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DE LA PRISE EN CHARGE A LA PRISE EN COMPTE
Pour introduire à l'empowerment en santé mentale
Mém oi r e de M2 de Ph i l os oph i e Pa r i s Ouest Nan ter r e
Dépa r t em en t de Ph i l osoph i e
Réa l i sé s ous l a dir ect i on de r ech er ch e de
Mr St éphan e Ha ber
Ann ée 2011 -2012
Cl aude DEUTSCH
1
SOMMAIRE
Int roduction
p3
1.La Psychiat ri e Médicale (totalitai re)
paradigme du XXIème si ècle
Le secteu r p sychiat rique
Le DSM(Diagnosti c and Statistical Manual
Le Con sentement éclai ré
La société psych iat ri sée
Pou r con clu re l' étude
p10
2. Les phi losophes alt ernati fs
Foucau lt
la psychanalyse
le pouvoi r
l'hi storiographie
la rai son
Deleu ze et Guattari
su r la psych instit
su r l'héritage phi lo
su r l'individu, le sc hi zo
su r l'évènement
su r la p ri se de parole
su r la théori e
p15
p25
p35
p43
p49
p52
p55
p57
p61
p69
p76
p86
p88
p92
p94
p99
p100
p102
3. L'empowerment ou app rop riation du pouvoi r
La parole des intéressés
Phi lippe Guérard
p110
Jean-Nicolas Ouellet
p115
Les di sabi lity studi es
Préalab les épist émologiques
Lévi-St rau ss et Lacan
p105
p110
p119
p123
p125
Conclusi on : Pou r int rodui re l'app rop ri ation du pouvoir
p132
Bibliographi e
p139
2
Introduction
Un nouveau paradigme
sur la manière de traiter les fous:
l'empowerment
3
L'hist o ire se passe en 1976. Aline, jeune nor malienne de 26 ans, cher che à
quit t er l’hôpit al psychiat r ique, dans un ser vice où le médecin -chef est par
ailleurs, pro fesseur de psychiat r ie.
E lle demande à êt re admise dans un
Fo yer. Elle vit , dit -elle, « dans un vide psychique, suit e à un accouchement
psychanalyt ique sauvage ».Quelque peu désar çonnés, le psychiat re et le
direct eur 1 vont demander à ce Professeur l’assurance de la possibilit é d’une
ré-hospit alisat ion en cas d’échec. E n fait , Aline sait pro fit er au maximu m des
ressources de la psychot hérapie inst it ut ionnelle au Fo yer et en t rois ans, y
t ient une place de leader posit if co njo int ement avec
un aut re p ensio nnaire.
(E lle est force de proposit io n au sein d’un groupe où elle est reconnue). E lle
récupère la gest io n de ses biens et prend une chambr e en ville. E lle est alors
convoquée par la co mmissio n d’at t ribut ion des pensio ns d’inva lidit é des
agent s de l’ Et at
et s’y rend avec le psychiat re du fo yer.
E lle at t end,
anxieuse, dans le coulo ir pendant ¾ d’heure. Que va -t -elle dire ? « S i je dis
que je vais bien, ils vo nt me ret irer ma pensio n, et j’en ai beso in pour payer
ma chambre, vivre ; mais, je ne peux p as nier que je vais bien, que je vais
mieux. Enfin , ils la fo nt ent rer, ils ne la fo nt pas asseo ir ,et le Président lu i
dit « Mademo iselle, vous avez une schizophrénie, la schizophrénie est une
maladie incurable, vous pouvez vous ret irer ». Aline reprend do nc sa rout e
,passe son per mis de co nduire, achèt e une pet it e vo it ure et ent reprend avec
succès une licence de psycho logie. Quelque t emps plus t ard, elle passe avec
succès un co ncours de recrut ement à l’ANPE 2 et t ravaille co mme prospect eur
placier.
Le
direct eur
rencont re
incidemment
en
ville
le
médec in - chef
(Professeur de Psychiat r ie) à qui il fait part de sa sat isfact io n de vo ir Aline
« t irée d’affa ire ».Voici sa réponse : « E lle est guér ie. Nous nous ét io ns
t rompé de diagnost ic. Ce n’ét ait donc pas une sch izophrène mais une
hyst ér ique ». 3
Cet t e hist o ire aut hent ique fa it apparaît r e les incert it udes et la fragilit é du
discours psychiat r ique . Mais ses enseignement s vo nt beaucoup plus lo in, car
on y vo it en œuvre deux approches radicalement différent es de la même
réalit é, deux logiques de discours. I l y a le discours psychiat r ique, qui
1
Il s'agit de l'auteur
Agence Nationale pour l’Emploi. Aujourd’hui Pôle Emploi
3
Aline sera ré-hospitalisée de longs mois en 2006, puis en 2011.
2
4
enfer me dans une cat égorie (quit t e à en changer), pose non seule ment un
diagnost ic mais dét er mine un pronost ic, et par là joue un rôle qui peut êt re
dét er minant sur l'avenir de la perso nne car, comme l'a mo nt ré J. Aust in, t out e
affir mat io n a une dimens io n per for mat ive. 4 D'un aut re côt é, il y a la logique
du discours d'Aline qui est dans une reconquête. Elle ent end se réappropr ier
sa capacit é de vie pour elle - mê me ,à t ravers so n a ppropr iat ion d'un espace
personnel (son lo gement ), d'une act ivit é sociale (un emplo i ,un per mis de
conduire), la (ré)appropr iat ion d'une paro le propre. Cet t e logique de discours,
qui peut êt re individuel, mais qui peut aussi êt re sout enu collect ivement , nou s
l'avo ns appelé, à la manièr e anglo - saxonne, l'empower ment , bien que nous
préfér io ns la t raduct ion québéco ise qui est "appropriat ion du pouvo ir ".
L'ambiguït é, dans la sémant ique française de la not ion de pouvo ir, au cœur de
l'œuvre de Michel Foucault , nou s oblige à cet anglicis me t ant que nous
n'aurons pas fait le t ravail d'analyse de cett e not ion.
C'est volo nt airement que nous n'avons pas évoqué un face à face ent re ces
deux logiques de discours. En effet , elles ne s'opposent pas, co mme des
posit ions milit ant es ,de part et d'aut re, voudraient le faire cro ire, elles so nt
simplement différ ent es et c'est déjà ext rêmement import ant de le dir e. En fait ,
nous avons souvent le sent iment d'êt re t enu pour quelqu'un d'iconoclast e
quand nous évoquons le fait qu'il pu isse y avo ir une aut re logique de discours
que celle du discours psychiat r ique, une logique de discours qui n'appart ienne
pas à l'idéo logie do minant e, mais qui appart ienne à ceux qui sont désignés,
st igmat isés de fait et souvent dans une réalit é sociale co ncrèt e, co mme
personnes ayant des t roubles ment aux, que nous appe llerons ici, co mme c'est
devenu courant , les usagers en sant é ment ale (et par fo is , par co mmodit é, les
usagers t out court ), conscient s de la nécessit é de préciser les t er mes. Bref,
c'est d'alt er-psychiat r ie dont il s'agit , et non pas d'ant ipsychiat r ie.
Mais, la quest ion se pose, au -delà de cet te pet it e hist o ire d'Aline , de savo ir s i
nous n'allo ns pas t rop vit e, à opposer des logiques de discours, et si nous
n'aur io ns pas pu par ler à son sujet , tout simplement , de "pr ise d'aut onomie",
de "réhabilit at ion psychosociale", de "guér ison", bref de la démar che d'u n
pat ient dans le cadre d'une pensée médicale.
4
John .L. Austin :Quand dire, c'est faire. Le Seuil, Paris, 1970
5
Un t ravail d'analyse s'imposait donc, qui devait dépasser la simp le expér ience
pour s'int ér esser à l'hist o ire des idées.
Ce t ravail d'analyse se devait de s'ouvr ir par une recherche sur le cont enu de
la posit io n psychiat r ique et
cela pour deux raiso ns. La premièr e est
évidemment la posit io n do minant e du discours psychiat r ique sur la quest io n.
Celle-c i s'explique fort bien , si l'o n prend on considérat ion l'ango isse
générée par la souffrance psychique, et le beso in de maît r ise qu'e ngendr e
cet t e ango isse. Co mme le dit just ement Freud: " L'inquiét ant e ét ranget é qu i
s'at t ache à l'épilepsie, à la fo lie, a la même or igine [que le pressent iment des
forces occult es face à la mort ] . Le profane se vo it là confront é à la
manifest at ion de forces qu'il ne présuma it pas chez son semblable, ma is dont
il lui est donné de ressent ir obscurément le mouvement dans des co ins reculé s
de sa propre personnalit é" 5. Face à cet te ango isse, le beso in de chercher
refuge dans le discours scient ifique pour t ent er de t rouver une réponse à ce
qui par aît inco mpréhensible est bien , lui, compréhensible. Est - il pour aut ant
efficace? Ou pour le dire aut rement : est -il la démar che adapt ée? La science,
en effet , est ici face à une cont radict ion irréduct ible. S i sa missio n e st
d'o bject iver les phéno mènes, son objet est , ici , la subject ivit é. La deuxiè me
raison t ient à la genèse du paradigme de l'empower ment . Celui -ci se définit ,
co mme on le verra, à part ir d'un act e de désignat ion de la per sonne co mme
fo lle, ou plus exact ement , de nos jours, co mme malade ment ale. La quest ion
se posait donc nat urelle ment de savo ir quels ét aient ses rapport s avec le
paradigme psychiat r ique. En ét ait - il issu? Se posait - il en alt er nat ive? S e
sit uait - il dans les mêmes logiques ou différemment ? Ces quest ions expliquent
pourquoi nous nous so mmes at t achés à décr ire le paradigme psychiat r ique du
XXIème siècle ,et non la psychiat r ie en génér al. La revendicat ion de
l'appropr iat io n du pouvo ir en sant é ment ale est un phéno mène nouveau.
Cet t e recherche nous a conduit
à considérer
la limit e de l'approche
scient ifique dans la pr ise en co mpt e de la perso nne en souffrance psychique.
C'est pourquoi nous nous so mmes t ournés vers les philo sophes, dont
l'approche nous sembla it à même de nous éclairer sur le double ph éno mène de
discr iminat io n et disqualificat ion du fou et de revendicat ion de la paro le,
5
S. Freud. "L'inquiétante étrangeté" in S. Freud. L'inquiétante étrangeté et autres essais. Gallimard Folio Paris
1985 p249
6
double phéno mène qui const it ue le paradigme d'empower ment dans so n
double mouvement de dépossessio n et de ré -appropriat ion. I l s'agissait pour
nous de nous limit er à l'ét ude la quest ion dans le champ des personnes dont le
co mport ement permet de penser un écart à la nor me d ans le fo nct ionnement
psychique, des per sonnes qualifiées de folles. Par là mê me, nous avo ns bien
sûr ét é t ent és de r éfléchir sur l'essence de la fo lie. Nous n'échapperons pas à
cet t e quest ion, mais l'aborder de front nous aurait ent ra îné dans des
développement s t rop conséquent s. Aussi cet t e quest io n sera -t -elle ici t rait ée
de bia is, à l'o ccasio n des débat s avec les aut eurs qui nous ont paru les plus
pert inent s sur ces quest io ns: Foucault d'une part et D eleuze et Guat t ar i ,
d'aut re part. Qu'en est - il chez ces aut eurs de ce double mouvement :
reconnaissance d'une disqualificat ion apr ior i/ appropr iat ion du
pouvo ir des
personnes en souffrance ps ychique?
I l ne conve nait pas de st igmat iser, en ret our, le discours psychiat r ique co mme
discours st igmat isant , procès auquel il peut toujours répondre par une
revendicat ion de fo ndement humanist e et philant hropique, de la missio n ,qu i
est la sienne de port er assist ance à la personne en souffrance (psychique e n
l'o ccurrence) .Ut ilisant le t er me de logique de discours, nous nous devo ns
d'analyser le cont enu du discours psychiat rique du XXIème siècle, et de vo ir
dans quel cont ext e hist or ique il s'inscr it , quelle est exact em ent sa fonct ion.
Puis nous cher cherons à vo ir que ls ont ét é, avant nous, les t ravaux
philosophiques qui ont t ent é de met t re en lumièr e cet t e parole de l'usager.
Enfin, nous ne nous cont ent erons pas d'affir mer, de revendiquer l'exist ence de
l'e mpower ment , nous t âcherons de le sit uer lui auss i dans so n cont ext e
hist or ique et sa fo nct ion. Nous pensons que les ment alit és concer nant les fait s
sociaux, ici la quest ion de la fo lie et la sit uat ion sociale des fous, ne sont pas
des réalit és int angibles, mais des man ières de penser qui dépendent des
lo cut eurs et du cont ext e. C'est dans cet t e perspect ive que nous guiderons
not re recherche.
I l nous faudra donc d'abord part ir de l'évo lut io n de la pensée psychiat r ique.
Nous .découvr irons "la maladie ment ale en mut at io n"
7
6
, dans une "sociét é
8
psychiat r ique avancée" qui pro meut "la sant é tot alit aire" . La reco nnaissance
6
A.Ehrenberg et Anne Lovell :La Maladie mentale en mutation. Odile Jacob. Paris 2001
F.Castel, R.Castel, A.Lovell: La société psychiatrique avancée .Grasset Paris 1979
8
R.Gori, MJ Del Volgo: La santé totalitaire, Essai sur la médicalisation de l'existence Denoël Paris 2005
7
7
de la paro le du pat ient sert -elle à une plus grande efficacit é médicale? Clef de
voût e de cett e recher che, nous chercherons à vo ir si le concept de sant é
ment ale est réduct ible dans le discours médical. Le discours méd ical ne
serait - il pas, comme nous veno ns de vo ir,
une t ent at ive de maît r ise sociale
d'un phéno mène inquiét ant , parce que signifiant la part inco nt rôlable de nous mêmes?
Puis, avec Michel Foucault , nous découvr irons co mment la Psychiat r ie a
rendu la Fo lie muet t e au no m de la r aiso n au siècle de Lumières, co mme il le
sout ient dans la Préface de l'édit io n de 1961 9 de L'hist o ire de la Fo lie à l'âge
classique
10
, en nous demandant si c'est la fo lie en elle- mê me
qui est
bâillo nnée ou bien plut ôt les personnes " prises en charge" par le disposit if
psychiat r ique qui sont pr ivées du dro it de paro le. Avec Deleuze et Guat t ari, 11
nous découvr iro ns co mment , à part ir de la prat ique et la réflexio n de la
Psychot hérapie I nst it ut ionne lle et un cert ain hér it age philo sophique, peuvent
êt re pensés la quest ion de l'individu -schizophrène et la schizo -analyse, une
concept ion st o ïcienne de l'événement et de la
pr ise de paro le, en nous
int errogeant cependant sur l'effect ivit é d'une t elle t héor ie mo nist e.
Enfin, nous verrons co mment s'expr ime cet "empower ment " et ce qu'il
signifie. Nous t âcherons de vo ir co mment il se sit ue en t ant que composant e
de la revendicat ion des Per sonnes Handic apées qui s'expr ime à t ravers le mot
d'ordre "Rien à not re sujet sans nous". Nous poserons la quest ion: "Usager s
ou cit oyens?" 12 en nous appuyant sur les t ravaux sur "l'émergence des
disabilit y st udies"
13
et "la quest ion du sujet " 14. Nous cherchero ns à vo ir
co mment les "usager s et surviva nt s de la psychiat r ie" peuvent penser et dir e
la quest io n de leur place dans le mo nde à la lumière de ce nouveau par adigme
et co mment cela est reçu dans les inst ances int er nat ionales .(Leur aspirat io n
rejo int celle
du mouvement féminist e 15, et des associat io ns cit o yennes 16).
Nous part irons de la parole des usager s eux - mêmes, respect ant en cela leur
9
M.Foucault: "Préface Histoire de la folie à l'âge classique" à Dits et Ecrits I.4. Gallimard. Paris 2001 p 187-195
M.Foucault: Histoire de la folie à l'âge classique .Gallimard .Paris 1972
11
Deleuze et Guattari Mille Plateaux Minuit Paris 1980 et Anne Sauvagnargues. Cours Université Paris OuestNanterre 1er semestre 2011-2012
12
M.Jaeger (Dir) :Usagers ou citoyens? Dunod, Paris 2011
13
G.Albrecht, JF Ravaud, HJ Sticker : L'émergence des disability studies: état des lieux et perspectives Sciences
sociales et Santé 19/4. 2001
14
JF Ravaud: Modèle individuel, modèle médical, modèle social: la question du sujet. Handicap 81. 1999
15
J. Butler: Ce qui fait une vie. La Découverte 2010
16
Majo Hansotte: Les intelligences citoyennes De Boeck Université Bruxelles 2002
10
8
mot d'ordre, mais lo in de cher cher à "sacr aliser " la paro le de l'usager en sant é
ment ale, nous chercherons enfin à dét er miner ce que ce mouvement de
reconquêt e, ce que "par ler pour so i- même " veut dir e quand cet t e quest ion est
liée à celle de la souffrance ps ychique. En nous appu yant sur les t ravaux de
C.Lévi-St rauss et de J.Lacan, dans une démar che philo sophique , nous verrons
que, "dans ces conduit es aberrant es , les "malades" 17ne font que t ranscr ire un
ét at du groupe et rendre manifest e t elle ou t elle de ses const ant es. Leur
posit ion pér iphér ique par rapport à un syst ème local n'empêche pas qu'au
même t it re que lui 18 ils ne so ient part ie int égrant e du syst ème t ot al." 19 , et que
par ailleur s:"L'êt re de l'ho mme, no n seulement ne peut êt re compr is sans la
fo lie, mais il ne sera it pas l'êt re de l'homme s'il ne port ait en lui la fo lie
co mme limit e de sa libert é" 20.Mouvement d'éman cipation, l'empowerment,
peut êt re d éfini comme une p rodigi euse revendication à exercer la
fonction symbolique, l'échan ge, et assu mer par là la condition humain e.
Ce présent t ravail se présent e co mme une int roduct ion à une recher che qui
port era en t it re "Je suis fou, et vous?", t it re acco mpagné de ces deux soust it res " Aussi vrai que la fo lie exist e, "le - fou" n'exist e pas " et " Le jo ur où
des perso nnes peu habit uées à par ler seront ent endues par des perso nnes peu
habit uées à écout er, de grandes choses pourront arriver". C'est dans le cadr e
de cet t e réflexio n sur la discr iminat io n des personnes ét iquet ées co mme fo lles
que nous avo ns mené cet t e présent e recherche sur l'appropr iat ion du pouvo ir:
un nouveau paradigme de la manièr e de considér er les fous.
17
les guillemets sont de Lévi-Strauss
il s'agit du système local
19
Lévi-Strauss C: Introduction à l'œuvre de Marcel Mauss in M.Mauss "Sociologie et anthropologie
Puf Quadrige 2003 p xx
20
Lacan J. "Propos sur la causalité psychique" in .Ey H (Dir) Le problème de la psychogénèse des névroses et des
psychoses (3ème colloque de Bonneval) Tchou 2004. Repris in Lacan. J: Ecrits. Le Seuil. Paris 1966.
18
9
1-La Psychiatrie Médicale(totalitaire),
Paradigme du XXIème siècle 21.
21
Le choix de ce titre sera explicité dans la conclusion du présent chapitre.
10
Dans ce chapit re, nous nous at t acherons à décr ire la pensée psychiat r ique du
XXIème siècle. Pour cela nous devo ns, d'abord, faire le co nst at que la pensée
psychiat r ique
caract ér ist iques
procède
du
par
paradigme s
par adigme
act ue l:
le
successifs,
sect eur
puis
décr ir e
psychiat r ique
les
co mme
disposit if, le DS M comme clinique, l'équivoque du consent ement et la sociét é
médicalisée. Nous en concluro ns que la pensée ps ychiat r ique per met de t enir
un discours tot alisant sur/de la fo lie comme maladie ment ale excluant la
paro le des premier s int éressés.
Faut - il le regret t er ou s'en réjouir ? C'est un fait que la sociét é a confié à u n
corps spécia lisé de médecins, les psychiat res, le sort des personnes e n
souffr ance psychique.. La souffrance psychique est reconnue co mme maladie
par Hippocrat e, cela est repr is sans d iscussio n dans le Timée de P lat on" Les
révo lut ions de l’â me quand elles donnent à ce qui est même que quelque
chose ou à ce qui est aut re le prédicat cont raire au vrai se t rouvent ainsi
plo ngées dans l’erreur et dans la fo lie, parce que alor s aucune des révo lut io ns
qui se produisent dans les âmes ne co mma nde ni ne dir ige." (44a) "La maladie
de l'âme , il faut en convenir, est la déraison; or, il y a
deux sort es de
déraiso n : la fo lie et l’ignorance. Par la suit e, t out e affect ion qui co mport e
l’un ou l’aut re de ces t roubles do it êt re appelé une ma ladie"(86b). Depuis les
t ravaux de Jean-P ierr e Ver nant , nous savons cependant que la pensée grecque
n'est pas une vér it é universelle int angible , mais une const ruct io n, née avec la
Cit é, prenant l'agora comme cent re."Ce n'est cert ainement pas le fait du
hasard si la raiso n surgit en Grèce co mme conséquence de cet t e for me si
origina le d'inst it ut ions po lit iques qu'on appelle la Cit é " 22. " La guér iso n de la
fo lie (et aussi s a prévent ion) met en œuvre les mo yens qui per met t ent de
"per suader" le thumos, de le rendre discipliné, docile au co mmandement ...Ces
t echniques
for ment
une
paideia
...Elle[ la
paideia]
réalise
en
eux[ les
individus] la sant é , l'équilibre; mais du même coup, elle acquiert une vert u
sociale, une fonct ion po lit ique... la sôphronè réalise une cit é har mo nieuse"
23
.
Ce rappel des or igines a pour but de met tre l'accent sur la fonct io n socia le de
la psychiat r ie et non d'init ier une hist o ire de la psychiat r ie des or igi nes à nos
22
J.P.Vernant :"Raison d'hier et d'aujourd'hui" in Religions, histoires, raisons 10/18 la Découverte Paris 1979
p100
23
J.P.Vernant: Les origines de la pensée grecque PUF Paris 1992 p86. Cette citation est reprise et développée en
p 80
11
jour s à la manière d'un Claude Quet el 24. Cet t e approche nous
a int roduit
cependant à notre sujet ,dans la mesure où l'o n y vo it , dès le début ,
l'art iculat io n ent re savo ir psychiat r ique et pensée du groupe social dans
lequel cet t e pensée s'expr ime et prend for me. La pensée psychiat r ique procède
par paradigmes successifs.
Dans un livre de 1998 25, repris et résumé dans un art icle publié en 2001 dans
l'o uvrage cit é "La maladie ment ale en mut at ion": "L'hist o ire cont emporaine de
la psychiat r ie ,dans ses r apport s avec la sociét é française", Georges Lant ér i Laura mo nt re l'évo lut ion des paradigmes de la ps ychiat r ie moder ne de P inel à
Henr i E y. I l mo nt re, comment à la suit e de "révo lut ions scient ifiques" 26dont il
emprunt e le modèle à T. Kuhn, la psychiat rie est passée, en un siècle, d'une
concept ion de la fo lie définie co mme "aliénat ion ment ale" ( illust rée par
Esquiro l) pour s'inscr ire dans une démarche de différenc iat ion des "maladies
ment ales" (avec le rôle prévalent de J.P.Falr et ), puis dans une démarche de
reconnaissance des grandes "st ruct ures"(revendiquée par Henr i E y) et la
différenciat io n majeure des névroses, des psychoses et des per versio ns.
Co mme le mo nt re Lant ér i-Laura, chaque modèle , d'ailleurs, se mble se bât ir
sur la cr it ique du modè le précédent mai s, dans la
prat ique, les anciens
modèles cohabit ent avec le nouveau . Pour une raiso n simple d'ailleur s, qu i
t ient au fait que le d iscours psychiat r ique n'a aucune aut onomie, ma is se
coule dans l'a ir du t emps: La recherche d'une réponse à la suppressio n des
let t res de cachet et une not ion de l'homme basée sur la responsabilit é
individuelle pour le paradig me de l'aliénat ion ment ale, la révo lut ion médicale
int roduit e par Bichat et Laennec pour celui des ma ladies ment ales, la
démarche épist émo lo gique
représent at ions
st ruct u ralist e de
cult ure lles
de
la
fo lie
l'après guerre,
peuvent ,
d'un
enfin.
po int
"Les
de
vue
ant hropologique, se suffire t oujours à elles - mêmes et , du point de vue de
l'épist émo logie, elles précèdent t oujours la psychiat r ie d'une pr écess io n à la
fo is t emporelle et logique"
27
. En 1998 ,et de sa place, Lant ér i - Laura ne dout e
pas de la fin du 3ème paradigme, mais s'int erroge sur l'exist ence d'un nouveau
24
C. Quétel : Histoire de la folie de l'antiquité à nos jours. Tallandier. Paris 2009
G.Lantéri-Laura: Essai sur les paradigmes de la psychiatrie moderne. Editions du temps 1998
26
Thomas S.Kuhn: La structure des révolutions scientifiques . Flammarion 1972
25
27
G.Lantéri -Laura , "Histoire contemporaine de la psychiatrie française", in Ehrenberg et Lovell op cit p250
12
paradigme 28. C'est à définir celu i- ci que nous allo ns nous att acher .On peut se
demander, au pr éalable, si G.Lant ér i- Laura ne fait pas ici une ut ilisat io n
abusive du concept de paradigme. I l s'en explique c lairement . Après avo ir
exposé que la psychiat r ie n'est en r ien co mparable à l'ast rono mie et à la
phys ique
t héor ique,
qui
so nt
les
dis ciplines
d'explicat ion à T.Kuhn, G. Lant ér i- Laura
qui
ser vent
de
modèle
nous dit :" Le t er me même de
paradigme pourra nous ser vir ut ilement pour désigner une concept ion assez
glo bale qui, pendant tout e la durée d'une cert aine pér iode, ser vira à réguler
tout un ensemble de connaissances t héor iques et prat iques alor s en usage, non
pas co mme une t héor isat io n dont elle s se déduiraient , mais co mme la
délimit at io n et l'organisat io n d'un cert ain domaine où des possibles pourraient
aussi bien se co mplét er que s'opposer...Nous pouvons co ncevo ir
le rô le du
paradigme en psychiat r ie ,co mme ce qu i unifie, pendant une pér iode plus ou
mo ins lo ngue t out e une sér ie de représent at ions t héor iques et prat iques qu i
s'acco mmodent les unes les aut res, ou d'ailleur s, s'excluent , t ant que ce
paradigme fo nct ionne effect ive ment ". 29
C'est donc dans une accept ion
fo nct io nne lle, quasi langagièr e, plus que t héor ique d'un po int de vue
épist émo logique, qu'il faut ent endr e le paradigme t el que définit G. Lant ér iLaura. Le paradig me, c'est , au fo nd à la fo is le support et le cont enu des
"Confér ences de Consensus".
Edouard Zar ifian illust re bien le paradig me psychiat r ique du XXIème siècle
dans "Les jard inier s de la fo lie" 30. Il mo nt re qu'il a lu Foucault quand il nous
écr it .: "La "fo lie" exist e en ger me en chacun de nous. I l est prat iquement
impossible de définir la fo lie. At t ribuer à la fo lie un st at ut de maladie do nne
bonne co nscience à la sociét é qui ne se sent pas impliquée dans la genèse du
phéno mène. La fo lie est un corps ét ranger que l'on expulse vers le rat ionnel,
le savo ir, la science, c'est -à -dir e vers le médecin psychiat re 31".Dans le même
t emps, il pose un discours médical quelques pages après: "Le diagnost ic est
maint enant défini par le t rait ement qu'on lui app lique",
"Sans chercher à
rendr e co mpt e de tout e la pat ho logie psychiat r ique, on peut t ent er d'illust rer
les pr incipaux diagnost ics par de br efs portrait s: l'anxiét é, la dépressio n,
28
Dans l'article de 2001 cité, il évoque de manière caractéristique : "le passé au présent" .
G.Lantéri-Laura: Essai sur les paradigmes de la psychiatrie moderne. Editions du temps 1998 p 42
30
E.Zarifian: Les jardiniers de la folie. Odile Jacob 1988
31
ibidem p36
29
13
l'ét at maniaque,, la bouffée délir ant e aiguë, la schizophr énie chro nique, le
délir e parano ïaque" 32.
Ala in E hrenberg et Anne Lo vell, dans l'art icle "Pourquo i avo ns - nous beso in
d'une réflexio n sur la psychiat r ie?" qui ouvre leur livr e "La maladie ment ale
en mut at ion" 33, met t ent "successivement l'accent sur quat re grands t ypes de
t ransfor mat io ns a yant affect é la psychia t r ie depuis quarant e ans. Leur
découpage nous semble pert inent pour définir le nouveau paradigme, et nous
nous en inspirerons. Cependant , not re propos est différent des aut eurs qu i
t ent ent de décr ir e l'aggior nament o de la psychiat r ie, quand nous voulo ns
co nfro nt er celu i- ci à un aut re mode de pensée, et nos référ ences so nt auss i
ailleurs. Nous ét udierons , donc, d'abord le disposit if psychiat r ique, c'est à
dire " le secteu r p sychiat riqu e ", qui posera la quest ion de la fina lit é de la
désinst it ut io nalisat io n, pu is analyserons l'out il psychiat r ique "le DSM" 34, qui
nous per met t ra de fair e le po int sur la mét hode clinique et le recours au
médicament s. Dans un t roisiè me t emps nous nous int éresserons à "la place de
l'u sager" dans le disposit if psychiat r ique: act eur ou ot age? Enfin , nous
évoquerons la quest ion de " la médicali sation de la société" .Cet t e démarche
est logique, en r aiso ns de finalit é: Nous partons de la sit uat io n dans ce qu'elle
a de part iculière et spécifique : le disposit if psychiat r ique, pour finir sur la
quest io n de la cit o yennet é. Au cœur de ce parcours, la réflexio n sur la sant é et part iculièrement de la sant é ment ale. La sant é -et donc la sant é ment ale est elle une discipline médicale ou un bien co mmun, dan s sa double accept io n
d'ordinaire et de part agé?
