain (réacteur
en fin de construction). La manif de Fessenheim est lancée par un «Comité de
sauvegarde» comprenant Solange Fernex qui deviendra la «grande dame» de
l’opposition au nucléaire civil et militaire
et de l’Ecologie. La manif de Bugey (15
000 personnes en majorité des jeunes) a
été préparée par Pierre Fournier et Emile
Prémillieu («opération Bugey-Cobayes»).
Fournier, se sentant mal à l’aise dans
l’équipe de Hara Kiri, laquelle évite de se
positionner de façon militante, crée, en
1972, la revue écolo et antinucléaire La
Gueule Ouverte. Par sa radicalisation,
son indépendance politique (plutôt anarchisante), son savoir et la justesse de
ses analyses, Fournier aurait pu devenir
le meilleur maître à penser de la contestation si une mort subite, mal explicable,
ne l’avait fauché en février 73.
En 1974 Giscard d’Estaing succède à
Georges Pompidou. La famille d’Estaing
ayant des intérêts dans le lobby nucléaire (avec le groupe Enpain-Schneider), Giscard fait accélérer la filière des
réacteurs de seconde génération de type
PWR (licence Westinghouse se traduisant par la société franco-américaine
FRAMATOME). Une filière de surgénérateurs au plutonium est aussi lancée (prototype «Phénix» à Marcoule).
EDF se trouve totalement sous la coupe
du CEA, de FRAMATOME, de EURODIF, de la COGEMA…
Les sites prévus pour les nouvelles
centrales sont dévoilés par une presse
militante en pleine expansion. Outre la
Gueule Ouverte, on trouve l’APRE/
hebdo et Ecologie (publiés par l’APRE :
Agence de Presse Ecologique), le Sauvage, filiale écolo du Nouvel Observateur, Combat Non Violent (organe du
MAN: Mouvement pour une Alternative
Non-violente), les publications des Amis
de la Terre, de Greenpeace, des périodiques régionaux (comme Oxygène en
Bretagne), enfin les bulletins des Comités antinucléaires (CAN).
La formule de APRE/hebdo est
particulièrement efficace. C’est un pério-
dique hebdomadaire qui fournit des
flashs et annonce les manifs à venir,
alors que presque toutes les autres publications sont des mensuels en retard
sur l’actualité.
En 1975 tous les sites nucléaires
(centrales en projet ou en construction)
sont «couverts» par un CAN ou par une
autre association (groupe local des Amis
de la Terre, par exemple). La répression
montre ses dents. Des manifs sont dispersées par les CRS, les grenades de
Mai 68 faisant leur réapparition. A Paris,
le PSU et les Amis de la Terre appellent
à un cortège, mais sans aucune préparation (pas de tracts, pas de prises de parole). Des manifestants (surtout des jeunes des banlieues) s’opposent aux forces de l’ordre et défoncent les devantures de plusieurs banques(4). A Fessenheim, un sabotage à l’explosif est commis sur le réacteur en construction. Cette
action (revendiquée plus tard par un
groupe révolutionnaire) va retarder d’un
an les travaux.
tait en lui des faiblesses. La composition
de ces groupes est très hétérogène. Les
deux composants principaux sont, d’une
part, des militants s’appuyant sur une
idéologie ou des idéaux (anarchistes,
gauchistes, sociaux-démocrates, écologistes, régionalistes) et, d’autre part, des
«gens du pays», sans idéologie politique
précise mais défendant leur environnement et leur qualité de vie. Ce pluralisme
ne posera pas de problèmes pour certains groupes, mais, pour d’autres, provoquera, surtout à partir de 1977, des
conflits et des clashs dont nous parlerons dans le seconde partie de notre historique. Notons que les victoires obtenues furent, en général, le fruit d’organisations où les «gens du pays» avaient
pris les choses en main en évitant de se
faire manipuler par des «professionnels»
du militantisme et de la politique. Pour le
nucléaire ce fut le cas des projets de
centrale à Erdeven (Morbihan), à Pontsur-Yonne (Yonne) et, plus tard, à Plogoff. A Pont-sur-Yonne, par exemple, ce
furent les agriculteurs qui se
mobilisèrent, bloquant les routes
avec les tracteurs et empêchant
les géomètres de jalonner le site.
Dans d’autres domaines ce fut le
même chose: extension du camp
militaire du Larzac, barrages dans
le bassin de la Loire, barrages-réservoirs dans le Sud-Ouest…(6)
La Polynésie française
de la honte
C’est en 1966 que l’expérimentation des bombes atomiques fut
transférée du Sahara en Polynésie
: « expériences nucléaires (…) par
lesquelles on va permettre de traiter en cobayes des hommes qui
ont la malchance d’habiter un archipel lointain » s’indignait Jean
Rostand. Quoi de mieux, en effet,
que d’utiliser des atolls perdus
dans le Pacifique dans un territoire
d’outre mer continuant à subir une
dictature colonialiste.
On aurait pu espérer une mobilisation
des travailleurs de EDF, mais la CGT y
fait régner la loi du silence (le PCF étant
totalement partisan de l’énergie nucléaire). Seule la CFDT conteste le «tout
nucléaire» (slogan en 1976 de la
Fédération CFDT gaz électricité: «exigeons la diversification des sources
d’énergie») et fait paraître un livre expliquant les rouages de l’électronucléaire
français(5). Ce sera ensuite la chape de
silence de «la Maison», chape qui perdure toujours malgré le démantèlement
des services publics de l’énergie.
La constitution des CAN, des CRIN
(comités régionaux d’information nucléaire) et de groupes plus ou moins écolos de défense de l’environnement fut un
moyen de lutte très positif mais qui porA CONTRE COURANT N° 202 - MARS 2009
Le « Centre d’Essais du Pacifique » (CEP) procédera de 1966 à
1974 à 44 tirs atom iques dans
l’atmosphère, soit 39 sur l’atoll de Moruroa et 5 sur celui de Fangataufa. A partir
de 1975 les explosions auront lieu en
profondeur sous l’atoll de Moruroa.
De Gaulle voulut assister au second
tir en septembre 1966, mais la météo
était mauvaise. Qu’à cela ne tienne, le
général ordonna le tir et un vent d’est
entraîna des retombées radioactives
jusqu’à des îles situées à plus de 3000
km. D’autres tirs atmosphériques furent
également polluants et touchèrent des
îles habitées assez proches de Moruroa :
Tureia, Rea et Mangareva, cette
dernière dans l’archipel des Gambier.
Les essais les plus contaminants furent
celui de la bombe H d’août 68 et un essai
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«sale» en 1971. En 1968, les habitants
de Tureia furent évacués dans un camp
militaire de Tahiti où ils furent retenus
pendant plusieurs mois. Ce fut la seule
évacuation car on avait construit dans
les îles exposées des abris où les militaires poussaient la population lors des tirs.
Certains abris n’étaient que de simples
baraquements !
Le CEP devait embaucher 12 000 Polynésiens pour travailler à Moruroa. De
nombreuses pathologies, des décès et
des accidents mortels s’y produisirent.
Les travailleurs « indigènes » opéraient
sans aucune protection et beaucoup furent contaminés ou irradiés. D’autres furent atteints par la « ciguatera », intoxication souvent mortelle due à la consommation de poissons contaminés par une
microalgue très toxique (cette microalgue se développe dans des milieux marins bouleversés: c’était le cas avec les
tirs souterrains à Moruroa et avec des
dragages dans les coraux). La ciguatera
s’étendit jusqu’à Fangataufa et autres
îles habitées(7).
La «Bombe coloniale» en Océanie
française va aiguiser les actions des Polynésiens indépendantistes. En 1972 un
commando pénètre dans une caserne
de Tahiti pour y voler des armes. Trois
activistes sont arrêtés et condamnés à 5
ans de prison !
Les essais nucléaires vont susciter
aussi des actions pacifistes au moyen de
voiliers qui tenteront d’atteindre Moruroa
au moment d’un tir. Le canadien David
Mac Taggart met son voilier sous la
bannière de Greenpeace (bateau le
Vega rebaptisé Greenpeace III). En juin
72 le voilier, approchant de la zone de tir
(lequel eut lieu), se trouve encerclé par
des vaisseaux de guerre français. Un
dragueur de mines éperonne alors le
Vega et ceci dans les eaux internationales. Le bateau de Mac Taggart est escorté jusqu’à Moruroa puis « expulsé »
vers Rarotonga sans avoir été réparé par
les autorités françaises lesquelles relateront l’évènement de façon la plus
mensongère ! L’année suivante un acte
de piraterie bien plus grave sera commis
envers le Grenpeace III.
En 1973 plusieurs bateaux pacifistes
mettent le cap sur Moruroa. Deux d’entre
eux seront arraisonnés par la Marine
française : le Fri et le bateau de Mac
Taggart. Ce dernier comprend un équipage de deux hommes et deux femmes.
Au large de Moruroa, le « comité d’accueil » de la Marine est là comme l’an
passé. Mac Taggart remet à un officier
les documents lui donnant le droit de naviguer dans les eaux internationales. La
réponse de la Marine est l’envoi d’un Zodiac portant une demie douzaine d’homm es qui prend à l’abordage le
Greenpeace III. Ses deux hommes d’équipage sont sauvagement matraqués.
Mac Taggart, blessé à un œil, perd connaissance. Une fille prend des photos et
parvient à cacher la pellicule. Les pacifistes sont retenus plusieurs jours dans les
bases de l’Armée puis expulsés de la
Polynésie française. Mac Taggart portera plainte pour acte de piraterie, mais
les autorités françaises, selon leur habitude, fourniront leur version mensongère
des faits. Les photos du matraquage seront censurées en France. A Paris, le
politicien Jean-Jacques Servan-Schreiber qui avait participé à la manifestation
contre la Bombe à Papeete (voir plus
loin) refusa d’appuyer les démarches de
Mac Taggart (8).
L’autre bateau, le Fri, a à son bord
des Français : Jean Toulat, prêtre catholique et journalis te, J ac ques de
Bollardière, ex général devenu un pacifiste non violent après avoir renvoyé au
gouvernement ses médailles de Compagnon de la Résistance et Brice Lalonde,
le président des Amis de la Terre France.
Le Fri est arraisonné par la Marine mais
(1) Hommage à Jean Pignero (décédé en
2005) paru dans Stop Golfech n°53
(2) L’historique du MCAA-MDPL a été
publié dans le «n°spécial-bilan» de
Alerte atomique (mars 1997). Le congrès
de dissolution du mouvement eut lieu le
11 mai 1996 quelques mois après le
décès de Claude Bourdet.
(3) Invité par le MCAA, en juin 66, dans
un meeting à la «Mutualité» de Paris,
François Mitterrand y prononça un
discours alambiqué qui admettait «dans
un gouvernement de gauche la
reconversion de la Force de Frappe»,
tout en insinuant que si celle-ci était
détestable c’était parce qu’elle était
gaulliste et capitaliste (repeintes en rose,
les bombes atomiques devaient être
acceptables…). Le masque tombera en
1981…
(4) Libération, noyautée alors par le PS,
traitera de "branquignols" les manifestants. Les fondateurs de «Libé» devaient
être aussi des branquignols…
(5) «L’électronucléaire en France» par le
Syndicat CFDT de l’énergie atomique
(édit. Du Seuil, 1975)
(6) Pour les luttes contre les barrages,
voir mon ouvrage récent. H. Chevallier :
«L’Eau un enjeu pour demain. Etat des
lieux et perspectives» (édit. ElléboreSang de la Terre, 2007)
(7) «Témoignages. Des Polynésiens
prennent la parole» (publication
Greenpeace-Damoclès, 1990)
(8) D. Mc Taggart : « La Croisière
Nucléaire » (édit. Hallier, 1975)
(9) J. Toulat : « Objectif Mururoa » (édit.
Laffont, 1974)
Chronologie des luttes
1950 : appel de Stockholm signé par
36 prix Nobel à l’initiative du savant
américain Linus Pauling pour l’arrêt de
l’industrie nucléaire militaire.
1958 : nouvel appel auquel se joignent Jean Rostand, le philosophe Bertrand Russell, le Prof. Alfred Kastler…
sans violence (vu les personnalités à son
bord..) Bollardière est renvoyé en France
par avion ; les autres passagers du Fri,
après avoir été retenus, parviennent à
Tahiti. Une manifestation et un meeting
contre la Bombe ont lieu à Papeete avec
des élus tahitiens et métropolitains et
des représentants des églises (9).
Si le CEP devait enrichir certains Tahitiens, il devait, en quelques années, totalement pulvériser la société polynésienne traditionnelle et créer des milliers
de précaires, de malades et d’handicapés. Les bidonvilles actuels de Papeete sont la triste illustration des méfaits de la « Bombe coloniale » française.
(à suivre)
1959 : un groupe de pacifistes comprenant Pierre Martin, un pionnier de
l’objection de conscience, essaie de gagner le Sahara pour pénétrer à Reggane,
zone de tir de la première bombe atomique française. Les pacifistes sont interceptés par les gendarmes français en
Afrique Occidentale. Pierre Martin entame une grève de la faim avec le soutien de nombreux Africains. Les autorités
l’expulsent de l’Afrique.
L’instituteur Jean Pignero tire un signal d’alarme sur la nocivité des rayonnements utilisés en médecine.
1961 : réunion internationale à Tyringen (Suède) contre l’armement nucléaire. Claude Bourdet y participe pour
la France.
Henry Chevallier
A CONTRE COURANT N° 202 - MARS 2009
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février-mars 1963 : création du
MCAA (Mouvement Contre l’Armement
Atomique). Claude Bourdet en sera le
président, Jean Rostand le président
d’honneur. Le mouvement bénéficie, au
départ, de l’aide du PSU (Bourdet étant
un des dirigeants du parti).
mai 1963 : premières marches antiatomiques en province contre la Force
de Frappe.