32
ibidem p52
A. Ehrenberg et A.Lovell "Pourquoi avons nous besoin d'une réflexion sur la psychiatrie"in A. Ehrenberg et
A.Lovell (dir) op cité p12
34
Le DSM ,acronyme de Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders , Manuel diagnostique et
statistique des troubles mentaux est l'ouvrage de référence dans ce domaine aujourd'hui.
33
14
Le secteu r p sychiat rique
L'analyse de la pensée act uelle sur le sect eur psychiat r ique nous a amené à
définir cet t e pensée co mme "pensée du disposit if" ou "pensée asila ire hors des
mur s". E n disant cela, nous cont est ons le discours humanist e qui veut que le
sect eur so it l'out il de non- ségrégat ion sociale "par excellence". Nous ne
cont est ons pas le fait que le sect eur puisse jouer un rô le dans une po lit ique
non- ségr égat ive, d'où la difficult é et la lo ngu eur de cet t e ét ude. Il nous a fallu
revenir aux int ent ions fo ndament ales des fo ndat eurs du sect eur dans leur
var iét é et leur s co mplé ment ar it és, et les débat s qui les ont animés.
La pensée adm inist rative...
Pour ét udier l'hist o ire et la fo nct io n du disposit if ps ychiat r ique, nous nous
so mmes
d'abord
int éressés
à
ce
que
pouvaient
en dir e
les
penseur s
administ rat ifs. Nous verrons que c'est leur pensée qui do mine la concept io n
de la psychiat r ie aujourd'hui. Nous pensons que ces aut eurs jouent un rôle,
qui ne saura it êt re minimisé dans l'ét ude d'une réflexio n sur la pensée
psychiat r ique, de par même leur influence sur la po lit ique mise en œuvre.
L'ouvr age."La pr ise en charge de la S ant é Ment ale" est un recueil d'ét udes
st at ist iques 35, de l'équipement psychiat r ique du t errit oire, c'est à dire un ét at
des lieux du sect eur. "La psychiat r ie est une discipline de mo ins en mo ins
opaque et le champ des co nnaissances object ives concer ne t out ce qu i
const it ue un disposit if de so ins: les usagers, les pro fessio nnels et les
st ruct ures de so ins. Ces t ravaux st at ist iques per met t ent d'ét ablir un bilan
ét ayé de la sect orisat ion psychiat r ique" 36 nous infor me G.Massé dans sa
préface. Pour ces aut eurs, pas de place pour le dout e: "La sant é ment ale",
c'est un t erme pour dire "la psychia t r ie". 37 La psychiat r ie , c'est -à-dire so n
organisat ion sociale. Son organisat ion, aujourd'hui , c'est le sect eur. Ce pr ima
donné à l'organisat io n sociale se double d'une défiance des prat iques qu'elle
est
censée
abr it er.
J.de
Ker vasdoué,
ancien
Dir ect eur
G énéral
de
l'Hospit alisat ion et de l'Offre de So ins au Minist ère de la Sant é nous dit : "La
psychiat r ie publique est la seule discip line [ médicale] dont l'organisat ion so it
35
M.Coldfy(coord): La prise en charge de la Santé Mentale", recueil d'études statistiques. La documentation
française 2007
36
ibid p9
37
I l convi ent de relever l e c ur i eu x , ti tre de l 'ouvrage: ""P rend re en ch a rg e" la
p sych i a tri e" . L e ter m e de pr i se en c harge est tradi ti onnel l ement uti l i sé pour l es patients.
On ne saurai t trop bi en di re l 'assujetti s sem ent du di sposi ti f à l 'apparei l adm i ni strati f.
15
t errit oriale. E n France, l'assurance maladie,
bonne fille r embour se t out :
Th. Kuhn ut iliserait le t er me de "pré paradigmat ique" pour décr ir e l'ét at de la
sant é ment ale, c'est -à-dir e que beaucoup de t héor ies concurrent es cohabit ent
sans qu'aucune ne l'e mport e sur les aut res, sans qu'un par adigme do minant ne
s'impose du fait de l'e fficacit é des t hérapeut iques qu'il aurait per mis de met t re
en œuvre" 38.C'est que pour l'espr it administ rat if, il ne s'agit pas de répondre à
une demande, mais à un beso in .( La souffrance expr ime -t -elle un beso in?)
" La sit uat ion act uelle donne , malgr é t out , sat isfact io n aux pat ient s, aux
familles et aux pro fessio nnels qui o nt la responsabilit é de leur venir en
aide... ils ont en effet le cho ix des st ruct ures et celles -ci sont adapt ées à leurs
besoin s." 39 Pour le gest ionnair e de l'organisat io n des so ins, c'est la se ule
quest io n qui
vaille.
Pour
l'aut eur,
cett e
organisat ion est
un
heureu x
about issement : "Nico le Horrassius -Jarr ié ind ique "Les sources d'inquiét ude
paraissent no mbreuses: ret our en force des neurosciences, t echnic it é de la
médecine,
pressio n de
l'écono mique,
évaluat io n object ivant e,
pert e de
l'hu manis me; elles paraissent même l'e mport er". A l'except ion d'une pert e
d'humanis me que nous pouvons effect ivement tous craindre, ces sources
d'inquiét ude
me
paraissent
raisons
d'espérer...Les
cro isés
de
la
désinst it ut io nalisat io n, les br iseurs de serrures, les libér at eurs des enfer més,
les dest ruct eurs d'asile, les invent eurs du sect eur ont perdu la fougue de leur
jeunesse, peut -êt re parce qu'ils o nt en part ie réussi. Les années 1960 sont de
l'hist o ir e ancienne et les co mbat t ant s de la première époque so nt , pour les
sur vivant s, à la ret rait e. Leurs successeurs ont pour projet de franchir l' ét ape
ult ime , celle de changer définit ivement le cent re de gravit é du syst ème de
pr ise en charge en donnant le rô le do minant à l'a mbulat o ire". 40
Pourt ant , dans l'art icle suivant du même ouvrage , R. Lepout re ne se mo nt re
pas aussi ent housiast e: "Le premier échec du sect eur est probablement de
n'êt re pas devenu le modèle d'organisat io n du syst ème de sant é, mais d'êt re au
cont raire rest é t ribut air e de l'hô pit al spécialisé" 41.Alors, le sect eur serait un
38
J.de Kesvadoué ."La santé mentale en France à l'aube du XXIème siècle" in R.Lepoutre et J.de Kervasdoué
(dir):la santé mentale des français .Odile Jacob Paris 2002 p14
39
idem p 15
40
ibid p11et12
41
R.Lepoutre "Psychiatrie et Santé mentale "in: Lepoutre et Kersvadoué ,op cit
16
déplacement de l'asile hors des murs? Le signifiant d'ext rahospit alier le
mo nt re bien co mme le disent A.Ehr enberg et Anne Lo vell 42.
L'histoire du sect eur: les fondem ents
Puisque
J.de
Kesvadoué
psychiat r ique. On
nous
y invit e,
visit ons
l'hist o ire
du
sect eur
peut diffic ilement compr endre l'hist o ire du sect eur
psychiat r ique, si l'o n ne dist ingue pas deux co mposant es du mouvement de
désinst it ut io nalisat io n que sont d'une part la recherche d'une mise en place
d'une psychiat r ie co mmunaut aire, au sens de médecine prophylact ique inscr it e
dans la cit é, et d'aut re part les prat iques alt er nat ives à la r éalit é mort ifèr e de
l'asile psychiat r ique. On peut diffic ilement en sais ir les enjeux si l'o n n e
dist ingue pas ce qui est du management administ rat if, de ce qui est
l'engagement philo sophique des act eurs. Comment co mprendre que cert ains
aut eurs 43 met t ent le courant de psychot hérapie inst it ut ionnelle co mme co act eur de la genèse du sect eur psychiat r iq ue, quand G.Dau mézo n mo nt re avec
raison qu'il y a là deux démarches opposées."C'est pas la mê me chose, le
sect eur et la ps ychot hérapie inst it ut io nnelle; je dir ais presque que c'est
ant ino mique,
parce
que
la
psychot hér apie
inst it ut ionnelle[...]consist e
à
ut iliser au maximum l'inst it ut io n hospit alièr e alors que le sect eur[...]consist e
à êt re hors de l'hôpit al, et à n'êt re pas maît re de l'inst it ut ion". 44 Co mment
co mprendre, co mme le mo nt rent cert ains aut eurs 45 ,que les ant ipsychiat r ies
aient pu cont ribuer à la nouvelle for me de service public psychiat r ique ?
Co mment ne pas ent endre ,par ailleurs, que les prat iques de G. Daumézon 46,
de Paul S ivadon 47, de Philippe Rappard sont inspirées par l'hu manis me
pragmat ique de leur prot est ant isme aut ant que celles de L. Bonna fé, de L. Le
Guillan, de S. Fo llin le sont par leur milit ant isme co mmunist e? Les uns et les
aut res cherchent à répondre à la demand e qu'expr ime la souffrance, et non,
co mme Kersvadoué, à un prét endu besoin object if, qui est en fait l'expressio n
d'un mandat social. On vo it bien, à part ir de là, que les act eurs de t errain et
42
article cité nbp 30, p 20
G.Lantéri-Laura, article cité 2001 et P.Coupechoux: Un Monde de fous. Le Seuil Paris 2006
44
In F.Fourquet et L.Murard: Histoire de la psychiatrie de secteur Recherches 1980, cité par Y.Bernard :
"L'évolution de 1838 à aujourd'hui" in R.Lepoutre et J de Kervasdoué op cit p 47
45
G.Lantéri-Laura, article cité 2001 et par allusion Y.Bernard
46
Vie Sociale et Traitement(VST) n°128 mai 180:Georges Daumézon
47
P.Sivadon: Psychiatries et Socialités Erès Toulouse 1993
43
L
17
les administ rat ifs ne pourront jamais s'ent endre sur la not ion d'évaluat ion.
Evalue-t -on une demande de la même manièr e qu'un beso in?
L'histoire du sect eur: les pratiques
Co mme le relèvent Y.Ber nard 48 et J.Garrabé 49, c'est Edouard Toulouse qui crée
en 1921 un ser vice ouvert à l'int ér ieur de l'Hôpit al St e Anne( l'hô pit al Henr i
Roussel)
qui assure dès cet t e époque des so ins à do mic ile et , en 1922, le
Co mit é d'Hygiène Ment ale. E n reprenant ce signifiant , E.Toulouse manifest e
sa filiat io n au mouvement hygiénist e en vogue à cet t e époque, dans l'hér it age
de l'enseignement de L.Past eur et qui a remport é des vict o ires évident es dans
la lut t e cont re la syphilis et surtout la t uberculo s e. La créat io n, le 1er juillet
1935, d'une associat ion "pour la recherche, l'ét ude et la diffusio n de procédés
t hérapeut iques
curat ifs
et
prophylact iques
des
maladies
ner veuses
et
ment ales" 50 per met l'ouvert ure , le 1er oct obre de la même année du premier
d ispensa ir e de la rue de Mont ebello à P ar is:" A ce sujet , E.Jacob nous dit
"Ains i, t out ét ait conçu dès 1935, jusqu'au mot "sect eur"" 51.L'erreur serait de
jet er le bébé avec l'eau du bain, et de cr it iquer le pro jet de l'hygiène ment ale
co mme ent repr ise de ma ît r ise sociale (cf infra), sans vo ir la vo lont é de pr ise
en co mpt e de la réalit é sociale des per sonnes que ce mouvement a init ié. Le
mouvement
est
lo in
d'êt re
limit é
à
la
France,
il
est
int er nat io nal,
part iculièr ement fort aux Et at s Unis où le mouvement de S ant é Ment ale pr end
naissance de l'alliance ent re les médecins hygiénist es et des usagers ,à la
suit e du livre au ret ent issement nat io nal de Clifft o n Beer s relat ant son
hospit alisat ion psychiat r ique
52
C'est au même mo ment hist or ique et dans le
même mo uveme nt que na it le corps des assist ant es sociales. 53 Pr ise en co mpt e
de la réalit é sociale ou maît r ise sociale? C'est t out e l'ambiguït é de l'act io n
sociale. L'équivoque est là dès le début , comme couple de force ent re la
demande et le mandat : "I l [P.Doussinet ] ét ait celui qui co nst ruisait , créa it ,
48
Y.Bernard."L'évolution de 1838 à aujourd'hui "in Lepoutre et de Kervasdoué op cit p 63 Y.Bernard est le
pseudonyme d'un directeur d'hôpital attaché à la Mission Nationale d'Appui en santé Mentale (MNASM)
49
J.Garrabé:"La dimension sociale de la psychiatrie française" in J.P.Arveiller (dir) Pour une psychiatrie sociale
Erès 2002
50
Henri Doussinet." Le docteur Pierre Doussinet. Fondations et Croisades".in JP Arveiller, op cit
51
ibid
52
Cliffton Beers: Esprit perdu , esprit retrouvé . Payot.Paris 1951 et E.B.Brody: The search for mental Health A
history and Memoir of WFMH Sans tache.usa 1998
53
J.Vergès-leroux: Le travail social Minuit Paris1978
18
vo yait les choses... mo i je faisais de la médecine, du laborat oire", racont e E.
Jaco b dans le récit de la créat ion du dispensaire de la rue de Mont ébello
54
.
Lucien Bonnafé et la naissan ce du secteu r
Au lendemain de l'o ccupat ion et de la Libérat ion, c'est pour lut t er, non
seule ment cont re l'effet pat hogène, iat rogène, de l'hosp it alisat ion de lo ngue
durée, ma is auss i au no m de la lut t e cont re le pro jet tot alit aire que lut t ent les
part isans du sect eur psychiat r ique. L'art icle de Lucien Bo nnafé : " Les t émo ins
des proscr it s" port e en sous -t it re: "De l'insoumiss io n à l'inno vat io n" et se
conclut par ces mot s t rès fort s: "Mais il demeur e que séparer les fous du
co mmun des mort els, enf ermer ceux qu i les so ignent dans le champ bo rné de
leurs inst it ut ions et de leur s cénacles, proscri re ou censurer t out e parole ou
pensée vagabondant hors des sent ier s bat t us, ne so nt pas d'une aut re t rempe
que t out ce qui t end à barrer, bloquer, inhiber les capacit és du sujet quant à
résoudre sans fin les cont radict ions dont son êt re pour -soi-et -pour-autrui est
t issé...Et ant donné que t out e visio n de l' unit é et de la totalité de l'êt re
d'aut ant plus si ngulier qu'il se reconnait pluriel renvo ie au t hème de l'ut opie
avec so n inépuisable fécondit é, et les t err ifiant es per versio ns "t ot alit air es"
dans lesquelles t out e puissance inhumaine le pousse à dér iver " 55.
Nous vo yons l'inco mpréhensio n que les penseurs administ rat ifs ont de la
pensée de Lucien Bo nnafé, dans l' art icle précit é d'Y.Ber nard quand il évoqu e
chez Bo nnafé "la revendicat ion de chronicit é": "La chronicit é, dit - il, est ,en
effet , consubst ant ielle à la maladie ment ale du fait de son évo lut ion lent e"
56
Rien est plus opposé, à not re avis, de la pensée de Lucien Bonnafé qui écr it
en 1979:"Co mment le s pesant eurs hér it ées t endent -elles à s'infilt rer dans
tout e t ent at ive d'int ent io n moder nist e? I l y a le clivage aigus/ chroniques, la
pert e de vue, dans le discours et la prat ique, de ce que les chro niques so nt
f aits avec les aigus ,et de la cont inuit é, da ns l'avent ure humaine, de la
problémat ique du drame dans la co mpensat io n et la déco mpensat ion" 57.Là où
L.Bonnafé remet en cause not io n de pr ise en charge: "I l y a la difficult é, dans
54
H.Doussinet,op cit
L.Bonnafé. l'information Psychiatrique 63,n°8 1987, repris dans L.Bonnafé Désaliéner? Folie(s) et société(s)
PUM Toulouse 1991p 216
56
Y.Bernard, op cit
57
L.Bonnafé. "Transiter dans la crise" in Transition n°1 ASEPSI 1979 p11. Les mouvement des Structures
Intermédiaires , qui joue ici un rôle important n'est pas développé ici car sera étudié dans la 4ème partie de ce
chapitre,(la médicalisation de la société) et dans le 3ème chapitre (qu'est-ce que l'empowerment?)
55
19
not re cult ure, de se sit uer au ser vice de quelqu'un sans t o mber dans t out e s les
inflat io ns de l'idée de "pr ise en charge", avec la t ent at io n t ut élaire." 58 Y.
Ber nard vo it , avec cert es des références philosophiques, quelque chose qu i
serait plut ôt de l'ordre de la cont inuit é des so ins, et auss i de la pr ise en
co mpt e de la différ ence: "La revendicat ion de la chronic it é peut s'expliquer
par un souci plus philo sophique de
ne pas abandonner cet AUTRE, si
radicale ment différ ent en apparence, mais en vér it é si proche et dont l'alt ér it é
nous livr e la réalit é de not re ident it é...Cet t e vér it é de l'AUTRE sur nousmêmes fo nde le socle co mmun du mouvement st ruct uralist e qui, de Lévi St rauss avec les Amér indiens de Tr ist es Tropiques à Foucault , dans so n
quest io nnement sur la raiso n oppressive et le silence de la fo lie, en passant
par Lacan et ses Ecr it s, a donné ses just ificat ions t héor iques à la psychiat r ie
de sect eur" 59. Nous vo yo ns là aussi comment s'opère une dér ive qui va
const it uer
l'équivoque
du
sect eur:
Quand
Y.Bernard
par le
d'une
"alt ér it é[qui] nous livr e la réalit é de not re ident it é", n' est - il pas là en t rain de
reconst ruir e le myt he d'une égalit é au -delà des différences qui est une
négat ion de la différence, qui est une manièr e de nier l'a lt ér it é? C'est à quo i
ser vira la sacralisat io n du sect eur.
Antipsychiat ries et psychoth érapie insti t utionnelle
Avant de parvenir à l'about issement de cet t e dér ive, poursuivo ns not re
enquêt e sur les fo ndement t héor ico -philo sophiques du sect eur. I l est , de fait ,
tout -à-fait just e de dir e que
cet t e prise en co mpt e de l'alt ér it é est présent e
dans la préoccupat io n des pro mot eurs du sect eur. Encore faut - il préciser que
c'est souvent plus dans une dimensio n exist ent ialist e que de disso lut io n du
sujet que les act eurs opèrent .
C'est bien
plus qu'une simp le référ ence
cult urelle co mmune, c'est une approche des valeurs philo sophiques part agées
qui unit alor s les act eurs désir eux d'un changement et de la dispar it io n de
l'hôpit al psychiat r ique classique.
Sans cela, on ne peut comprendre l'impact des discours ant ipsychiat r iques.
Sart re est la référence de Félix Guat t ar i, il préface le livre de R.Laing et
58
59
idem
Y.Bernard, op cit p 63
20
D.Cooper "Raison et Vio lence" 60 et dialogue avec Franco Basaglia dans " Les
cr imine ls de Paix" 61
Le mouvement init ié dès les années 1970 par Franco Basaglia a largement
cont r ibué à provoquer cet t e polit ique de dés inst it ut io nalisat io n. La lo i 180
rest e exempla ir e à cet égard. E lle a clairement influencé les décideur s
polit iques français. A la différence de ce qui s'est passé en France, où le
sect eur est rest é l'affair e des t echnic iens de la psychiat r ie, la démarche
it a lienne a ét é d'emblée une démarche polit ique port ée par des élus locaux,
co mme Tomasini à Par me , qui ont accompagné le mouvement en ayant le
souci de met t re à la disposit io n de l'appropriat io n de l'espace social par les
usagers des st ruct ures municipale s et des bénévo les "non- spécialist es" 62.
"L'opérat eur ps ychiat r ique n'est plus celui qui enfer me, mais celui qui int ègr e
socialement " dit P.Tranchina à cet t e époque 63.Cependant on vo it dans cet t e
phrase t out e l'ambigüit é qui peut apparaît re aujourd'hui avec le recul, mais
confor me à la pensée de l'époque: l'inser t ion sociale n'est pas une inc lusio n
sociale basée sur l'appropr iat io n de l'espace social par l'usager, mais une
opérat ion, un act e, un disposit if de "l'opérat eur psychiat r ique".C'est à notre
sens à tort que l'o n a par lé en France d'ant ipsychiat r ie it alienne pour le
mouvement de psichiat r ia democrat ica.
Ce mouvement est t rès différent de celui des ant ips ychiat res anglais et
amér icains, même si l'o n ret rouve, chez les uns co mme chez les aut res des
référ ences à la phéno méno logie et à l'exist ent ialis me. 64Ce qui int éresse les
ant ips ychiat res anglais, à la suit e des t ravaux de T.Szasz 65 et d'E.Go ffman 66,
c'est de dénoncer le marquage et la st igmat isat ion qu'ent raîne le repérage
diagnost ique et la désignat ion du su jet comme fou, c'est la dét er minat io n par
le regard de l'aut re, mais c'est auss i le vécu de la per sonne délirant e. "Le Mo i
divisé " de R.Laing 67 ,not amment est un remarquable essa i d'analyse du vécu
de la per sonne qualifiée de psychot ique par une approche phéno méno logique
exist ent ielle. I l per met de saisir le phénomène de l'insécur it é ont ologique à
60
R.Laing et D.Cooper: Raison et violence Payot 1972
F.Basaglia: Les criminels de Paix, PUF 1980
62
Voir à ce sujet les travaux de Paolo Henry, à Turin
63
C.Louzoun et S.Stylianidis: La nouvelle psychiatrie italienne .La Documentation Française 1987
64
F.Basaglia: Les criminels de Paix, PUF 1980 et D.Laing et D.Cooper Raison et violence Payot 1972
65
T.Szasz: Le mythe de la maladie mentale. Payot. P aris1975
66
E.Goffman.: Asiles Minuit Paris1968 et Stigmates .Minuit Paris 1975
67
R.Laing:Le moi divisé Stock Paris1979
61
21
part ir
de
ses
t rois
car act ér ist iques:
des
sensat io ns
d'englo ut issement ,
d'imp losio n et de pét rificat ion, et resit ue ce faisant le phéno mène ps ychot ique
co mme un processus, non pas ét range et étranger, mais pro fondément huma in.
Cur ieusement , il est de bon ton aujourd'hui, dans les milieux de la
psychot hérapie inst it ut ionnelle de récuser l'ant ipsychiat r ie anglaise 68, faisant
fi de l'échange fruct ueux provoqué par Ma ud Manno ni lors du co llo que
"Enfance aliénée" 69. Cert es, D.Cooper, dans "Ps ychiat r ie et ant ipsychiat r ie", 70
vo it dans le processus psychot ique l'expr essio n d'une révo lt e sociale et nie la
dist inct io n ent re aliénat io n psychique et aliénat ion sociale, sans vo ir que
cet t e révo lt e est non pas sociale mais mét aphysique 71.Cert es, on peut se
demander si la mét ano ïa, le ret our en arr ière , est une quêt e, mais c'est , en
tous cas, une recherche, celle,
désespér ée, de réappropr iat io n du sent iment
d'exist er.
Et cett e recherche du sens de ce qui se dit dans la psychose fait aussi part ie
de l'approche de la psychot hérapie inst it ut io nnelle. F.Tosquelles a réussi ce
tour de force: sa t hèse de doctorat français
72
est un ext raordinaire pla ido yer
ant ips ychiat r ique. La psychot hé rapie inst it ut io nnelle resit ue le sujet co mme
act eur. Elle propose une réappropr iat ion des capacit és, et par là, une
réappropr iat io n de l'ident it é . C'est t rès import ant . Mais pour ce fa ir e, elle
ignore la quest ion de la cit o yennet é. La réappropr iat ion des capacit és, et de la
paro le par le sujet se fo nt dans un cadre précis, dét er miné par le pro jet
t hérapeut ique. La ps ychot hérapie inst it ut ionnelle, dans son ensemble, s'inscr it
elle - même
ple inement
dans
le
pro jet
(et
Foucault
dirait
psychiat r ique. On peut d'ailleurs dir e aussi de l'ant ipsychiat r ie
le
pouvo ir)
qu'elle est
une cert aine psychiat r ie, sans pour aut ant assimiler, co mme le fait Foucault ,
le t rait ement de Mar y Bar nes 73 à celui de Georges III.
De la déri ve du secteu r à l'aggiornam ento d'une politique d'em pri se:
On a vu co mment J.de Kersavoué t rait ait les pro mot eurs du sect eur. Ceux - c i
s'inscr ivaient peu ou prou dans la r éférence st ruct uralist e dont on a vu qu'elle
68
Voir notamment Jean Oury et Marie Depussé :A quelle heure passe le train...Calman-Lévy Paris 2003
M.Mannoni: Enfance Aliénée .Denoël, Paris, 1984
70
D.Cooper : P sy ch i a tri e et a n ti -p sy ch i a tri e . L e Seuil , Par i s, 1970
71
A.Camus: L'homme révolté Gallimard Paris 1951
72
F.Tosquelles.: Le vécu de la fin du monde dans la folie. Arefppi 1986
73
M.Barnes et Jo Berke: Mary Barnes, Un voyage à travers la folie Le seuil Paris 1973
69
22
ét ait la base d'une pensée en t er me de grandes "st ruct ures" (Névrose,
Psychose, P er versio n), fondement t héor ique du paradigme psychiat r ique
précédent . Comment penser le sect eur aujourd'hui? Y.Ber nard a une for mule
choc et éloquent e: il par le du" t rio mphe et de la sacralisat ion du sect eur: le
tot em...Les mêmes causes produisant les mê mes effet s : la légalisat io n du
sect eur, la mise en so mmeil des conflit s idéo logiques et les pr éoccupat io ns
gest io nnaires
vont
per met t re
la
généralisat io n
d'une
organisat io n
sect orielle...Les conflit s font place à un pragmat isme consensuel en faveur
d'une concept ion biopsychosociale. Cet t e not io n st ipule que l'axe bio logique,
avec pour réponse la médicat ion, et l'axe social avec un suivi co mmunaut air e
sont
essent ie ls"(Leco mt e
et
Lesage,
in
l'I nfor mat io n
Ps ychiat r ique) " 74
"Aut refo is diabo lisée, la sect orisat ion, ou plut ôt sa prat ique act uelle devient
sacrée. La sect orisat ion, modalit é de soins en sant é ment ale[ ent endue ic i
co mme accept ion moder ne de la psychiat rie, NDA] s'est muée en relig io n avec
son dogme et son clergé, où t out e crit ique, même mineure du sec t eur ou d'un
de ses simples aspect s const it ue un sacr ilège qui voue so n aut eur au x
gémo nies de l'enfer" 75"La cit at ion de Lecomt e et Lesage fait e par Y.Bernard
est exemplair e quand on la lit jusqu'au bout :" Tout efo is, ces deux axes so nt
encadr és par le psycho-dévelo ppement qui avec la relat io n
t hérapeut ique
duelle const it uent l'axe int égrat eur". Nous avo ns là deux axes encadrés par un
axe int égrat eur lui- mê me co mposé de deux co mposant es! Co mment s' y
ret rouver ? Cela illust re bien le "pragmat isme co nsensuel". 76
Avant de vo ir qu'il est la mise en mot d'une prat ique: celle du DSM, vo yons
quelles so nt les perspect ives du sect eur sacr alisé, où le disposit if médica l
t ient lieu de pensée sur la souffrance psychique. Les rapport s mult ipliés pour
mo nt rer la vo ie que d evrait suivr e l'organisat ion psychiat r ique pour êt re plus
aut hent iquement co mmunaut aire: Le rapport d'E.P ie l et J.L.Roelandt "De la
psychiat r ie à la sant é ment ale", en 2001, qui a inspir é le P lan de Sant é
Ment ale de B. Kouchner, le rapport de missio n P.Clér y- Melin, V.Ko vess, JC.Pascal "P lan d'act io n pour le développement de la psychiat r ie et la
promot io n de la sant é ment ale, le rapport Cout y "Miss io ns et organisat ion de
la sant é ment ale et de la psychiat r ie. " Bien que se sit uant dans un effort
74
Y Bernard, op cit p49
ibid p60
76
Cf infra où on verra que la référence aux "axes" est un des canons de la pensée DSM.
75
23
louable de re ndre le so in plus accessible aux per sonnes en souffrance
psychique et de lut t er cont re la discr iminat io n dont ils fo nt l'objet , de
développer des lieux de concert at io n, de développer par fo is des alt er nat ives
sociales (qui manquent cruelle ment ), ces différe nt s rapport s reposent tous sur
une pensée plus médicale que sociale et communaut aire, et préconisent un
aggior nament o psychiat r ique plus qu'une refont e de la pensée médicale, une
réorganisat ion de l'o ffr e de so ins. Pourt ant , comme le re lèvent A.Ehr enberg et
A. Lovell: "Erving Go ffman avait mo nt ré en quo i t out e pat hologie ment ale
relève aussi d'un processus social: avant d'êt re pr is en charge par un
professio nne l, le malade ment al est quelqu'un qui enfr eint
les règle s
co mmunes de l'int eract io n sociale...Ces sympt ômes part icu liers ne peuvent
êt re réduit s à ces dis fo nct io nnement s neurophys io logiques dont il est t ant
quest io n dans les recherches cont emporaines en ps ychiat r ie. I ls sont , en effet ,
produit s aut ant par les part icular it és de la bio graphie per sonnelle que par des
processus sociaux" 77.En France, l'expansio n de la sect orisat ion et la diffusio n
de la psychiat r ie so nt prises ent re deux tendances fort es: l'int er face ent re la
psychiat r ie et la médec ine générale et l'int er face ent re le ps ychiat r ique et le
social. Pour Y.Ber nard ,et pour beaucoup d'act eurs et de décideur s, la Sant é
Ment ale ,c'est la pet it e sœur de la psychiat rie. On co mpr end qu'elle lui rest e
inco mpréhensible: " La sant é ment ale, comme sa sœur ainée la ps ychiat r ie au
XIXème siècle, demeur e un ob jet mal ident ifié, carrefour de plusieur s
disciplines: médecine, socio logie, sciences humaines et philosophie" 78.
77
78
A.Ehrenberg et A.lovell op cit p23
Y.Bernard op cit p67
24
Le DSM (Diagnostic and Statistical Man ual) 79
Cet t e analyse nous per met de rent rer à l'int ér ieur du processus psychiat r ique
mis en place dans le disposit if du sect eur. I l s'agit d'une prat ique médicale,
donc s'appuyant sur une mét hode scient ifique. E lle ut ilise la class ificat io n
co mme mét hode sc ient if ique, ce qui n'est pas nouveau si nous reprenons
l'hist o ir e récent e de cet t e mét hode. E lle fait un cho ix, ent re des t ypes de
classificat ion, elle se réfère à la concept ion d'E mile Kr aepelin. E lle ut ilis e
alors le d iagnost ic co mme but et non co mme mo yen de lect ure du phéno mène.
L'analyse de l'é laborat ion du DS M mo nt re que le modèle médical est ut ilisé
ici à des fins idéo logiques. Le DSM obéit à des cho ix idéo logiques et non
scient ifiques. La revendicat ion de scient ificit é est ent ière ment basée sur la
recherc he de fiabilit é sans aucune considérat io n pour la quest io n de la
validit é. La fo nct ion de diagnost ic est ut ilisée co mme valeur. Parodiant Binet
pour qui:"L'int elligence est ce que mesure mo n t est ", nous pouvons dir e du
DSM que "la maladie ment ale est ce qu e désigne mo n Manuel". Ce qui n'est
pas r ien dans la discr iminat io n des personnes, prélude possible à leur
disqualificat io n, fusse pour leur bien.
La démar che méd icale s'est toujours appliquée à ét udier et classifier
mét hodiquement les différent es malad ie s. C'est le propre de la discipline
appelée la noso logie. La psychiat r ie comme discipline médicale a t oujours
cherché à affiner sa noso logie. Mais le propre du paradigme psychiat r ique
post moder ne ( Que nous avons appelé la Psychiat r ie Médicale ) est de
considérer que la démarche diagnost ique est le fo ndement de la prat ique
psychiat r ique. Not re analyse à ce sujet rejo int celle de St uart Kirk et Herb
Kut chins
80
. Elle est confir mée par A.E hrenberg et A.Love ll 81 et ,dans le même
ouvrage co llect if , également pa r Jacques Gasser
et Michaël St igler 82. Elle
est part agée par R.Gor i et M.J.Del Vo lgo 83: "Le DS M, en donnant un cadre
révisé au dévelo ppement co ncept uel de la ps ychiat r ie, o ffr ait plus qu'un
79
Il existe 5 versions du DSM (I,II,III,III-R,IV).Bien que chacune repose sur la critique de la précédente, nous
avons fait le choix d'utiliser ici le terme générique, qui renvoie à une même démarche épistémologico-politique.
Nous préciserons ultérieurement, si nécessaire, de quelle version nous parlons.
80
Stuart Kirk et Herb Kutchins :Aimez-vous le DSM? Le triomphe de la psychiatrie américaine .Les empêcheurs
de tourner en rond ,Plessis Robinson,1998
81
op cit
82
Gasser J et Stigler M. "Diagnostic et clinique psychiatrique au temps du DSM " in Ehrenberg et Lovell, op cit p
229-245
83
op cit
25
nouveau diagnost ic des maladies:
il affir mait
avec force un nouve au
paradigme pour le progrès de la psychiat r ie" 84" Un syst ème o fficiel de
classificat ion des t roubles ment aux incar ne cert ains aspect s fondament aux de
la manière dont la psychiat r ie conço it son propre rôle... Un système de
classi fication comme le DSM III a p our ambition d'imposer son mode
d'organi sation du savoi r su r les t roub les mentau x" 85.
En quo i donc consist e-t -il et co mment y parvient - il?
La dém arche classificatoire revendiqu ée com m e m éthode scientifique
C'est sans dout e Pinel qui, inspir é par les mét hod es bot anist es de Linné et de
Buffo n,
a int roduit en psychiat r ie une nosographie basée sur la mét hode
clinique. C'est la t hèse de Foucault , qu'il faut sans dout e pondérer par les
remarques de G.Swain et M.Gauchet , qui dist inguent l'approche glo balisant e
de P inel de celle plus diacr it ique d'Esqu ir ol 86 . Cit ons ,avec Gasser et St igler,
P inel disant lui- mê me son "at t achement à la mét hode descr ipt ive, sans
m'asser vir à aucune manière de vo ir exclusive, à aucun ordre syst émat ique" 87.
Gasser et St igler mo nt rent le passage, dans la psychiat r ie moder ne, de 5 t ypes
de modèles nosographiques:
1.Le modèle de P inel et Esquiro l, donc, qui ne t ient pas co mpt e de l'ét io logie,
seule l'o bser vat io n empir ique de la sympt omat ologie ét ant pr ise en co mpt e,
2.Le groupe, représent é p ar les délires aigus de Georget puis par le concept
de dégénérescence hérédit aire de Morel, for mé des classificat ions basées sur
l'ét io logie supposée ou prouvée des affect io ns à classer ,
3.Le t roisième mode de class ificat io n est basé sur l'anat omopat ho l ogie et sur
la not ion de lésio n (Bayle). C'est la corrélat ion ent re une lés io n so mat ique
précise et des t roubles sympt o mat iques const ant s qui import e et organise le
classement .
4.Le
quat r ième
groupe
est
celui
psycho logique ou fonct ionnel.
C'est
qui
met
au
premier
lui qui per met
plan
l'aspect
de dist inguer
les
pert urbat ions des fo nct io ns psycho lo giques ou des facult és ment ales. C'est ,
84
Stuart Kirk et Herb Kutchins,op cit p 36
idem p 35
86
G.Swain et M. Gauchet: La pratique de l'esprit humain. Gallimard ,Paris ,1980.
87
Gasser et Stigler, "Diagnostic et clinique psychiatrique au temps du DSM" in Ehrenberg et Lovell op cit p 232
85
26
par exemple, l'approche ps ychopat ho logique de la schizophrénie de Bleuler ou
dans l'analyse des st ruct ures psychopat ho logique s de Jaspers 88.
5.Le cinquiè me modèle ,qui est en œuvr e aujourd'hui, s'appuie sur la not ion
de chronicit é , incar née par Kraepelin. Le concept de ma ladie ment ale est au
cent re de la noso logie. "Magnan et Kraepelin rest ent unis dans le pro jet des
aliénist es, celui for mulé par J.P.Falret :"D écouvr ir des espèces vraiment
nat urelles caract ér isées par un ensemble de sympt ô mes phys iques et moraux
et par une marche spécia le"..Kr aepelin, lo ngt emps hant é, comme Magnan, par
l'espo ir de t rouver dans la neuro -anat omie les secret s de la "ma ladie" finit par
y reno ncer et se rabat sur la dégénérescence. Faut e de mieux, la "maladie
ment ale" est endogène" 89. Pourt ant , c'est en opposit ion à Kraepelin que
Bleuler met en lumière, dans son t ext e int it ulé "Dement ia praecox oder
Gruppe der Schizophrénien", le "groupe des schizophrénies". "I l mo nt e que la
démence précoce de Kraepelin ne const it ue pas une seule ma ladie ma is plut ôt
un ensemble d'affect io ns ayant des car act ères communs...Bleuler n'int roduit
pas dans son concept de crit ère s évo lut ifs spécifiques ce qui lui per met de
ratt acher à la schizophrénie diver s ét at s aigus et le conduit à adopt er l'idée
opt imist e de rémissio n, de guér iso n, vo ire d'impact s t hérapeut iques possibles,
en opposit ion d'un affaiblissement int ellect uel préma t uré et inéluct able" 90.
Co mme l'a mo nt ré G.Lant ér i- Laur a, le paradigme des st ruct ures, qui s'appuie
sur les t ravaux de Bleuler, succède au paradigme des maladies ment ales.
Pourquoi ce ret our en arr ière?
La victoire de Kraepelin
Co mme le mo nt rent l'ensemble des aut eur s, il s'agissait ,pour le courant de la
psychiat r ie
amér icaine
regroupé
dans
l'APA,
l'Amér ican
Psychiat r ic
Associat io n, de t rouver un out il ad - hoc pour répondre aux at t ent es liées à la
désinst it ut io nalisat io n mais aussi aux at t aques dont ét ait l 'objet la psychiat r ie
( de la part de l'ant ipsychiat r ie, mais aussi des socio logues, des avocat s).Le
paradigme st ruct uralist e per met , voir e, favor ise le débat cont radict o ire,
not amment sur la quest io n de l'ét io logie des psychoses, co mme en t émo ignent
88
K.Jaspers: Psychopathologie générale Tchou PARIS 2000
Etienne Trillat: "Une histoire de la psychiatrie au XXème siècle," in J. Postel et C. Quetel (dir) Nouvelle Histoire
de la Psychiatrie ,Privat 1983 p454
90
P.Morel, "Dictionnaire Biographique: Bleuler" in J. Postel et C. Quetel (dir) op cit p588
89
27
les co lloques de Bo nneval organisés par H.E y 91. L'effo ndrement du Mur de
Ber lin marque " la fin des idéo logie" et la recher che d'un consensus marque
alors le "po lit iquement correct ". Une démarche "at héor ique"(c'est -à-dire
laissant de côt é les supposés idéo logique s) et "scient ifique"(c'est -à-dir e
épousant les for mes d'un discours univer sit aire t enu pour vrai) pouvait alors
s'imposer. Pourt ant , comme le mo nt rent Kirk et Kut chins le DS M -III est un
for midable out il idéo logique. Nous en vo yo ns la marque dans le "crédo néo kraeplinien" des aut eurs du DSM, dans les débat s idéo logiques qu'ils o nt
mené, dans la confusio n ent ret enue ent re les cr it ères de fiabilit é et de valid it é
afin de donner à l'ent repr ise une apparence scient ifique et dans les règles
d'usage du Manuel.
Ces aut eurs cit ent les convict ions de base néo -kraeplininiennes décr it es par
G.L. Kler man ( in L'évo lut io n d'une noso lo gie scient ifique 1978):
"Le crédo néokraeplinien c'est :
1. La psychiat r ie est une branche de la médecine.
2. La psychiat r ie devr ait ut iliser les mét hodes scient ifiques moder nes et
fo nder sa prat ique sur la co nnaissance scient ifique.
3. La psychiat r ie so igne des gens malades qui r equièr ent un t rait ement pour
une maladie ment ale.
4. Il exist e une limit e ent re le nor mal et le pat ho logique.
5. I l e xist e des ma ladies ment ales dist inct es. Les maladies ment ales ne sont
pas des myt hes. I l n'y a pas une seule maladie ment ale mais plusieurs. La
t âche de la psychiat r ie scient ifique, co mme des aut res spécialit és médicales,
est de rechercher les causes, le d iagnost ic et le t rait ement de ces maladie s
ment ales.
6. L'at t ent ion des médecins psychiat res devrait part iculièr ement se port er sur
les aspect s bio lo giques de la maladie ment ale.
7.I l devrait y avo ir un int érêt explic it e pour le diagnost ic et la classifica t io n.
8.Les cr it ères diagnost ics devraient êt re codifiés (et la validat ion de ces
cr it ères par différent es t echniques devrait êt re considérée co mme un do maine
de recherche légit ime et précieux) et valo r isés et non dépréciés par les éco les
de médec ine.
91
H.Ey :Le problème de la psychogénèse des névroses et des psychoses (3ème colloque de Bonneval) Tchou 2004
et H.Ey :l'Inconscient (6ème colloque de Bonneval) Tchou 2004
28
9.Les t echniques st at ist iques devraient êt re ut ilisées dans les effort s de
recherche visant à améliorer la fiabilit é et la validit é des diagnost ics et de la
classificat ion" 92.
Le DSM obéit à des choix idéol ogiques:
Not re souci par cet t e longue cit at ion de K ler man, n'est pas de sout enir ce qu i
serait vrai ou faux, mais de mo nt rer les présupposés des aut eurs du DSMIII.
Ces présupposés y apparaissent clairement . Sont -ils de nat ure scient ifique ou
idéo logique? Kirk et Kut chins mo nt rent , à t ravers t rois exemples , co mment
les rédact eurs du DSM obéissent , de gré ou de force à des cr it ères
idéo logiques. Ceux-ci eurent , en effet ,
à se sit uer dans plusieur s débat s
idéo logiques. Ces t rois exemples so nt : la po lé mique avec les mouvement s
gays sur la qualificat io n de l'ho mo sexualit é co mme ma ladie ment ale, la
quest io n des "êt res sains dans des endro it s d'aliénés " et enfin la quest ion de
la définit io n du t rouble ment al. Voyo ns, à la lumière de t rois exemples,
co mment ils agirent .
Kirk
et
Kut chins
relèvent
quat re
aspect s
de
la
po lémique
avec
les
organisat ions gays au sujet de la quest ion de savo ir si l'ho mosexualit é est , ou
non, une maladie ment ale. I l s'agissait d'affir mer,
de prendre des décis io ns
fo ndées scient ifiquement , émanant de l' autorit é de tout e l'associat ion. Mais,
face au sent iment de blo cage, provoqué par la puissance des lo bbys gays dans
les méd ias, et not amment les psychiat res ho mosexuels, il falla it le recours à
une personne ayant pris le prob lème en main ( R.Spit zer, leader du groupe
d'élaborat ion ).Le problème t rouva sa so lut ion dans un co mpro mis: La
suppressio n de l'ho mo sexualit é co mme maladie ment ale et l'appar it io n d'u n
nouveau diagnost ic: l'ho mo sexualit é égo -dyst onique, diagnost ic réser vé à
ceux que les pulsio ns ho mosexuelles plo ngeaient dans le désarro i. 93 La
so lut ion du problème fut cla ir ement po lit ique et médiat ique, sous couvert
d'aut orit é médicale. Les associat io ns gays préfér èrent cesser de po lémiquer
pour évit er de lasser, cont ent es
du ret rait
de l'ho mosexualit é co mme
pat ho logie. D'ailleur s, le nouveau diagnost ic disparut ,sans exp licat io n, dans
les ver sio ns ult ér ieures. Le second exemple est lié à l'art icle de David
Rosenhan" Et re sain d'espr it dans des endro it s pour aliénés". I l s'a git de
92
93
Stuart Kirk et Herb Kutchins, op cit p92
idem p153
29
l'expér ience de douze "pseudo -pat ient s" admis dans douze hôpit aux différent s
après avo ir faussement fait ét at d'un unique sympt ô me: celui d'ent endre une
vo ix peu dist inct e qui sembla it dire "vide", "creux" ou "écho". Onze furent
l'o bjet d'un diagnost ic de schizophr énie (bien que jama is ,dans la lit t érat ure,
ces sympt ômes exist ent iels ne so ient associés à la schizophrénie) et un de
maniaco -dépressio n. Une fo is à l'hôpit al, ils agissaient nor malement et
cessaient de prét endre ent endr e des vo ix. Les pse udo -pat ient s rest èrent à
l'hôpit al ent re sept et cinquant e -deux jour s. I ls furent renvo yés chez eux avec
un diagnost ic psychiat r ique de "schizophrénie en rémissio n". Rosenha m
mo nt rait ains i qu'un diagnost ic psychiat rique cont inue à êt re appliqué même
lor sque plus r ien ne le just ifie. Le problè me auquel il s'int éressait n'ét ait pas
le manque de fiabilit é, mais les co nséquences ent raînées par un diagnost ic
inexact . S ipt zer répondit successive ment que l'expér ience de Rosenham ét ait
une "pseudo -science" parce q u'il ut ilisait des "pseudo -pat ient s", qu'en out re la
psychiat r ie n'ét ait pas la seule spécia lit é à subir le fléau de diagnost ics
inexact s, que, dans le cadre d'un hôpit al psychiat r ique, les psychiat res sont
par fa it ement apt es à dist inguer le "sa in d'espr it " de l'"aliéné", et 'enfin qu'une
schizophrénie en rémissio n ét ait l'équivalent d'une bonne sant é camouflée! 94
La t roisième po lémique s'est déroulée aut our de la définit io n du t rouble
ment al. Les débat s sur l'ho mo sexualit é ayant tourné aut our de cett e quest ion,
Spit zer et la ps ycho logue Jean End icott rédigèrent une définit io n où il ét ait
dit que: "les t roubles ment aux sont un sous -ensemble des t roubles médicaux".
Le président de l'Associat ion psycho lo gique amér icaine offic iellement au
président de l'APA: "Pa r mi les dix-sept pr incipales cat égor ies de diagnost ic,
dix, au mo ins, n'o nt aucune ét io logie organique co nnue...[un cert ain no mbr e
de t roubles sont ] évidemment la conséquence expér ience de vie". Blau rejet ait
l'idée se lo n laquelle il s'agirait de t roubles médicaux. Le président de l'APA,
J. Weinberg répondit que: " Depuis que cet t e quest io n nous occupe, nous avo ns
toujours co nsidéré les t roubles ment aux comme un sous -ense mble des t roubles
médicaux. La seule différence est que, dans le DS M -III, cela sera énoncé
explicit ement "(3.11.1977). I l proposait d'inc lure un avert issement disant que
la psychiat r ie ,spécialit é médica le, ét ait une des professio ns de la sant é
ment ale qui co mprenait aussi la psycho logie clinique, le t ravail social, le
94
ibid p158 à 162
30
t ravail infir mier ps ych iat r iques. Blau répondit que :"U t iliser les concept s de
"ment al" et de "médical" co mme syno nymes peut empêcher ou compro met t re
de pro met t euses recherches ou offres de ser vice indépendant es...Le DSM III
s'apparent e davant age à un manifest e po lit ique de l'Asso ciat io n psychiat r ique
amér icaine qu'à un syst ème de classificat ion fo ndé sc ient ifiquement ...On
s'obst ine à voulo ir promulguer un s yst ème diagnost ique de classificat ion qui
ne
réponde
pas
aux
beso ins
des
personnes
présent ant
des
t roubles
émot ionnels". 95
La base scientifique du DS M: fiabilité et validité ..
La quest io n est maint enant de savo ir sur quo i repose la base sc ient ifique du
DSM-III. Spit zer nous le dit dans l' Int roduct ion au DS M -III: "Fina lement ,
l'int érêt port é à l'élaborat ion de ce manuel t ient à l a co nscience de ce que le
DSM-III marque, dans not re domaine, un renforcement de l'idée que les
données
sont
la
base
ment aux".D'emblée,
obligat o ire
de
la
co mpr éhensio n
des
t roubles
cinq pages de remer ciement s aux cont r ibut eurs et
co llaborat eurs nous donnent le sent iment d'êt re face à une ent repr ise de
grande envergure, aux mult iples cont r ibut io ns et bénéfic iant d'une large
adhésio n. Le t ext e du manuel do nne un mode d'emplo i dét aillé. C'est un
"syst ème mult iaxia l".
Au lieu de ramener le diagnost ic à un mot , ou à une phrase, il est demandé
aux clinic iens d'évaluer cinq dimensio ns ou "axes" du co mport ement hu main:
L'axe 1 (déno mmé "syndro mes cliniques )est const it ué de t ermes descr ipt ifs
générale ment
associés
à
un
diagnost ic
psychiat r ique,
par
exemple:
schizop hrénie, agorapho bie, pyro manie.
L'axe 2 regroupe les t roubles de la per sonnalit é et les t roubles spécifiques du
développement .
L'axe 3 port e sur l'ét at de sant é du pat ient en lien avec son ét at ment al.
L'axe 4 sert à évaluer la gravit é des fact eurs de st ress psycho sociaux et
l'axe 5, le plus haut niveau d'adapt abilit é au cours de l'année écoulée. Ces
deux der nier s axes co mport ent des échelles de huit degrés qui renfor cent
l'image de scient ificit é 96.
95
ibid p 188 à 193
On comprend mieux, dès lors, d'où sortent les propos de Lecomte et Lesage cités page 19,qui appliquent à la
sectorisation un langage DSM de manière dogmatique.
96
31
La plus grande part ie du manuel est consacrée à la descr ipt io n des 265
t roubles spécifiques recensés. Cinq annexes co mplèt ent le manuel . L'annexe
A propose une sér ie d'ar bres de décisio n dest inés au diagnost ic différ ent iel,
rehaussant l'appar ent e précisio n scient ifique. L'annexe B est un glossair e
t echnique t ent ant de nor maliser les définit io ns de beaucoup de t er mes
descr ipt ifs, les aut res annexes port ent sur la co mparaiso n avec le DS M -II, les
t roubles du so mmeil, la fiabilit é des épreuves de t errain.
La quest ion de la fiabilit é est le point d'orgue de la just ificat io n scient ifique
du DSM-III. La fiabilit é, c'est l'apt it ude d'un mat ér iel à fo nct ionner, c'est ce
qui fait qu'on peut lui faire confiance. Kirk et Kut chins mo nt rent comment et
co mbien l'at t ent io n des aut eurs du DS M -III s'est port ée sur le problème de la
fiabilit é. Tout
leur
effort ,
not amment
avec
l'ut ilisat io n du coefficient
st at ist ique kappa, réduct eur du fact eur de l'a léat o ire, va viser à réduire l'écart
ent re deux diagnost iqueur s. "La fiabilit é d'un syst ème de classificat ion
psychiat r ique est en relat io n
dir ect e avec le no mbre d'ut ilisat eurs dont les
diagnost ics, appliqués à une sér ie de cas, concordent . " 97 La significat ion
int uit ive de la fiabilit é est assez simple: deux cliniciens peuvent - ils, de
manière indépendant e, ident ifier une per sonne a t t eint e de schizophrénie et la
dist inguer de celle qui a un t rouble de la per sonnalit é?.. si un syst ème
diagnost ique n'est pas fiable, t out port e à croire qu'il est non valide
98
.Cert es,
les expér iment at eurs de t errain so nt no mbreux, mais Kir k et Kut chins no us
mo nt rent qu'ils t ravaillent à part ir des mo dèles kraepeliniens proposés par de
tous pet it s comit és qui t r ient les données au retour. Dans ces condit io ns, que
mesure le t est , sino n la concordance sur le modèle proposé? Cela ne dit r ien
de la validit é
du modèle proposé, dont on a vu qu'elle ét ait cont est ée -à
l'int ér ieur même du paradigme médica l -par Bleuler- du vivant même de
Kraeplin. La validit é d'un co ncept se dist ingue d'aut res t ypes de validit é
(comme la validit é de cont enu ou la validit é prédict iv e) en ce qu'il pose des
quest io ns fo ndament ales sur la nat ure de la réalit é. Disposer d'une procédure
opérat ionnelle pour dét erminer si un phéno mène appart ient ou non à une
classe ne dit r ien sur ce que représent e vraiment ce concept ou cett e classe.
Par e xemple, les t est s d'int elligence sont ut ilisés depuis des générat io ns
97
98
ibid p66
ibid p66 et 67
32
malgr é d'import ant s désaccords sur la nat ure du concept "int elligence" .La
réponse fr équent e selo n laquelle l'int elligence est ce qui est mesuré par le t est
du Q.I. est une manière regre t t able d'évit er d'aborder l'épineux problè me de la
validit é du concept 99. De no mbr eux aut eurs ont insist é sur le fa it qu'un
syst ème de classificat io n qui n'est pas fia ble ne peut être valide. Mais, il est
faux de déduir e qu'un syst ème fiable est valide. Au cont rair e, un syst ème
par fa it ement fiable peut êt re non valide, comme beaucoup d'aut eurs l'o nt
mo nt ré. Les problèmes que pose la fiabilit é ne se présent ent pas seulement
co mme mo ins inquiét ant s et plus facile à
résoudre que ceux posés par la
validit é, ils t endent aussi à dét ourner l'att ent ion de cont roverses sér ieuses,
tout en donnant l'impr essio n de les résoudre. 100Nous nous inspiro ns largement
de cet t e analyse ,t ant elle nous par aît r igo ureuse et just e.
La fonction du diagnostic com m e valeur
Mais, ce qui ne manque pas de surprendre, c'est que la vo lont é des aut eurs à
créer un disposit if répondant au modèle scient ifique, c'est à dire o bject if, les
amènent à cons idérer l'express io n personnelle co mme un biais à l'infor mat io n,
alors que c'est sur elle que, t rad it io nnelle ment , s'appuie le diagnost ic. Gasser
et St igler dist inguent ent re signes et sympt ômes, définissant les sympt ô mes
co mme les product ions spont anées ou provoquées du pat ient et les signes ,qu i
renvo ient au jugement que le médecin port e sur ce qu'il obser ve ou sur ce
qu'il recherche dans l'examen c linique 101.Cet t e analyse (qui pourrait êt re
discut ée dans le cadre d'une réflexio n plus poussée sur la sémio lo gie que nous
ne pouvons mener ici), per met de met t re l'accent sur le caract ère défor mant
des proto coles for malisés propo sés par les aut eurs du DS M -III. Pour ceux-ci,
améliorer la fiabilit é nécessit e
de réduire la dispersio n des cr it ères, mais
aussi la disper sio n de l'infor mat io n. Puisque l'acquisit io n des infor mat io ns
cliniques passe habit uellement pa r un ent ret ien en face -à- face, c'est le
co mport ement
du meneur d'ent ret ien qui devait êt re soumis à une for me de
cont rôle . For maliser un processus aussi peu for mel exigeait de maît r iser ce
que les cliniciens demandaient , quand ils le demandaient , et comme nt les
réponses devaient êt re consignées. La disper sio n des cr it ères ét ait cont enue
en for malisant la pr ise de décis io n, et la disper sio n d'infor mat ion en
99
ibid p63.
ibid p68
101
Gasser et Stigler: art cit p230
100
33
for malisant
protocoles
le co mport ement
d'ent ret iens
de
for malisé s
l'invest igat eur.
const it uait
la
La
mise au po int
so lut io n
t echnique
de
au
problème posé .Ces protocoles d'ent ret iens ps ychiat r iques prévo yaient une
progressio n dans les quest ions à poser aux pat ient s. En co nt rôlant quelle
infor mat io n ét ait ret enue et comment elle ét ait ut ilisée, les aut eurs de ces
protocoles espéraient empêcher les chercheurs (et plus t ard les cliniciens) de
s'en t enir au jugement professio nnel et à l'int uit io n pour ét ablir un diagnost ic.
Le
but
visé
ét ait
de
supplant er
la
prise
de
décis io n
diagnost ique,
habit uelle ment prat iquée en clinique, par un ent ret ien for malisé co mme il e n
exist e en recher che 102 .
La réponse peut dépasser les espérances. Co mme disent A lain E hrenberg et
Anne Lovell: "Dès que le psychiat re croit avo ir reconnu un protot ype, il ne
prend plus en co mpt e les s ympt ômes et les signes qui iraient dans un aut re
sens". 103Que l'o n ait des réponses préfor mées de la part du psychiat re, c'est
cert ain. Ma is qu'en est - il du pat ient ?
On peut se demander si ce d isposit if for mat é ne per met pas, surt out , d'avo ir
les réponses que l'on at t end, et si l'at tendue object ivit é est conscient e de
l'effet per for mat if de son quest ionnaire. L'hypot hèse que la démarche n'est
pas innocent e n'est plus une hypot hèse. Le procédé est dénoncé par Gasser et
St igler au vu des ver sio ns suivant es du D SM: "Les déc larat ions prudent es que
l'o n t rouvait encore dans le DSM -III-R concer nant l'"at héor isme" ét io logique
ont co mplèt ement disparu dans la nouvelle versio n, co mme si elles n'ét aient
plus nécessaires. Le but premier du DSM -III-R ét ait d'avo ir un lang age
co mmun ent re chercheurs et cliniciens; or, dans le DSM -IV, on proclame
ouvert ement que ce manuel pourra également ser vir de support éducat if,
d'out il d'enseignement de la ps ychopat hologie. Le DSM -IV n'est donc plus
seule ment un livr e de classificat ion, il devient un manuel de psychiat r ie,
auquel s'ajout e une part ie t hérapeut ique découlant de chaque diagnost ic! 104
C'est à une nouvelle psychiatrie que le DSM nous conduit. Quelle y est la place des patients?
102
Kirk et Kutchins p91 à 102
Ehrenberg et Lovell art cit p26
104
Gasser et Stigler art cit p238
103
34
Les li mites du consentement éclai ré
La
prise
en
com pte
du
m alade
est
une
disposition
de
bi oéthiqu e
internation ale.
La bio ét hique est une des dimensio ns essent ielles de/à la pensée médicale du
XXIème siècle, et la quest io n du consent ement écla ir é en est sa composant e
dét er minant e. Discipline médicale, la psychiat r ie se do it d'int égrer l'ét hique
dans son discours et sa p rat ique et prendre en co mpt e le consent ement . Dans
le même t emps, la psychiat r ie ne cesse pas, après H.E y, de définir la malad ie
ment ale co mme ma ladie de la libert é, ce qui pose la quest io n, sino n d'une
cont radict io n, du mo ins d'une t ens io n ent re le respec t de la parole du pat ient
et la pr ise en co mpt e de son "incapacit é à consent ir du fait de la maladie".
105
.