17 nov. 1963 : marche Taverny-Bessancourt organisée par le MCAA avec
d’autres partenaires. A l’appel d’un «Comité temporaire contre la Force de
Frappe et pour le désarmement général»
des marches et des rassemblements ont
lieu aussi à Nantes (6000 manifestants),
à Lorient, au Havre, à Nic e, à
Besançon…
26 avril 1964 ; le Comité National
contre la Force de Frappe, présidé par
Jules Moch (ancien ministre, SFIO), suscite un énorme rassemblement de 120
000 personnes au parc de Sceaux près
de Paris. Les partis, syndicats et mouvements participants sont: le PCF, la SFIO,
le PSU, le Parti Radical, la CGT, la
CFTC, l’UNEF, le SNI, le MCAA, le Mouvement de la Paix (filiale du PCF), la Ligue des Droits de l’Homme…
Pâques 1965 : le MCAA reste la
seule organisation à susciter les marches anti-atomiques « contre toutes les
bombes ».
février 1966 : le congrès du MCAA
oriente les actions du mouvement pour
la paix au Vietnam et contre les essais
nucléaires en Polynésie. Claude Bourdet
est réélu président.
1966 : Jean Pignero transforme son
association sur le danger radiologique
en une Association pour la Protection
contre les Rayonnements Ionisants
(APRI).
mai 1968 : Jean Rostand intervient à
la tribune de la Sorbonne. Passé la
«révolution», le MCAA se rebaptise
MDPL (Mouvement pour la Paix, le Désarmement et la Liberté).
1971 : opération «Bugey-Cobayes»
organisée par Pierre Fournier et Emile
Prémillieu.
1972 : Fournier crée un périodique
militant écolo et antinucléaire: la Gueule
Ouverte. Le prof. Philippe Lebreton,
Jean Pignero et d’autres y participent.
1973 : la Marine répond à une campagne contre un essai nucléaire à Moruroa
par des actes de piraterie envers des bateaux pacifistes.
Décès de Pierre Fournier.
1975 : actions des CAN (Comités Anti-Nucléaires) contre les projets de centrales nucléaires. Manifestation assez
violente à Paris. Sabotage à la centrale
de Fessenheim.
Nous publions ici la 2ème partie d’une «Histoire des luttes antinucléaires en France» qui en comporte quatre. Les deux autres
parties seront publiées dans nos prochains numéros. Il est possible de commander le texte complet (39 pages avec illustrations) pour 12 euros (port inclus) à l’adresse : Henry Chevallier «La Bertrande» 32400 FUSTEROUAU (Tél 05 62 09 08 25.
Courriel : [email protected] ). Chèque à l’ordre de Ende DOMAN.
L’auteur, Henry Chevallier, est animateur de Sortir du Nucléaire 32 (collectif membre du «Réseau Sortir du Nucléaire»,
coordonnateur de l’ouvrage «Nucléaire ? Non merci !» (publié par Utovie/Silence, 1993).
Histoire des luttes antinucléaires en France
(2ème partie : 1976-1985)
Dans la première partie, nous
avons relaté les débuts de l’opposition au nucléaire avec une campagne
ciblée contre l’armement atomique.
Ce fut le «non à toutes les bombes»
du MCAA, mais le «non à la Force de
Frappe» des partis et syndicats de
gauche. Forte mobilisation de «la
base» en 1964 puis enterrement total
de la campagne par les dites organisations de gauche. Il n’y aura que
quelques pacifistes pour dénoncer, à
partir de 1966, les méfaits de la
«Bombe coloniale» française en Polynésie. Après 1968 c’est le démarrage
des luttes contre l’électronucléaire,
contre des réacteurs en chantier (Fessenheim, Bugey) et contre des centrales en projet: Erdeven, Beg An Fry,
Pont-sur-Yonne et Port-la-Nouvelle
(projets qui seront mis au placard),
Braud-et-St-Louis (le Blayais), Gravelines, Paluel, Flamanville, Dampierre,
Cruas, Nogent-sur-Seine…, sans
oublier l’usine de retraitement de La
Hague en fonctionnement.
Superphenix : Superpholix
Une centrale de type particulier va
cristalliser les luttes en 1976 : c’est le
surgénérateur de Creys-Malville, baptisé
«Superphénix». Un surgénérateur, appelé aussi «réacteur à neutrons rapide»
(RNR) a pour combustible de l’uranium
naturel et du plutonium. Une «couverture» d’uranium naturel génère, par
ailleurs, du plutonium, ce qui fait dire à
ses promoteurs qu’un RNR produit plus
de plutonium qu’il n’en consomme. Cette
filière électronucléaire est la plus dangereuse de toutes. Le réacteur de Tcherno-
A CONTRE COURANT N° 203 - AVRIL 2009
byl, en explosant, aurait été au moins dix
fois plus polluant s’il avait contenu du
plutonium, radioélément artificiel le plus
toxique et à très longue période ( 25 000
ans pour perdre la moitié de sa radioactivité !). Un RNR est, enfin, un réacteur
particulièrement non fiable car son fluide
caloporteur, au lieu d’être de l’eau
comme pour les réacteurs PWR, est du
sodium liquide, élément qui prend feu au
contact de l’air et explose au contact de
l’eau.
Plus ieurs états nuc léaires s e
lancèrent dans cette filière mais avec de
graves déboires. En 1966 le RNR américain «Enrico Fermi», prés de Detroit,
frôle la catastrophe et doit être arrêté définitivement après seulement 30 jours de
fonctionnement. En 1974 le RNR soviétique de Chevtchenko subit un incendie
(feu de sodium ?). La liste est loin d’être
close… La France inaugura cette filière
avec les prototypes «Rapsodie» à Cadarache et « Phénix » à Marcoule. «Superphénix» devait être le plus gros RNR du
monde : 1200 mégawatts. La société
NERSA, consortium franco-italo-germanique, est le financeur de «Superphénix»
(la France, EDF, détenant 51 % des
parts). Deux hommes politiques sont ses
principaux promoteurs : Giscard d’Estaing, le président de la République, et
Raymond Barre, premier ministre et
maire de Lyon(1).
Dés le projet connu, les CAN et les
associations d’environnement de la Région Rhône-Alpes vont se mobiliser, informer et organiser le 10 juillet 1976 un
rassemblement sur le site en pré-travaux. Il y aura 20 000 manifestants dont
beaucoup d’habitants du pays. Des paysans ont attelé à un
tracteur un corbillard
sur lequel est écrit :
«voici ce qui vous attend» Dans une conférence de presse, le
Prof. Philippe Lebreton illustre le danger
du sodium en jetant un
gram m e du m étal
dans une bas s ine
d’eau: une explosion
projette une flamme à
dix mètres de hauteur
(le RNR devrait renfer-
- 12 -
mer 5000 tonnes de sodium…) Des manifestants cisaillent la clôture du chantier
et pénètrent dans le site. Les CRS interviennent, font évacuer des campings et
matraquent des antinucléaires (37 blessés dont 8 hospitalisés). A l’issue de ce
rassemblement, qui véritablement marqua des points, un «bulletin information
Malville» est réalisé : Super Pholix (à
partir de son n° 3 il s’intitulera «journal
des comités Malville»).
En 1976 sera aussi fondé le GSIEN
(Groupement des Scientifiques pour l’Information sur l’Energie Nucléaire) qui publiera La Gazette Nucléaire, revue indispensable faisant l’analyse technique de
l’actualité nucléaire. Ce sont principalement deux couples de physiciens qui animeront le GSIEN et sa revue: Monique et
Raymond Séné, Bella et Roger Belbéoch. Monique Séné rejoindra plus tard
les Verts et le Réseau Sortir du Nucléaire. Les Belbéoch animeront le Comité Stop Nogent. Anarchiste, Roger
Belbéoch ne voudra pas rallier une coordination nationale antinucléaire. Il restera toutefois, avec son épouse, au
GSIEN jusqu’en 2005.
Quand l'électoralisme écolo
montre son nez
Avant de poursuivre l’historique des
luttes antinucléaires, arrêtons-nous sur
un phénomène qui va, en fin de compte,
plomber l’Ecologisme et l’opposition au
nucléaire. Il s’agit de l’Ecologie électoraliste. Il serait trop long de faire ici l’analyse approfondie du phénomène. Posons seulement quelques questions essentielles. Etait-il utile que des «militants
écologistes», ou des personnes s’intitulant ainsi, participent à des élections ?
Dans quel but ? Pour uniquement informer leurs concitoyens dans le cas
d’élections sans chance d’être élu (législatives, cantonales) ? Pour espérer
d’être élu et de pouvoir défendre des actions «écologiques» au sein d’une assemblée (élections municipales, régionales, européennes) ? Pour, mais on ne
l’avouera pas, entreprendre une carrière
politique ? Mais avec quel programme ?
Avec quelle idéologie sous-jacente ?
Répondons rapidement. On peut,
d’abord, mener des actions revendicati-
Mise au point d’un lecteur
Un lecteur, Alain-Claude Galtié, nous a adressé une mise au point.
Alain-Claude Galtié a participé à l’alerte écologiste depuis les années soixante,
en contribuant à l’agence de presse réhabilitation écologique (APRE) et à Ecologie
dès le début, au bulletin des Amis de la Terre (le courrier de la Baleine), à la
Gueule Ouverte aussi. Il a connu le dynamique Comité Antinucléaire de Paris qui
était animé par Pierre Cuesta, Pierre Merejkowsky, “les Mellet” (un couple), Patrick
et Annie Pamelard...
En 1973/74, il a lancé une réflexion sur le risque totalitaire induit par la maîtrise
d’une technique aussi dangereuse et concentrée que l’énergie nucléaire (aux
antipodes de la récupération des communaux et de la maîtrise du quotidien qu’il
défend). En collaboration avec Pierre Samuel (qui venait du groupe Survivre et
Vivre), il a amorcé le développement de cette critique. Cela a donné un document
qui a été assez largement diffusé à l’époque. (si vous êtes intéressé, contactez-le :
[email protected] ) Cet aspect du risque nucléaire, un peu oublié depuis, lui
apparaissait encore plus important que les questions de pollution.
Le point qui chiffonne Alain-Claude Galtié dans le texte d’Henry Chevallier est
l’attribution du titre de président des Amis de la Terre à Brice Lalonde. "Il ne l’était
pas", nous écrit Alain Claude Galtié, qui ajoute : "Cela serait à peu près sans intérêt
si cela ne correspondait pas à l’une des premières manipulations d’importance qui
ont finit par faire couler le mouvement alternatif de l’époque; le plus radical, et le
plus cohérent avec les défis planétaires qui étaient parfaitement identifiés depuis
longtemps déjà.
Lalonde était un entriste du PSU, plus exactement un fidèle agent d’un Michel
Rocard en quête de tous les coups fourrés imaginables pour conquérir le pouvoir.
Lalonde avait déjà quelques heures de vol derrière lui quand il s’est glissé
discrètement dans le groupe écologiste le plus remuant, mais le moins bien
prévenu contre les magouilles politiciennes. Par exemple, il s’était fait élire président de l’UNEF Sorbonne en 1968 au terme d’une manipulation probablement
comparable à celles qu’il allait reproduire dans l’écologisme. Mais, mes compagnons et moi étions très loin de tout cela. Nous fûmes des proies faciles, écrit
Alain-Claude Galtié qui évoque le saccage de l’assemblée générale des Amis de
la Terre par la claque de Brice Lalonde dans «Trahisons du présent, sabotage de
l’avenir» (voir le blog : http://naufrageplanetaire.blogspot.com).
ves et avoir, assez souvent, gain de
cause sans avoir à entrer dans le jeu
électoral. C’est le cas des actions
menées par les associations de protection de la nature et de l’environnement et
les comités de défense. Ce fut le cas
pour la lutte au Larzac; ce fut le cas du
combat mené pour la libéralisation de la
contraception et de l’IVG. Cela s’appelle
faire du lobbying. Cela s’appelle aussi de
la démocratie car les actions sont en
principe décidées en assemblée, alors
que trop souvent un candidat à une élection est un «électron libre» qui peut dire
et écrire ce qu’il veut. En effet quel sera
la teneur du discours du candidat «écologiste» et quelle sera, dans les faits, la
politique qu’il mènera s’il est élu ?
Beaucoup ont confondu «Ecologie
politique» et «Electoralisme écologiste».
La vraie Ecologie politique, qui n’implique nullement un électoralisme, est une
démarche véritablement révolutionnaire
car c’est le refus de tous les piliers de
notre société hiérarchisée, capitaliste,
technocratique et militariste : la pseudodémocratie républicaine, les technologies inutiles, polluantes et dangereuses,
le lobby militaro-industriel…(2) Presque
tous nos braves écolos électoralistes
partirent en campagne avec un programme réformiste de type social-démoA CONTRE COURANT N° 203 - AVRIL 2009
crate qui évacuait ces questions primordiales.
Il y eu, au départ, des énormes malentendus, d’abord entre les écologistes
et les antinucléaires. Les premiers ne
comprirent pas que l’Ecologisme impliquait logiquement la disparition du nucléaire et de l’armement (qu’il soit nucléaire ou pas). Les seconds ne saisirent
pas qu’en refusant le nucléaire ils faisaient de l’Ecologie politique. Un dernier
malentendu vint de beaucoup d’organisations anarchistes qui, face au discours
réformiste et frileux de gens se disant
écologistes, considérèrent que l’Ecologie - ou l’Ecologisme - comme une idéologie «à la mode» professée par des
«petits bourgeois». Par exemple, ce
n’est qu’à son congrès de 1996 que la
CNT reconnut : «Nous avons eu tord de
délaisser ce terrain de lutte».(3)
Il n’y eut que trois écologistes électoralistes à mettre l’accent sur le refus du
nucléaire : Solange Fernex, Philippe Lebreton et Didier Anger. Les deux premiers étaient entièrement compétents
dans les domaines de l’Ecologie et, étant
élus, ils poursuivirent leur militantisme
de terrain. Anger, lui, devenu antinucléaire par nécessité (il habitait prés de
Flamanville et de La Hague), mènera
une carrière d’homme politique. Il fut un
- 13 -
bel exemple de «vert-rose», fustigeant
un jour les socialistes pronucléaires pour
s’allier avec eux le lendemain…(4)
Un exemple bien pire de carriérisme
politique sous l’étiquette «Ecologie» est
donné par Brice Lalonde. Lalonde se
forma à la magouille politico-militante en
étant président de l’UNEF et membre du
PSU. La légende veut qu’il tomba par
hasard sur l’officine des Amis de la Terre
France fondés principalement par le
journaliste Alain Hervé(5). Lalonde va vite
s’imposer aux AT. Il lance la manif «des
vélos, pas d’autos !» en 1972. Devenu
président des AT, il participe, en 1973, à
une croisière contre un tir atomique à
Mururoa, comme nous l’avons raconté.
Son antinucléarisme se refroidira car on
ne le verra pas à la manif de 1975 à Paris
«organisée» par les AT et le PSU, ni
dans le Comité Stop Nogent…
Déjà se profile la cassure entre la
classe politique écolo et les militants de
terrain qui reçoivent les grenades. En
1976 Lalonde se présente à une législative partielle dans le 5ème arrondissement de Paris. Il a pris comme suppléant
le brave René Dumont, le «candidat des
écologistes» à l’élection présidentielle
de 1974. Chose grave, Lalonde va utiliser le Réseau des Amis de la Terre
France comme cheval de bataille pour
son carriérisme politique. La coloration
politique des écolos électoralistes commence à se manifester. Lalonde s’appuie surtout sur des «gauchistes» parisiens à la sauce PSU, ce PSU qui se met
à lorgner vers le PS…(6)
A Paris s’est créé aussi le Mouvement écologique occupant un petit local
de la «Cité fleurie», cité d’artistes du bvd
Arago. Ce collectif, plutôt sympathique,
se proclame indépendant. En Alsace,
Solange Fernex et Antoine Weachter ont
été des pionniers dans l’électoralisme
écolo. Le «groupe des Alsaciens» sera
taxé de droitisme sans doute parce que
Solange est croyante.. Dans des élections des groupuscules écolos pourront
entrer en concurrence et se faire des
«coups tordus».. A partir de 1977 cet
électoralisme va accaparer l’énergie de
beaucoup de militants au détriment des
luttes de terrain, mais va aussi écoeurer
des personnes qui croyaient en une Ecologie sincère et constructive. Le désastre
de la manif de Malville sera la triste illustration de cet état de fait.
Le désastre de Malville
(1977)
Le rassemblement de juillet 76 avait
jeté les bases d’une organisation focalisée contre «Superphénix». En début 77
des «assises des comités Malville» définissent des actions radicalisées: «action
directe, désobéissance civile, campagne
d’autoréduction des factures EDF» et
«feu vert à toute action qui peut retarder
ou bloquer les travaux (…) l’initiative de
la violence étant laissée à EDF et ses
électro-flics». En mars un commando
subtilise dans les locaux de la NERSA
des documents révélant toutes les entreprises impliquées dans la construction
du RNR. Ces informations sont publiées
dans Super Pholix (n°11). Une Coordination Rhône Alpes prend le relais des assises pour préparer un grand rassemblement «offensif», mais «pacifique», sur le
site, en juillet (Super Pholix n°12 et 13).
Un autre périodique militant, la
Gueule ouverte, lance aussi, de son
côté, des mots d’ordre. Cette revue n’a
pourtant plus la réflexion de ses premiers
numéros, due à la houlette de Pierre
Fournier. Elle est dirigée par Isabelle Cabut (l’épouse de Cabu), avec pour rédacteur principal un dénommé Arthur. En
juin 77, la Gueule ouverte, en difficultés,
a dû s’associer à Combat Non-violent
l’organe du MAN (Mouvement pour une
Alternative Non-violente). Pour la campagne anti-Malville la Gueule ouverte,
surtout sous la plume d’Isabelle Cabut,
prend des positions brumeuses et contradictoires: débordement par la non-violence des forces de l’ordre et occupation
du chantier ! Ces mots d’ordre irréalistes
et aventuristes peuvent faire craindre le
pire comme votre serviteur se permet de
l’écrire dans Ecologie hebdo n°246 (nouvelle appellation de APRE/hebdo). Un
cafouillage dés juillet confirme ces craintes avec la dissolution de la Coordination
Rhône Alpes et son remplacement par
une nouvelle coordination «(qui) se mettra en place le 20 juillet avec représentation de tous les groupes et comités présents à Malville à cette date». C’est l’improvisation la plus totale !
Nous ne raconterons pas le déroulement de la manifestation du 31 juillet qui
rassembla 60 000 personnes, renvoyant
à l’ouvrage réalisé par un «Collectif
d’Enquête» et publié en 1978(7). Si le
rassemblement est mal préparé avec
des objectifs contradictoires, l’Etat
français a décidé d’utiliser les grands
moyens pour stopper les manifestants et
pour casser les reins au mouvement antinucléaire de nature, disons le, spontanéiste et soixanthuitard. Cinq mille
CRS et gendarmes mobiles forment un
rempart infranchissable autour du chantier de la centrale. Les donneurs d’ordre
sont le ministre de l’intérieur Christian
Bonnet et le préfet de l’Isère René Jannin, particulièrement décidé à «casser
les casseurs». Une pluie continuelle et
des champs boueux aggraveront les
choses.
Outre les grenades lacrymogènes
«classiques», les policiers lancent des
lacrymogènes explosives (types Alsetex
GLI et GLEP) et des grenades offensives
soufflantes (modèle OF 37). Ces grenades feront des blessés graves et un mort.
Michel Granjean a un pied arraché, Manfred Schutz des doigts sectionnés. Main
arrachée aussi pour un gendarme mobile. Le mort est Vital Michalon jeune
A CONTRE COURANT N° 203 - AVRIL 2009
professeur de physique qui a le poumon
éclaté par une grenade offensive. Thèse
officielle : «crise cardiaque» ! Les matraquages feront, en outre, une centaine de
blessés. Lors de la dispersion du rassemblement des policiers arrêtent des
manifestants et tout particulièrement des
étrangers. Le préfet a, en effet, monté
une campagne de xénophobie politique :
les révolutionnaires allemands ont envahi la France ! Douze arrêtés seront traduits en justice sous le coupe de la «loi
anti-casseurs» de 1970.
Malville sera un désastre pour les antinucléaires du fait d’une absence de riposte appropriée. Une bonne organisation militante aurait pu retourner la situation en déclanchant une campagne d’indignation remobilisatrice. C’est, au contraire, le défaitisme qui prévalut. Les titres de la presse militante ou contestataire sont révélateurs : «60 000 sous la
pluie» (Super Pholix n°14), «Irons-nous
jusqu’à la guerre civile ?» (la Gueule
ouverte du 4 août), «Malville 77 : et demain ?» (Ecologie hebdo antidaté du 5
août: sa rotative se trouvait curieusement en panne après la manif ),
«Préméditation !» (Rouge du 1er août),
«Le nucléaire tue» (Libération du 1er
août)…
Le rassemblement du Larzac, le 15
août, avec presque autant de monde que
pour Malville, aurait pu être l’occasion de
définir une riposte à la répression. Ce ne
fut nullement le cas. Nous nous
retrouvâmes seulement quelques dizaines pour nous concerter pour le procès
en appel des inculpés de Bourgouin (voir
ci-après). Sur une colline voisine des
écolos s’étaient réunis pour préparer les
législatives de 78. Finalement les écolos
et les gauchistes «politiciens» n’étaient
pas fâchés de la déroute des antinucléaires anarchisants. Alain Krivine l’avouera:
«La force des mobilisations de cet été
[Malville, Larzac, ainsi que l’opposition
au barrage de Naussac lié au nucléaire],
leur combativité représentent un
phénomène important que nous avons,
pour notre part, sous-estimé» (Rouge du
16 août).
Epilogue. Les 12 inculpés passèrent
en jugement au Tribunal de Bourgouin le
6 août et subirent une parodie de justice
- 14 -
avec des témoignages inconsistants de
policiers. Le verdict sera un emprisonnement ferme pour 6 manifestants (dont 5
allemands). Même verdict en appel à
Grenoble le 24 août. Le 5 août, à Paris, il
n’y eu que 2000 personnes pour manifester un soutien aux inculpés. Toujours au
début d’août des cocktails molotov sont
jetés sur des locaux EDF à Paris, Toulouse et Gap. En novembre une «vague
d’attentats à l’explosif» a lieu. Ce sera
une «nuit bleue» revendiquée par un collectif anarcho-autonome s’intitulant CARLOS. Ce collectif ensuite s’autodissoudra. Quant à Isabelle Cabut, l’égérie de la
prise d’assaut du chantier de Malville par
la non-violence, elle quittera la Gueule
ouverte…pour finir au PS…
L’après Malville (1978-1980)
La bérésina de Malville va entraîner:
1°la démobilisation de beaucoup («c’est
la dernière fois que je manifeste contre le
nucléaire»), 2°la voie électorale «pour se
faire entendre» (campagne «Ecologie
78» avec de nombreux candidats écolos
aux législatives), 3°la focalisation des luttes sur des sites d’implantation de nouveaux réacteurs (Golfech, Plogoff,
Chooz, Le Pellerin-Le Carnet, Nogent-sur-Seine…), 4° le développement de l’argumentaire techno-alternatif pour démontrer que l’énergie nucléaire peut être remplacée par des
énergies «écologiques» non polluantes, non dangereuses, décentralisées
et peu onéreuses.
1979 sera l’année du premier accident majeur dans une centrale nucléaire, évènement qui enrichira l’argumentaire antinucléaire. Le 28 mars
79, le réacteur n° 2 de la centrale de
Three Mile Island (prés d’Harrisburg,
Pennsylvanie) subit «l’excursion nucléaire» : la fonte du cœur et la rupture du circuit primaire. Le niveau catastrophique fut évité de justesse car
l’hydrogène libéré n’explosa pas comme
ce fut le cas à Tchernobyl. Les USA
jouèrent la transparence et firent évacuer
300 000 habitants durant quelques jours.
Le réacteur devint une cocotte-minute
bourrée de radioactivité. Sa décontamination durera des années et coûtera un
milliard de dollars. Le ministre français de
l’Industrie, André Giraud, minimisera l’accident.
En décembre 79 se déroule l’enquête
publique du projet de la centrale de Golfech (Tarn-et-Garonne). Des opposants
«fissurent» le dossier de l’enquête, c’està-dire déchirent publiquement ses pages.
La mobilisation de la population est importante. Beaucoup de municipalités sont
contre le projet. Une pétition de 30 000
signatures est portée à l’Elysée en février
80: la Présidence refusera de recevoir les
antinucléaires ! Très forte mobilisation
aussi à Plogoff où une enquête publique
se déroule le même mois: rassemblement de 25 000 personnes sur le site à la
Pointe du Raz(8).
Le politicarisme viendra malheureusement ternir cette belle mobilisation des
populations. La gauche parlementaire se
trouve très embarrassée. Risque-t-elle
de perdre des électeurs en se déclarant
contre le nucléaire ? Risque-t-elle d’en
perdre davantage en se déclarant favorable ?
A Golfech le MRG aux mains de la
famille Baylet (journal la Dépêche du
Midi) se positionne contre la centrale
(Mme Baylet mère est parmi les «fissureurs» !). Les socialistes du Conseil
Général du Tarn-et-Garonne et ceux du
Conseil Régional de Midi-Pyrénées se
prononcent aussi contre. Le PCF reste
inébranlablement pour. A Plogoff, Paul
Quilés, secrétaire national du PS, déclare : «Nous refusons le tout-nucléaire»
(mais non le nucléaire…) Le PS s’efforcera de ménager la chèvre et le chou, de
temporiser, de jouer la montre…dans
l’attente de l’élection présidentielle de
81. Il utilisera aussi la tactique de la
«taupe rose», en infiltrant les associations et les comités, en distillant l’utopie
mitterraniste chez les contestataires (un
propagandiste PS s’affichant antinucléaire et écolo sera le vulcanologue Haroun Tazieff).
Incertitude aussi du côté des écolos
électoralistes. Le Mouvement écologique s’est fondu en un MEP (Mouvement
d’Ecologie Politique). En mai 80, des assises réunissent, à Lyon, le MEP et les
Amis de la Terre. Brice Lalonde tentera
de s’imposer comme candidat à l’élection présidentielle. Ca commence à puer
le magouillage et la guerre des chefs.
Pourtant les antinucléaires «indépendants» et les populations «apolitiques»
sont en progression. La «Pentecôte antinucléaire» de Plogoff (mai 80) rassemble 100 000 personnes. Malville parait
vengé. Une première Coordination nationale antinucléaire, serpent de mer qui
aura une gestation longue et difficile, appelle à un rassemblement à La Hague
avec le CCPAH (Comité contre la pollution atomique de La Hague) en juin 80. Il
y aura 50 000 personnes, mais une pluie
torrentielle ruinera une nuit musicale et
plombera financièrement le CCPAH.
Le CAN Golfech crée le journal le
Géranium enrichi, constitue un GFA
(groupement foncier agricole) pour geler
des terrains sur le site, y construit une
«Rotonde» abritant «Radio-Golfech» et
organise trois jours d’animations qui attirent 10 000 personnes en septembre 80.
La station météo préparant le chantier
est incendiée à cette occasion.
de centrales seront abandonnés, ainsi
que (peut être ?) les centrales en début
de chantier, pas de nouveaux projets,
ouverture d’un vaste débat public sur le
nucléaire et l’énergie… Des opposants
n’hésitent pas à prendre position. Le Bureau du CAN Golfech écrit : «Nous sommes convaincus qu’une victoire de la
gauche soulèverait une véritable vague
d’espoir chez tous les citoyens désireux
de changer les choses. Rappelons nous
1936 et le Front populaire, etc.» La démocratie dans la lutte n’est plus respectée. Une AG de tous les groupes du SudOuest (la coordination régionale qui
existe en principe) devait se prononcer.
Ceux qui ne se font pas d’illusions sur le
PS et Mitterrand se sentent floués…
Côté écologistes, les primaires pour
désigner le candidat ont été saignantes.