Pour Mar ie Gaille, la réflexio n ét hique t rouve son or igine, de manière "sans
dout e essent ielle [dans] le jugement des cr imes nazis au lendema in de la
seco nde guerre mo ndia le lors du procès de Nuremberg. Ce jugement est
considéré co mme un "sursaut " 106 dét erminant dans la réflexio n sur l'ét hique
scient ifique en général et en part iculier au sujet des sciences de la vie...Le
t ribunal
de
Nuremberg
proposait
di x
prescr ipt io ns
règlement ant
l'expér iment at io n sur l'ho mme dans un code en 1947 107. A cet t e déclarat ion ont
fait suit e, t out e une sér ie de t ext es dont la Déclarat io n d'Hels ink i de
1964 108.,inspirée de la Déclarat io n Univer selle des Dro it s de l'Ho mme, qui
cherc he à définir les condit io ns ét hiques de l'expér iment at ion humaine. La
Déclar at ion de l'Assemblée médicale mo ndiale de Lisbo nne en 1981, modifié e
à Bali en 1995, précise que:" Tout adult e co mpét ent a le droit de donner ou de
refuser
de
donner
son consent eme nt
à
une
mét hode
diagnost ique
ou
t hérapeut ique. I l a le droit à l'infor mat io n nécessaire pour prendre ses
décis io ns .I l do it pouvoir cla ir ement co mprendre l'o bjet d'un examen ou d'un
t rait ement , les effet s de leurs résult at s et les conséquences d'un refus de
t rait ement ". Co mme l'écr it M.Gaille, les t ext es support s de la r éflexio n
ét hique dans l'enseignement de la médecine s'inspirent , depuis les années
105
Association "Schizo,oui!": Psychiatrie: l'accès aux soins des personnes incapables de consentir Mai 2006
Dans une note en bas de page, elle précise que le terme est emprunté à A.Courban dans l'article "
Bioéthique" édité dans le Dictionnaire d'histoire et de philosophie des sciences .Lecourt (dir) Paris PUF 2003
107
Marie Gaille: Préface à Philosophie de la médecine .Vrin 2011 p9
108
Qu'il ne faut pas confondre avec la Déclaration Intergouvernementale (européenne) d'Helsinski sur la santé
Mentale de janvier 2005.
106
35
1970, des t ravaux de G.Canguilhem pour qui le malade inst ruit son médecin,
même si les sympt ô mes n'o nt pas pour lui un sens clair, et il do it vo ir en lui
un "exégèt e" avant même de "l'accept er comme répar at eur. Ganguilhem
défend le "concept de corps subject if dans la définit io n d'un ét at que le
discours médical cro it pouvoir décr ire en t roisième personne" 109."I l n'est pas
quest io n de remet t re en cause ou de remplacer le savo ir médical sur la
maladie, mais de le co mplét er en t enant compt e de la percept ion qu'a le
pat ient de la maladie et des quest ions morales inhérent es aux relat io ns de
so ins" 110
La faible effectivit é de la bioéthiqu e en psychi atri e .
Bien que l'ét hique médicale so it issue de t ext es d'inst ances int er nat ionales, et
sans dout e parce qu'ils so nt plus int ent ionnels que dans le dro it posit if, le
discours des administ rat ifs va êt re de peu d'ut ilit é pour no us éclairer dans ce
domaine. A la différ ence du sect eur, il s'agit plus ici de penser une prat ique
qu'un disposit if. Le t ext e de R.Lepout re "Le malade , sujet de so ins" 111
reprend les t ext es d'int ent io n: la Chart e du Malade Hospit alisé, la Chart e de
l'Usager en Sant é Ment ale , le discours de B. Kouchner, Minist re de la Sant é,
à la jour née nat io nale de la Sant é Ment ale du 10 Octobre 2001
112
.
Les Chart es ont ét é port ées à la connaissance de t ous par vo ie d'affichage et
figurent dans les coulo irs des hôpit aux, o ù elle fo nt part ie gent iment du
décor, à côt é des infor mat io ns syndicales. Personne ne s'en soucie. Un
exemple par mi d'aut res per met t ra de juger de l'ineffect ivit é de ces t ext es: La
Chart e
de
l'Usager
en
Sant é
Ment ale,
rédigée
conjo int e ment
par
la
FNAPS Y 113, la CNP de CME de CHS 114 et l'UNAFAM 115, précise, au chapit re
"une personne infor mée de façon adapt ée, claire et lo yale": "L'usager a le
droit au libre cho ix de so n prat icien et de son ét ablissement , pr incipe
109
G.Canguilhem. Ecrits sur la médecine. Paris. Seuil 2002
Marie Gaille op cit p26
111
R.Lepoutre:"Le malade ,sujet de soins" in J.de Kervasdoué et R.Lepoutre op cit
112
Curieusement, R.Lepoutre place cette journée le 5 Avril et la qualifie de Mondiale. Depuis la création de la
Fédération mondiale de la santé Mentale, le 10 Octobre est journée mondiale de la santé mentale. En en faisant
une journée nationale, le ministère se désolidarisait du mouvement mondial, reprenant ,par là, plus aisément
le signifiant "santé mentale" comme équivalent de la psychiatrie
113
Fédération Nationale des Associations de Patients Psy
114
Conférence Nationale des Présidents de Commissions Médicales d'Etablissement des Centres Hospitaliers
Spécialisés
115
Union Nationale des Familles de Malades Mentaux.
110
36
fo ndament al dans not re légis lat io n sanit aire de libr e engagement réciproque
dans une relat io n cont ract uelle, hors du champ de l'urgence et celui où le
médecin manquerait à ses devo ir s d'humanit é (art icle L.710.1 du Code de la
sant é public et art icle 47 du Code de déont ologie médicale) ". Manifest ement ,
cet t e disposit io n s'oppose à la logique du Sect eur. Elle n'est que t rès rarement
appliquée, la disposit io n du sect eur ét ant génér alement présent ée co mme
administ rat ivement obligat oir e 116. Le même hiat us se ret rouve au niveau de la
part icipat io n des usager s aux in st ances de décis io ns des po lit ique: "Dans le
cadre d'un dialogue dont le développement s'avère part iculièr ement fécond,
les usager s apport ent à t ravers leur expér ience, leur cont r ibut ion à la
réflexio n et aux décisio ns des inst ances concer nant la sant é men t ale, par leur
part icipat io n act ive à chacun des niveaux de leur élaborat ion. 117 Quoiqu'en
prét ende Lepout re, aucun out il spécifique, aucune disposit io n part iculièr e, ne
sont mis à la disposit io n des usagers pour acco mplir ces miss io ns, pour que
ceux-ci
puissent
"accéder "
mat ér iellement ,
mais
auss i
au
niveau
de
l'appropr iat io n de l'infor mat io n et de la compr éhensio n des enjeux aux débat s
de
ces
co mmissio ns.
P ir e,
les
infor mat io ns
mises
à
disposit io n
des
co mmissio ns et comit és sont générale ment irrecevables pa r les usagers du fait
de la présent at ion crue des sit uat ions humaines, des t ypo logies object ivant es
qui y sont fait es et qui ne peuvent êt re vécues que comme profondément
vio lent es,
agressives,
per ver ses.
Est -ce
à
dire
que
les
usager s
sont
"incapables" de se confront er à une réalit é que, par ailleur s, ils connaissent
par fa it ement bien, ou plut ôt que les dossiers et propos de ces commiss io ns et
co mit és reflèt ent un rapport de force insupport able, insout enable ? Cela est
part iculièr ement vrai en sant é ment ale , où le sent iment de disqualificat ion est
t rès fort , part iculièr ement ancré dans les ment alit és sociales 118. Dans la
réalit é, les places à ces co mmissio ns so nt occupées par les professio nnels des
associat ions gest io nnair es du médico -social ou par les parent s.
116
voir à ce sujet: Ph.Clément La forteresse Psychiatrique Flammarion-Aubier. Paris 2001 p40
Charte des usagers en santé mentale, cité par Lepoutre op cit p250
118
R.Lepoutre traite de cette question dans un autre article du recueil: La stigmatisation et le problème de
l'information
117
37
Arti culer consentem ent et autonom ie .
Pour sort ir du dilemme, il faut , pour M.Marzano 119, art iculer le co ncept de
consent ement à celui d'aut onomie. " Invo quer le co nsent ement pour just ifier
une co nduit e sans s'int erroger sur les liens qu'il ent ret ient avec le pr inc ipe
d'aut onomie, cela signifie ne pas comprendre le sens exact
de cett e
not io n...En donnant so n consent ement , un ind ividu s'expose à la première
personne. Mais est -ce bien lui qui décide t oujours et volont airement , en t ant
que su jet
aut onome? Co mment
s'assurer que le "je" qui co nsent
est
effect ivement en ét at d'énoncer claireme nt sa v o lo nt é et de manifest er ainsi
son aut ono mie? Nier son import ance ne signifie -t - il pas, au cont raire ,rendr e
suspect e ou illégit ime t out e quest io n sur le sujet et tout emplo i de la quest io n
de "qui?"? " 120.Répondre à cet t e quest io n est sans dout e répondre à l a quest ion
de savo ir ce qu'est un "adult e co mpét ent " auquel se réfèr e la déclar at ion de
Bali. M.Marziano nous convie donc à définir ce qu'est l'aut onomie, et se livr e
pour cela à un t ravail d'analyse philo sophique opposant les concept ions de
Kant et de John St uart Mill: "Deux co ncept ions de l'aut onomie semblent
const amment s'opposer: celle selo n laquelle l'aut onomie serait la facult é de se
donner so i- mê me la lo i de son act ion, et celle selo n laquelle l'aut ono mie
serait une expressio n de libert é et d'indépen dance. La première co ncept ion
t rouverait ses sources dans la philosophie de Kant et dans so n idée nor mat ive
de la dignit é de la personne. La deuxième t rouverait en revanche son appu i
dans la pensée anglo -saxonne, et not amment dans l'élo ge de la libert é du
philosophe libéral Jo hn St uart Mill" 121. M.Marzano y vo it l'or igine d'un débat
où s'opposeraient une "ét hique bio médicale à la fr ançaise" ( se fo ndant sur le
pr incipe de dignit é de la per sonne et ayant pour but de limit er la libert é
individuelle) et une "bio é t hique amér icaine" ( met t ant l'individu et sa libert é
au cent re de tout cho ix, indiffér emment du respect dû à la personne en t ant
que t elle).On vo it , en effet , cet t e opposit io n dans le célèbre débat sur "le
lancer de nain". 122En fait , co mme le fait remarquer M.Marzano, les deux
concept ions de l'aut ono mie ne sont pas réellement différ ent es: "L'idée que
l'êt re huma in do it êt re libre d'agir co nfo r mément à sa propre concept io n du
119
M.Marzano.:Je consens, donc je suis.PUF Paris 2006
ibid p3 et 13
121
ibid p 48
122
Nous ne développerons pas plus ici ce débat faisant suite à la poursuite judiciaire, au nom de la dignité des
personnes handicapées, d'un nain volontaire pour participer et promouvoir "le lancer de nain"
120
38
bien - idée que Mill défend - renvo ie dir ect ement à l'aut odét erminat io n et à
l'aut onomie perso nnelle t elles que Kant les avait co nçues" 123. Le const at de la
ser vit ude vo lo nt air e et
cependant
à
prendre
la pr ise en compt e de l'inconscient
des
dist ances
avec
la
concept ion
l'amènent
kant ienne
de
l'aut onomie et à proposer sa propre définit io n de l' aut onomie. "A la base de
l'aut onomie, il y aurait t oujours la raiso n...Mais quel est le rô le des désir s,
des cro yances et des goût s?...Et re aut onome signifie pouvo ir donner un sens à
sa propre exist ence. Mais le sens d'une vie n'est pas seule ment ... le frui t d'une
réflexio n rat ionne lle. Pour donner une direct ion à sa vie, un individu do it
pouvo ir analyser ses préfér ences, ses désirs et ses goût s, et les sélect io nner ;
dist inguer ses désir s de premier ordre...de ses désirs de deuxiè me ordre, ses
désir s les p lus pro fonds qui o nt un lien avec son pro jet de vie" 124."Une
personne aut ono me est non seulement cell e qui réfléchit à son pro jet de vie et
le cho is it , mais auss i celle qui est capable d'agir confor mément à ses
délibérat io ns et à ses cho ix. Une perso nne non au t onome, en revanche, est
celle qui dépend des aut res et qui est donc au mo ins en part ie incapable de
délibérer ou d'agir sur la base de ses réflexio ns" 125. Pour l'aut eure, aut onomie
et élaborat ion d'un pro jet de vie se confondent , comme si l'aut onomie ét ait
quelque chose "en-so i", et le projet de vie "indépendant " de ce qui fait la vie
des ho mmes: l'int erdépendance et le lien huma in. Bien évidemment , la
personne est toujours inscr it e dans un cont ext e social. L'aut ono mie est
toujours relat ive, et la revendicat io n de libert é, chère à Kant , ne se conço it
pas par rapport à une aut onomie idéale, mais par rapport à un mouvement de
pri se d'aut ono mie, un mouvement où la pr ise de décisio n s'oppose à la
décis io n subie. On ne peut envisager l'aut onomie du po int de vue de seul
sujet , mais de l'int er act ion ent re le sujet et son environnement .
Quelle autonom ie dans le con texte du di scours m édical?
Dans le cas du co nsent ement éclairé, l'environnement c'est le discours
médical. Que nous dit l'aut eure à ce sujet ?: "Depuis t oujo urs, la médecine
semble guidée par le pr incipe de bienfais ance, selo n lequel t out médecin do it
agir co nfor mément au bien du pat ient , et not amment , pour sa sant é. Ce
123
M.Marzano op cit p 50
ibid p196
125
ibid p 86
124
39
pr incipe l'a souvent conduit e à cho isir à sa place, au no m de sa sant é...Dans
les
sociét és
occident ales,
on
est
progressivement
passé
d'un
modèl e
paternalist e -où le po ids de la déc isio n r eposait ent ièrement ent re les mains
du médecin- à un modèl e autonomist e- où le pat ient a toujours le dro it
d'expr imer sa vo lont é" 126.
Pourt ant on peut opposer à l'int ent io n affichée du pr inc ipe de bienfaisance la
réalit é de l'o bscénit é du discours object if sur la maladie. Co mme le fo nt
remarquer Gor i et Del Vo lgo : "L'obligat ion d'infor mer ne fer ait alor s que
redoubler la cruaut é de la maladie en feignant de croire que l'infor mat io n la
plus
rat ionnelle
possible
du
malade
sur
la
nat ure
anat omo -physio -
pat ho logique de sa maladie, sur les archives de son géno me, sur la généalogie
de ses mo lécules et sur les mesur es co mme sur les act es qui en ét ablissent les
coordonnées ou en modifient la configurat io n, suffit pour que le pat ient ,
logiquement et raisonnablement , n'at t ende de la science que ce qu'elle peut
donner. Dans une perspect ive purement cognit ivist e, on l'invit e même à
s'init ier aux st at ist iques et aux calculs de pr obabilit é, ces figur es sur mo ïques
du dest in, pour devenir le sujet part enaire et consent ant de son ma lheur, faut e
de pouvo ir en dét enir la ma ît r ise. " 127,"Ignorer ce réel de "la médecine des
preuves", de la "science clinique act uelle", "des protocoles t hérape ut iques" et
de recherche st at ist iquement ét ablis et massivement rando misés dans la
t ransparence et la probabilit é conduit le pat ient à réclamer à son tour des
preuves" 128. Cet t e logique de la preuve est un mar ché de dupes et une impasse,
co mme le mo nt re St an ley Cavell à propos d'Ot hello 129, et le fait que le pat ient
s'y pr êt e bien souvent ne ret ir e r ien à cet te analyse. Combien de fo is n'avons nous pas ét é int erpellés par des per sonnes, nous demandant anxieusement : "Le
Doct eur m'a dit que j'ét ais schizophrène. Qu'est -ce que t u en penses?" La
seule réponse possible est de dir e que l'o n n'en pense r ien, ou bien que ça ne
veut rien dir e, ou bien que c'est une ét iquet t e -et -puis- alors... Car, co mme le
dit Didier S icard, Président du Co mit é Consult at if nat ional d'Et h ique:" E n
fait , ce n'est pas d'une absence d'infor mat io n dont le ma lade se plaint mais de
126
ibid p76 et77
R.Gori et MJ Del Volgo op cit p 161
128
R.Gori et M.J. Del Volgo,op cit p 160
129
S.Cavell :Le déni de savoir dans six pièces de Shakespeare .Le Seuil .Paris.1993
127
40
la percept io n qu'il a de ne pas avo ir ét é écout é, donc ent endu" 130. Dans le
cadre de l'idéo logie scient ist e, la paro le du médecin prend, pour le pat ient et
à son insu, valeur d'interprétation sauvage .Le diagnost ic se double, en
psychiat r ie où la st igmat isat ion de meure présent e, d'une disqualificat io n. On
y a donc une ut ilisat io n du consent ement à trois ent rées. Premièr ement , le
consent ement per met de renforcer l'image p osit ive de la médecine, co mme
prat ique respect ueuse des dro it s de l'ho mme et du cit o yen. Deuxièmement ,
cela per met de so llic it er le concours du pat ient , non seulement dans la pr ise
de décis io n ,de nat ure médicale, le co ncernant , mais aussi dans le cadr e de la
recherche
médicale
(c'est
la
fo nct ion
des
associat ions
de
malades).
Troisièmement , cela renfor ce l'aut orit é du médecin et la docilit é du pat ient
qui se soumet t ra d'aut ant plus facilement , et à l'image du pat ient dépendant ,
et au t rait ement préconisé pa r le médecin.
Enfin, que penser lorsque le concept d'aut ono mie est ut ilisé co mme injo nct io n
à l'aut ono mie dans un discours médical de réhabilit at ion ps ychosociale où le
disposit if va ut iliser la double cont raint e simult anée de l'argent de poche
condit io nné par la pr ise de médicament s. Dans le cadre de la po lit ique de
sect eur, la per sonne en souffrance psychique ne fera pas l'o bjet d'une
approche ho list ique, la co nsidérant dans sa glo ba lit é, mais d'une pr ise e n
charge "bio -psycho -sociale". Co mme le relève P h ilippe Clément 131, cert aines
équipes de sect eur prat iquent la règle de la "co ïncidence des rendez - vous": Le
t ut eur (ou curat eur) confie la gest ion de l'argent nécessaire au quot idien à
l'équipe de sect eur ,qui fait co ïncider la dat e de remise de l'argent ave c la
dat e de prise de médicament , génér alement de neuro lept ique ret ard. Est -ce
uniquement pour des raisons de co mmo dit é ou pour avo ir là un mo yen de
pressio n? 132
Faut-il, alors, récu ser le con sentem ent éclairé en psychiat rie?
Bien évidemment , non. Not re pro pos, ici, est de met t re en lumièr e l'ut ilisat io n
qui est fait e du co nsent ement dans la logique du discours médical, et de faire
valo ir qu'il peut êt re out il de dépendance à ce discours. Récuser le
consent ement peut bien sûr aussi, et d'aut ant plus, renfor cer un disposit if de
130
D.Sicard :La médecine sans le corps, Paris Plon 2002 p247
Ph Clément:. La forteresse psychiatrique, op cit p222
132
Nous avons volontairement renoncé à traiter de l'effet de la loi du 5.07.2011 analysée dans notre mémoire
de M1
131
41
maît r ise sur les per sonnes. Le but de la médecine n'est pas de so igner le
malade , mais la ma ladie. Dans cet t e opt ique, l'idée q ue la perso nne so it
dépossédée par la maladie, de sa capacit é de décisio n, de sa "ca pacit é de
consent ir" t rouve tout e sa place. Mais peut -on par ler d'incapacit é à consent ir
sans dire à quo i il s'agirait ou non de consent ir ? Peut -on considér er que
quelqu'un so it tot alement pr ivé de ses capacit és, t ant qu'il est vivant ? Poser
ces quest ions ne suppose pas une relat io n symét r ique,
ou une revendicat io n
de relat io n symét r ique ent re médec ins et pat ient s qui ne so nt ni dans la même
posit ion vis à vis de la souffrance, ni dans la même posit io n vis à vis du
savo ir.
E lles per met t ent de poser, à pa rtir de l'ana lyse du discours médical
appliqué à la quest io n des fous et de la fo lie, la quest ion de la place de la
personne dans un mo nde où le r apport à la t echno logie sert de plus en plus de
valeur, où on demande t oujours davant age aux individus de cons ent ir
préalable ment à part iciper aux act es sociaux qui les concer nent ,
t out en les
embr igadant t oujours plus dans des massificat io ns de co mport ement s ou de
conduit es confor mes aux valeur s idéo logiques du mo ment .
42
La société psych iat ri sée
Jamais aut ant qu'aujourd'hui, le discours médical n'aura envahi l'espace
public. Le jour nal t élévisé nous infor me quot idienne ment de l'appar it io n de
nouvelles maladie s. Passe encore que
l'on considère le co mport ement
ét hylique comme une maladie. L'alcoo lisme a lo ngt emps é t é l'affaire des
psychiat res. En quit t ant le champ psychiat r ique pour rejo indr e celui de la
médecine générale, il a gagné ses let t res de noblesse et est sort i de l'ornièr e
de la disqualificat ion. C'est maint enant une maladie co mme les aut res. Mais
que penser de la descr ipt io n de l'o bésit é comme d'une maladie? C'est pourt ant
ce que l'o n ent end, dans un souci, sans dout e de déculpabiliser les obèses,
vict imes d'un co mport ement addict if caract ér ist ique des sociét és occident ales.
A l'occasio n de l'"affaire St ra uss- Kahn", c'est l'addict io n sexuelle qui nous fut
présent ée co mme une maladie, à laquelle il ét ait possible de répondr e de
manière sympt omat ique par la cast rat io n ,chimique ou chir urgica le, sans
aucune analyse des rapport s de l'addict ion sexuelle avec les dét ours de la
pulsio n et du désir. E nfin, ce fut l'addict io n à int er net qui fut à son t our
présent ée co mme ma ladie, le jour où un int er naut e tomba d'épu ise ment devant
son écran, t ant il avait subi la fascinat io n de "la t oile"(d'araignée?).
La t élévisio n nous fait quot idiennement part ag er l'univer s médical dans des
sér ies t elles que "Urgences", "Grey's Anat omy" et "Doctor House". Dans un
épisode présent é en févr ier 2012 sur TF1, l'as du diagnost ic nous a mo nt ré
que la pat ient e qui présent ait des signes t e lle ment inco mpréhensible s avait
une
maladie
no mmée
schizophrénie
puisqu'elle
ét ait
so ignée
par
une
prescr ipt io n d'haldo l.
Le langage quot idien banal port e la mar que de l'emprunt e de la psychiat r ie
dans la vie sociale ordinair e. Ainsi, peut -on ent endre à la t errasse des cafés
des propos ent re amis, du genr e: "Non, mais ça ne va pas! je ne suis pas
d'accord! Tu es co mplèt ement parano ïaque, mon vieux!" ou bien: "Tu l'aurais
vue
à
la
réunio n,
elle
ét ait
hyst ér ique",
ou,
dans
un
st yle
plus
psychanalyt ique: "A c e mo ment là, je n'en pouvais plus, j'ai cédé à mes
pulsio ns" ou "Il m'a t rouvé en face de lui :I l falla it bien qu'il so it confro nt é
aux pr incipes de réalit é". Peu import e ici que ces phrases n'aient aucun sens à
l'int ér ieur d'un champ de co nnaissances "sci ent ifiques", psychiat r ique et
psychopat ho logique. E lles ser vent à mont rer que ces discours font aujourd'hui
43
part ie de la cult ure co mmune. Nous y vo yons le signe probant que "la
"médicalisat ion de l'exist ence", co mme construction sociale et intersubjective
appart ient de pied en cap, dans sa genèse co mme dans sa fo nct io n, à une
structure de la culture moderne et
du malaise par excellence de la
civilisat ion" 133.Une t elle médicalisat ion de l'êt re ne r elèverait pas des seuls
médecins et professio nnels de sant é, m ais procéderait davant age d'une
idéo logie de biopo lit ique des populat io ns. "Cet t e dilat at ion du pouvo ir sur les
vies, cet accro issement du magist ère médical dans le gouver nement des
conduit es et des expert ises des co mportement s, ces nouvelles fo nct io ns de
rééducat ion et de nor malisat io n psychique dans la gest ion des populat ions
const it uent un sympt ô me dans le lien so cial" 134.Nous chercherons d'abord à
vo ir en quo i elle consist e et comment elle s'exerce, avant de chercher à en
sais ir les limit es.
Cet t e "psychiat r isat io n" de la sociét é française se lit d'abord dans le s
st at ist iques: " S i la prévalence des maladie s ment ales st ricto sensu rest e st able
dans la populat ion (1% de schizophr énies;15% de dépressio ns),on const at e, en
revanche, une augment at io n not able du nombr e des ind ividus qui consult ent
en psychiat r ie; six fo is plus de dépressio ns déclarées en t rent e ans, un t aux de
suicides en augment at io n jusqu'en 1998, des t roubles de la perso nnalit é
toujours en cro issance. Le no mbre des personnes pr ises en charge en t re 1992
et 2000 est en augment at ion de 17% chez les psychiat res libéraux et de 46%
dans le public. E n médecine générale, un consult ant sur quat re présent e un
t rouble ment al, et ,dans les ét udes épidémio lo giques françaises co mme anglo saxonnes, près de un quest ionné sur deux avoue 135 un t rouble ment al au
mo ment de l'enquêt e. En 1998, les affect ions psychiat r iques ét aient au
premier rang des causes médicales à l'or igine d'une pensio n d'invalid it é." 136
L'administ rat ion de médicament s est l'essent iel de cet t e prat ique médicale
exercée
pr ior it airement
E.Zar ifian:
"Ce
sont
par
les
les
médecins
médecins
généralist es.
généralist es
qui
Comme
le
dit
prescr ivent
les
psychot ropes dans 80%à 90% des cas. La psychia t r ie s'est vidée de sa
133
R.Gori et MJ.Del Volgo, op cit p21
ibid p14
135
Notons, au passage, ce terme non ambigüe qui exprime généralement la reconnaissance d'une faute.
136
R.Lepoutre ."La santé mentale en chiffres", in J de Kervasdoué et R.Lepoutre (dir) op cit p 69
134
44
subst ance
137
-à savo ir la connaissance du psychisme - pour s'aligner t ot alement
sur le mo dèle médical en ét ablissant une r elat ion dir ect e ent re des sympt ô mes
psychique iso lés et l'ad minist rat ion d'un méd icament . Paradoxalement les
médicament s psychot ropes auraient - ils t ué la psychiat r ie? Pour la ps ychiat r ie
officie lle cont emporaine, tout sympt ô me psychique, selo n le dogme imposé,
obéit
au modèle médical et
ses dét er minant s so nt
supposés d'or igine
chimique. I l est ensuit e facile de recomm ander co mme seul t rait ement
envisageable une pilule ag issant sur
la chimie cérébra le...Cinquant e ans
après leur découvert e, leur ut ilisat ion ext ensive dans la vie quot idienne
consacre une psychiat r ie nor mat ive au ser vice d'une mo ndia lisat ion des
mar chés de la sant é" 138. Pour E.Zarifian, les médicament s psychot ropes ont ét é
dét ournés de leur fina lit é :"ils n'auraient jamais du êt re ut ilisés pour
"pat ho logiser" les épreuves inhér ent es à la vie co mme les deuils, les chagr ins,
les désillusio ns, l'anxiét é ou le f rust rat ions. Cela cont r ibue à le rendre passi f
et dépendant . On t ransfor me ains i un sujet capable de se bat t re et d'expr imer
sa vo lo nt é en un objet qui subit et se t ait . Recevo ir une aide morale et
psycho logique pour ret rouver son aut ono mie dans l'exist enc e, c'est aut re
chose que d'êt re t ransfor mé en ma lade, alors que l'on vit une épreuve" 139.
Le médicament a-t -il ét é dét ourné, comme le pense E.Zar ifian, ou just ement
ut ilisé dans le but dénoncé par Zar ifian dans le cadre d'une pensée "fascist e",
au sens où l'ut ilisent R.Gori et MJ del Volgo 140?L'opposit io n se sit ue en fait
ent re l'ordre de la parole ,qui const it ue l'humain et l'ordre inst it ué par la
bio logie où la mét hode scient ifique r épudie le langage subject if de la
souffr ance" 141.""E xpropr ié" nous semble le mo t qui co nvient pour désigner
cet t e relat io n d'ét ranget é int ime que le pat ient éprouve par rapport à un corps
qui le menace, le fait souffr ir ou le limit e dans ses ambit io ns vit ales. On
ent r'aper ço it aisément les effet s de ravage que de t elles procédures pe uvent
avo ir sur la subject ivit é quand cet t e dépossessio n s'exerce sur ce qui la fo nde
ont ologiquement : le corps". 142"Cet t e expropr iat io n subject ive de la malad ie et
137
Il s'agit plutôt d'un aggiornamento (voir supra et la fin de l'article)
E.Zarifian.:" Cinquante ans de médicaments psychotropes". in J de Kervasdoué et R.Lepoutre (dir) op cit
p391-8
139
ibid p397
140
R.Gori et MJ.Del Volgo, op cit p50:"ce souci de transparence est fasciste"
141
idem p46
142
idem p 77
138
45
de ses t rait ement s convoque le pat ient à devo ir guér ir d'une
aut re maladie
que la maladie médicale: "la maladie du malade" 143.