Les deux favoris furent Philippe Lebreton
et Brice Lalonde. Lalonde, en vieux professionnel du magouillage étudiant parisien, avait rameuté ses troupes : de jeunes bobos de gauche du Quartier Latin.
Grâce aussi au miracle des pouvoirs de
vote, il fut élu. Les sondages révèlent un
faible score en sa faveur. Par contre, Coluche qui se permet de ridiculiser les
élections est crédité de plus de 10 %...
Lalonde obtiendra 3,87 % et ne donnera
pas de consigne de vote pour le 2ème
tour, à l’inverse des partis gauchistes.
Beaucoup d’écolos et d’antinucléaires
voteront Mitterrand au 2ème tour. «On a
gagné !» crie-t-on dans «La Rotonde» de
Golfech après l’élection de Mitterrand.
Au mois de juin le CAN Golfech se
met à croire un peu moins aux promesses socialistes car les travaux de la centrale se poursuivent. Restant cependant
optimiste, il présente un candidat aux législatives sous l’étiquette «Golfech Alternative». En juillet le Conseil des ministres confirme l’abandon de la centrale de
Plogoff et annonce la suspension de la
construction de cinq centrales dont Golfech. La plupart des élus du pays qui
étaient contre la centrale réclament
maintenant la poursuite des travaux. Les
retournements de veste, les Baylet en
tête, se multiplieront.
La tension s’accroît; les antinucléaires durcissent les actions. Le 4 octobre,
une marche de 4000 manifestants se ter-
Les 6 et 7 octobre, le grand débat
promis par le PS se réduit à des séances
à l’Assemblée nationale où le gouvernement fait savoir sa décision de poursuivre le programme électronucléaire et de
lever le gel des travaux des centrales en
construction.
Le 29 novembre nouvelle mobilisation offensive des antinucléaires de Golfech. Mais cette fois c’est la répression la
plus sauvage. «La Rotonde» est incendiée. Les gendarmes mobiles lancent
des grenades offensives, brûlent des
voitures de manifestants avec des
chiens dedans, attaquent la halle de Valence-d’Agen où se tient un meeting. A
20 h 30 des policiers (dont des gendarmes parachutistes) reviennent dans la
halle pour coffrer des militants attardés.
Ceux-ci sont conduits dans deux gendarmeries où ils sont tabassés pendant plusieurs heures. Le gouvernement a
changé, mais les matraqueurs restent
les mêmes.
Le CAN réalise son erreur d’avoir appelé à voter Mitterrand. «A Golfech démocratie bafouée. Renvoyez votre carte
d’électeur» dit une affiche. Comme l’écrit
le CRAS dans son gros bouquin : «1981
portera le fruit de la défaite. Un très bel
exemple du mensonge démocratique, un
très beau retournement de veste d’élus,
mais surtout une monstrueuse crédulité
populaire».
Les années noires
(1982-1985)
Le gouvernement PS va violer
tous ses engagements sur le nucléaire. La construction de réacteurs
est poursuivie pour huit centrales.
Pas de moratoire pour le RNR de
Malville. L’usine de retraitement de
La Hague continue à s’agrandir (atelier UP 3). Pas de moratoire pour les
essais nucléaires (le 3 août 81 fut
«testé» à Mururoa une bombe à
neutrons).
La gauche au pouvoir (1981)
L’approche de l’élection présidentielle va jeter la confusion chez les antinucléaires, les écologistes et même
chez bon nombre de gauchistes. Le PS
avance de belles promesses : les projets
A CONTRE COURANT N° 203 - AVRIL 2009
mine par l’invasion du site et par un affrontement avec les gendarmes mobiles.
Des installations et du matériel sont détruits sur le chantier.
- 15 -
Le moral des antinucléaires est au
plus bas. Le CAN Golfech se met en
quasi sommeil après mai 82, ébranlé
aussi par une sombre affaire d’un de ses
animateurs retrouvé assassiné (mais
cela n’avait rien à voir avec un assassinat politique). Dans le secteur de Malville
et à Lyon des irréductibles continuent à
s’opposer au surgénérateur en plein
chantier. Super Pholix cède la place à
une revue sous-titrée «Ecologie. Alternatives. Non-violence» : Silence, qui sera
gérée démocratiquement.
La principale organisation antinucléaire à occuper le terrain sera
Greenpeac e avec s a s uc c urs ale
française ayant pignon sur rue à Paris.
Mais Greenpeace France est dépourvue
d’une base militante ce qui la rend
particulièrement vulnérable; nous le verrons plus loin avec le honteux plastiquage du Rainbow Warrior.
Le PS va faire peser une chape de
silence sur le nucléaire, mais aussi sur
d’autres graves problèmes d’environnement et de santé publique (amiante, agriculture chimique, pollutions industrielles…) Les socialocrates feront tout pour
museler, torpiller, calomnier, infiltrer,
soudoyer ou récupérer les organisations
militantes et la presse écolo-alternative.
Le Sauvage a disparu avant l’élection
présidentielle, liquidé, selon Alain Hervé,
parce qu’il refusait de rouler pour Mitterrand. Libération est depuis longtemps
noyautée par le PS. Les Amis de la Terre
semblent mettre le pied sur le frein, ayant
peut être touché des subsides, tout
comme certaines grandes associations
de protection de la nature et de l’environnement. Le gouvernement PS phagocytera le PSU en nommant Huguette Bouchardeau, sa secrétaire, secrétaire d’état puis ministre de l’environnement. Il
n’y eu pas de congrès au PSU pour accepter ou refuser cette participation. Le
parti, saigné ainsi par le départ de ses
cadres vers le PS, n’en survivra pas.
En 1983, suite à l’installation en Allemagne et en Angleterre de missiles US,
le PCF et sa filiale le Mouvement de la
Paix, les socialistes sous des bannières
syndicales, les gauchistes, les écolos et
les pacifistes appellent à manifester. Ce
sera une manipulation similaire au rassemblement de Sceaux de 1964 que
nous avons raconté. Pour le PCF les méchantes bombes sont américaines. Le
CODENE, éphémère collectif, vilipende
les bombes des USA et celles de
l’URSS. Et la Force de Frappe dans tout
ça ? Edmond Maire de la CFDT expliquera qu’elle se justifie face aux missiles des deux super-grands. C’est donc :
«non à ta bombe ! oui à ma bombe !»
Lamentable…
En 1984 la Coordination nationale
antinucléaire (qui fonctionne avec un
secrétariat confié à tour de rôle à un
CAN) éclate. Le serpent de mer replonge dans les profondeurs…
Rainbow Warrior ? coulé !
Greenpeace n’avait pas lâché les
baskets de la France quant à ses tirs
atomiques à Mururoa. En 1985 son navire amiral, le Rainbow Warrior doit intervenir lors d’un tir. Le gouvernement
français, surtout en la personne du président Mitterrand, est bien décidé à
empêcher qu’une organisation écolo internationale dévoile à l’opinion publique
la poursuite des essais nucléaires
français en Polynésie et ses conséquences, sur les habitants, sur les travailleurs embauchés à Mururoa et sur
les militaires, tous exposés à la radioactivité, faits d’autant plus révoltants que
commis par un gouvernement «de gauche».
Le 10 juillet le Rainbow Warrior, en
escale dans le port d’Auckland (Nouvelle Zélande), est secoué par une explosion. Les pacifistes évacuent le navire, mais le photographe de l’expédition, Fernando Pereira, remonte à bord
pour chercher son matériel. Une seconde explosion perfore le bateau qui
coule aussitôt. Pereira périra noyé.
Ce sont les services secrets français
(la DGSE) qui sont responsables de l’attentat, réalisé d’une façon digne des Dupont et Dupond. La polic e néozélandaise arrête un curieux couple de
touristes qui trimbalait du matériel de
plongée. On découvre aussi la présence
d’un mystérieux bateau bourré de matériel radio (ce bateau transportait des
nageurs de combat d’un centre de
Corse). Une troisième équipe avait été
aussi débarquée depuis Tahiti à Auckland. Enfin une femme-officier de la
DGSE avait infiltré l’équipage du Rainbow Warrior en se faisant passer pour
une universitaire. En tout une trentaine
de personnes (dont le frère
de Ségolène Royal) avait été
mobilisée dans cette rocambolesque opération baptisée
«Satanic» (les barbouzes
ont un humour…)
La France parviendra à
éviter le scandale de la
manière la plus méprisable.
Le ministre de la Défense,
Charles Hernu, et un patron
des services secrets servent
de fusibles et doivent démissionner. Mitterrand gardera
A CONTRE COURANT N° 203 - AVRIL 2009
- 16 -
les mains propres… Les «faux époux Turenge» (le couple arrêté) sont libérés
après une tractation entre la France et la
Nouvelle Zélande. Ils seront ensuite
médaillés et on fera un film sur leurs «exploits» ! Une campagne ignoble sera orchestrée contre les écolos-pacifistes :
«Greenpeace a été soudoyé par le
KGB». Commentaire de Laurent Fabius,
premier ministre : «Greenpeace n’avait
qu’à s’occuper des bébés phoques».
Quant à Huguette Bouchardeau, elle
ferme sa gueule…
Cette répression criminogène aurait
du donner lieu à des manifestations d’indignation. Cela ne fut pas le cas pour
plusieurs raisons. Greenpeace, et en
particulier son bureau français, fonctionnait avec un militantisme élitiste et fermé,
à la manière de l’équipe de la fondation
Cousteau. Si l’organisation en France se
prévalait de milliers de membres, il s’agissait d’abonnés à la revue, de cotisants
et d’acheteurs de tee-shirts. Les autres
organisations antinucléaires se trouvaient, nous l’avons évoqué, au plus bas.
Il n’existait plus de coordination nationale
et le MDPL ( ex MCAA) était devenu fantomatique. L’affaire du Rainbow Warrior
se solda, ainsi, par une capitulation de
l’opposition au nucléaire et par l’affirmation du totalitarisme de la gauche parlementaire dans le domaine du nucléaire
militaire et civil.
(à suivre)
Henry Chevallier
(1) L’APRE a publié un très bon dossier
sur « Superpholix » dans le n°spécial
(n°7) de Ecologie (3 ème trim. 1976)
(2) Il s’agit de l’Ecologie libertaire, la
«deap ecology» professée aux USA par
Murray Bookchin (décédé en 2006). Pour
moi l’Ecologisme est forcément libertaire
et tout anarchiste devrait être écologiste.
(3) Le vent se lève (périodique de la
FTTE filiale de la CNT), n°6, printemps
2006.
(4) Didier Anger : «Silence on contamine»
(chez l’auteur, 1987)
(5) Alain Hervé, poussé sur la touche par
Brice Lalonde, se consolera en fondant
Le Sauvage ,filiale écolo du Nouvel
Observateur. Hervé écrit actuellement
dans l’Ecologiste, édition française de
The Ecologist.
(6) Le temps est bien fini oùle PSU
épaulait le MCAA. Michel Rocard, son
secrétaire, s’affiche pronucléaire. Il
quittera le PSU pour le PS comme
chacun le sait.
(7) «Aujourd’hui Malville demain la
France. Livre Noir» (édit. La pensée
sauvage, 1978)
(8) Les évènements de Golfech et
l’analyse des luttes antinucléaires et
écologistes en France sont relatés dans
le « pavé » de 587 pages réalisé par le
CRAS, groupe libertaire toulousain. :
«Golfech le nucléaire. Implantation et
résistances» (édit. CRAS-Collectif La
Rotonde, 1999)
Nous publions ici la 3ème partie d'une "Histoire des luttes antinucléaires en France" qui en comporte quatre. La dernière
partie sera publiée dans notre prochain numéro. Il est possible de commander le texte complet (39 pages avec illustrations) pour
12 euros (port inclus) à l'adresse : Henry Chevallier "La Bertrande" 32400 FUSTEROUAU (Tél 05 62 09 08 25. Courriel:
[email protected] ). Chèque à l'ordre de Ende DOMAN.
L'auteur, Henry Chevallier, est animateur de Sortir du Nucléaire 32 (collectif membre du "Réseau Sortir du Nucléaire",
coordonnateur de l'ouvrage "Nucléaire ? Non merci !" (publié par Utovie/Silence, 1993).
Histoire des luttes antinucléaires en France
(3ème partie : 1986-1996)
En 1985 l’opposition en France au
nucléaire se trouva au plus bas,
conséquence principale de l’affaire
du Rainbow Warrior. Il n’y eu pas de
réponse militante à cet attentat
criminogène commis par l’Etat
français. Greenpeace France eut son
bureau dissous par Greenpeace international ; le MDPL (ex MCAA) était
devenu fantomatique le Réseau des
Amis de la Terre avait été décimé par
le politicarisme d’un Brice Lalonde ;
une Coordination nationale antinucléaire n’existait plus ; le parti écolo
Les Verts , créé en 1984, était englué
dans l’électoralisme ; des organisations de protection de la nature se
trouvaient « achetées » par le gouvernement PS…
Tchernobyl (1986)
La prophétie des antinucléaires à savoir le risque de l’accident majeur, explosion d’un réacteur, se concrétisa tragiquement avec la catastrophe de
Tchernobyl, en URSS, le 26 avril 1986.
Le réacteur n°4 de cette grosse centrale nucléaire, située prés de Kiev
(Ukraine), se trouva mal piloté dans le
cadre d’un «exercice» simulant une
baisse de puissance (!). Une excursion
nucléaire engendre la fusion du combustible et un dégagement d’hydrogène.
Une terrible explosion se produit soulevant la dalle de béton coiffant le réacteur. Un nuage radioactif, poussé par
les vents, atteint la Scandinavie, puis
balaie l’Europe moyenne et gagne la
Suisse, le nord de l’Italie, la Corse, la
France et la Grande Bretagne.
En France, le gouvernement est
passé à droite, suite aux Législatives de
mars 86. Mitterrand, refusant de démissionner, est resté Président de la République. Tous les ministres vont nier le
danger des retombées nucléaires, alors
que les autres pays européens touchés
ont pris des mesures sanitaires (non
commercialisation des produits agricoles frais, non récolte du foin…). Citons
ces ministres, auteurs de mensonges
ou de silences criminels : Jacques Chirac (premier ministre), Michèle Barzach
(santé), Alain Carignon (environnement), François Guillaume (agriculture),
Alain Madelin (industrie) et Charles
Pasqua (intérieur). Autre désinformateur avec Michèle Barzach: le Prof.
Pierre Pellerin directeur du SCPRI(1).
La catastrophe de Tchernobyl et sa
«gestion» par les autorités françaises
vont réveiller bon nombre de militants.
A Paris une manifestation de 5000 personnes regroupe les Verts (voir ciaprès), des gauchistes (surtout la LCR)
et des anarchistes. Mille manifestants
aussi à Toulouse. Des CAN se réactivent: Rassemblement de 15 000 manifestants à Cattenom. Le CAN Golfech
renaît sous la forme d’une association à
Agen: VSDNG (Vivre sans le Danger
Nucléaire de Golfech) et d’une coordination régionale: Stop Golfech.
A Montélim ar une biologis te,
Michèle Rivasi, avec d’autres scientifiques, entreprend des relevés de radioactivité, contre-expertises face aux
falsifications du SCPRI. Rivasi peut
s’exprimer à la télé en septembre
(émission de Michel Polac) pour annon-
A CONTRE COURANT N° 204 - MAI 2009
-13-
cer la création d’un laboratoire indépendant: la CRII-Rad. En Normandie une
association similaire voit le jour: l’ACRO
(Assoc .pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest).
Des publications «underground»
révèlent les conséquences de Tchernobyl, en particulier la contamination en
France des sols, des plantes, du foin, du
thym, du lait de brebis, de l’eau de réservoirs…(le Cri du Rad, publication de
la CRII-Rad, la Gazette nucléaire, revue
du GSIEN…)
Un médecin exerçant en Corse, le Dr
Denis Fauconnier, constate une augmentation significative des thyroïdies en
Haute Corse en 1986 et 1987. Dans les
années suivantes études et ouvrages
s’accumulent montrant l’ampleur des
pathologies engendrées par la catastrophe - surtout en Ukraine et en Biélorussie -, révélations réfutant la désinformation perpétrée par des organismes nationaux (comme le SCPRI en France) et
internationaux (l’AIEA, Agence Internationale de l’Energie Atomique, exerçant
une pression sur l’OMS, Organisation
Mondiale de la Santé).
Les Verts
L’émergence en Europe de partis
écologistes s’intitulant «les Verts» (principalement en Allemagne Die Grünen
qui ont obtenu 28 sièges au parlement
en 1983) va inciter les écologistes plus
ou moins électoralistes français à créer
une structure similaire. Trois formations,
après de laborieuses tractations, parviennent à s’unir pour créer, en janvier
1984, Les Verts. Confédération écologiste – Parti écologiste.
Les Verts rejoignent rapidement le
réseau international Les Verts Européens. Trois élections sont aussitôt
visées : les Européennes et les Régionales en 84, les Législatives en 86. Mais
ce sera compter sans un nouveau magouillage de Brice Lalonde, furieux de
ne pas avoir été accueilli à bras ouverts
chez les Verts, suite à sa position acceptant le nucléaire. Aux Européennes
Lalonde crée, avec des caméléons politiques, une liste, ERE (Entente Radicale
Ecologiste), qui empêchera les Verts de
dire, si on se permet le
pléonasme, de militants
également radicalement
antinucléaires, antimilitaristes, pacifistes et démocrates dans le sens
d’une démocratie directe et autogestionnaire. Il ne faut alors pas
s’étonner des positions
frileuses et ambiguës
que manifesteront les
Verts vis-à-vis du nucléaire et du lobby militaro-industriel.
Relance des
luttes (1987-1988)
Tchernobyl n’est pas
la seule cause de la relance des luttes antinucléaires, mais aussi le
Extrait d'une interview de Lalonde au Figaro illustrée par développement incroyaRiss dans Charlie Hebdo du 26 mai 1993
ble, en Franc e, de
l’électronucléaire et du
franchir la barre des 5 %. Les Verts se
nucléaire militaire. De 1984 à 1989 vingt
consoleront un peu avec quatre élus
et un nouveaux réacteurs sont mis en
conseillers régionaux. Les Législatives
service. Le surgénérateur «Superphéseront un nouveau fiasco pour les Verts,
nix» se met à collectionner des avaries
échec qui ruinera certains candidats.
inquiétantes (dont une fuite de sodium).
(c ’es t
beau
le
m ilitantis m e
Les déchets nucléaires s’accumulent et
électoraliste !)
le centre de stockage de La Hague se
trouve saturé. Les tirs atomiques souterQui composent les Verts ? Le parti
rains se poursuivent à Moruroa: 8 tirs
est une sorte d’auberge espagnole raspar an de 1985 à 1988. En 85 un
semblant des anciens du PSU et autres
sixième sous-marin nucléaire est lancé :
sociaux-démocrates «ayant le cœur à
«l’Inflexible».
gauche» (Didier Anger, Yves Cochet,
Pierre Radanne, Etienne Tête…), des
Les antinucléaires de Lyon et de
anciens maoïstes, quelques anciens du
Malville (le Comité Malville et la revue
PCF (Jean Brière), enfin des écolos
écolo Silence) lancent une campagne
«weac hteriens » s ans idéologie
de signatures pour l’arrêt de «Superphémarxiste. Cette dernière tendance denix» (130 000 signatures recueillies).
viendra majoritaire en 1986. Avec cette
Sur l’estuaire de la Loire une résistance
majorité, le parti s’intitule «indépense poursuit contre l’implantation d’une
dant», refusant toute alliance et tout décentrale. Un premier site, Le Pellerin,
sistement au profit d’une autre formation
doit être abandonné. Un nouveau projet
politique («l’Ecologie n’est pas à
voit le jour pour le site du Carnet(2).
marier !» répète Antoine Weachter).
L’information sur les dangers du nuCette position est tout à fait originale
cléaire se traduit par des conférences
dans le paysage politique français (mis
de Michèle Rivasi, Pierre Radanne,
à part les anarchistes qui se proclament,
Louis Puiseux…
eux aussi, ni de gauche, ni du centre, ni
Au lendemain d’une AG nationale
de droite).
des Verts, se crée un Réseau pour un
Le parti les Verts porte pourtant en
avenir sans nucléaire. Le principal prolui ses fragilités. Les sociaux-démocramoteur de ce collectif est Didier Anger.
tes et les marxistes ne rêvent que d’obLe Réseau fait paraître un fascicule très
tenir la majorité pour amener le parti à
modéré (le titre du Réseau était révélarejoindre l’armada des organisations de
teur)(3) et prépare une manifestation
gauche. L’opposition au nucléaire est un
pour le 20 juin 87 à Paris. Cette manides principes des Verts, mais nombre
festation regroupera essentiellement
d’entre eux n’en font pas une priorité.
des militants de CANs (plus de 5000
L’opposition à l’armement et à l’armée
manifestants). Silence total des médias,
est surtout l’idéal de pacifistes non vioen particulier de Libération. Une ardoise
lents comme Solange Fernex. Beaude 110 000 F devra être épongée par un
coup des Verts admettent, paradoxalegroupe libertaire parisien, Didier Anger
ment, la «nécessité d’une défense»,
ne s’étant pas manifesté pendant et
mais qui serait européenne et non natioaprès la manif. Ce beau Réseau antinunale et sans armes nucléaires ! Bref, le
cléaire national aura une vie éphémère :
parti ne compte en ses rangs que très
il s’éteindra en 1990.
peu de véritables écologistes, c’est-àEn janvier 1988, le Conseil général
A CONTRE COURANT N° 204 - MAI 2009
-14-
du Tarn-et-Garonne voulant sans doute
se dédouaner de «l’opacité» du programme électronucléaire, lance, à Montauban, un colloque intitulé «Nucléaire,
santé, sécurité». Ce colloque sera très
instructif car les intervenants comprennent des scientifiques indépendants : le
Dr Fauconnier, Michèle Rivasi, les Belbéoch, les Sené… Seule fausse note:
un désaccord entre des groupes antinucléaires, les uns appelant à un boycott
du colloque, les autres à une participation critique. Ce fut un exemple du manque de démocratie dans un stratégie de
lutte : la coordination Stop Golfech
aurait dû se réunir avant le colloque
pour définir une position commune aux
groupes(4).
A l’inverse de ce cafouillage, imputable à des militants «professionnels»,
une opposition unitaire exemplaire se fit,
en 1988, contre des projets de stockages souterrains de déchets nucléaires.
Les «gens du pays» se mobilisent dans
des sites prévus en Maine-et-Loire,
dans l’Ain, dans l’Aisne, à Istres (13) et
à Neuvy-Boin (79). A Neuvy-Boin pratiquement toutes les communes du pays
(230) sont contre le projet. Des rassemblements sur le site (une magnifique
forêt aux rochers semblables à ceux de
Fontainebleau) atteignent 20 000 personnes. C’est l’échec total pour l’ANDRA, l’agence chargée du programme.
Le stockage de déchets radioactifs ne
pourra se faire, à partir de 1992, qu’à
Soulaines (Aube).
L’âge d’or des verts
(1988-1989)
Les Verts ont désigné leur candidat à
l’élection présidentielle: Antoine Weach-
ter. La campagne des écolos sera difficile à mener: moyens financiers insuffisants, consigne faite par le PS et le
MRG aux élus de leur parti de ne pas
parrainer Weachter… Lalonde, de son
côté, va rejoindre le PS auprès de Rocard (un ancien du PSU comme lui) et
d’Allègre. Il appellera à voter Mitterrand
au premier tour. Les socialocrates le remercieront en le nommant secrétaire
d’état à l’environnement. Weachter obtiendra un score similaire à celui de Lalonde en 1981. Il n’appellera pas à voter
Mitterrand au 2ème tour, selon la philosophie des Verts.
Pour les Législatives le Conseil national des Verts décide la non participation (absence de moyens d’expression
et risques financiers). Toutefois, violant
cette consigne, Didier Anger se présente sur une liste «majorité présidentielle». Statutairement il devrait être exclu du parti. C’est le premier symptôme
du clivage politique chez les Verts.
Les Verts participeront aux élections
cantonales dans 67 départements puis,
en mars 89, aux élections municipales.
Ils obtiennent des élus municipaux dans
de nombreuses villes.
Les Verts apportent leur soutien à la
lutte contre «Superphénix» et à celle
contre les barrages projetés sur la Loire
et sur l’Allier, barrages en partie liés aux
centrales nucléaires. Le 10 juin 89, au
Puy, Weachter est à la tête d’une manif
de 12 000 personnes refusant le barrage de Serre-de-la-Fare.
Le 10 juin, cinq antinucléaires ont
escaladé une des deux tours de refroidissement de la centrale de Golfech (la
mise en route du réacteur n°1 étant imminente). Les Verts Aquitaine et les
Verts Midi-Pyrénées se montrent divisés: certains, membres de Stop Golfech, sont solidaires de l’action pour réclamer la non-mise en route de la centrale, d’autres seraient favorables à son
démarrage sous certaines «garanties».
Cinq jours plus tard deux militants sont
toujours en haut de la tour à 178 m de
hauteur. Antoine Weachter vient sur le
site et, dans une conférence de presse,
prononce un discours radicalisé: gel et
désengagement du programme électronucléaire français, non-mise en service
de la centrale de Golfech, arrêt des travaux de la centrale de Civaux, arrêt du
surgénérateur de Malville, information et
débat public pouvant déboucher sur un
référendum(5).
Le point d’orgue du succès politique
des Verts sera les élections européennes. La liste «Les Verts-Europe-Ecologie» est conduite par Weachter. Elle obtiendra 10,59 % des voix, ce qui fait des
Verts un des principaux partis politiques
en France, presque à égalité avec le
Front National. «Europe-Ecologie» envoie au Parlement européen 9 députés:
7 Verts et 2 «invités» (Max Siméoni,
A CONTRE COURANT N° 204 - MAI 2009
représentant le régionalisme
autonomiste et Djida Tazdait
pour les beurs lyonnais). En
incluant les co-députés qui
remplaceront les titulaires à
mi-mandat, les députés
européens français compteront trois anciens des luttes
antinucléaires: Solange Fernex, Didier Anger et Renée
Conan(6).
De graves menaces planent toutefois pour les Verts.
D’abord le clivage, au sein
du parti, entre deux grandes
tendances se manifeste de
plus en plus. D’un côté les
«fondam entalis tes », les
weachteriens «ni gauche ni
droite», les antinucléaires radicalisés, les pacifistes, de
l’autre les modérés, les Verts
«de gauche», les «réalistes», les arrivistes, les opportunistes… Ensuite les
manœuvres du PS et de
Brice Lalonde destinées à
déstabiliser les Verts. Lalonde a créé un parti concurrent, Génération Ecologie,
qui accueille des personnalités très divers es : Noël
Mamère, Haroun Tazieff,
Jean-Louis Borloo, Corine
Lepage, Philippe Lebreton…
Les revirements des Verts
(1990-1991)
Les leaders des Verts sont à présent
bien installés comme élus: adjoints au
maire, conseillers régionaux, députés
européens. Ils se comporteront, presque tous, en notables républicains. Le
militantisme du parti va s’essouffler à
partir de 1990. Les Verts sont de moins
en moins présents dans les luttes antinucléaires, dans l’opposition aux barrages, dans l’opposition aux technologies
destructrices et polluantes… L’invasion
du Koweit par l’Irak précipitera l’implosion du parti.