La réorganisat io n de la médecine publique au bénéfice d'une médecine pr ivée
(en France, avec la lo i HPST) et qui vo it une diminut ion des mo yens de ce lle là n'est en r ien cont radict o ire avec cet t e sur méd icalisat io n de la soc iét é. Le
livre de F. Cast el, R.Cast el et A.Lo vell: "L a sociét é psychiat r ique avancée"
nous décr it , co mme par une ant hropologie vécue en ext ér ior it é, la sociét é
amér icaine, sous l'angle de so n rapport avec la psychiat r ie, dans les années
1980.Ce livre est pr écieux car il ant icipe la sit uat ion que nous connaisso ns
aujourd'hui en France. "Le par adoxe qui caract ér ise tout e la médecine
amér icaine: d'une part , des mo yens import ant s, des pro fessio nnels haut ement
qualifiés, une t echno logie sans dout e la plus avancée au mo nde, et d'aut re
part , une dist r ibut ion inégalit aire et inhumaine des ser vices qui fait de la
maladie un cauchemar pour des dizaine s de millio ns d'Amér icains" 144. La
psychiat r ie publique va êt re appelée à r épondre à de nouvelles demandes,
dans le même t emps où ses mo yens so nt diminués, et elle va le faire dans le
cadre de la pensée médicale précédemment décrit e.
Dans le cadre de ses nouvelles missio ns, elle devr a "répo ndre à l'urgence",
face aux "sit uat io ns de cr ise". C'est à elle qu'on demandera de cons t it uer les
"cellu les de cr ises" dans les sit uat ions d'accident . C'est , ici, voulo ir opérer
une prévent ion pr ima ir e, voulo ir gérer les r isques. I l ne s'agit évidemment pas
ici de minimiser l'import ance de la cat har sis par rapport au vécu t raumat ique,
mais d e déno ncer l'abus de disposit if , la dramat isat io n qu'il inst aure et
l'injo nct io n de paro le qu'il opère. La vict ime de l'accident n'est - il pas mis e n
place de "supposé-t raumat isé"? On peut se demander, co mme dans le cadre du
DSM-III, si la réponse reçue ne r isque pas d'êt re la réponse at t endue et si le
disposit if t echnique ne prend pas la place de l'accueil - l'accueil humain- d'une
paro le possible.
Nous portons une réflexio n encore plus cr it ique sur la not io n de dépist age
précoce. La prévent ion médicalisée voudra considérer qu'une mère ét iquet ée
schizophrène sera port euse d'une maladie const it ut ionnelle hérédit air e et
t ransmissible. Co mme nous l'avo ns vu, cela est un présupposé t héor ique. La
143
144
idem p106
Castel,Castel et Lovell ,op cit p 85
46
prévent ion médicalisée amènera l'environnement , famille et corps médical, à
faire pressio n sur la ma man 145 pour une int errupt io n vo lont aire de grossesse,
vo ir e ult ér ieurement -ou prévent ivement - pour une ligat ure des t rompes.
L'enfant est - il t urbulent dès ses t rois ans, ou même avant ? C'est là, sans
dout e, le signe d'une p at ho logie nouvelle , d'une prédisposit io n à la
délinquance qu'il co nvient de médiquer le plus t ôt possible et sur veiller de
près. Cela ne va-t - il pas dét er miner son comport ement ult ér ieur ?
On peut vo ir la st igmat isat ion co mme un des élément s de ce cont ext e , et non
co mme un phéno mène social, ét er nel, quasi nat urel, lié à la peur du fou. Dans
son art icle:"L'exclusio n et la nor me", Er ic P iel mo nt re que "les sociét és
huma ines ont de tout t emps inclus l'exclusio n dans leur s organisat ions
const it ut ives". 146 Nous avançons, ici, l'hypot hèse que la st igmat isat ion des
fous est un out il d'assurance et de réassurance de la cohésio n sociale. Cet t e
st igmat isat io n n'est en r ien inco mpat ible avec une po lit ique de réinsert ion
sociale menée dans le cadre du sect eur et co mpat ibl e avec les différ ent es
polit iques d'insert io n des "publics -en-difficult é". E ncore que ce public - là
relève d'un ser vice part iculier :un ser vice méd ical. Le problème que posent
les sans-do mic ile- fixe t ient au fait que c'est par leur souffrance sociale qu'ils
sont reconnus et que c'est leur souffr ance ps ychique qui fait problè me.
Expropr iés
à
double
t it re,
souvent
sans
ident it é
ni
perso nnelle,
ni
administ rat ive, ils "échappent " au disposit if de sect eur 147, mais pas t oujours à
la pensée administ rat ivo - médicale. Le "plan grand- fro id" per met d'ut iliser la
législat io n spécifique aux malades ment aux pour hospit aliser sous cont raint e
une personne refusant un hébergement par grand fro id et met t ant ainsi sa vie
en danger.
Cet t e médicalisat ion de la sociét é expr ime l'enva hissement de la vie sociale
occident ale par la pensée t echno logique. Dans le champ de la sant é, c'est la
génét ique qui va êt re ut ilisée co mme support du discours t echno logique .
Rabino w 148 nous fait t oucher du do igt la révo lut ion génét ique. "Je pense que
la génét ique nouvelle s'avérer a plus à même de t ransfor mer la vie et la sociét é
que ne l'a ét é la phys ique moder ne, car elle est engagée dans la fabr ique
145
Cette expression est très souvent un euphémisme
E.Piel :"L'exclusion et la norme "inJ.de Kersvadoué et R.Lepoutre op cit p357
147
Le soutien psychologique est assuré marginalement, sauf exceptions notoires (E.Piel, JP Martin..)
148
Paul Rabinow. "Artifices et Lumières de la sociobiologie à la biosocialité" in A.Ehrenberg et A.Lovell op cit
146
47
sociale, à laquelle elle se rat t ache par tout e une sér ie de prat iques et de
discours biopo lit iques....Da ns l'avenir, la génét ique ne se cont ent era plus de
four nir des mét aphores aux sociét és modernes: elle va devenir un réseau où
cir culeront des t er mes met t ant en jeu l'ident it é et ses limit es. Aut our de cett e
cir culat io n et à t ravers e lle, émergera un aut he nt ique t ype d'aut o -product io n
que j'appelle "bio socialit é". S i la socio biologie est une cult ur e const ruit e sur
une mét aphore de la nat ure, dans la bio socialit é, la nat ure ser a confor mée aux
cult ures co mpr ises co mme une prat ique. La nat ure sera co nnue et re fabr iquée
à t ravers la t echnique pour devenir fina lement art ific ielle, de la même faço n
que la cult ure devient nat urelle. " 149 Rabinow s'appuie sur les t ravaux de
R.Cast el:
"La
gest ion
des
r isques -De
l'ant ips ychiat r ie
à
l'apr ès
psychanalyse"(1981) pour mo nt re r que la prévent ion moder ne est avant tout
une recherche des r isques." La cible n'en est pas une personne, mais une
populat ion à r isque. Pour reprendre les t ermes d'une associat ion de lut t e
cont re le S ida en France, " Ce n'est pas qui o n est mais ce qu'on fait qui crée
le r isque." 150 Faut - il r elever qu'ic i aussi, qu'ic i encore, la st igmat isat ion des
personnes prend la place dévo lue au "Pr incipe de responsabilit é"?
149
150
idem p 299-300
idem p301
48
Pou r con clu re cette étude
La co nclusio n de l'art icle de Rabino w
ouvre la vo ix à une discussio n avec
Robert Cast el qui nous per met de reprendr e, ici, la confusio n ent re le discours
médical et l'approche à t raver s le concept de sant é ment ale. L'enjeu prat ique
est de t aille lor sque l'o n considère le r egard à port er sur les expér iences
alt er nat ives: so nt -elles de nouvelles for mes d'exercice du pouvo ir médica l, ou
au cont raire un cont repoids indispensable, à un mo ment hist or ique donné,
quit t e à perdre cet t e dimensio n et cet t e valeur ult ér ieurement ? N'est -ce pas
leur fonct ion de "fa ir e signe", plut ôt que de durer ?
Rabino w conclut en cit ant Cast el : "De nouvelles for mes d'encadrement
devraient émerger, visant à réduire les probabilit és d'avo ir un handicap et à
évaluer les r isques. Ces t hérapies à dest inat io n des gens "nor maux" iront de la
modificat ion du co mport ement à la gest ion du st ress, en passant par des
t rait ement s int eract io nnels de tout es sort es" 151. Nous voyo ns chez Cast el dans
son ouvrage sur "la sociét é psychiat r ique avancée" 152 une confusio n ent re la
prat ique médicale et la pro mot ion de la sant é. Co mm e les gest io nnair es
responsables des équipement s sanit aires, R.Cast el réduit la not ion de sant é à
la médicalisat ion, sans vo ir t out l'int érêt d'une pr ise en co mpt e de la sant é
dans une accept io n posit ive. Cet t e confusio n t raver se t out l'ouvrage, au
demeura nt passio nnant de Cast el, Cast el et Lovell et les fa it passer à côt é de
ce que le mouvement d'hygiène ment ale, d'une part , et le mouvement des
alt er nat ives à la psychiat r ie, ont apport é co mme co nt repoint et cont repouvo ir
à l'idéo logie médicale. Le réc it de l'hist o ire du mouvement d'hygiène ment ale
est pourt ant riche et document é .Il mo nt re comment la cr it ique de l'hôpit a l
psychiat r ique y est né dès les années 1880, et comment le livr e de Clifft o n
Beer s: "A Mind t hat found It self, " 153 t émo ignage d'un psychiat r isé, a per mis
en 1908, il y a plus de cent ans, de lancer un grand mouvement populaire e n
faveur des malades ment aux. "Son coup de génie, c'est qu'au lieu de ressasser
ses infort unes en se cont ent ant de dénoncer la condit io n asilaire, il met
l'accent sur la nécessit é d'évit er, aut ant que faire se peut , le passage par
l'hôpit al en suscit ant une po lit ique d'éducat io n du public et de développement
151
P.Rabinow, art cit p 303
F. Castel, R.Castel et A.Lovell ,op cit
153
Cliffton Beers :Raison perdue, raison retrouvée Payot 1951.Ce livre précédé d'une préface d'A.Maurois est la
traduction de la 30ème édition américaine. Il est presque impossible à trouver aujourd'hui.
152
49
de for mes d'int er vent ions mo ins inva lidant es" 154 De la rencont re de Clifft o n
Beer s avec Ado lf Meyer naît ra le mo uve ment d'hyg iène ment ale, dont les
aut eurs nous disent :" C'est le passage d'une problé mat ique de la mal adie
ment ale à une problémat ique de santé ment ale, port e ouvert e à tout es les
manipulat io ns ps ycho logisant es" 155 . Kirk et Kut chins nous avaient pourt ant
mo nt ré que c'est cont re l'influence de la pensée de Meyer que fut conçu le
DSM. Même genre de cr it ique 156 vis à vis du travail social psychiat r ique, dans
le mê me t emps où ils mo nt rent son art iculat ion avec le Set t lement House
Movement qui dévelo ppe" une prat ique d'assist ance visant à l'améliorat io n de
l'habit at , à l'aide mat ér ielle et même au co mbat pour la dignit é(par mi eux se
t rouvent les premier s milit ant s pour l'égalit é des no ir s et de no mbreuses
féminist es) " 157.La même opprobre couvre les expér iences réali sées dans le
cadre de la cont recult ure underground amér icaine: "Le fonct io nnement des
co llect ifs d'ent raide médicale( médical self - help) est sans dout e ce qui se
rapproche le plus de cet idéal [ féminist e] ...A la différence des f ree clini cs, il
ne s'agissait pas ici de prat iques marginales par rapport aux prérogat ives
médicales t radit io nnelles, mais d'une att eint e au mo nopole médical lui même, " disent les aut eurs, qui ajo ut ent pourt ant : "Dans quelle mesure ces
t echniques sont -elles co mpat ibles avec le projet d'une pr ise de conscience
sociale des dét er minat io ns de l'aliénat io n féminine?... Aussi ne faut - il pas t rop
s'ét onner, que co mme dans le mouvement des f ree clini cs, un cert ain no mbr e
d'inno vat io ns des t hérapies féminist es aient ét é int égrées dans l'apparei l
psychiat r ique classique" 158. Le même sort est réser vé au mo uvement des
ho mosexuel( le) s. Même le mouvement des " psychiat r isés en lut t e" n' y
échappe pas: S i "ces groupes ont opéré un débordement du légalis me à part ir
du pr incipe que "la libérat ion des psychi at risés est la t âche des psychiat r isés
eux- mêmes"...ét ant donné le r apport de force disproport ionné ent re ce qu'ils
représent ent et ce à quo i ils s'at t aquent , il n'est pas cert ain que la r adicalit é
de la plupart d'ent re eux suffise à les préser ver de l'ass imilat io n dans le
syst ème o ffic iel" 159.Cett e lect ure des fa it s sert à la défense d'une t hèse qu i est
154
F. Castel, R.Castel et A.Lovell ,op citp 49
ibid p 52
156
"Ils sont des spécialistes d'un "malajustement psychologique"..il s'agit toujours de "blâmer la victime". p60
157
ibid p58
158
ibid p 270-272
159
ibid p284-286
155
50
que " Le problème qui se pose à la médecine ment ale amér icaine -co mme à
tout e psychiat r ie aujourd'hui- est de réaliser un équ ilibre ent re effet s
d'hér it age et effet s d'inno vat ion, cont inu it é de son inspirat io n et changement
ou adapt at ion de cert aines de ses mét hodes. L'enjeu, c'est de répo ndre aux
exigences du siècle, de réussir un aggiornamento ". 160 Le const at d'une
récupérat io n de l'inno vat io n par le discours médical est indéniable et
difficile ment
cont est able.
En
cela
il
ne
déroge
pas
à
une
prat ique
ont ologiquement liée au fonct io nnement de la bourgeo isie et qui cont r ibue
essent iellement à sa suprémat ie .Est - il nécessair e pour aut ant de cont est er "le
dest in ambigu des inst it ut io ns alt er nat ives"? Peut -on dire , avec les aut eurs,
que: "Lorsque l'o n admir e ces réalisat ions "démo crat iques", on oublie, en
général, d'ajout er qu'elles so nt souvent insp ir ées par la vo lo nt é de faire
respect er de gré ou de force le conse nsus"? 161 Il est possible, vraisemblable,
logique que, face au discours do minant qui est le discours médical, le s
expér iences alt er nat ives so ient amenées soit à disparaît re dans leur exist ence
jur idique, so it à disparaît re dans leur spécificit é en s'int égran t au syst ème
médical. C'est dire, en ut ilisant un néo logisme qu'elles sont "mort ables", à la
différence
des
impér issables
ét ablissement s.
Si
ces
expér iences
sont
"mort ables", c'est alors qu'elles sont port euses de vie, d'un discours vivant ,
c'est sans dout e qu'elles sont des espaces de créat ivit é. Qu'est -ce à dire? E st ce possible? Est -ce là que se réalise, chaque fo is de manièr e éphémère et
chaque fo is renaissant , le co ncept de la sant é ment ale co mme valeur et pensée
posit ive? C'est ce nous t âchero ns de vo ir.
160
161
ibid p288
ibid p354
51
2. Les alternatives à la pensée psychiatrique.
Les apports philosophiques
de Michel Foucault et de Gilles Deleuze et Félix Guattari.
52
La pensée psychiat r ique, la logique du discours psychiat r ique repose, à not re
avis, sur une apor ie, qu i se t ient , tout e ent ièr e, dans la cont radict ion ent re son
but et son objet . Son but , et c'est en cela quelle peut prét endre au st at ut de
science, c'est d 'êt re une démar che de connaissance object ive. L' objet de cet t e
recherche , c'est la subject ivit é. Cert es, ceci est vrai de l'ense mble de la
médecine, et Canguilhem mo nt re bien que " Ce qui fa it la vér it able difficult é
de la médecine : la ma ladie, en acquér ant un st at ut scient ifique, se sépare de
plus en plus de ce que l'int ér essé en éprouve". 162La langue angla ise per met à
l'ant hropologie amér icaine ce que la langue française, qui n'a à sa disposit io n
que le seul mot de maladie, ne peut faire : dist inguer les t rois accept io ns du
mot . L'anglais dist ingue "illness": la maladie t elle qu'elle est vécue, de
"disease": la maladie t elle que la médecine l'object ive et de "sickness" qui est
la maladie définie à t ravers les rô les sociaux du malade. La cit at ion de
Canguilhem passe égale ment à côt é de cett e dernière dimensio n, qui joue un
rôle t ellement essent iel en ps ychiat r ie. La psychiat r ie, que l'o n appelait
aut refo is la "médecine spécia le" n'est pas , quelques so ient les effort s que l'o n
déplo ie pour nous prouver le cont rair e, une médecine co mme les aut res. Pour
reprendre la belle expressio n d'A.E hrengerg et A.Lovell: "La psychiat r ie est à
la fo is médeci ne comme une autre et autre que la médecine " 163, parce qu'elle
se do nne co mme o bjet la capacit é de jugement , la capacit é du sujet d'évaluer
correct ement le "lui- même" qui souffr e. Elle se sit ue au cro isement du
médical, du social et du moral. E lle veut sit uer en ext ér ior it é des quest io ns
philosophiques
qui port ent
sur
la concept ion du sujet
humain et
ne
s'app liquent pas, de la même faço n, à d'aut res br anches de la médecine, par
exemple, la cancéro logie et la cardio logie . Il faut donc chercher en dehors du
champ psychiat r ique la recherche d'un aut re disc ours, un discours qui prenne
en co mpt e la quest io n des rô les sociaux en rapport avec la souffr ance
psychique. Le cho ix des aut eurs: Michel Foucault , d'une part , et Deleuze et
Guat t ari, d'aut re part , n'est pas anodin. I ls sont cont emporains, assez proches
pour avo ir comment é leur s écr it s et même s'êt re influencé, mais ils ne fraient
pas les mêmes chemins, co mme on verra, sauf dans deux domaines qui nous
t iennent à cœur: la place qu'ils do nnent les uns et les aut res à l'évènement ,
162
163
G.Canguilhem:Le normal et le pathologique.PUF 1966, cité par J.Clavreul: l'ordre médical Seuil Paris 1978 p25
A.Ehrenberg et A.Lovell art cité p 11
53
d'une part , et à la sit uat io n des per sonnes ét iquet ées "fo lles" ou "malades
ment aux", d'aut re part . Not re cho ix a donc ét é claire ment cho isi en fo nct io n
de not re sujet de recher che et de not re proximit é avec ces aut eurs. Not re
t ravail d'analyse s'at t achera do nc à vo ir comment ces au t eurs ont fait avancer
la quest ion de la pr ise en co mpt e, la quest ion de l'appropr iat io n du pouvo ir et
de la paro le dans un champ social que nous no mmo ns le champ de la sant é
ment ale (concept sur lequel il nous faudra revenir). Not re travail d'analys e
s'at t acher a également à chercher les limit es de ces aut eurs dans leur réflexio n
sur
cet t e
quest ion.
Ces
aut eurs
ont
souvent
ét é
qualifiés
"d'ant ipsychiat r iques". I ls s'en sont défendus, préférant , dans le cas de Félix
Guat t ari, ut iliser le t er me "d'alt er nat ive ". Nous avons nous- mêmes souligné
dans not re int roduct io n ce cho ix, qui n'est pas de l'ordre d'une simple
sémant ique. I l s'agit bien d'êt re dans une aut re logique de discours.
54
Foucau lt
Est -il beso in de fair e part , ici, de l'import ance de l'impact des trav aux de
Michel Foucault sur la manière de considérer les fous et la fo lie ? Le no mbr e
des co lloques et des publicat ions qui o nt suivi la publicat io n en 1961 de
"Fo lie et Déraiso n. Hist o ire de la Fo lie à l'âge classique" 164, qui fut un énor me
succès de librair ie, en t émo ignent , ainsi que la foule qui se pressait à ses
cours au Co llège de France, not amment à ceux sur le Pouvo ir Psychiat r ique 165
et les Anor maux. 166Les ho mmages éloquent s ont suivi sa mort en 1986 , et , le
23 novembre 1991, un co lloque de la sociét é d 'hist o ire de la psychiat r ie et de
la psychanalyse co mmémor ait " l'hist o ire de la fo lie, t rent e ans après" 167.
Foucault fut pourt ant , au départ , ext rêmement cont est é , mais cet impact fut s i
fort qu'Henr i E y décida de l'organisat ion d'un co lloque de l'E vo lut i on
Psychiat r ique sur "la co ncept io n idéo logique de l'Hist o ire de la fo lie" à
Toulouse en décembr e 1969. 168Foucault refusa de s'y rendre:" I l s'agit là d'une
posit ion psychiat r icide si lourde de co nséquence pour l'idée même de l'ho mme
que nous eussio ns beauco up désiré la présence de M ichel Foucault par mi
nous. Tout à la fo is pour lui rendr e le just e ho mmage de not re admir at ion pour
sa pensée et pour cont est er que la "maladie ment ale" puisse êt re considérée
co mme la mer ve illeuse manifest at io n de la fo lie ou plu s except io nnelle ment
co mme l'ét incelle mê me du génie poét ique. Car elle est aut re chose qu'u n
phéno mène cult ur el, " nous dit H.E y 169. Cr it iquées par les uns, encensées par
les aut res, les analyses de l'Hist o ire de la Fo lie de Foucault sont belles et
bien rent rées aujourd'hui dans l'hist o ire de la psychiat r ie.
Foucault a lui- même synt hét isé sa pensée dans les phrases où il la présent e
lor s de sa récept ion au Co llège de France: "I l exist e dans not re sociét é un
aut re pr incipe d'exclusio n: non plus un int erdit , m ais un part age et un rejet . Je
pense à l'o pposit io n raiso n et fo lie. Depuis le fo nd du Mo yen -âge, le fou est
celui dont le discours ne peut pas cir culer comme celui des aut res: il arr ive
164
M.Foucault. Folie et Déraison Histoire de la folie à l'âge classique. Plon Paris 1961.réédité sous le titre Histoire
de la folie à l'âge classique Gallimard, Paris 1972 (sans la préface) Coll Tel 1976
165
M.Foucault. Le pouvoir psychiatrique Gallimard Paris 2003
166
M.Foucault. Les Anormaux Gallimard Paris 1999
167
E.Roudinesco (dir): Penser la folie. Galilée Paris 1992
168
Actes du colloque. Evolution psychiatrique, 36,II Privat, Toulouse 1971.Ont notamment participé à ce
colloque: G.Daumézon, H.Szulman, Antoine Porot, Eugène Minkowski, Julien Rouart.
169
ibid , cité par Roudinesco "Lectures de l'Histoire de la folie: introduction" in Penser la folie ,op citp15
55
que sa paro le so it t enue pour nu lle et non avenue, n'ayant ni vér it é ni
import ance, ne pouvant pas fa ir e fo i en la just ice, ne pouvant pas aut hent ifier
un act e ou un cont rat , ne pouvant pas même, per met t re la t ranssubst ant iat ion
des corps; il arr ive aussi en revanche qu'on lui prêt e, par opposit io n à t out
aut re, d'ét ranges pouvo ir s, celui de dir e une vér it é cachée, celui de prononcer
l'avenir, celui de vo ir en t out e naïvet é ce que la sagesse des aut res ne peut
percevo ir. I l est cur ieux de const at er que pendant des siècles en Europe la
paro le du fou ou bien n'ét ait pas ent end ue, ou , si elle l'ét ait , ét ait écout ée
co mme une paro le de vér it é. Ou bien elle t o mbait dans le néant -rejet ée
aussit ôt que proférée; ou bien on y déchiffrait une raiso n naïve ou rusée , une
raison plus raiso nnable
que celle des gens raiso nnables. De t out e façon,
exclue ou secrèt ement invest ie par la raison, au sens st r ict , elle n'exist ait pas.
C'ét ait à t raver s ses paro les qu'o n reco nnaissait la fo lie du fou; elles ét aient
bien le lieu où s'exerçait le part age.....On me dira que t out ceci est fini
aujourd'hui ou en t rain de s'achever; que la paro le du fou n'est plus de l'aut re
côt é du part age; qu'elle n'est plus nulle et non avenue; qu'elle nous met aux
aguet s, au cont raire; que nous y cherchons un sens, ou l'esquisse, ou les
ruines d'une œuvre; et que nous so mmes parvenus à la surpr endre, cet t e parole
du fou, dans ce que nous art iculo ns nous - mêmes, dans cet accroc minuscule
par où ce que nous diso ns nous échappe. Mais t ant d'at t ent io n ne prouve pas
que le vieux part age ne joue plus....Quand bien mê me le rô l e du médecin ne
serait que de prêt er l'oreille à une paro le enfin libre, c'est toujours dans le
maint ien de la césur e que s'exerce l'écout e. Ecout e d'un discours qui est
invest i par le désir, et qui se cro it -pour sa plus grande exalt at io n ou sa plus
grande ango isse- chargé de t err ible pouvoir s. S'il faut bien le silence de la
raison pour guér ir les mo nst res, il suffit que le silence so it en alert e, et vo ilà
que le part age demeur e ." 170
Nous so mmes part is des rapport s de Foucault avec la psychanalyse. Co mme
nous veno ns de le vo ir dans cet t e cit at ion, cet t e quest ion est au cent re de la
réflexio n sur la pr ise de paro le. Mais ce qui int éresse Foucault , c'est mo ins ce
que les perso nnes disent que les rapport s de pouvo ir. La philosophie de
M.Foucau lt s'art icu le aut our de la not ion de pouvoir. "Foucault élève la
not io n de "pouvo ir " au rang de cat égorie hist or ico -transcendant ale dans le
170
M.Foucault L'ordre du discours Gallimard Paris 1971p12-15
56
cadre d'une hist oriographie qui cr it ique la raiso n. Cet t e caract ér isat ion n'a
r ien de t rivia l" 171. L'analyse de la not ion de pouvo ir chez Foucault ret iendra
tout e not re att ent ion. E lle débouchera sur
l'ét ude de l'hist oriographie
foucaldienne et sur la cr it ique foucaldienne de la raison.
La psych analyse
On peut penser que Foucault n'aura it pas seule ment une cert aine ambivalence
par rapport à la psychanalyse, mais irait même jusqu'à t enir à son sujet des
propos cont radict o ires:
D'un côt é,
elle serait
un for midable
out il de
subver sio n et de libérat io n, d'un aut re côt é, elle serait la for me la plus
achevée de pouvo ir, dans le sens de maît r ise de quelqu'un sur quelqu'un
d'aut re. Qu'en est - il exact ement , et comment
faut - il co mpr endre cela ?
Inco hérence ou subt ilit é?
Dans " Les mot s et les choses", M. Foucault écr it : "La psychanalyse et
l'et hno logie occupent dans not re savo ir une place pr ivilégiée. Non po int sans
dout e parce qu'elles auraient , mieux que tout e aut re science huma ine, assis
leur posit ivit é et
acco mpli enfin le vieux pro jet
d'êt re vér it ablement
scient ifiques; plut ôt parce qu'aux confins de tout es les connaissances sur
l'ho mme, elles forment à coup sûr un trésor inépui sab le d'expér iences et de
concept s, mais surt out un perpét uel pr incipe d'inquiét ude, de mise en
quest io n, de cr it ique et de cont est at ion de ce qui a pu sembler, par ailleurs,
acquis... La p sychanalyse se t ient au p lus près d e cette fon ction critique . E n
se donnant pour t âche de faire par ler à t ravers la co nscience le discours de
l'inco nscient , la psychanalyse avance dans la direct ion de cet t e région
fo ndament ale où se jouent les rapport s de la représent at ion et de la
finit ude" 172.On
pourra
nous
object er
qu'il
s'agit
là
d'un
ouvrage
épist émo logique générale, et non d'une réflexio n sur la manièr e dont est prise
en co mpt e la souffrance psychique et ceux qui la port ent .
Dans l'H ist o ire de la fo lie, Foucault écr it en 1961:" I l faut êt re just e avec
Freud...Fr eud reprenait la fo lie au niveau de son langage, reconst it uait un des
élément s essent iels d'une expér ience réduit e au silence par le posit ivis me... il
171
J.Habermas .".Les sciences humaines démasquées par la critique de la raison: Foucault "in Le débat n°41
1986 p83 Extrait de Discours Philosophique de la modernité Suhrkamp Verlag , Frankfurt am Main 1985, p279312
172
M.Foucault. Les mots et les choses. Gallimard Tel Paris 1966 p 385
57
rest it uait , dans la pensée médicale, la possibilit é d'un dialogue avec la
déraiso n...Ce n'est point de psycho logie qu'il s'agit dans la psychanalyse:
mais précisément d'une expér ience de la déraiso n que la ps ycho logie dans le
mo nde moder ne a eu pour sens de masquer" 173.