En sept. et oct. 90 les Verts se positionnent en refusant une intervention armée sous l’égide des USA, mais la
question n’est pas débattue dans leur
AG de novembre. Quand la guerre
éclate en janvier 91, le Conseil national
du parti fait un communiqué disant : «les
Verts se déclarent solidaires de celles et
ceux qui ne veulent pas participer à la
guerre». Il n’y aura pas, toutefois, unanimité chez les adhérents pour condamner la participation de la France à la
Guerre du Golfe. Alain de Swarte, le
patron absolutiste de la revue Combat
Nature (et membre des Verts), enfourche la propagande du PS : «Saddam =
Hitler; ceux qui sont contre l’intervention
de la France soutiennent ainsi Saddam,
etc». Les revues Silence et les Réalités
-15-
de l’Ecologie, par contre, sont catégoriquement contre la guerre. Jean Brière
appelle à la désobéissance civique et
l’écrivain politologue Gilles Perrault à la
désertion (comme Silence). Weachter,
interviewé à la télé, déclare, quant à la
position de G. Perrault : «ses paroles
ont du dépasser sa pensée». Même attitude de la part de trois autres porteparoles verts: «Non à l’incivisme !»
La guerre «term inée», des
règlements de compte se font chez les
Verts. Les modérés et les «Verts roses»
vont s’attaquer d’abord au communiste
Jean Brière pour son texte dénonçant
«le rôle belligène d’Israël et le lobby
sioniste». Brière sera le premier membre des Verts à être exclu du parti, et
pour «antisémitisme» ! Parmi les signataires pour l’exclusion de Brière (ou pour
sa démission «sollicitée») : Dominique
Voynet, Gérard Onesta (député européen qui sera, plus tard, pour le oui à la
Constitution européenne), l’écrivain de
science-fiction Yves Frémion… Brière
sera même traduit en justice par la LICRA, ligue antiraciste aux mains de sionistes. Weachter et d’autres se tairont.
Par contre Brière sera soutenu par de
nombreux militants, des verts (qui la plupart quitteront le parti) et des non-verts.
C’est véritablement la fin d’un mouvement écologiste qui aurait pu jouer, en
France, un grand rôle réformateur (et
pourquoi pas révolutionnaire ?), qui
aurait pu contribuer, dans le domaine
qui nous préoccupe, à l’abandon des
programmes nucléaires…
milliers de personnes…
La filière surgénératrice paraissant
compromise, l’Etat imagine une autre
utilisation du plutonium avec le MOX
(mixed oxyde: oxyde mixte). Il s’agit d’un
combustible nucléaire à l’uranium 235 et
au plutonium. En 1990 a été mise en
service, à Marcoule, l’usine MELOX
pour la fabrication de ce nouveau combustible qui devrait être utilisé dans 28
réacteurs (en 2000, 16 réacteurs étaient
«moxés»). Un conseiller général de
Verts, Marc Faivet, se démarquant des
autres élus verts politicards, crée le Collectif Stop Melox.
"Affiche électorale" publiée dans Charlie Hebdo
du 19 avril 1995
La lutte continue, le
marécage politique se
poursuit (1992-1996)
Souvent à l’écart des magouilles politiques, la résistance antinucléaire va se
poursuivre. Pour Golfech, c’est un peu
le baroud d’honneur. Une semaine
après le démarrage du réacteur n°1, en
déc. 90, un pylône de la ligne de 400
000 volts à la sortie de la centrale s’écroule, dynamité. En 1993 c’est la mise
en service du réacteur n°2. En 1994 un
sabotage est commis sur le canal d’amenée de la centrale.
Le CAN Stop Civaux s’oppose au
chantier de cette nouvelle centrale dotée du plus gros réacteur du parc électronuc léaire franç ais : 1450 MW
(mégawatts). En juin 92 trois antinucléaires occupent deux grues du chantier. EDF porte plainte pour «violation de
domicile» et fait traduire en justice les
trois opposants ainsi qu’un quatrième
«complice». Leur procès aura lieu en
janvier 94.
En 1993 se crée, à Lyon, un collectif
les Européens contre Superphénix qui
publie un bulletin Stop Malville. En 1994
le collectif organise une «Marche Malville-Matignon» pour que soit arrêté l’acharnement thérapeutique pour le fonctionnement du surgénérateur lequel
continue d’accumuler les pannes . Campagne en 1995 : «Superphénix ne marche pas, nous non plus !». Manif à Lyon,
le 27 avril 96, à l’occasion du 10ème
anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl («Si Techernobyl vous a fait rire,
ne manquez pas Creys-Malville !» disait
une affiche figurant une tête de mort
rigolarde). Une plainte en justice est déposée pour «mise en danger de la santé
et de la vie d’autrui». Le procureur ne
retiendra pas la plainte signée par des
A CONTRE COURANT N° 204 - MAI 2009
Chez les Verts c’est, en effet, le naufrage dans les pires magouilles politiques. Aux Régionales de 92, dans deux
Régions, les Verts se sont alliés à leurs
adversaires de Génération Ecologie.
Essai transformé, dans l’ensemble du
territoire, pour les Législatives de 93.
C’est le grand «copinage-panier-àcrabes» des Verts avec GE et le PS.
Silence sur le nucléaire dans les discours électoraux et les professions de
foi. En 93 parait un livre «Nucléaire ?
Non merci !» faisant le point sur le nucléaire en France(7). Les Verts refuseront d’en faire la publicité, alors que le
livre renferme des articles de Didier Anger, de Marc Faivet et autres membres
du parti : «camarade, ce n’est pas le
moment de parler du nucléaire…»
Pour les Européennes de 94, les
Verts et GE présentent chacun une liste.
Résultat: aucun élu au Parlement européen. Les Verts vont, cette fois, totalement exploser et perdre la moitie de
leurs adhérents. Weachter créera un
groupuscule: le MEI (Mouvement Ecologiste Indépendant). Les «Verts roses»
se retrouvent entre eux pour convoler
avec le PS. A l’élection présidentielle de
95 c’est la claque pour le PS. Dominique
Voynet,
candidate des
Verts, récolte
3,33 %.
Jacques Chirac au pouvoir
fait procéder à 6
«ultimes» tirs
atomiques souterrains dans le
lagon de Morur
o
a
.
Greenpeace
lance, comme
dans le passé,
sa flotte vers
Moruroa; deux
de ses bateaux
sont arraisonnés par la Marine. Silence de
Corine Lepage,
la ministre de
l’environnement
du gouvernement Juppé.
Une prospection de nouveaux sites
pour le stockage en profondeurs de déchets hautement radioactifs est engagée. L’opposition est menée par des comités de sites regroupés en collectifs
régionaux, eux-mêmes fédérés en une
coordination nationale. Un site essentiel
sera sélectionné pour un «laboratoire»
de stockage : Bure (Meuse).
Henry Chevallier
(1) SCPRI : Service Central de
Protection contre les Rayonnements
Ionisants, service dépendant du
Ministère de la Santé. Pierre Pellerin se
rendit en URSS pour minimiser, auprès
des « experts » soviétiques, les effets
biologiques de Tchernobyl. En 1987
l’Académie des Sciences devait décerner
un prix au SCPRI pour son « œuvre
d’intérêt national et international » ! Le
SCPRI a été remplacé par l’OPRI.
(2) Le Pellerin-Le Carnet sera un des
projets de centrale qui ne se réalisera
pas. En 1997 Le Carnet devait accueillir
l’EPR. La résistance menée par la FAN
44 (Fédération antinucléaire de Loire
Atlantique) fit transférer l’implantation de
l’EPR à Flamanville.
(3) « Sortir du nucléaire : un plus…pour
l’économie ? ». Le siège du Réseau, au
départ, était celui des Verts.
(4) Voir les précisions dans l’ouvrage «
Golfech, le nucléaire, implantations et
résistances » (édit. CRAS/La Rotonde,
1999). Les actes du colloque ont été
publiés en 1989 par le Conseil général
du Tarn-et-Garonne.
(5) Discours reproduit dans les Réalités
de l’Ecologie n°3, « mensuel d’informations sur l’Ecologie », créé, en avril 89,
par des antinucléaires implantés à
Moissac. Les Réalités de l’Ecologie
deviendront, en février 90, une très
bonne revue militante.
(6) Renée Conan, ancienne de la lutte de
Plogoff, défendra en
particulier, au
Parlement européen,
les marins pêcheurs
artisanaux. Elle
décèdera au cours
d’une banale
opération chirurgicale.
(7) « Nucléaire ? Non
merci ! Dossier
bilan-perspectives
coordonné par Henry
Chevallier « (édit.
Utovie & Silence).
Signalons aussi, pour
le nucléaire militaire
et les tirs atomiques,
des ouvrages
instructifs écrits par
Solange Fernex,
Bruno Barillot et Mary
Davis ainsi que les
publications du
CDRP (Centre de
Documentation et de
Recherche sur la
Paix et les Conflits).
-16-
Nous publions ici la 4ème et dernière partie d'une "Histoire des luttes antinucléaires en France". Il est possible de commander
le texte complet (39 pages avec illustrations) pour 12 euros (port inclus) à l'adresse: Henry Chevallier "La Bertrande" 32400
FUSTEROUAU (Tél 05 62 09 08 25. Courriel: [email protected] ). Chèque à l'ordre de Ende DOMAN.
L'auteur, Henry Chevallier, est animateur de Sortir du Nucléaire 32 (collectif membre du "Réseau Sortir du Nucléaire",
coordonnateur de l'ouvrage "Nucléaire ? Non merci !" (publié par Utovie/Silence, 1993).
Histoire des luttes antinucléaires en France
(4ème partie : 1997-2008)
En 1996 le bobby nucléaire
français
poursuit
son
développement : filière plutonium
avec le combustible MOX et l’acharnement thérapeutique pour le fonctionnement du surgénérateur Superphénix, projet d’un réacteur d’un nouveau type, l’EPR, prospections pour
le stockage en profondeur de déchets hautement radioactifs, nucléaire militaire avec la construction
d’un simulateur d’explosions thermonucléaires, le Laser Mégajoule, au
Barp dans les landes bordelaises.
L’opposition à ce développement
s’organise avec des collectifs nationaux: les Européens contre Superphénix, Stop Melox, Forum Plutonium
et la Coordination nat. contre l’enfouissement des déchets radioactifs.
et solidarité») et Michèle Rivasi, la fondatrice de la CRII-Rad (élue comme
«apparentée PS»). En juin, Lionel Jospin déclare : «Si l’industrie nucléaire est
un atout important pour notre pays, elle
ne doit pas (…) poursuivre des projets
dont le coût est excessif et la réussite
très aléatoire…». Le gouvernement PS
se prononce donc pour l’arrêt de Superphénix. Il abandonnera aussi le site du
Carnet, mais non le projet EPR. D’un
Une période charnière :
1997-2001
La droite au pouvoir se trouvant de
plus en plus discréditée, Chirac dissout
l’Assemblée nationale. Le PS va tenter
à nouveau sa chance en rassemblant
auprès de lui ses vassaux de la «Gauche plurielle»: le PCF, le PRG et les
Verts. «Rouge, Rose ,Vert, la belle alliance !» titre Politis.
Le nouveau modèle de réacteur est
l’EPR (European Presurized Reactor),
imaginé par FRAMATOME et Siemens,
réacteur en fait assez peu différent des
PWR qui équipent le parc électronucléaire français. Le site pour la construction du «prototype» est choisi : Le Carnet sur l’estuaire de la Loire. Mais le
secteur a une longue tradition de résistance antinucléaire, car c’est dans le
site proche du Pellerin que fut mis au
placard un projet de centrale. Au 2ème
tour des élections législatives, le collectif régional FAN 44 mobilise 45 000 personnes au Carnet. Cela donnera à réfléchir au gouvernement Jospin issu des
élections.
A l’Assemblée nationale la gauche,
majoritaire, comprend 8 députés écolos
dont Dominique Voynet, Yves Cochet,
Noël Mamère (ayant fait campagne
sous l’étiquette «Convergence, écologie
A CONTRE COURANT N° 205 - JUIN 2009
autre côté, le surgénérateur expérimental Phénix de Marcoule sera remis en
service (!) et les travaux du Laser Mégajoule se poursuivront. Dominique Voynet, nommée Ministre de l’Environnement, montrera, dés 1997, sa soumission aux «éléphants» du PS. Elle signera le démarrage du réacteur n°1 de
Civaux et l’autorisation du chargement
de MOX dans les réacteurs de Chinon.
Les couleuvres avalées par les Verts
sont des boas…
Le Collectif Les Européens contre..
va appeler à un rassemblement sur trois
jours à Malville (31 juillet-2 août 97) afin
que l’arrêt définitif du surgénérateur soit
confirmé. Cette rencontre sera illustrée
par un hommage émouvant à Vital Michalon…et par l’agressivité des travailleurs CGT de la centrale, déversant
des flots de propagande pro-nucléaire
par haut-parleurs. Un fort pétard fut
même jeté, la nuit, dans la tente où se
-10-
trouvaient des jeûneurs qui tenaient
compagnie au Prof. Théodore Monod,
âgé de 95 ans et devenu presque aveugle.
Les Européens contre.., presque totalement assurés du démantèlement de
Superphénix, décident de dissoudre leur
collectif dans un réseau (ou fédération,
ou coordination) national antinucléaire.
L’assemblée constitutive de cette nouvelle organisation a lieu en septembre à
Agen, préparée par les militants locaux
de VSDNG/Stop Golfech. Cette AG rassemble des représentants des Européens contre.., de CANs, des collectifs
contre l’enfouissement des déchets, de
Greenpeace, des Verts, de la LCR… A
cette AG s’affrontèrent, de façon inimaginable, les partisans d’une sortie «immédiate» ou «la plus rapide possible»
du nucléaire et les défenseurs d’une
sortie «progressive». Une «Charte» fut
péniblement élaborée, se concluant par
cette phrase byzantine : «(Nous) voulons une décision immédiate de sortie
du nucléaire».