On a pu penser que la pensée de M.Foucault sur la psychanalyse avait évo lué
ent re une pér iode "avant 68" et une pér iode "après 68", mais surt out "après
1972-3", dat e à laquelle il aurait ét é influencé par l'"Ant i -Oedipe" de Deleuze
et Guatt ar i 174 et le P sychanalysme de R.Cast el. 175 Out re que le fait que ce
serait là concéder peu de place à l'or iginalit é de M.Foucault , cet t e hypot hèse
ne t ient pas face à une analyse r igoureuse. En effet , Foucault écr it dans son
cours au Co llège de France de 1973 -74: "La psychanalyse peut êt re
int erprét ée co mme le premier grand recul de la psychia t r ie, le mo ment où la
quest io n de ce qui se disait dans les sympt ômes, le jeu de la vér it é et du
menso nge dans le sympt ô me s'est t rouvé imposé de force au pouvo ir
psychiat r ique. " 176
G. Canguilhem, qui fut le rapport eur lors de la sout enance de la t hèse sur
l'hist o ir e de la fo lie, est sensible à ce qu'il sent co mme une co nt radict io n chez
Foucault : "C'est à la fin de l'hist o ire de la fo lie qu'on apprend quand et
co mment
la
psychiat r ie
cesse
d'êt re
réellement ,
sous
un
mant eau
de
philant hropie, une po lice des fo us. C'est avec et par Freud. Foucault dit de
lui: "I l a démyst ifié
les st ruct ures asilair es, il a report é sur lui t ous les
pouvo irs qui s'ét aient répart is dans l'exist ence co llect ive de l'asile"...Mais
une int errogat io n subsist e...Foucault maint iendrait - il ce qu'il a dit de Freud,
qu'il a "amp lifié les vert us de t haumat urge du personnage médical?" 177.Pour
co mprendre co mment Foucault se sit ue, et ce dès 1961et non dans l'après 68
ou après l'Ant i- Oedipe, il faut lir e Foucault jusqu'au bout : "I l [Freud] a bie n
délivré le ma lade dans laquelle l'avaient aliéné ses "libérat eurs"; mais il ne
l'a pas délivr é de ce qu'il y avait d'essent iel dans cet t e exist ence; il a
regroupé les pouvo ir s, les a t endu au maximum, en les nouant ent re les mains
du médecin; il a créé la sit uat ion psychanalyt ique, où... l'aliénat io n devient
désa liénant e, parce que dans le médecin, elle devient sujet . Le méd ecin, en
173
M.Foucault .Histoire de la folie à l'âge classique. Gallimard Tel 1972 p 428 ultérieurement identifié HDF 72 T
G.Deleuze et F. Guattari Capitalisme et schizophrénie, t1:l'Anti-Oedipe Minuit. Paris 1972
175
R.Castel : Le Psychanalysme F.Maspero.Paris 1973
176
M.Foucault :Le pouvoir psychiatrique Gallimard/seuil , Paris 2003 p137 ultérieurement identifié PP
177
G.Canguilhem."Ouverture" in Penser la folie op cit p40-41
174
58
tant que figu re ali énante, reste la clef d e la psychanalyse. 178 C'est peut -être
parce qu'elle n'a pas suppr imé cet t e st ruct ure ult ime...que la psychanalyse ne
peut pas, ne pourra pas ent endre les vo ix de la déraiso n, ni déchiffr er pour
eux- mêmes les s ignes de l'insensé. La psychanalyse peut dénouer quelques
une des fo r mes de la fo lie; elle demeure ét rangère au t ravail souver ain de la
déraiso n. E lle ne peut ni libérer ni t ranscr ire, à plus fort e raison, expliquer ce
qu'il y a d'essent iel dans ce labeur. " 179 C'est t rès clair: Foucault réduit le
psychanalyst e au médecin. P our Foucault , il y a, d'un côt é, la t héor ie
psychanalyt ique, qui ,par la reco nnaissance de l'inco nscient est port euse d'une
profonde valeur subver sive, et , d'un aut re côt é, la prat ique, qui co mme t out e
prat ique médicale, est aliénant e. Cert es, la posit ion n'est pas sans cont enir
une part de vér it é et l'on peut s'int erroger sur l'aut hent icit é d'un di alo gue
quand la psychanalyse est convoquée pour sout enir un discours bât i sur des
nosographies psychiat r iques object ivant es 180 .Le grand mér it e de Foucault est
d'avo ir mo nt ré comment la place de l'ho mme est niée par la psychiat r ie."Le fou" est un ho mme déchu, dépossédé de sa paro le par le discours médical.
Mais, en séparant ainsi la t héor ie et la prat ique psychanalyt ique, e n
att ribuant ,
dans
le
gest e
réduct eur
du
ps ychanalyst e
au
médecin,
au
psychanalyst e le pouvo ir de maît r ise, Foucault ne court -il pas le r isque
d'ignorer purement et simplement l'essence de la psychanalyse, qui est d'êt re
un espace de paro le ? On vo it bien que ce qui fait problème pour Foucault ,
dans la ps ychanalyse, c'est le disposit if, qui est -pour lui, mais pas seule ment
pour lui, c'est un fait - diss ymét r ique. Mais, ce qui est en jeu ,dans la
psychanalyse, ce qui est sa référence, sa référence ét hique, sa référ ence de
pensée, c'est la pr ise de p aro le : "L'expér ience psychanalyt ique a ret rouvé
dans l'ho mme l'impérat if du ver be co mme la lo i qui l'a for mé à son image.
E lle manie la fo nct io n poét ique du langage pour donner à so n désir sa
médiat ion symbo lique. Qu'elle vous fasse co mprendre que c'est d ans le don de
paro le que réside tout e la réalit é de ses effet s; car c'est par la vo ie de ce don
que tout e réalit é est venue à l'ho mme et par son act e cont inué qu'il la
maint ient " 181. La pr ise en co mpt e de la par ole, et de la paro le de ceux qu'on
178
C'est nous qui soulignons
HDF 72T p 631-2
180
Voir à ce sujet M-A Wolf Dialogue avec le sujet psychotique Triptyque 2005
181
J.Lacan ."Fonction et champ de la parole et du langage" in Ecrits Seuil Paris 1966 p 322
179
59
dit fous au pr emier chef, suppose des adresses. L'un des premier s lieu x
possible est la ps ychanalyse. Cela est dans son essence, d'êt re un lieu d'écout e
de "ce qui se dit ". S i nous par lo ns de la psychanalyse, et non du disposit if
psychanalyt ique, c'est pour souligner que ce qui est jeu dans la psychanalyse
peut aussi êt re, dans d'aut res sit uat ions que la sit uat ion de la "cur e -t ype" 182.
Mais la ps ychanalyse n'est pas le seul mo yen de pr ise en co mpt e de la paro le.
I l y a une infinit é de manière de pr ise en co mpt e de la pa ro le de l'aut re, de
l'aut re "fou". Le plus simp le est généra lement de lui demander son avis.
On peut donc avo ir le sent iment que la lect ure foucald ienne de la prat ique
psychanalyt ique met t e ici l'accent sur une no n pr ise en co mpt e par Foucault
de la pr ise de la paro le par "le - fou". Cela peut sembler paradoxal. E n effet ,
co mme le fait remarquer J.Haber mas: "Foucault co nject ure derr ière le
phéno mène engendré par la psychiat r ie de la maladie ment ale, et d'une
manière générale derr ière les différ ent s masques de la fo lie, une figur e de
l'aut hent icit é, une figure réduit e au silence et dont il faut ouvr ir la bouche" 183.
Mais cet t e quest io n de l'aut hent icit é n'int éresse Foucault qu'en t ant qu'elle
per met de révéler un rapport de pouvo ir. Dans ce passage de la préfa ce de
1961 M. Foucault définit so n pro jet de l'Hist oire de la Fo lie: "Cet t e st ruct ure
de l'expér ience de la fo lie, qui est tout ent ière de l'hist o ire, mais qui siège à
ses confins ... fait l'o bjet de cet t e ét ude .C'est dire qu'il ne s'agit po int d'une
hist o ire
de
la
connaissance,
mais
des
mouvement s
rudiment air es
de
l'expér ience. Hist o ire, non de la psychiat rie, mais de la fo lie elle - même, dans
sa vivacit é, avant tout e capt ure du savo ir. Il faud rait donc tend re l'orei lle,
se pencher vers ce marmonnement du m onde, tâcher d'apercevoi r tant
d'images qui n'ont jamais été de poésie, tant de fantasmes qui n'ont
jamai s atteint les cou leu rs de la vei lle. ..La libert é de la fo lie ne s'ent end
que du haut de la fort eresse qui la t ient priso nnièr e... faire l'hist o ire de l a fo lie
voudra donc dir e: fair e une ét ude st ruct urale de l'ensemble hist orique not io ns, inst it ut io ns, mesures jur idiques et policières, concept s scient ifiques qui t ient capt ive une fo lie do nt l'ét at sauvage ne peut jamais êt re rest it ué en
lui- mê me; mais à défaut de cet t e inaccessible puret é pr imit ive, l'ét ude
182
Et, inversement, des situations, voire des discours se référant à la psychanalyse peuvent être totalement
dépourvus de ce qui fait l'essence de la psychanalyse.
183
J.Habermas.Les sciences humaines démasquées par la critique de la raison: Foucault in Le débat n°41 1986
p72 Extrait de Discours Philosophique de la modernité Suhrkamp Verlag , Frankfurt am Main 1985, p279-312
60
st ruct urale do it remont er vers la décis io n qui lie et sépare à la fo is ra ison et
fo lie. " 184
Une cit at ion de G.Canguilhe m nous int roduir a à la réflexio n sur le pouvo ir :
"I l est possible qu'au départ , Foucault ait ét é plus sensible, dans son analyse
des fo nct ions de pouvo ir, à l'aspect répressif de l'int er nement qu'à la
recherche pat ient e des mo yens de cont rôle et de normalisat ion. I l n'en rest e
pas mo ins que, dès le début de ses recher ches "généalogiq ues" en mat ière de
co mport ement s cult urels, il se présent e comme déno nciat eur de la nor malit é
des nor mes anonymes. D'où son att it ude de co mplicit é avec Freud" 185.
Concluo ns la réflexio n de la place de la psychanalyse dans la pensée de
M.Foucau lt par cet t e cit at io n qui r eflèt e bien sa pensée: "Freud invent eur et
modèle de l'ant inor malisat ion, qui a conféré à la psychanalyse l'ho nneur
polit ique...d'avo ir ét é en opposit ion t héor ique et prat ique avec le fascis me". 186
Le pouvoi r
Dans "le Pouvo ir Ps ychiat r ique", Foucault le dit exp licit ement : "Je voudrais
essayer de vo ir dans quelle mesure un disposit if de pouvo ir peut - il êt re
product eur d'un cert ain no mbre d'éno ncés, de discours et , par conséquent , de
tout es les for mes de représent at io ns qui peuvent en découler ?" 187 Canguilhe m
confir me dans la fin de l'art icle précit é que c'est le propos de Foucault dès
1961, dès l'H ist oir e de la Fo lie: "Dans la t hèse de Foucault , c'est de la fo lie
qu'il s'agit d'abord, no n de la mala die ment ale, c'est de l'exclusio n,
d'int er nement , de discipline qu'il s'agit d'abord, non d'asile d'assist ance et de
so ins. C'est d'un pouvo ir de relégat io n et non d'un savo ir d'ident ificat ion que
procède la prat ique médico -psycho logique, par le biais d'une prat ique
d'int er nement -assist ance"... Foucault accordait au fou une vér it é de son êt re
qui n'annula it pas sa libert é d'êt re fou." 188 De no mbr eux passages de l'Hist o ire
de la Fo lie en t émo ignent :"N'est - il pas import ant pour not re cult ure que la
déraiso n n'ait pu y devenir objet de connaissance que dans la mesure où elle a
184
M.Foucault "Préface à Folie et Déraison" in Foucault Dits et Ecrits I, 1954-1975 Quarto Gallimard 2001 p 192
G.Canguilhem: "Sur l'histoire de la folie en tant qu'évènement" in Débat op cit p37-39
186
M. Foucault. La volonté de savoir Gallimard Paris 2011 p 197-8
187
M.Foucault.: Le pouvoir psychiatrique. op cit p14
188
G.Canguilhem :"Sur l'histoire de la folie en tant qu'évènement" in Débat op cit p39
185
61
ét é, au préalable, objet d'exco mmunicat io n?"
189
"L'expér ience de la fo lie,
co mme maladie, pour rest reint e qu'elle est , ne peut êt re niée. E lle est
paradoxalement cont emporaine d'une aut re expér ience dans laquelle la fo lie
relève de l'int er n ement , du chât iment , de la correct ion" . 190" L'int er nement est
dest iné à corriger, et si t ant est qu'on lui fixe un t er me, ce n'est pas celui de
la guér ison, mais p lut ôt d'un sage repent ir" . 191 " En t ant qu'il est sujet de
droit , l'ho mme se libèr e de ses respo nsabilit és dans la mesure même où il est
aliéné...en un sens, il est just e de dire que c'est sur le fo nd d'une expér ience
jur idique de l'aliénat io n que c'est const it uée la science méd icale des maladies
ment ales." 192"L'ho mme
fou" 193..."Il
y
aurait
aliéné
deux
est
reconnu
for mes
de
comme
incapable
l'aliénat ion
et
co mme
essent ie llement
différent es... l'une est pr ise co mme limit at io n de la subject ivit é, l'aut re
désigne une pr ise de co nscience par laquelle le fou est reconnu, par sa
sociét é, comme ét ranger à sa propr e patr ie;...on le désigne co mme l'Aut re,
co mme l'Et ranger, co mme l'E xclu...Le concept d'" ali énation mental e"....n'est
au fo nd que la confusio n ant hropologique de ces deux expér iences de
l'a liénat ion, l'une qui concer ne l'êt re t ombé dans la puissance de l'A ut re, et
enchaîné à sa libert é, la seconde qui concer ne l'individu devenu Aut re,
ét ranger à la ressemblance fr at erne lle des ho mmes ent re eux" . 194
Foucault n'est pas un psychiat re. La ps ychiat r ie appar aît , dans les années 60,
avant et après Mai 68, co mme une fort eresse de l'ordre, et , à ce t it re, elle est
la cible pr ivilégiée d'une pensée ant i- aut orit air e . S i Foucault s'y int éresse,
dans ce t ravail, c'est à ce t it re et non pour t ent er de réfor mer les approches du
so in psychique. C'est là qu'il se sit ue dans une démar che t ot alement
alt er nat ive, même à l'égard des courant s alt er nat ifs au sein de la ps ychiat r ie.
Son dessein est épist émo logique ET polit ique.
Pour Foucault , :"L'instance médi cale fon ctionne comme pouvoi r bi en avant
de fon ctionner comme savoi r" 195 C'est t rès vraisemb lab lement qu'i l y a ,
au cœur même de cet espace, un pouvoi r men açant qu'il s'agit de
189
HDF 61 p129
HDF 72T p156
191
idem p 154
192
idem p172"
193
idem p175. Notons que cette double reconnaissance se fait quand le sujet (du roi) devient citoyen.
194
idemp177-178. Relevons au passage l'utilisation des majuscules, notamment pour l'Autre .Lacan réservait
cet usage à une acception bien précise
195
M.Foucault. Le pouvoir psychiatrique. op cit p5
190
62
mait ri ser ou de vaincre" 196. L'aut re int érêt du "pouvoir diss ymét r ique" est ,
en effet , de met t re en lumièr e le "syst ème des différ ences". "Ce qui est à
maît r iser, c'est évidemment le fou" 197. Pour Foucault , l'essence de la fo lie est
dans la co nvict io n de la t out e puissance (qui peut s'expr imer par tout e idée
délir ant e).C'est ,
du
mo ins,
ce
qu'il
co mprend
de
l'int erpr ét at ion
des
psychiat res: "Pour les psychiat res de l'époque, le fait d'imposer ainsi cet t e
croyance...c'est une manièr e de se cro ire r oi" . 198Ici, Foucault int roduit le sujet
qu'il développera par la suit e en analysant les prat iques psychiat r iques. Not re
hypot hèse est
que le sent iment
de tout e puissance e st
seco ndaire et
réact ionnel à une fa illit e narcissique et exist ent ielle. Cet t e hypot hèse
sout iendra not re comment air e.
Dans "le Pouvo ir P sychiat r ique", Foucault int roduit une quest io n qui port e
aut ant sur l'essence du pouvo ir que sur son exercice. I l int r oduit une
dist inct io n ent re le pouvo ir souverain, incar né et le pouvo ir disc iplinair e,
désincar né et surt out sans place pour la paro le, qui est part iculièrement
féconde. E lle renvo ie, sans le dire, à l'univer s décr it par F.Kafka, aussi bie n
dans le Procès que dans le Chât eau. Par là, elle fait sort ir la réflexio n sur la
psychiat r ie du champ des épist émo logies médicales. E lle met en lumière cet t e
dimensio n essent ielle aux relat io ns humaines, à la condit io n huma ine .E lle
s'inscr it dans une réflexio n sur l'ess ence du tot alit ar is me, elle int roduit une
réflexio n qui rencont re les t ravaux d'E. Go ffman sur
les I nst it ut ions
Tot alit air es 199 , mais en s'adressant direct ement à l'essence du pouvoir. Par ce
débat ent re pouvo ir souverain et pouvoir disciplinaire, Foucault nous place au
cœur des rapport s de pouvoir en œuvre dans les prat iques psychiat r iques. On
pourrait opposer à Foucault que tout pouvo ir , y co mpr is souverain , s'il veut
s'exercer, do it disposer de mo yens de cont raint e. Cependant , Max Weber
précise ce qu'il faut ent endre par pouvo ir disciplinaire. Nous appelo ns
pouvo ir,
dans
le
français
courant
,
ce
que
Max
Weber
appe lle
"do minat io n",c'est -à-dire qu'il "signifie la chance de t rouver des personnes
dét er minables prêt es à obéir à un ordre de cont enu dét er miné; nous appelo ns
discipline
la
chance
de
renco nt rer
chez
une
mult it ude
dét er minable
196
ibid. p8
ibid. p8
198
ibid Cette question sera reprise ultérieurement
199
E. Goffman. Asiles Editions de Minuit 1968
197
63
d'individus une obéissance pro mpt e, aut omat ique et schémat ique, en vert u
d'une disposit io n acquise" 200. Out re qu'elle nous met au cœur du disposit if
psychiat r ique,
la
dist inct io n
qu'opère
Foucault
ent re
pouvo ir
incar né
(souvera in) et pouvoir désincar né (disciplina ir e) nous per met d'évoquer et de
sit uer ici une aut re dimensio n sémant ique du concept de pouvo ir, celle de
puissance, celle qui signifie possibilit é de la mise en œuvr e des capacit és, à
un niveau perso nnel, qui est celle que nous ut iliso ns dans l'expressio n:
"appropr iat ion du pouvo ir ".
C'est à part ir de Descart es , de la manière de Descart es de par ler des fous que
Foucault int roduit le sujet . Foucault vo it une césur e ent re l'approche de la
fo lie co mme erreur et l'approche de la folie co mme pouvo ir. Pour Descart es,
nous dit Foucault ," "se prendre pour un roi", "cro ire qu'o n a un corps de
verre",c'ét ait
signa lét ique
,t out
simplement
,de
la
fo lie
co mme
erreur" 201."Quand au ma lade ment al, il est bien sans dout e le résidu de t ous
les résidus, le résidu de tout es les disciplines, celui qui est inass imilable à
tout es les disciplines sco laires, milit aires, polic ières, et c que l'o n peut t rouver
dans une sociét é" 202.
Pour Foucault , le p rocessus d'exclusio n n'exist e pas dans le cadre du pouvo ir
disciplinaire qui va cr éer des lieux spécifiques de pr ise en co mpt e des
irréduct ibles: "Le pouvo ir disciplina ir e a cet t e double propr iét é d'êt re
ano misant , c'est -à-dir e de met t re toujours à l'écart un cert ain no mbr e
d'individus, de fair e apparaît re de l'ano mie, de l'irréduct ible, et d'êt re
toujours nor malisant , d'invent er toujours de nouveaux syst èmes récupérat eurs,
de t oujours rét ablir la règle". 203I l est cur ieux de vo ir Foucault ut iliser le t er me
d'ano mie dans le sens de mise à l'écart . Le Robert donne co mme définit io n
"Absence de nor me sociale, d'organisat ion, de lo i", définit io n qui ne peut
évidemment s'appliquer ici. Foucault jo ue sur le rapprochement phonique:
ano mie/ nor me, co mme il le fer a plu s t ard pour anomalie/ anor mal. Cependant ,
cet t e mise en avant de ce que nous appellerons "la fo nct ion récupérat r ice",
l'ordinat ion de l'irrécupérable per met à Foucault d'int roduire co mme une
200
Max Weber. Economie et société. t1 chap I,§16
ibid
202
p56
203
ibid
201
64
fo nct io n réduct r ice, la "fo nct ion- sujet ". La quest io n de la libert é ne se pose
pas parce que le sujet est réduit à la fo nct io n - sujet .
Foucault va donc t ent er une "désindividualisat ion" qui va de pair avec "la
désubject ivat ion", la "dénor malisat io n", la "dépsycho logisat ion". S i une
cr it ique de l'individu nous paraît possi ble à part ir des not ions de "sujet de
l'inco nscient " et de "sujet divisé", nous nous pos ons alor s la quest ion de
savo ir, si, dans so n ent repr ise, Foucault ne r isque pas de jet er le bébé avec
l'eau du bain.
Pourt ant , Foucault met en lumière un concept -clef dont Canguilhe m avait , le
premier, mo nt ré l'int érêt : celui d'an omali e: "Ces syst èmes disc iplinair es, dans
la mesure où ils ét aient normali sant s, faisaient na ît re nécessair ement dans
leurs marges, par exclusion et à titre résiduel,
d'illégalis mes,
d 'irrégu lar it és".
Les
syst èmes
aut ant d'anomalies,
discip linaires
do nt
il
est
quest io n ici sont l'éco le, l'ar mée, l'ent reprise . La pr ise en co mpt e de
l'ano malie
va
génér er
d'aut res
syst èmes
disciplina ir es,
les
ser vices
"spécia lisés" pour que chacun rent re dans l'o rdre. Qu'est -ce que l'ano malie?
Ét ymo lo giquement , le mot vient , à t ravers le bas - lat in ano malia et du grec
anô malia de an- et de omalo s "égal, uni". Ce n'est que plus t ard que l'o n a
voulu int erpr ét er l'ét ymo lo gie à t ort comme venant de an- no mos ( anor mal) et
le r approcher de l'idée de "a - nor mal".
"L'ano malie, nous dit Canguilhem,
c'est le fait de var iat ion individuelle qui empêche deux êt res de pouvo ir se
subst it uer l'un à l'aut re de façon co mplèt e...Mais diversit é n'est pas maladie.
L'ano mal, ce n'est p as le pat ho logique(. ..)Mais le pat ho logique, c'est bien
l'anor mal" 204.Cett e définit io n mo nt re bien la différ ence ent re "ano malie", que
nous pouvons définir co mme absence de possibilit é d'iso morphis me et
"anor ma lit é", déviance par rapport à la nor me. Le conce pt d'ano malie nous
per met , d'une manière essent ielle, un nouveau regard sur " le- fou", qui peut
êt re alors simple ment considéré co mme " quelqu'un de différent". Mais
Foucault ,
dans
l'analyse
du
pouvo ir
psychiat r ique
co mme
pouvo ir
disciplinaire va plus lo in e n mo nt rant l'effort de ramener à la nor me
l'ano malie. Peut -on considérer que "la famille va devenir l'inst ance
204
G.Canguilhem. Le Normal et le pathologique Quadrige/PUF 1966 p85
65
d'ano malisat io n des individus" 205, lorsqu'elle désigne en son sein ceux qui
sont fous ?
Dans le rapport de pouvo ir, tout va se jo uer aut our de la q uest ion de savo ir
QUI dét ient la vér it é .Déjà, dans l'Hist o ire de la Fo lie , Foucault écr iva it " Le
délir e co mme pr incipe de la fo lie , c'est un syst ème de proposit ions fausses
dans la synt axe générale du rêve. La fo lie est exact ement au point de cont act
de l'o nir ique et de l'erroné...Avec l'erreur, elle a en co mmun la no n - vér it é, et
l'ar bit raire dans l'affir mat io n et la négat ion; au rêve elle emprunt e la mo nt ée
des images et la pr ésence co lorée des fant asmes. Mais t andis que l'err eur n'est
que non- vér it é, t andis que le rêve n'affir me ni ne juge, la fo lie ,elle, r emplit
d'images le vide de l'erreur, et lie les fant asmes par l'affir mat ion du faux. E n
un sens ,elle est donc plénit ude, jo ignant aux for mes de la nuit les puissances
du jour, aux for mes de la fant ais ie l'act ivit é de l'espr it éveillé; elle noue des
cont enus obscur s avec les for mes de la clart é. Mais cet t e plénit ude n'est -elle
pas ,en vér it é, le comble du vide? 206"
Foucault reprend cet t e quest ion d'une manièr e plus radicale dans le Pouvo ir
Psychiat r ique: "Le problème de la vér it é, au lieu d'êt re là en jeu dans la cure,
a ét é réso lu une fo is pour tout es par la pr at ique psychiat r ique, une fo is qu'elle
s'est
donnée,
co mme
st at ut ,
d'êt re
une
prat ique
médicale
et ,
comme
fo ndement , d'êt re l'applicat ion d'une science psychiat r ique". La prat ique
psychiat r ique do nne lieu à deux discours:"l'un qu'o n peut appeler le discours
clinique ou classificat oir e..et tout un savo ir anat omo -pat ho logique qu i do it
ser vir de garant mat ér ialist e à la pr at ique psychiat r ique...Gara nt définit if
d'une vér it é, le pouvo ir psychiat r ique dit ceci: la quest io n de la vér it é ne ser a
jama is posée ent re mo i et la fo lie, pour une raiso n simple, c'est que mo i,
psychiat re, je su is déjà la science... je suis dét ent eur de t ous les cr it ères de la
vér it é ...si je dét iens un pouvo ir par rapport à toi, le fou, c'est parce que je
dét iens cet t e vér it é".
207
Le propos est fort , mê me s'il ne dit r ien, et c'est
dommage, sur la quest ion de savo ir d'où le psychiat re dét ient ce pouvo ir, et
qui, et même qu'est -ce, qui a donné ce pouvo ir au psychiat re?
A la vér it é, Foucault oppose la simulat ion:" La cro ix de la psychiat r ie du
XIXème siècle, c'est tout simplement le problème de la simu lat ion....Le
205
M.Foucault PP p115
HDF 1972 T p 309
207
M.Foucault PP p132 à 135
206
66
menso nge de la simulat io n, la fo lie simulant la fo lie, ça a ét é l'ant i -pouvo ir
des fous en face du pouvo ir ps ychiat r ique....Si on fait de la simulat io n, non
un problè me épist émo logique ou la but ée d'un savo ir, mais l'envers milit ant
du pouvo ir psychiat r ique, on pourra fair e une hist oir e de la psychiat r ie qu i
gravit era enfin aut our des fous" 208.En faisant
de la simulat io n l'ar me
essent ielle co nt re la vér it é du pouvo ir psychiat r ique, Foucault semble évit er
la quest ion de la co mpréhensio n non pas t ant de ce qu'il se dit dans le délir e,
mais de ce que délir er veut dire. I l semble s 'int erd ir e tout e t ent at ive de
co mpréhensio n du vécu. C'est la quest io n du sent iment d'exist er et ,à part ir de
là, de l'appropr iat io n de l'ident it é qui se joue dans un langage qui n'est pas
dans le do maine du part ageable. C'est cela qui const it ue la vér it ab le pierre
d'achoppement de la ps ychiat r ie. Ce n'est pas à part ir de la simu lat ion qu'i l
convient
d'écr ir e
la
vér it able
hist oir e
des
fous,
mais
bien
celle
de
l'appropr iat io n du pouvo ir, des capacit és, de l'ident it é. C'est bien parce qu'i l
s'agit effect iveme nt , ici, de pouvo ir que les analyses de Foucault sont
précieuses, mais de pouvo ir, no n pas dans le sens de do minat io n, mais dans le
sens d'appropr iat ion per sonnelle de puissance.
Est -ce par ant ipsycho log isme que Foucault éluderait cet abord de la quest ion ?
Foucault aborde la quest ion de l'int errogat oire du malade par le biais de
l'int errogatoir e d'ident it é: "Ce qu'o n lui demande , c'est qu'il avoue...Cet t e
reconnaissance d'un cert ain no mbr e d'épis odes biographiques; l'éno ncé le plus
opératoire de la vér it é ne port era pas sur les choses, il port era sur le ma lade
lui- mê me...Cet t e vér it é biographique qu'on lui demande n'est pas t ellement la
vér it é qu'il pourrait dire sur lui - même, c'est une cert aine vér it é sous for me
canonique: int errogatoire d'ident it é...Cett e vér it é ,ce n'est pas celle de la fo lie
par lant en son propre no m, c'est l'énoncé d'une fo lie qui accept e de se
reconnaît r e, en première personne, dans une cert aine réalit é administ rat ive et
médicale"
209
.Et Foucault cit e, alors, le fait que Leuret considèr e co mme un
échec le fa it qu'une pat ient e ét ait dans "l'impossibilit é de faire l'aveu de ce
sché ma biographique ": "La perso nne de mo i- mê me n'a pas de no m, la
personne de mo i- mê me a perdu so n nom, la per sonne de mo i - mê me n'a pas
d'âge". Dans le schéma où es t Foucault d'une lut t e de pouvoir du psychiat re
208
209
idem p134 à 138
Foucault PP p 156 à 160
67
face à la tout e puissance qui s'expr ime par et dans le délire, l'int errogat oire
psychiat r ique appar aît assimilé à un int er rogatoire de po lice, et il semble que
ce so it là où Leuret échoue. On peut cependant a vancer l'hypot hèse que ce qui
est insupport able pour Leuret , ce qui est pour lui un échec, c'est d'êt re ainsi
confro nt é ,et impuissant , à la pert e du sent iment d'exist er de cet t e Cat her ine,
et d'êt re ainsi co nfro nt é à son propre doute exist ent iel. Alors, e st -ce cela, est ce ce dout e exist ent iel que Foucault appelle: "Cet t e vér it é de la fo lie par lant
en son propre no m"? Mais alors pourquoi dit - il qu'elle n'est pas reconnue,
puisque just ement c'est cela qui fait but ée, qui t ient le psychiat re en échec.
Nous devons avouer que cet t e not ion d' une "vér it é de la fo lie par lant en so n
propre no m", nous laisse perplexe. Qu'est -ce à dire? N'y aura it - il pas le r isque
d'une
visio n
myt hique
de
la
fo lie?
Ne
serait -ce,
au
cont raire,
la
reconnaissance de la nat ure profo ndém ent humaine de la fo lie? C'est ce que
nous cherchero ns à co mprendr e en int errogeant l'hist or iographie généa logique
de Foucault co mme her méneut ique.