Le Réseau Sortir du Nucléaire sera
formalisé par une AG à Nantes en
février 98. Pour son siège, à Lyon, il
partagera les locaux de la revue Silence. Adhèreront au Réseau, outre les
organisations précédemment citées, la
Confédération Paysanne, Nature &
Progrès, Les Amis de la Terre, Les Alternatifs, la Fédération Anarchiste… Il
est important de souligner l’engagement
dans la voie antinucléaire et écologiste
de deux partis marxistes : la LCR et Les
Alternatifs(1). Indiquons aussi que la plupart des groupes libertaires ,
boycottèrent le Réseau, mis à part la
FA. Les anarchistes et anarcho-communistes pensèrent, a priori, que le Réseau
était trop modéré (sa Charte pouvait le
laisser penser) et qu’il était manipulable
par des organisations de nature socialdémocrate. Ce fut, peut-être, le cas en
octobre 99 où une manifestation à Paris
contre l’EPR fut annulée, suite à une
pression des Verts et de Greenpeace,
mais les actions du Réseau, les années
suivantes, démontrèrent que la fédération était suffisamment démocratique et
radicalisée.
En 1998 le Réseau lança une campagne contre l’enfouissement des déchets, ciblée sur le principal site du programme : Bure, dans la Meuse, stockage à 500 m de profondeur, présenté
comme un «laboratoire».
En décembre 99, la tempête qui balaie les régions océaniques de la France
entraîne l’inondation des locaux techniques souterrains de la centrale du
Blayais. Les pompes du circuit d’eau de
refroidissement des réacteurs se trouvent noyées et l’alimentation électrique
est coupée (le vent de 150 km/h abattra
les lignes THT d’autres centrales). L’accident majeur fut évité de justesse grâce
à un circuit d’alimentation de secours(2).
En avril 2000, le CAN s’intitulant
Tchernoblaye et animé par Stéphane
Lhomme organise, avec les autres CAN
du Sud-Ouest, une marche sur la centrale. Les manifestants, non-violents et
comprenant des enfants, sont arrêtés
par les CRS qui tirent des grenades
lacrymogènes. Les nouveaux opposants
au nucléaire réalisent la dictature nucléocrate et la raison des plus forts…
En 2001 le Réseau est parvenu à
une vitesse de croisière et dispose d’un
bon budget, alimenté par les cotisations
et des dons. Il veut faire un grand coup
en communication en tirant à un million
d’exemplaires un journal d’information
qui se présente comme un plagiat de
Libération : l’Aberration. Le vrai Libération, toujours dirigé par Serge July, viscéralement anti-écolo, menace d’attaquer en justice le Réseau. L’affaire s’arrange avec la promesse que le Réseau
détruise les journaux. C’est ce que font
des groupes en jetant leurs exemplaires…dans les boites à lettres. Les naïfs
du Réseau qui pensaient que le gouvernement allait abandonner l’EPR réalisent leur erreur. Un appel à manif est
lancé en octobre 2001. C’est un
succès : 20 000 personnes à Paris,
8 000 à Toulouse.
A CONTRE COURANT N° 205 - JUIN 2009
Le naufrage du PS et des
Verts
En 2002 le mandat de Chirac expire.
Ce sera l’heure du verdict populaire
pour l’élection présidentielle. Il est bon
de citer la position des candidats et des
ténors de l’Ecologie. Olivier Besancenot
(LCR) : «la LCR se prononce pour une
sortie rapide du nucléaire (…) Je suis
convaincu que l’écologie politique ne
peut être qu’une écologie de rupture...».
Antoine Weachter (MEI) : «sortie immédiate du nucléaire». Brice Lalonde
(Génération Ecologie, en principe toujours existante) : «je suis d’accord pour
qu’à terme on arrête le nucléaire». Noël
Mamère (qui a rejoint et représente
Les Verts) : «sortir
du nucléaire c’est
souhaitable et possible». Corine Lepage
ne remet pas en
cause le nucléaire,
mais se prononce
contre le MOX, contre Bure et contre
l’EPR. Le PCF est
toujours inébranlablem ent pro-nucléaire : «le candidat
communiste [Robert
Hue] est favorable à
l’utilisation civile de
l’énergie
nucléaire…». Pour Arlette Laguiller (LO),
c’est le silence-radio. Les deux grands candidats, Chirac
et Jospin, promettent un débat public
sur le renouvellement du parc électronucléaire.
Le PS, Les Verts et le PCF vont
payer leur immobilisme, leur absence
de politique sociale : Jospin est battu
par Le Pen. Pour le 2ème tour, Le Pen ne
pouvait, mathématiquement, pas être
élu, mais cela aurait été «politiquement
incorrect» qu’il fasse un bon score
derrière Chirac.
Alors, chose ahurissante, la gauche
parlementaire et les Verts appelèrent à
voter Chirac. Noël Mamère insultera les
votants nul et les abstentionnistes en
ces termes : «ceux qui ne voteront pas
Chirac sont des munichois !».
Octobre 2002 : manif antinucléaire
«européenne» de 10 000 personnes à
Strasbourg.
Le débat public sur l’énergie nucléaire, promis par Chirac, aura bien lieu
en mars 2003, mais ce sera un «débat
bidon», Raffarin, le Premier Ministre,
fournissant d’emblée la réponse : «oui
au nucléaire, énergie «durable» et non
polluante». Manifs des antinucléaires tapant sur des bidons devant les centres
-11-
de «consultation».
Canicule de l’été 2003 : les centrales fluviales auraient dû être arrêtées
par suite d’une température de l’eau dépassant le seuil autorisé; mais un décret
gouvernemental permettra ce dépassement. On est en plein arbitraire, en
pleine désinformation délirante : on
montre à la télé un réacteur «refroidi» à
l’aide d’un tuyau d’arrosage !
En 2004, la pétition pour la sortie du
nucléaire, lancée par le Réseau, a recueilli 100 000 signatures. Le Président
de l’Assemblée nationale, Jean-Louis
Debré, digne fils de son père gaudillot
du Général, refuse de recevoir la
délégation apportant les signatures. Nicolas Sarkozy, Ministre de l’Economie,
vante les bienfaits du libéralisme économique et de la croissance illimitée.
Un nouveau mode de scrutin va
anéantir le peu de démocratie électorale
qui existait, avec la proportionnelle, pour
les Régionales et les Européennes. Aux
Régionales, une barre est fixée à 10 %
des voix. Les Verts devront à nouveau
s’accoquiner avec le PS pour avoir des
élus. Midi-Pyrénées sera la seule région
où une liste «alternative» se présente
(avec Les Alternatifs, Les Verts, le Partit
Occitan et des «motivé(e)s» de Toulouse). La barre des 10 % aurait pu être
franchie si la LCR avait rejoint cette liste
au lieu de s’allier avec LO. Résultat des
courses : aucun élu «alternatif» au Conseil Régional.
Pour les Européennes, c’est le découpage en grandes régions électorales. Pour le «Grand Sud-Ouest», le candidat écolo est le député sortant Gérard
Onesta. Il est soutenu par Daniel CohnBendit, Noël Mamère et José Bové. A la
stupéfaction de beaucoup de militants,
tous ces réformistes (sauf Bové embarqué dans cette galère) font savoir qu’ils
soutiendront le projet de la nouvelle
Constitution européenne de nature libéraliste.
Le 7 novembre 2004, dans la Meuse,
un groupe d’antinucléaires se couche
sur une voie ferrée où doit passer un
convoi de déchets nucléaires (genre de
manif déjà bien rodée, le train, averti par
un hélic optère, étant obligé de
s’arrêter). Cette fois-ci le train ne
s’arrêta pas car l’hélicoptère était parti
faire le plein. Un manifestant, Sébastien
Briat, âgé de 22 ans, participant aussi
au combat contre l’enfouissement des
déchets et membre de la CNT, eut la
cuisse sectionnée par la locomotive et
mourut sur place. Ce drame fut assez
peu relayé par les médias et, pire, par
les milieux soi-disant contestataires.
Cabu, dans le journal Charlie-Hebdo,
«s’amusa» à faire un dessin ignoble sur
l’évènement. Un groupe du Réseau déposa une motion à l’AG de la fédération,
invitant au boycott de la publication. La
motion fut rejetée au nom de la sacrosainte «liberté de la presse». Chacun
jugera…
En 2005, pour le Référendum sur la
Constitution européenne, Mamère, Cohn-Bendit, Onesta, Voynet et C° persistent et signent. Les Verts (tout au moins
leurs représentants) se discréditent totalement.
En juin-juillet a lieu l’enquête publique pour le renouvellement de l’autorisation des rejets chimiques et radioactifs de la centrale de Golfech. Les antinucléaires de Stop Golfech «fissurent»
le dossier de l’enquête, comme cela
avait été fait lors de la première enquête
publique en 1979. Pour la centrale du
Blayais, une procédure similaire aurait
du avoir lieu en 2003, mais elle ne se fit
pas. Techernoblaye alors porta plainte
contre EDF pour fonctionnement illégal
de la centrale.
En octobre, une mascarade de débat
public a lieu pour l’EPR. Le gouvernement refusant que soit abordée la résistance (ou la non-résistance) du réacteur
à la chute d’un avion de ligne, les antinucléaires et les écologistes se retirent
du débat.
Le temps des grandes
manifs : 2006-2007
Le site pour l’implantation de l’EPR
sera la centrale de Flamanville dans la
Manche. C’est le nucléaire tous azimuts
avec aussi le projet d’une machine «expérimentale» à fusion qui ne produira
(produirait ?) aucun kilowatt/h : l’ITER
(International Thermonuclear Experimental Reactor). La plaisanterie coûtera
(coûterait ?) au moins 10 milliards d’euros, soit le coût annuel estimé pour la
restauration des terres arables dans le
monde…
Il faut signaler aussi la libération du
Prof. Youri Bandajevsky qui, directeur
de l’Institut de médecine de Gomel
(Biélorussie), étudiait les pathologies
engendrées par la catastrophe de
Tchernobyl. Ses révélations ne plaisant
pas aux politiques, il fut incarcéré après
un procès fabriqué de type stalinien.
Une mobilisation internationale permit,
sans doute, l’adoucissement de sa détention, puis sa libération. Solange Fernex et son mari Michel furent les artisans français de cette issue. Bandajevsky devait reprendre ses recherches
dans un institut indépendant à Minsk,
mais il fut expulsé de Biélorussie.
Le Réseau mobilise ses troupes pour
une manif massive anti-EPR à Cherbourg pour Pâques 2006. Ce sont
22 000 personnes qui défilent sous la
pluie avec des pancartes virulentes du
style : «L’EPR Noël est une ordure»,
«Un jour d’électricité nucléaire, des milliers d’années de radioactivité !». Dominique Voynet participe au rassemblement, elle qui déclarait : «l’opposition
au nucléaire ne fait pas partie de ma
culture écologiste». Sont également venus : Didier Anger (toujours aussi «vertrose», mais entré dans le conseil d’administration du Réseau), Olivier Besancenot, José Bové, Michèle Rivasi (qui a
terminé son mandat de député)…
Citons aussi le Prof. Vassili Nesterenko de l’Académie des Sciences de
Bélarus qui dénonça, lui aussi, les effets
pathogènes des retombées de Tchernobyl. Il fonda, en 1990, avec l’aide d’ONG
occidentales, l’Institut indépendant
Belrad. Il déclarait : «Le lobby atomique
international ne veut pas reconnaître les
dimensions de la catastrophe chez nous
parce que, si on les reconnaissait,
l’énergie atomique n’aurait plus le droit à
l’existence». S’il ne connut pas le sort
de son collègue Bandazhevky, il dut subir les pressions du gouvernement
biélorusse, ce qui l’épuisa. Il décèdera
en 2008.
En septembre un autre monstre nucléaire est dénoncé : le nouveau programme de la Force de Frappe avec le
missile intercontinental M51 lançable à
partir d’un sous-marin nucléaire et porteur probable d’une nouvelle minibombe atomique. Le TNP (Traité de
non-prolifération), signé par la France,
se trouve violé (qui sont les «états
voyous» ?). Le M51 est fabriqué prés
de Bordeaux par EADS (filiale militaire
de Air Bus Industrie) et il est testé par le
CEL (Centre d’Essais des Landes) dont
le PC se trouve à Biscarosse-Plage.
Une m anif, s urtout pilotée par
Greenpeace, a lieu devant le CEL.
Une abondante documentation a été
publiée sur les conséquences de Tchernobyl. Citons Wladimir Tcherkoff qui a
réalisé deux films : «Controverses nucléaires» et «le Sacrifice»; citons le terrible recueil de témoignages de Svetlana
Alexievitch : «la Supplication»...(3)
En 2007, le Réseau décide une remobilisation contre l’EPR, le chantier du
réacteur se trouvant lancé à Flamanville
et un autre EPR, vendu à la Finlande,
étant en cours de travaux.
A Bure les opposants ont acquis une
ancienne ferme qui servira de base de
résistance : «Bure Zone Libre». Manif à
Bar-le-Duc en septembre 2005 : 6 000
personnes.
A CONTRE COURANT N° 205 - JUIN 2009
Le samedi 17 mars cinq manifs se
déroulent à Rennes, Toulouse, Lille,
Strasbourg et Lyon, soit au total 60 000
antinucléaires très motivés. Contrairement aux manifs précédentes, les quotidiens restent muets le lundi et les hebdomadaires la semaine qui suit. Un petit
-12-
coup de fil du ministère de l’Intérieur
pourrait expliquer ce silence incroyable
de la presse… Seule exception : une
pleine
page
dans
Libération
(explication : le journal est enfin débarrassé de Serge July).
Une cascade d’autres actions ont
lieu cette année 2007. Deux pylônes de
lignes THT ,allant à Flamanville, sont
occupés, mais une occupation, près de
Fougères, se solde par une répression
féroce : 7 antinucléaires du GANVA,
groupe du Réseau, sont traduits en justice et risquent 600 000 euros de dommages et intérêts !
Au niveau européen, une pétition
pour la disparition du Traité EURATOM
est remise à la Commission Européenne avec 630 000 signatures. Au
printemps et en été 2007 se tient un
piquet protestataire permanent devant
le siège de l’OMS à Genève pour exiger
l’indépendance de l’OMS face au diktat
de l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Nucléaire) qui impose sa désinformation sur Tchernobyl.