Dans l'Hist o ire de la fo lie, Foucault disait :" Le fou apparaît maint enant dans
une dialect ique, toujours rec o mmencée, du Même et de l'Autre. Alors que,
jadis, il se dés ignait ...dans le part age
visible de l'êt re et du non -êt re, le
vo ilà désor mais port eur d'un langage ...où l'ho mme appar aît dans la fo lie
co mme ét ant aut re que lui- même; mais dans cet t e alt ér it é, il révèle la vér it é
qu'il est lui- même dans le mouvement bavard de l' ali énation. Le fou n'est plus
l'insensé dans l'espace part agé de la déraison c lassique; il est l ' aliéné dans la
for me moder ne de la maladie. Dans cet t e fo lie, l'ho mme n'est plus co nsidéré
dans une sort e de retrait abso lu par rapport à la vér it é; il y est sa vér it é et le
cont raire de sa vér it é...Le grand part age cr it ique de la déraiso n est remplacé,
maint ena nt , par la proximit é, toujours perdue et toujours ret rouvée, de
l'ho mme et de sa vér it é.." 210.. "Par là, nous ent endo ns un fait cu ltu rel propre
au mo nde occident al depuis le XIXè siècle: ce post ulat massif défini par
l'ho mme moder ne, mais qui le lui r end bi en: l'être humai n ne se caract éri se
pas par un certain rapport à la vérité; mais il détient, comme lui appartenant
en propre , à la f ois off erte et cachée, une vérité". 211
210
211
HDF 72T p651
idem p653
68
La force de la pensée de Foucault , c'est
rapport
à
la
pensée
de
bien
l'est ablishment
son caract ère de rupt ure par
ps ychiat r ique ,co mme
le
dit
E.Roudinesco , en ce qu'il a démo nt ré que : " Dès lor s , la fo lie n'est pas un fa it
de nat ure mais de cu lt ure, et son hist o ire est celle des cult ures qui la disent
t elle et qui la per sécut ent " 212
l'hi storiographie généalogiqu e
Foucault ,
philo sophe,
ne
cher che
pas
la
vér it é
hist or ique.
Il
ut ilise
l'ant hropologie hist orique en t ant qu'elle lui four nit des images, des scènes,
qu'elle
lui
per met
des
mét aphores.
Jouer
sur
les
révo lut io ns
épist émo logiques, vo ir e scient ifiques, opérées dans le t emps, per met à
Foucault d'int roduire des césures, de mo nt rer les rupt ures, de jouer sur les
opposit io ns dia lect iques. C'est à la recherche de sens que s'évert ue Foucault .
La référence hist or ique en est un support didact ique.
L'hypot hèse de l'or ig ine hist or ique du pouvo ir disciplina ir e ,par exemple, est
féconde, non parce qu'elle ser ait plus "just e" hist oriquement , mais parce
qu'elle met en lumièr e des problémat iques. Foucault par le de "po int s
hist or iques
et
symb oliques" 213."[Chez]
Foucault ,
sa
co ncept ion
d'une
hist or iographie st udieuse et posit ive se pr ésent e co mme une ant iscience. Cet t e
concept ion, si on l'aborde d'un po int de vue philosophique, offre une so lut io n
de remplacement promet t euse à la cr it ique de la raison...L' hist or iographie
généalogique ne peut prendre son rô le -crit ique vis à vis de la ra ison- d'une
ant iscience que si elle sort précisément de l'hor izo n des sciences de l'ho mme
orient ées ver s l'hist o ire dont Foucault voudrait démasquer l'hu manis me creux,
à l'aide d'une t héor ie du pouvo ir "
214
" I l se dégage de ce livr e un int érêt
philosophique pour la fo lie co mpr ise co mme phéno mène co mplé ment aire de la
raison. On y perço it une raiso n devenue mo no logique qui garde ses d ist ances
vis-à- vis de la fo lie afin de pouvo ir s'emparer d'elle sans danger co mme d'un
objet épuré de t out e object ivit é r aisonnable.. Foucault explique à t it re
programmat ique qu'il veut .. " 215 M.Foucault , dans la préface de 1961, dit lui même: " On pourrait faire une histoi re des lim ites-de ces gest es obscurs,
212
E.Roudinesco "Introduction" in Penser la folie .op cit p 18-19
Foucault PP p 43
214
J.Habermas op cit p79
215
idem p71
213
69
nécessairement oubliés dès qu'acco mplis , par lesqu els une cu ltu re rejette
quelqu e chose qui sera pou r elle l' Extérieu r; et tout au long de son hist o ir e,
ce vide creusé, cet espace blanc, par lequel elle s'iso le, la désigne t out aut ant
que ses valeur s". 216
La lect ure de l'art icle de J.Haber mas a ét é pour nous si éclairant e que nous
préféro ns le cit er, à l'appui de nos cit at io ns de Foucault , plut ôt que de le
plagier: "Dès l'Hist o ire de la fo lie, Foucault ét udie la relat io n ent re les
discours et les pr at iques... A la vis io n int erne caract ér ist ique d'une hist o ire de
la t héor ie qui se règle sur les problèmes, se subst it ue d'emblée une
descr ipt io n st ruct urelle de discours bien cho isis, une descr ipt ion qui ouvre sur
ces po int s de rupt ure que la réflexio n pr océd ant de l'hist o ire int ellect uelle a
générale ment recouvert s, une réflexio n qui débouche là où un nouveau
paradigme co mmence à se subst it uer à l'ancien. Foucault a sais i dans le
concept de "prat ique" la phase d'influence asymét r ique, vio lent e, exercée sur
la libert é de mouvement d'un aut re part icipant à une int eract io n(déc isio ns de
just ice, opérat ions polic ières, for mes de dressage). Tout efo is, un problème
demeure à première vue inexp liqué, celui de savo ir comment les discours
scient ifiques et aut res se rappo rt ent aux prat iques. Foucault a maint enu jusqu'
au bout les coupures qui séparent les époques de l'hist o ire de la fo lie . " 217 Et
c'est ,en effet , ce que dit Foucault , t rès explicit ement , dans la préface de
l'édit io n de "Raiso n et déraiso n, hist o ire de la Fo li e à l'âge classique " de
1961: " Est const it ut if le gest e qui part age la fo lie, et non la science qu i
s'ét ablit , ce part age, une fo is fait , dans le calme revenu. Est originai re la
césu re qui étab lit la di stance ent re rai son et non - rai son 218; quant à la pr ise
que la raiso n exerce sur la non-raiso n pour lui arracher sa vér it é de fo lie, de
faut e ou de maladie, elle en dér ive, et de lo in" 219 . "De langage commun , il
n'y en a pas, ou plut ôt , il n'y en a plus ; la const it ut ion de la fo lie co mme
maladie ment ale, à la fin du XVIII è siècle, dresse le const at d'un dialogue
rompu,.. enfo nce dans l'oubli t ous ces mot s impar fait s... dans lesquels se
faisait l'échange de la fo lie et de la raiso n. Le langage de la psychiat ri e , qui
est monologue de la raison su r la folie , n'a pu s'ét ablir que sur un t e l
216
M.Foucault "Préface..." in Dits et écrits op cit p 189
J.Habermas art cit p73 et 74
218
c'est nous qui soulignons ici les mots qui nous semblent les plus importants à notre propos.
219
M.Foucault Préface in dits et écrits op cit p187
217
70
silence. Je n'ai pas vou lu fai re l'hist o ire de ce langage; plut ôt l'arch éologi e
de ce si lence ". 220 Chez Foucault , c'est à travers le reflet de la const it ut io n de
la raiso n que l'hist o ire des sciences ét udie la const it ut ion de la fo lie.
L'hist o ire des sciences
devient alor s une recher che sur l'hist o ire de la
rat io nalit é. Ce faisant ,et comme le mo nt re J.Haber mas, Foucault se sit ue dans
la co nt inuit é des t ravaux de Bat aille : "Foucault analyse la for mat ion de la
clinique qui fait avant tout de la maladie ment ale un phéno mène médical,
co mme un exemp le d'exclusio n, de proscr ipt io n et de marginalisat ion dans les
t races desquelles Bat aille avait lu l'hist o ir e de la rat ionalit é occident ale". 221
"Déjà, dans son ét ude sur la naissance de la clinique, Foucault avait conçu le
regard ent raîné que l'anat o mist e pose sur le cadavr e huma in co mme l'"a -pr ior i
concret " des sciences de l'ho mme....Cet t e séparat ion, ent re vu et êt re vu,
ratt ache l'idée de clinique et celle de science de l'ho mme, l'une à l'aut re.
C'est l'idée qui, co -originairement avec celle de raiso n cent rée sur le su jet ,
accède à la do minat io n par laquelle la dest ruct io n des relat io ns dialo giques
t ransfor me les sujet s qui fo nt mono logiquement retour sur eux - mêmes, en
objet s-et seulement en objet s- les uns pour les aut res".
222
Foucault reprend le concept d'archéo logie à Niet zsche do nt il se récla me
explicit ement , en 1971, dans son art icle " Niet zsche, la généalogie et
l'hist o ir e" 223.Dans cet art icle Foucault relève différent s emplo is du mot
Ursprung (origine), qu'il dist ingue de Herkunf t et de Entstehung . Herkunf t ,
c'est la souche, la provenance: "Souvent l'analys e de la Herkunf t met en jeu la
race ou le t ype social...La provenance per met aussi de ret rouver sous l'aspect
unique d'un caract ère, ou d'un concept , la proliférat io n des événement s à
t ravers lesquels (grâce auxquels, cont re lesquels) ils ont ét é for més .. .C'est
pourquoi sans dout e tout e origine de la morale, du mo ment qu'elle n'est pas
vénérable -et la Herkunf t ne l'est jama is- vaut cr it ique. Dangereux hér it age
que celui qui nous est t ransmis par une t elle provenance... Entstehung désigne
plut ôt l'émergence, le po int de surgiss ement . C'est le pr incipe et la lo i
singulièr e d'une appar it io n...L'émergence se produit t oujours dans un cert ain
ét at des forces. L'analyse de l' Entst ehung doit en mo nt rer le jeu, la manièr e
220
idem p188
J.Habermas art cit p71
222
idem p76
223
Paru dans M.Foucault ,Hommage à Jean Hyppolite PUF 1971, et reproduit in Dits et Ecrits, op cit p 1004-24
221
71
dont elles lut t ent les unes cont re les aut r es, ou le co mbat qu'elles mènent en
face des cir const ances adverses, ou encore la t ent at ive qu'elles fo nt -se
divisant cont re elles- mêmes- pour échapper à la dégénérescence et reprendre
vigueur à part ir de leur propre affaiblissement ...L'émergence, c'est do nc
l'ent rée en scène des forces; c'est leur irrupt ion, le bo nd par lequel elles
saut ent de la coulisse sur le t héât re, chacune avec la vigueur, la juvénilit é qui
est la sienne". 224 Cet t e lo ngue cit at io n nous per met de co mpr endre pourquo i,
co mment et en quo i, l'hist or iographie de M.Foucault est fait e de rupt ures et
non de cont inuit é. Cet t e concept ion s'accompagne, chez Foucault de la not io n
de disso lut ion du sujet , pour donner le pr ima aux dét er minant s cult ur els: "Ces
deux orient at io ns [Blanchot / Bat aille, d'u ne part , Dumézil/ Lévi-St rauss,
d'aut re part ] ont, à vrai dire, éga lement concouru à ce que je so is amené à
penser la disso lut ion du sujet ". 225
C'est à la lu mière de cet hér it age (dont nous ne cherchero ns pas à vo ir s'il est
fidèle ou no n: il est clair ement revendiqué), que l'o n co mprend l'int ent io n de
M.Foucau lt quand il écr it l'Hist o ir e de la Fo lie, en 1961: "Faire l'hist o ire de la
fo lie voudra donc dire: faire une ét ude st ruct urale de l'ensemble hist or ique not io ns, inst it ut io ns, mesures jur idiques et policières, concept s scient ifiques qui t ient capt ive une foli e dont l'état sauvage ne p eut jamais êt re restitué
en lui- même; mais à défaut de cett e inaccessib le pu reté p ri mitive , l'ét ude
st ruct urale do it remont er vers la décis io n qui lie et sépare à la fo is ra ison et
fo lie; elle do it t endre à découvr ir l'é change perpét uel, l'o bscure racine
co mmune, l'affront ement or iginair e qui donne sens à l'unit é a ussi bien qu'à
l'o pposit io n du sens et de l'insensé. Aussi pourra réappara ît re la d éci sion
fu lgu rant e 226, hét érogène au t emps de l'hist oire, mais insais issable en dehors
de lui, qui sépare du langage de la raison et des promesses du t emps ce
mur mure d'insect es so mbr es. " 227
" C'est cett e struct ure [qui s'est for mée ent re le "grand renfer me ment " et la
libér at ion des enchaînés de Bicêt re] qui r end co mpt e du passage de
l'expér ience médiévale et humanist e de la fo lie à cet t e expér ience qui est la
nôt re, et qui co nfi ne la fo lie dans la maladie ment ale. Au Mo yen - âge ,et
224
ibid p 101008à1012
M.Foucault "verità e potere"Entretien avec A.Fontana et P.Pasquino en préface à Microphysica del potere
Turin,Einaudi 1974.Cité par Habermas op cit p70
226
c'est nous qui soulignons ici les mots qui nous semblent les plus important à notre propos
227
M.Foucault "Préface..." in Dits et écrits op cit p192
225
72
jusqu'à la Renaissance, le débat de l'homme avec la démence ét ait un débat
dramat ique qui s'affront ait aux puissances sourdes du mo nde; et l'expér ience
de la fo lie s'obnubilait alor s dans des images où il ét ait quest io n de la Chut e
et de l'Acco mplissement , de la Bêt e, de la Mét amorphose, et de t ous les
secret s mer veilleux du Savo ir. A not re époque, l'expér ience de la fo lie se fait
dans le calme d'un savo ir qui, de la t rop connaît re, l'oublie" 228.
"Depuis la fin du XVIII è siècle, la vie de la déraiso n ne se mani feste plus
que dans la fu lgu ration d'œuvres co mme celle de Hö lder lin, de Ner val, de
Niet zsche ou d'Art aud" 229.
Not re propos est mo ins de mo nt rer qu'ici M.Foucault expr ime une vis io n
quelque peu idéalis ée de la fo lie, que de relever que ce ne sont pas les
personnes, que ce n'est pas le vécu social des personnes qui int éresse
M.Foucau lt , mais la fo lie définie co mme "quelque chose en so i", la fo lie
co mme définie co mme "l'envers de la raiso n" :"La percept io n que l'ho mme
occident al a de son t emps et de son espace fait apparaît re une st ruct ure de
refus...Cet t e struct ure est const it ut ive de ce qui est sens et non -sens.. ;elle
seule peut rendre co mpt e du fait qu'il ne peut y avo ir dans not re cult ure de
raison sans fo lie... La nécessité de la folie, tout au lo ng de l'hist o ir e de
l'Occident , est liée à ce gest e de décisio n qui dét ache du bruit de fo nd et de sa
mo not onie co nt inue un langage significat if qui se t ransmet et s'achève dans le
t emps". 230 Co mme le mo nt re R.Ca st el dans son art icle sur" les avent ures de la
prat ique", "il y a eu une deuxième lect ure de l'Hist o ire de Fo lie" 231 "Aut our et
après les "évènement s de ma i", [dans ] la conjo nct ion d'une nouvelle for me
d'act ivis me po lit ique ( l'émergence des lutt es sect oriell es) et d'une nouvelle
for me de sensibilit é sociale ( la généralisat ion d'une at t it ude ant ir épressive
exacer bée),
la
fo lie
est
apparue
comme
la
mét aphore
du
désir
t raqué...L'hist o ire de la fo lie donnait les clefs pour comprendre les for mes
diversifiées d'imposit io n d'une cont raint e...Enfer me ment exemplaire par ce
qu'il rend manifest e la brut alit é d'une coercit io n ailleurs part out présent e". 232
Sans dout e M.Foucault a -t - il co nt r ibué à cet t e "deuxième lect ure" de
l'H ist oir e
de
la
Fo lie,
comme
peuvent
per met t re
de
le
penser
t ant
228
idem p193
HDF 72T p 631-2
230
M.Foucault Préface in dits et écrits op cit p191
231
R.Castel ."Les aventures de la pratique" .in Débat op cit p44
232
ibid p45
229
73
l'idéalisat io n de la fo lie que l'o n peut y lire, que la dispar it io n de la préface
de 1961 dans les édit io ns ult ér ieur es, ou son act ivis me dans le Groupe
d'I nt er vent io n des Pr isons , ou encore sa différenciat io n du pouvo ir souver ain
et du po uvo ir disciplinaire " 233 . Mais c'est à tort que l'on pourrait chercher à
lire dans l'Hist o ire de la Fo lie, l'hist o ir e de la manièr e dont sont t rait ées les
personnes jugées fo lles à t ravers les âges, et c'est pour cela que tout effort de
cr it ique hist or ique d e ce livr e est voué à l'échec. Pour Foucault , ce ne sont
pas les "fo us" qu'o n enfer me à l'âge classique, mais la déraiso n:" Ce que le
classicis me avait enfer mé, ce n'ét ait pas seule ment une dér aiso n abst rait e où
se co nfo ndaient fous et libert ins, malades e t cr imine ls, mais aussi une
prodigieuse réser ve de fant ast ique, un mo nde endor mi de monst res qu'o n
croyait englout is dans cet t e nuit de Jér ôme Bosch qui les avait une fo is
proférés" 234 .Ce ne so nt pas aux perso nnes folles que l' on int erdit la pr ise de
paro le, c'est à la fo lie. "Au milieu du monde sere in de la maladie ment ale,
l'ho mme moder ne ne co mmunique plus avec le fou: il y a, d'une part , l'ho mme
de raiso n qui délègue vers la fo lie le médecin, n'aut orisant ainsi de rapport
qu'à t raver s l'univer salit é de la maladie; il y a, d'aut re part , l'ho mme de fo lie
qui ne co mmunique avec l'aut re que par l'int er médiair e d'une raiso n t out aussi
abst rait e qui est ordre, cont raint e physique et morale, pressio n anonyme du
groupe, exigence de co nfor mit é" 235.
S i M.Foucau lt ava it voulu écr ire un livr e sur l'hist o ire de la discr iminat io n,
la ségrégat ion et la disqualificat ion sociale dont ont ét é et sont l'o bjet des
personnes fo lles, sans dout e aurait - il écr it un tout autre livr e. Sans tomber
dans le t ravers d'une hist o ire de l a psychiat r ie basée sur une concept io n de
l'hist o ir e basée sur
l' Herkunf t, il aurait cherché les coupures épist émiques
dans l'hist o ire socia le et non dans la lit t érat ure. C'est ce à quo i nous invit e le
livre d'E.Pewzner: "Le fou, l'aliéné, le pat ient ". 236 Mais, faut - il rappeler que
ce livre de 1995 fait aux t ravaux de M. Foucault une place import ant e? On
peut à just e t it re se poser la quest io n de savo ir si ce livre aurait pu êt re même
imaginé sans le t ravail précurseur de M. Foucault .
233
voir supra
M.Foucault HDF 1972 (ed classique) p380
235
M.Foucault "Préface..." in Dits et écrits op cit p188
236
E.Pewzner Le fou, l'aliéné ,le patient Dunod. Paris 1995t
234
74
I l serait d'ailleurs err oné de dire que seule une dé finit io n négat ive de la fo lie
(comme
co nt raire
à
M.Foucau lt . Celui-ci
la
raiso n,
dé -raiso n)
co mme
préside
l'œuvre
de
donne une définit io n int éressant e de la fo lie co mme
l'absence d'œuvre. " Qu'est -ce donc que la fo lie, dans sa for me la plus
générale, mais la plus concrèt e, pour qui récuse d'ent rée de jeu tout es les
pr ises sur elle du savo ir ? Rien d'aut re, sans dout e, que l'absence d'œuvre...Le
grand œuvr e de l'hist o ire du monde est ineffa çablement acco mpagné d'une
absence d'œuvre, qui se renouvelle à chaque inst ant , mais qui court inalt érée
en son inévit able vide t out au long de l'hist o ire... mur mure obst iné d'un
langage qui par lerait tout seul- sans suje t parlant et sans int er locut eur, t as sé
sur lui- mê me, noué à la gorge, s'effo ndrant avant d'avo ir at t eint t out e
for mulat io n et ret ournant sans éclat au s ilence do nt il ne s'est jamais défait " 237
.Cert es, il est possible, là encore, d'y voir une définit io n négat ive, puisque
Foucault l'y oppose a u grand œuvre qu'est l'hist o ire (posit ive) du mo nde.
Mais nous nous so mmes int errogés sur la quest io n de savo ir si cet t e référence
à
l'absence
d'œuvre
ne
renvo yait
pas
,
en
même
t emps -et
peut -êt re
invo lo nt air ement , inconscie mment - à quelque chose d'import a nt dans le vécu
des perso nnes en t rès grande souffrance psychique. Nous avons rapproché
cet t e phrase de ce que dit A. Art aud à son édit eur, d'aut ant que celui -ci est
souvent invoqué par M. Foucault : " Ma pensée m'abandonne à t ous les degrés.
Mot s, for mes de phrases, direct io ns int ér ieures de la pensée, réact ions
simples de l'espr it , je suis à la poursuit e const ant e de mon êt re int ellect uel.
Lors donc que je ne peux saisi r une f orme... ces expressio ns mal venues que
vous me reprochez...elles proviennent de l'i ncert it ude profonde de ma pensée.
Bien heu reu x quand cette incertitude n' est pas remp lacée par l'inexisten ce
absolue dont je sou ffre quelqu efois. " 238 Cett e phrase nous met en face de la
douloureuse pert e du sent iment d'exist er. Foucault , ét ait - il seulement séduit
par la "fulgurat io n des œuvr es " de la fo lie?
237
M.Foucault" Préface" in Dits et écrits op cit p191
A.Artaud. "Lettre à J.Rivière du 5.06.1923" in l'ombilic des limbes Gallimard. Paris 1968 p20.C'est nous qui
soulignons
238
75
La rai son
S i la cr it ique de l'hist or ien ressemble à un dialogue de sourd 239, parce que
Foucault et lui ne par lent pas des mêmes choses, la cr it ique de J.Derr ida dans
son art icle "Cogit o et Hist oir e de l a fo lie" 240nous semble part iculièrement
pert inent e 241.Elle nous a int éressé, car elle répond à Foucault au niveau où il
se sit ue, c'est -à-dir e de l'Hist o ire de la fo lie, et non l'hist o ir e des "fous", fo lie
définie co mme déraiso n. Derr ida cent re sa recherche su r les premièr es pages
du chapit r e 2 de la première part ie, int it ulé "Le grand renfer mement ". Nous
avons vu que pour Foucault cet t e "st ruct ure" ét ait dét er minant e 242.
Derr ida pose un cert ain no mbr e de quest io ns: "Première ment l'int erprét at ion
de l'int ent io n cart ésienne proposée par Foucault se just ifie -t -elle? :a) a-t -on
bien ent endu ce que Descart es a dit et voulu dire? b) a -t -elle la significat io n
hist or ique qu'o n veut lui assigner ? 243"Est -ce qu'... il ne sera pas possible
d'int erroger cert aines présupposit io ns philo sophiques et mét hodologiques de
cet t e hist oire de la fo lie . Foucault cit ant Pascal que l'o n ne peut par ler de la
fo lie que par cet "aut re tour de fo lie" ? 244 ...il sera peut -êt re possible de
répét er un sens des cogit o (dont le cogit o est une des for mes, ni la premièr e,
ni la der nière) et d'éprouver qu'il s'agit là d'une expér ience... qui n'est pas
mo ins avent ureuse, mais mo ins adver se et accusat ive ... que Foucault ne
semble le penser". 245"En écrivant une hi st oi re de la folie, Fou cau lt a vou lu
écri re une histoi re de la folie elle - même. Foucau lt a voulu que la folie fut
le sujet de son livre; sujet dans tous les sens de ce mot: le thème de son
livre et le sujet parlant, l'auteu r d e son livre, la foli e parlant de soi." 246
Derr ida fait référence au début de la p réface de 1961, qui est t rès import ant
en ce qu'il signifie pour nous, qui avons pr is pour t it re généra l de not re
recherche:" Je suis fou, et vous?". Les cit at ions fait es par Foucault ont pu
ser vir d'exergues à l'argument aire d'une campagne de lut t e cont re
les
239
C.Quétel : Histoire de la folie .Taillandier Paris 2009
Derrida J .Cogito et Histoire de la folie Conférence au collège philosophique du 4 mars 1963 publié dans la
Revue de Métaphysique et de la morale et reproduite dans J.Derrida. L'écriture et la différence. Le seuil
1967.Points-essais p51-97
241
Curieusement M.Foucault le récuse dans sa réponse de 1972,parce qu'il est philosophe! cf M.Foucault
"Réponse à Derrida". Dits et écrits op cit p1149 et suiv
242
supra p 66.Citation Foucault note 223
243
J.Derrida Cogito et Histoire de la folie, in L'écriture et la différence op cit p 53-54
244
Il s'agit d'une des citations qui ouvrent la préface de 1961, également largement citée et commentée par
Didier Eribon in Didier Eribon Michel Foucault Flammarion 1989 p116
245
J.Derrida Cogito et Histoire de la folie,op cit p55
246
ibid p56.C'est nous qui soulignons ce passage qui confirme notre propos introductif.
240
76
discr iminat io ns. C'est dir e co mbien nous considérons les premièr es lignes de
cet t e préface co mme emblémat iques d'une démarche qui revendique la fo lie
co mme " la chose la mieux part agé au mo nde". Au demeurant , ce t ext e éclair e
part iculièr ement l'int ent io n de Foucault , même s'il l'a suppr imé en 1972
Voici de quo i il s'agit : "Pascal: "Les ho mmes so nt si nécessair ement fous que
ce ser ait êt re fou par un aut re tour de folie de n'êt re pas fou". Et cet autre
t ext e de Dost oïevski, dans le jour nal d'un écr iva in: "Ce n'est pas en enfer mant
son vo isin qu'o n se convainc de so n propre bon sens" I l faut fair e l'hist o ire de
cet aut re tour de fo lie -de cet aut re tour par lequel les ho mmes, dans le gest e
de
raison
souveraine
qui
enfer me
leur
vo isin,
co mmuniquent
et
se
reconnaissent à traver s le langage sans mer ci de la non - fo lie; ret rouver le
mo ment de cet t e conjurat ion, avant qu'elle n'ait ét é ranimée par le lyr isme de
la prot est at ion. Tâcher de rejo indr e, dans l'hist o ir e, ce degré zéro de l'hist o ire
de la fo lie, où elle est expér ience indifférenciée, expér ience non encore
part agée du part age lui- même. Décr ire, dès l'or igine de sa courbure, cet "aut re
tour" qui, de part et d'aut re de son gest e, laisse ret omber, choses désor mais
ext ér ieures, sourdes à t out échange, et co mme mort es l'une à l'aut re, la Raiso n
et la Fo lie. " 247
Derr ida va mo nt rer que le défi de Foucault est un challenge impossible, car
celui-ci do it bien ut iliser le langage rat ionnel. Nous ne reprendro ns pas ic i
tout e la démo nst rat ion de Derr ida , où celui-ci s'appuie sur des cit at io ns de la
préface de 1961
248
que nous avo ns nous même déjà ut ilisé en référence dans le
passage précédent (ce qui, d'ailleurs, confir me l'analyse que nous y faisio ns.)
Derr ida en arr ive alors à poser la quest ion:"L'archéo logie n'est -elle pas une
logique, c'est -à-dir e un langage organisé, une œuvre? Est -ce que l'ar chéo logie
du silence ne serait pas la r épét it io n de l'act e perpét ré cont re la fo lie?" 249. En
démo nt rant l'impossibilit é logique de "dire la fo lie", Derr ida va mo nt rer ,
qu'en fait , Foucault for mule un "aut re projet "."Quelle est la responsabilit é
hist or ique de cet t e logique de l'archéo logie? I l ne suffit pas de se pr iver du
mat ér iel concept uel de la psychiat r ie pour disculper so n propre langage. Le
langage de t out ce qui a part icipé à l'avent ure de la ra ison occident ale est
l'immense délégat io n de l'o bject ivat ion de la fo lie. L'ordre est si puissant par
247
M.Foucault "Préface..." op cit p187
M.Foucault "Préface..." op cit p188 et 191
249
J.Derrida Cogito et Histoire de la folie, op cit p 57
248
77
son car act ère surdét er minant . L'ordre est dénoncé dans l'ordre. La révo lut io n
cont re la raison ne peut se faire qu'en elle , on ne peut prot est er cont re elle
qu'en elle". "S e dégager
totalement de la totalité du langage hist orique qu i
aurait opéré l'exil de la fo lie ne peut êt re t ent é que de deux façons: ou bien se
t air e d'un cert ain silence, ou bien suivre le fo u dans so n che min de l'exil. Le
malheur des fous, c'est que leur s meilleurs port e -parole sont ceux q ui le s
t rahissent le mieux; c' est que, quand on veut di re leu r si lence lui - même, on
est déjà passé à l'enn emi et du côté d e l'ord re " 250. " Qui perço it , qui énonce
la difficu lt é? On ne peut le fair e ni dans l'inaccessible silence de la fo lie, ni
dans le langage du geô lier, c'est -à-dir e de la raiso n classique, mais pour
quelqu'un qui a un sens et à qui appar aît le dialogue ou la guerre
ou le
malent endu ...opposant raiso n et fo lie à l'âge classique. Qui éno nce le non recours?" 251
Foucault a bien vu le problè me: " Là, dans ce simple problème d'é locut io n, dit
encore Foucault , se cachait et s'expr ima it la majeure part ie de l'ent repr ise".