Et c’est à nouveau une élection présidentielle avec, en gros, les mêmes
choses qu’en 2002 : toujours «l’ouver-
ture d’un débat public sur l’énergie»
pour le PS (Ségolène Royal), la radicalisation de Besancenot, le silence de Laguiller, la nucléocratie du PCF (MarieGeorges Buffet)…José Bové, qui s’est
présenté tardivement et de façon irréfléchie, déçoit son monde en proposant un
«moratoire sur la construction de l’EPR»
(et un moratoire sur la culture des
OGM). Voynet, comme Weachter qui ne
put se présenter, se prononce contre le
nucléaire, mais pour le «transfert progressif des forces et équipements [militaires] vers une défense européenne»;
mais peut-on envisager une défense
«moderne» sans nucléaire ? Nous sommes loin du pacifisme total d’une So-
lange Fernex, déc édée l’année
précédente(4). Nicolas Sarkozy, qui sera
le vainqueur de l’élection, déclarera : «Il
serait irresponsable de ne pas préparer
le remplacement (du parc électronucléaire actuel) par des centrales plus
performantes».
Le nouveau gouvernement est organisé de façon à faire croire qu’il se
préoccupe de l’Environnement, mais en
ayant transformé le ministère chargé de
cela en un «Ministère de l’Ecologie, de
l’Energie, du Développement durable et
de l’Aménagement du Territoire». Le ministre s’occupant de cet ensemble est
Jean-Louis Borloo, un des fondateurs,
rappelons-nous, de Génération Ecologie. Les questions purement environnementales seront laissées à un Secrétaire d’Etat, une polytechnicienne, dépourvue de moyens. Ceci signifie que le
Ministre «de l’Ecologie» est aussi un ministre-bis de l’Industrie ayant un pouvoir
décisionnel dans le secteur de l’Energie,
donc dans le nucléaire, dans les stockages souterrains de gaz, etc. !
AREVA, EDF, Suez-GDF, Total… C’est
la valse des milliards d’euros, c’est la
dictature la plus totale, les citoyens et
les consommateurs ne pouvant rien
contrôler. En automne 2008, Pierre Gadonneix, le patron de EDF, fait savoir
que le «service» français de l’électricité
est prêt à acquérir British Energy et à
entrer à 50 % dans le capital de Constellation Energy (USA). Au lieu de financer un programme d’énergies renouvelables, EDF achète de vieux réacteurs
nucléaires anglais et américains ! La
crise boursière et économique va aggraver les choses : AREVA et EDF perdent
de l’argent et leur cotation en bourse
dégringole. Une des diverses causes de
cette débâcle financière est le surcoût
dans la construction de l’EPR de Flamanville et de l’EPR finlandais qui collectionnent les mal-façons. Les contri-
l’électricité. L’eau est pompée dans un
aquifère, inestimable ressource pour un
pays aride. La centrale électrogène est
alimentée en charbon grâce à un gisement local. Les concessions minières
s’accaparent des espaces utilisés par
les éleveurs indigènes. Ainsi les habitants du Niger se voient voler leur ressource en eau, leur charbon et leurs
pâturages, un assassinat économique,
social et culturel d’un pays qui pourrait
être développé avec des captages
d’eau, avec des cultures irriguées d’oasis, avec un élevage bien géré. Ce
pillage, on peut l’imaginer, est accompagné d’une pollution radioactive et atmosphérique affectant les mineurs et
les habitants des secteurs miniers.
buables payeront, comme ils payeront la
faillite des banques et celle de l’industrie
automobile…
plient un peu partout. La centrale de
Fessenheim, dont les antinucléaires réclament la fermeture, bat le record pour
les réacteurs : 202 «incidents» de 2000
à 2007 contre 77 pour la moyenne
française(5). En juillet et en septembre
2008, le complexe nucléaire de Tricastin
collectionne des accidents graves : une
cuve de produits radioactifs déborde à
l’usine de Socatri (filiale d’AREVA) ce
qui entraîne une pollution aquatique :
une centaine de travailleurs est contaminée par des poussières radioactives
dans le bâtiment d’un réacteur; en septembre, lors du rechargement d’un réacteur, deux assemblages de combustible
devant être extraits restent coincés; pépins aussi à l’usine franco-belge de
Romans-sur-Isère qui fabrique des combustibles, à la centrale de Saint-Albans…(6)
Le vieillissement des installations nucléaires françaises devient de plus en
plus alarmant. Les «incidents» se multi-
Un autre coup tordu du gouvernement Sarkozy-Fillon sera de «mouiller»
les organisations environnementalistes
dans une réforme poudre-aux-yeux intitulée le «Grenelle de l’Environnement».
Le Réseau Sortir du Nucléaire fit savoir
qu’il ne participerait au Grenelle que si,
au préalable, le projet EPR était abandonné. Evidemment il ne fut pas invité,
ainsi que la CRII-Rad, et on n’aborda
pas le nucléaire dans les discussions
qui rassemblèrent différents acteurs
dont des organismes pas du tout favorables à de véritables réformes écologiques…
Silence on irradie !
2008 va voir exploser le nucléaire
tous azimuts : électronucléaire avec
l’EPR que la France va tenter de vendre
à plusieurs états (après la Finlande, la
Chine passera commande), nucléaire
militaire avec le nouveau programme de
la Force de Frappe (bombes atomiques
«mini nuckes», Laser Mégajoule pour
simuler les explosions thermonucléaires, missile M51 et, comme autre «vecteurs», les sous-marins nucléaires, les
avions Dassault…), enfin nucléaire «expérimental» ou de recherche avec la
machine à fusion ITER, avec les accélérateurs de particules…Le gouvernement Sarkozy est le promoteur de tout
cela, mais aussi les hommes politiques
de la gauche parlementaire. Ainsi
François Hollande, en 2007, déclarera à
la radio : «La France doit vendre à l’étranger sa technologie nucléaire».
Avec le capitalisme libéraliste et la
privatisation plus ou moins totale des
services publics, c’est la curée des
groupes pour le lobby nucléaire:
A CONTRE COURANT N° 205 - JUIN 2009
L’EPR sera-t-il, pourtant, cloné en
France ? Fin 2008, les élus des côtes de
la Manche, le maire de Dieppe en tête,
réclamaient un EPR qui pourrait être
construit dans la centrale de Penly,
même démarche de la part d’élus de
l’Est qui proposent le site de la centrale
de Chooz.
La France, ayant abandonné l’extraction de l’uranium sur son territoire
(en laissant en quasi abandon les anciennes mines, ceci se traduisant par
une grave pollution nucléaire des sols et
des eaux surtout en Limousin), AREVA
exploite maintenant des mines d’uranium dans la «Françafrique». Au Niger
la mine principale est celle d’Arlit, mais
une dizaine de concessions ont été octroyées à divers états et sociétés. Le
Niger subit un néo-colonialisme atomique à l’égal des essais nucléaires de la
Polynésie française racontés dans notre
première partie. Pour extraire et traiter le
minerai d’uranium il faut de l’eau et de
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Le Réseau Sortir du Nucléaire s’efforce d’être sur tous les fronts. Plus
d’une centaine de manifestations de ses
groupes a lieu en 2008. Le 12 juillet, une
manif rassemble 5000 personnes à Paris pour saluer la nomination de Sarkozy
à la présidence de l’Union Européenne.
Les antinucléaires adoptent divers
déguisements et accessoires satiriques
dans leurs manifs. Ils accrochent à des
monuments, comme le pont médiéval
fortifié de Cahors, des banderoles géantes où est écrit : LE NUCLEAIRE TUE
L’AVENIR ou bien, c’est le slogan du
Réseau, : SORTIR DU NUCLEAIRE,
C’EST POSSIBLE !. Un groupe va
jusqu’à poser nu en face du Mont St
Michel, chaque manifestant portant une
lettre peinte dans son dos, ceci donnant:
EPR MON CUL !(7).
Une répression larvée se manifeste
envers des responsables antinucléaires.
Stéphane Lhomme, porte-parole du Réseau, est interrogé pour la 2ème fois par
la DST et mis en examen pour avoir
violé un «secret défense» sur la vulnérabilité de l’EPR à la chute d’un avion
de ligne (révélation pourtant des plus
succinctes…). Le Président de l’association Médiane, menant une information contestataire sur l’ITER (prévu dans
le site de Cadarache), est retenu pendant 19 heures dans le commissariat de
Manosque. Deux responsables de
Tchernoblaye (dont Lhomme) passent
en jugement pour avoir escaladé un
échafaudage du Palais de Justice de
Bordeaux en protestation face à la lenteur du Parquet pour instruire la plainte
dépos ée par l’as s oc iation (voir
précédemment). Nouvelle inculpation
du GANVA pour avoir bloqué un train de
déchets nucléaires se rendant à La Hague. Le procès aura lieu en mars 2009,
à Caen. Verdict : 7500 euros à verser à
la SNCF.
Le 5 juin, le Ministère de Borloo
lance un appel à candidature auprès de
3115 communes pour des sites de stockage de déchets radioactifs à faible activité et à vie longue. La liste de ces
communes n’est pas révélée, mais les
départements sont connus. L’opposition
se manifeste via des groupes du Réseau ou via des collectifs qui se créent.
Des collectivités territoriales, de leur
côté, refusent d’accueillir un tel stockage.
Que peut-on conclure ?
La lassitude et le dégoût peuvent saisir des «vétérans» antinucléaires
comme moi qui ont vécu le démarrage
du nucléaire militaire et de l’électronucléaire en France. On ne peut que s’attrister de la faiblesse de l’opposition antinucléaire (même s’il y eu quelques belles victoires, mais ponctuelles et localisées), de la passivité du plus grand
nombre, de la lâcheté de la classe politique, des commis de l’Etat, des fonctionnaires d’EDF, des officiers de l’Armée
et, pire, de leur engagement en faveur
de la Force de Frappe et de l’énergie
atomique.
A CONTRE COURANT N° 205 - JUIN 2009
Comment des personnes sensées,
comment des intellectuels, comment
des scientifiques, comment des «gens
de gauche» ont-ils pu accepter et même
applaudir cette technologie dont la catastrophe de Tchernobyl fut la terrible
confirmation de son aspect mortifère ?
On peut s’attrister aussi de tous les
errements et contradictions de la part de
militants s’intitulant écologistes, antinucléaires, voire révolutionnaires. Nous
les avons évoqués tout au long de cet
historique : des opposants au nucléaire
mais votant pour des nucléocrates, des
écologistes s’associant à des destructeurs de l’environnement, des anarchistes pratiquant la politique de la chaise
vide…
Les dernières occasions pour un
changement de cap ont été manquées
en 1968, en 1981, en 1986…Maintenant
la situation est devenue catastrophique,
surtout en France, l’état le plus nucléarisé au monde, quant à sa superficie,
quant à sa population et quant à la part
du nucléaire dans sa production d’électricité. Notre pays se trouve, à présent,
truffé d’installations nucléaires, en activité ou abandonnées et de déchets atomiques que l’on ne sait où mettre.
Hélas, ce n’est pas fini; la fuite en avant
se poursuit.. Si l’électronucléaire peut
avoir du plomb dans l’aile (on arrête
bien plus de réacteurs qu’on n’en construit), on se rabat, surtout en France, sur
le nucléaire militaire et sur la «Big
Science» de la physique des particules,
avec des machines à fusion et avec des
collisionneurs de particules qui ne produisent aucune énergie, mais qui absorbent des budgets colossaux et
des quantités phénoménales
d’électricité (bonjour les «économies d’énergie» !)
Nos descendants, si nous
en avons, nous maudiront
pour notre inconscience,
pour notre turpitude…
Henry Chevallier
(1) Les Alternatifs se
dénommèrent, au départ,
l’Alternative Rouge et Verte. Le
parti fut créé, principalement
par des anciens du PSU.
(2) Le déroulement de
«l’incident» du Blayais est
donné par les rapports du
syndicat des travailleurs de la
centrale et du GSIEN, publiés
dans La Gazette nucléaire,
n°181-182 (avril 2000). La
centrale du Blayais devait
connaître un évènement
presque similaire lors de la
tempête du 24 janvier 2009
suivie d’épisodes venteux en
février: les quatre réacteurs se
mirent en «arrêt automatique»
suite aux déchets végétaux
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charriés par la Gironde et colmatant les
filtres des stations de pompage. Il faut
savoir que l’arrêt d’urgence d’un réacteur
est une opération à risques (d’après Stop
Golfech, n°63 de février 2009).
(3) Le livre de S. Alexievitch a été publié
en français en 1998 et réédité, en livre
de poche, dans la collection «J’ai lu».
Les films de W. Tchertkoff sont diffusés
par le Réseau Sortir du Nucléaire (9, rue
Dumenge – 69317 Lyon cedex 04.
Tél.04.78.28.29.22)
(4) Solange Fernex fut une admirable
exception chez les Verts. Elle fit la
preuve, pendant toute sa vie militante, de
la nécessaire «convergence des luttes»,
en s’opposant au nucléaire, tant civil que
militaire, en s’occupant de questions
sociales (Droit des femmes) et en étant
compétente en médecine, en Ecologie,
aussi bien fondamentale (protection de la
nature) qu’appliquée (pollutions,
énergies, agroécologie, pêche artisanale…)
(5) Dernières nouvelles de Fessenheim,
supplément de Sortir du Nucléaires, la
revue du Réseau SDN, avril 2009.
(6) Courant alternatif n°184, nov.2008.
Cette revue mensuelle est l’organe de
l’OCL (Organisation Communiste
Libertaire), radicalement antinucléaire,
mais qui ne voulut pas rejoindre le
Réseau SDN.
(7). Photo parue dans Sortir du Nucléaire
n°40 (nov.2008). Dans le n°39 (été 2008)
et le n°38 (mai 2008) des infos sur les
mines d’uranium au Niger… Abonnement
à la revue auprès du Réseau Sortir du
Nucléaire (4 numéros par an) : 12 euros.
Les associations peuvent adhérer au
Réseau avec une cotisation de base de
20 euros (abonnement à la revue inclus).