Mais dir e la difficult é de dire, ce n'est pas encore la sur mo nt er". 252 Derr ida
reconnait qu'en osant s'y affront er, Foucault nous a pe r mis d'envisager les
choses sous un jour nouveau: "Co mme Foucault éprouve la nécessit é de
par ler, la prét ent ion à l'archéo logie du silence est cont rebalancée par la
for mulat io n d'un aut re projet "..." Ce n'est pas un hasard si c'est aujourd'hu i
qu'un t el projet a pu êt re for mé. I l faut bien supposer, sans oublier, bien au
cont raire, l'audace du gest e de pensée dans l'Hist o ire de la fo lie, qu'une
cert aine libérat io n de la fo lie a co mmencé ,que la psychiat r ie s'est , si peu que
ce so it , ouvert e, que le co ncept de fo lie co mme déraiso n, s'il n'a jama is eu
une unit é, s'est disloqué" 253.
Ce préalable peut paraît re long, il n'en est pas mo ins indispensable pour nous
int roduir e au "pro jet différent " . S i ce n'est pas de par ler la fo lie, de per met t re
à la fo lie d'êt re su jet du livr e, quel va êt re le pro jet de Foucault ? Celui de
poser comme act e or iginaire de la raiso n et de la fo lie le Cogit o cart ésien du
Discours de la Mét hode et surtout (parce que Foucault va s'appuyer sur la
250
idem p58et 59.C'est nous qui soulignons pour relever l'aporie
idem p61
252
idem p60
253
ibid p59et 61
251
78
cit at ion) de la première Médit at ion P hilosop hique de Descart es. Derr ida va
s'at t acher d'abord à mont rer que celui -ci n'est en r ien fo ndat eur de la raiso n.
"Derr ière l'aveu de difficult é, il faut fair e apparaît re un pro jet dif f érent, un
projet qui co nt redit peut -êt re celui de l'ar chéo logie du silence: l'act e de
décis io n qui lie et sépare du même coup raison et fo lie , l'act e origina ire d'un
ordre, un décret , comme une déchirure, une césure, une séparat ion, une
discessio n. Je dirais plut ôt une dissensio n pour bien marquer qu'il s'agit d'une
divis io n de so i, d'un part age et d'un part age du sens en général...Raiso n et
fo lie à l'âge class ique ont une racine commune. Mais cet t e racine co mmune,
... est un logos beaucoup plus vieux que la pér iode médiévale. " 254 Le risque
épist émo logique est d'import ance, alors , comme le relève Derr ida :" A vou loi r
écri re l'hi stoi re de la déci sion , du partage, de la différence, on cou rt le
ri sque de con stituer la division en évèn ement ou en structu re su rvenant à
l'unité d'une p résen ce origin ai re; et de confi rmer ain si la métaphys iqu e
dans son opération fond amentale" . 255
Derr ida va cont est er le cho ix du gest e de Descart es par Foucault et comme
évènement fo ndat eur de la raiso n, et sur le sens de part age que Foucault lui
donne : "I l aurait peut -êt re fallu co mmencer par réfléchir ce log os or igina ir e
en lequel s'est jouée la vio lence de l'âge classique . " 256
C'est dans la cit é gr ecque qu'il faut vo ir la naissance de la raiso n."Foucault
dit : "Les grecs avaient rapport à quelque chose qu'ils appela ient ubris .Ce
rapport n'ét ait pas seule ment d e condamnat ion... même si leur discours nous
est trans mis dans la dialect ique rassurant e de Socrat e. Mais le logos grec
n'avait pas de cont rair e"... S i la dia lect ique socrat ique est rassurant e c'est
qu'elle s'est elle- même rassurée en une sophrosunè, en une sagesse , un bon
sens et une prudence raiso nnable... le moment socrat ique et la vict o ire sur
l'ubri s callic léenne mar quent déjà une déport at ion et un exil du logos hors de
lui- mê me, et la blessure en lui d'une décisio n, d'une différ ence...La libr e
cir culat io n des fous, out re qu'elle n'est pas si libre que cela , ne serait qu'un
épiphéno mène socio -écono mique à la sur face d'une raison déjà divisée cont re
elle depu is l'aube de son or igine grecque...il faut supposer en général que la
254
ibid p62
ibid p65. C'est nous qui soulignons.
256
ibid p 63
255
79
raison peut avo ir un cont raire, un aut re de la raiso n, et que l'opposit io n de la
raison et de son aut re so it de symét ri e" . 257
Nous part ageons avec Derr ida cet t e idée que la raiso n est née avec la Cit é en
Grèce. Les t ravaux de JP Ver nant nous en fournissent l'argument at ion: "Ce
n'est cert ainement pas le fait du hasard si la raiso n surgit en Grèce co mme
une conséquence de cet t e for me si or iginale d'inst it ut ions po lit iques qu'o n
appelle la Cit é. Avec la Cit é, le groupe hu main considère que ses affair es
co mmunes ne peuvent
cont radict o ire".
258
êt re réglées qu' au t er me d'un débat
public et
"La maît r ise de so i dont est fait e la sôphrosunè par aît
impliquer une cert aine t ensio n dans l'ho mme ent re deux élément s opposés: ce
qui est de l'ordre du thumos, l'affect ivit é, les passio ns et ce qui est de l'ordre
d'une prudence réfléchie, d'un calcul r aisonné...La guér ison de la fo lie,
co mme aussi sa prévent io n, met en œuvre les mo yens qui per met t ent de
persuader le t humos...Ces t echniques for me une paideia qui réa lise en eux
[ les individus] la sant é, l'équilibr e; mais du même coup elle acquiert une
vert u
sociale,
une
fo nct io n
po lit ique. ..la
sôphrosunè
réalise
une
cit é
har mo nieuse. Pour comprendre quelles réalit és sociales recouvrent l'idéal de
la sôphrosunè , i l faut se référer à des réfor mes const it ut ionnelles co mme
celles de Solon..[qui a ]promulgué ,pour la Cit é ,des règles codifiant les
rapport s ent re individus suivant les mêmes pr incipes posit ifs d'avant age
réciproque qui président à l'ét ablissement d'un co nt rat 259.L'organisat ion de
l'espace ur bain n'est qu'un aspect d'un effort plus général pour ordonner et
rat io naliser le mo nde humain Le lien ent re l'espace de la cit é et ses
inst it ut io ns apparaît encore t rès clair ement chez P lat on et Ar ist ot e. Le nouve l
espa ce social est cent ré...c'est le cent re qui est maint enant va lor isé parce
qu'ét ant à égale dist ance des ext rêmes ils const it uent un po int fixe pour
équilibrer la cit é" 260.Ces cit at ions de JP Vernant ne mont rent pas seulement
que la raiso n et la rat io nalit é se sont élaborées dans la C it é grecque. E lle s
mo nt rent comment elle s'est élaborée à part ir de la prat ique sociale .On est
dans une démarche qui ne r isque pas de "renouveler la mét aphysique" . Bien
évidemment , la raiso n et la rat ionalit é cart ésienne ne repos eront pas sur la
257
ibid p 64-65.
J.P.Vernant: "Raison d'hier et d'aujourd'hui" in Religions,histoires, raisons 10/18 Maspero paris 1979p100
259
JPVernant: Les origines de la pensée grecque PUF Paris 1962 p86à92
260
idem p125
258
80
même réalit é sociale , not amment au niveau de la représent at ion de l'espace.
Descart es, après Coper nic et Galilée, vit dans un mo nde où la concept io n de
l'univer s infini a remp lacé celle d'un mo nde clo s. 261 Co mme le fait remar quer
Derr ida:"[Pour Foucault ,] la crise classiq ue se développerait à part ir et dans
la t radit io n élé ment air e d'un logos qui n'a pas de cont rair e..Pour fair e
apparaît re sa singular it é, qui est profonde, il aurait fallu souligner no n pas ce
en quo i elle est st ruct ure d'excl usio n ma is ce en quo i et surt out pourquoi sa
st ruct ure d'exc lusio n propre et modifié e se dist ingue hist or iquement des
aut res, de t out e aut re." 262 Ceci, qui t ient , comme nous l'avo ns vu, à la mise en
posit ion de la st ruct ure "Grand enfer mement + libér at ion des aliénés" co mme
l'évènement origina ir e, n'est pas sans conséquence épist émo lo gique. On peut
se poser la quest io n, avec
Jacques Der r ida: "Foucault décr it le processus
classique, sans qu'o n sache si un évènement comme la créat ion d'une ma iso n
d'int er nement est un signe par mi d'aut res, un sympt ôme fo nda ment al ou une
cause.... ce "coup de force" décr it dans la dimensio n du savo ir t héorét ique et
de la mét aphysique, est -ce un sympt ô me, une cause, un langage 263?
Ce flou ne per met - il pas à Foucault un aut re flou, c elui d'évit er une définit io n
de la fo lie. "Le concept de fo lie n'est - il pas un faux concept ?.Foucault se sert
d'une not io n courant e, équivo que, emprunt ée à un fo nds inco nt rôlable .Tout se
passe co mme si Foucault savait ce que folie veut dire...(on pourrai t poser des
quest io ns de même t ype à propos de la not io n de vér it é qui court à t raver s
tout le livr e)". 264"L'expressio n: "dir e la fo lie elle - mê me" est cont radict o ire en
so i. Dire la fo lie sans l'expulser dans l'o bject ivit é, c'est la laisser se dir e elle même. Or, c'est l'absence d'œuvre" . 265
Derr ida va alors ut iliser son analyse de la premièr e Médit at ion de Descart es,
cont re la lect ure qu'en fait Foucault , pour mont rer que la pensée fo lle est une
pensée et que "l' acte du Cogito vaut même si ma pen sée est folle d e part en
part". "Menaçant le t out de la connaissance, l'ext ravagance - l'hypot hèse de
l'ext ravagance- n'en est pas une modificat ion int er ne..On ne peut plus dire , à
la let t re, que le Cogit o échappe à la fo lie parce qu'il se t iendra it hors de sa
261
A.Koyré.: Du monde clos à l'univers infini Gallimard Tel Paris 1973. Afin de suivre le fil du texte de Derrida, et
pour ne pas alourdir notre propos, nous évitons volontairement un détour critique de la lecture foucaldienne
de l'éloge de la folie d'Erasme ,au titre , à l'évidence, ironique.
262
J.Derrida Cogito et Histoire de la folie, op cit p 67
263
idem p 69
264
idem p66
265
idem p68
81
pr ise, ou parce que, comme dit Foucault "mo i qui pense, je ne peux pas êt re
fou", mais bien parce que dans so n inst ant , dans so n inst ance propre, l'act e du
Cogit o vaut même si ma pensée est fo lle de part en part . Il y a une valeur et
un sens du Cogit o comme de l'exi st ence qui échappent à l'alt er nat ive d'une
fo lie et d'une raiso n dét er minées ....Descart es ne renfer me jama is la fo lie. ni à
l'ét ape du dout e nat urel, ni à l'ét ape du dout e mét aphys ique. Il f ait seulement
sembl ant de l'exclure dans la première phase de la p remière étape, dans le
moment non-hyperbolique du doute naturel .. Que je so is fou ou non, Cogito,
sum. A tous les sens de ce mot, la foli e n'est qu'un cas de pensée ( dans la
pensée) 266.Suivo ns son raiso nnement à part ir de que lques cit at io ns:"[Pour
Foucault ], le coup de force serait opéré par Descart es dans la premièr e des
Médit at ions et consist er ait t rès so mma irement en une expulsio n so mmaire de
la poss ibilit é de la fo lie hors de la pensée elle - même...Selo n lui, [ Foucault ],
Descart es renco nt rant la fo lie à côt é ( l'expressio n à côté est de Foucau lt ) du
rêve et de tout es les for mes d'erreur sensibles, il ne leur appliquerait pas le
même t rait ement 267."Foucault écr it : " Dans l'écono mie du dout e, il y a un
déséquilibre ent re fo lie, d'une part , rêve et erreur de l'au t re. Leur sit uat io n est
différent e par rapport à la vér it é et à celui qui la cherche; so nges ou illusio ns
sont sur mont és dans la st ruct ure de la vér it é; mais la fo lie est exclue par le
sujet qui dout e". Il semble bien, en effet , que Descart es ne creuse pas
l'expér ience de la fo lie jusqu'à la rencont re d'un no yau irréduct ible mais
int ér ieur à la fo lie elle - mê me. I l ne s'int éresse pas à la fo lie, il n'en accueille
pas l'hypot hèse, il ne la considèr e pas. il l'exclut par décret ...Foucault est le
premier à avo ir iso lé, dans cet t e médit at ion, le délire et la fo lie de la
sensibilit é et des songes" 268. Or, "Le r êveur est plus fou que le fou. Ou du
mo ins, le rêveur, au regard du pro blème de la co nnaissance qui int éresse ici
Descart es, est plus lo in de la percept ion vraie que le fou" 269"L'act e du Cogit o,
dans le mo ment hyper bo lique où il se mesure à la fo lie, ou plut ôt se laisse
mesurer par elle, cet act e do it êt re répét é et dist ingué du langage ou du
syst ème déduct if dans lequel Descart es doit l'ins cr ire dès qu'il le propose à
l'int elligibilit é et à la co mmunicat ion, c'est -à-dire dès qu'il le réfléchit pour
266
idem p86
idem p 71 et 72
268
idem p 74
269
idem p79
267
82
l'aut re, ce qu'il signifie pour so i. C'est dans le rapp ort à l'aut re comme
autre soi qu e le sens se rassu re contre la folie et le non - sen s...La
philosophie, c'est peut -êt re cett e assurance pr ise au plus proche de la fo lie
cont re l'ango isse d'êt re fou. On pourrait appe ler pathétique ce mo ment
silencieux et spécifique
270
. Et J.Derr ida de conclure en met t ant en relat io n la
fo lie, la raiso n et la mort :"Le rapport ent re la raiso n, la fo lie et la mort , est
une écono mie, une st ruct ure de la différance 271 dont il faut respect er
l'irréduct ible or ig inalit é" 272.
I l co nvient maint enant , pour nous, de t irer les enseignement s de ce t ravai l
d'analyse de la pensée de Michel Foucault sur la fo lie. Nous voudr io ns
d'abord t émo igner de not re dett e à son égard. Il y a maint enant un demi - siècle
qu'il a at t ir é l'at t ent ion sur le fait que la fo lie ét ait bâillo nnée. Ce t ravail a
marqué un t ournant dans la manièr e de considér er les "fous" et la quest io n de
la paro le des "fous". Ains i Foucault a - t -il cont r ibué à l'avènement de ce
nouveau paradigme de la manièr e de considér er les fous, non plus dans la
pr ise en charge, mais dans la pr ise en compt e, dans la dignit é ret rouvée, et
que nous no mmo ns l'empower ment . Nous avons, par nos cit at io ns et not re
exégèse essayé d'êt re fidèles à la pensée de Michel Foucault . En même t emps,
nous nous so mmes efforcés de mo nt rer que ce n'est pas la pr ivat io n de la
paro le des per sonnes en souffrance psy chique , de la manière do nt ils seraient
bâillo nnés dont par le Foucault , mais bien , comme o n l 'a vu, de la pr ivat io n
de la paro le de la fo lie, définie co mme dé -raiso n. Co mme nous l'avo ns
manifest é à d iffér ent es repr ises, et not amment avec l'a ide du co mmen t aire de
Derr ida, nous so mmes ext rêmement perplexes sur ce que voudrait dire un
silence ou une paro le de la fo lie en so i. Par ler d'une fo lie qui exist erait "e n
elle - même", c'est se sit uer dans une dimensio n mét aphys ique qui n'est pas
dans not re propos, ici. Nous
repr endrons la dist inct io n kant ienne classique
ent re noumène et phéno mène . Pour nous, ce qu'on peut appeler fo l ie, c'est
une expér ience vécue. On ne saurait dès lors considérer que la fo lie so it
270
idem p92
Grand Robert de la langue française:" J.Derrida écrit et propose d'écrire différance pour désigner le
dynamisme, l'action séparatrice qui crée l'écart, la "différence" produite. Suit une citation de J.Derrida De la
grammatologie p38: "Etant et être, ontique et ontologique...seraient, en un style original, dérivés au regard de
la différence; et par rapport à ce que nous appellerons...la différance, concept économique désignant la
production du différer, au double sens de ce mot .
272
J.Derrida Cogito et Histoire de la folie, op cit96
271
83
"Noumène: Réalit é int ellig ible, objet de la ra iso n opposée à la réalit é
sensible; et par la su it e réa lit é absolue, chose en so i" , mais bie n
"P héno mène: "o bjet d'expér ience possible", c'est -à-dire t out ce qui apparaît
dans le t emps ou dans l'espace, et qui manifest e les rapport s dét erminés par
les cat égor ies". 273
Par cont re, cett e hypot hèse du silence, nous pouvons l'ut iliser, la reprendr e en
co mpt e, en renver sant les t er mes. I l convient a lors
de met t re en avant la
cont raint e au silence des perso nnes en souffr ance psychique , cont raint e
exercée par la méco nnaissance de ce qu'elles peuvent dire et de cet t e
souffr ance, et de leur sit uat ion sociale d'êt res en souffrance. Mais, alors, ne
so mmes- nous pas en présence de la cont radict ion insur mo nt able relevée par
Derr ida ? S i la fo lie se définit co mme a bsence d'œuvr e, comme r ecueillir la
paro le des perso nnes fo lles? Cela r essemble à une gageure. I l y a deu x
manières de dépasser la cont radict io n, deux manières qui se co mplèt ent .
La premièr e est de met tre l'accent sur l'adject if. Dire de que lqu'un qu'il est
fou, ce n'est pas la même chose que de dire qu'il est "un - fou". L'adject if est
qualificat if et at t ribut if, à la différence du subst ant if, qui, co mme son no m
l'ind ique, va désigner la subst ance même de la per sonne ainsi désignée .
Lorsque nous diso ns d'une per sonne qu'elle est fo lle, nous qualifio ns so n
co mport ement (ou ses paro les, c'est ici la même chose), à un mo ment donné.
Ce n'est pas l'essence de la perso nne que nous chercho ns à définir. Par
ailleurs, ce qualificat if n'est pas exclusif. La personne qualifiée de fo lle peut
êt re fo lle et aussi aut re chose. Co mme, par exemple, non - fo lle aut rement dit
raisonnable. Disant cela, nous ne réfut ons en aucune manière le pr inc ipe de
non- cont radict ion. Nous évoquons le fait que cett e personne peut êt re t enue
pour fo lle dans t elle circo nst ance part iculièr e, et non - fo lle dans t elle aut re.
Nous évoquons le fait que cet t e personne peut êt re qualifiée de fo lle à un
mo ment donné et no n- fo lle à un aut re. Co mme nous l'avo ns dit dé jà:
"Perso nne n'est fou 24h/24". 274
Cet t e problé mat ique a ét é magist ralement
démo nt rée par G. Swain qui oppose sur cett e quest io n la philo sophie de Hege l
à celle de Kant 275 . Nous ne reprendrons pas ici sa démo nst rat ion.
Mais cet t e posit io n pose deux quest ions:
273
Citations de : A. Lalande. Vocabulaire technique et critique de la philosophie PUF. Paris 1962 p692 et766
Notamment dans notre thèse de doctorat de psychologie et notre mémoire de M1
275
G.Swain: "De Hegel à Kant: deux époques de la folie" in Dialogue avec l'insensé Gallimard Paris 1994
274
84
Tout d'abord, peut -on considér er que la paro le de la perso nne est la paro le
d'une perso nne fo lle lor sque celle- ci t ient des propos sensés, quand bie n
même elle aurait ét é fo lle? Lui dénier cet t e reconnaissance sera it
de
considérer qu'il s'agir ait alor s d'une aut re personne, et fa ir e peu de cas de so n
expér ience. En out re, ce serait faire peu de cas de la va leur assignat r ice de la
reconnaissance ant ér ieur e du comport ement fou, de sa désignat io n co mme t el
et sa fonct io n de st igmat e 276 .
Ensuit e peut -on considér er la paro le de la personne fo lle quand elle est fo lle ?
( ici, nous pouvons même cons idérer que l'adject if se rapport e t ant à la parole
qu'à la perso nne). Co mment serait -ce possible, alors mê me que cet t e paro le ne
"sig nifie r ien", en t out cas, r ien que je puisse co mprendre ? Cet t e parole,
cert es ut ilise des mot s, mais, en mê me t emps, elle est sort ie du langage, e n
t ant que le langage est le véhicule de l'échange s ymbo lique ent re les hu mains.
Pour dépasser cet t e cont radic t ion, nous devons pr endre le mot considérer dans
son sens pr emier: celu i de prendr e en considér at ion. I l s'agit de recevo ir, au
sens fo ndament al, non celui du sens mais de la sensibilit é. Cet t e parole fo lle,
que je ne co mprend pas, au sens de "co mprendere" ( sais ir avec, posséder) je
peux la co mprendr e au sens de "int er - legere"(cueillir ent re). Je la reço is parce
qu'elle me t ouche. E lle me t ouche, parce que cet t e parole fo lle expr ime
quelque chose de l'êt re qui est en face de mo i. Pour reprendr e une dis t inct io n
chère à H. Maldiney, nous so mmes ic i alo rs dans le champ du t ranspassible, et
non du t ranspossible. 277
Nous devons, en conclusio n, rendr e ho mmage à l'apport de Michel Foucault ,
qui est pour nous une référence incont ournable. Nous avons repr is à not re
co mpt e l'idée que l'o n a réduit au silence une paro le fo lle, au bénéfice de la
revendicat ion de la pr ise de paro le des personnes que l'o n dit fo lles. Ce
faisant , nous avo ns pr is la for mule de Foucault pour la renverser. il ne s'agit
plus du silence imposé à la fo lie, mais "aux- fous".
276
277
M.Dutoit. Etre vu, se voir, se donner à voir. L'Harmattan Paris 2011 et E.Goffman Stigmate Minuit Paris 1975
H.Maldiney. "De la transpassibilité" in Penser l'homme et la folie Millon Grenoble 2007
85
Gilles Deleu ze et Féli x Guattari
Not re recherche générale port e en t it re, rappelo ns le: "Je suis fou, et vous?" .
Tit re vo lo nt aire ment provocat eur acco mpagné, pour cet t e raison, de deux
sous-t it res qui explic it ent le propos:1."Aussi vr ai que la fo lie exist e, "le - fou"
n'exist e pas" et 2." Le jour où des personnes peu habit uées à par ler sero nt
ent endues par des per sonnes peu habit uées à écout er, de grandes choses
pourront arriver". Le but de cet t e recherche est de donner des out ils
t héor iques à
la paro le des perso nnes
reconnues dans
leur
souffrance
psychique, ceux qu'un usage récent t end à no mmer "les usagers en sant é
ment ale", ou les" personnes ayant des problè mes de sant é ment ale", usage qu i
per met d'évit er la cat égorisat io n co mme "malades ment aux", et de sit uer ainsi
la quest ion abordée co mme un problème de sociét é et non co mme une
caract ér ist ique "pat ho logique" d'ind ividualit és, caract ér ist ique qui pourrait
êt re assimilée à une st igmat isat ion, vo ir e à une t are, dans un cont ext e de peur
de l'aut re et de mise en exergue de la dangerosit é. Au cœur de ce changement
de paradig me se t rouve la quest io n de ce que les anglo - saxons appellent
l'e mpower ment ,
et
que
les
québéco is
ont
judic ieusement
t raduit
par
appropr iat ion du pouvo ir.
Au sein de cet t e recherche, les t ravaux de Gilles Deleuze et Félix Guat t ar i
occupent une place part iculièr e, t ant par leur spécific it é que par leur
origina lit é. L'ét ude de ces t ravaux nous ont d'aut ant plus int erpellé que not re
chemine ment nous a personnellement co nduit d'une prat ique et d'une réflexio n
de
t hérapeut ique
inst it ut ionnelle
à
une
prat ique
et
réflexio n
de
co mpagno nnage de rout e du mouveme nt des usagers en sant é ment ale dans la
spéc ific it é de son discours, dans le pro longement t ant de la reconnaissance de
la spécificit é de cet t e parole que de la pr ise de co nscience de la pérennisat io n
des rapport s de pouvoir dans et par l'inst it ut io n so igna nt e. Notons cependant
que, dès le départ , not re démarche a aussi ét é marquée par un engagement
ét hique basé sur la quest io n de la pr ise de paro le de l'usager
278
, (et qui a
aussi marqué not re prat ique inst it ut io nnelle) . En 1975, nous avons créé une
inst it ut io n alt er nat ive à l'hospit alisat ion psychiat r ique, aujourd'hui connu
sous le no m du Fo yer Léone Richet , à Caen, et en 1985, nous avons sout enu
278
En témoigne le livre publié sous le pseudonyme de Jacques Fresco: Les bagnes d'enfants, Dieu merci ,ça
n'existe plus. Maspero ,Paris 1974
86
une t hèse de Doctorat de Psycho logie sous le t it re: L'Institution, outil
d'action thérapeutique
(un modèle
de
tra itement
l'Institution, le Foyer de Cluny de Bellengreville)
279
de la psychose par
280
S i nous l'évoquons ici
et maint enant , c'est en raiso n de la réso nnance part iculière avec le propos qui
va suivre, et ceci à deux t it res: C'est d'abord et surtout en raison du
parallélis me ent re cert aines t hèses dévelo ppées par Deleuze et Guatt ar i et par
nous- mêmes. Dans not re démarche de psychot hér apie inst it ut ionnelle et dans
not re t ravail univer sit air e, nous n'avons, à aucun mo ment , cherché à appliquer
une mét hode import ée. Dans not re t hèse nous so mmes part is de cet t e
quest io n: A quo i ça sert ? E n quo i l'ins t it ut io n est t hérapeut ique? Et nous
avons co nclu que "C'est en élaborant l'inst it ut ion que le pensio nnaire
s'élabore lui- même, const ruit son ident it é". L'inst it ut io n remplit sa miss io n
t hérapeut ique en t ant qu'elle est définie 1. Comme aire de jeu,2.Co mme siège
de l'illusio n;3.Co mme organisat eur de réseau . Le propos n'est cert es pas de
développer cet t e t hèse mais de per met t re, par ce résumé, d'appréhender
co mment nous avons pu lire Deleuze et Guatt ari à part ir de l'I nst it ut ion
définie co mme pr inc ipe d'élaborat io n. Par ailleur s , le Fo yer Léone Richet est
un lieu d'excellence pour l'appropr iat io n de ses propres capacit és...dans les
limit es du cadr e inst it ut io nnel, et ce, peut -êt re, d'une manière exempla ir e .
Ceci est dit pour préciser que la réflexio n sur l'empower ment t rouve
cert ainement là pour nous so n origine.
Nous avons analysé les t ravaux de Deleuze et Guatt ari sous six chapit res: 1.
Dans leur rapport avec la psychot hér ap ie inst it ut io nnelle. 2. Dans leur
rapport s avec des courant s philo sophiques classiques 3.Dans leur co ncept io n
de l'individu et du schizophrène .4.Dans leur rapport avec l'évènement .
5.Dans leur rapport avec la paro le. 6.Dans leur vo lont é d'élaborer une t héo r ie
glo bale.
Pour
chacun des chapit res,
nous avo ns ext rait
des cit at io ns
per met t ant d'exposer leur propos et nous les avo ns int errogé à l'aune du
paradigme de l'empower ment . Deleuze et Guat t ari ont revendiqué d'avo ir écr it
à une vo ix ( mult iple).Par co mmodit é et clart é nous so mmes part is de l'apport
de chacun des aut eurs.
279
280
Ancien nom du Foyer Léone Richet
à Paris V Descartes
87
Sur la Psychothérapie In stitutionnelle
Not re propos n'est pas ici d'évaluer les rapport s de la pensée de la
psychot hérapie inst it ut ionnelle au par adigme de l'empower ment , mais de
chercher co mment Deleuze et Guat t ari (et plus part iculièr ement Félix
Guat t ari) se sit uent sur cet t e quest ion à l'int ér ieur de ce champ, défini (ent re
aut res) par F.Tosquelles et J. Our y.
Franço is Tosquelles dit t rès c lairement dès sa t hèse française en 1948 281 :"Le
travail d'objectivati on de la maladie n'existe pas " 282. Si Jean Our y écr it : " Un
schi zophrène, ça n'exist e pas " 283 , il dit aussi :" Les schi zophrènes se
conf ondent f acilement avec le banc sur l equel ils sont assis " 284. (Il faut not er
que , dans sa t hèse, Tosquelles par le de fous et de fo lie, jama is de
schizophrènes).
Félix ,de son côt é, t rès tôt affir me une posit ion or iginale et marquant e: " Un
malade, qu'est- ce que c'est ? Un citoyen d'abord, 285 un individu ensuit e, et
l'on peut se demander en plus quel rapport ça peut avoi r avec le f ait d'êt re un
sujet parlant 286. "Cet t e posit ion est net t ement différ ent e de celle de P ierre
Delio n qui dit : " Il f aut distinguer le sujet et le citoyen. Le sujet c'est le
locuteur, celui qui prend la parol e. Le cit oyen donne sa voi x. Ce n'es t pas t rès
intéressant " 287.Comment
donc
Félix
définit - il
la
psychot hér apie
inst it ut io nnelle?: "Une nouvelle attitude, un nouveau mode d'abord militant
de la maladie mentale étaient nés, qui allaient bouscul er les st éréotypes
habituel s et heurter les milieux réactionnaires de l'admi nist ration autant que
les milieux "de gauche". Le mot d'ordre proposé était qu'avant d'entreprendre
quelque cure indi viduelle que ce soi t, il f allait "soigner le quarti er"! Le
développement
des
techniques
de
"clubs
thérapeutiques
in tra-
hospitali ers"[Rattachés à la Fédérati on des Croi x -Marine, précise une not e
281
François Tosquelles, que l'on peut considérer comme l'initiateur du mouvement de psychothérapie
institutionnelle ,étant réfugié politique catalan a du en 1948 (re) soutenir une thèse de doctorat de médecine
pour pouvoir exercer en France. Il s'agit de François Tosquelles :Le vécu de la fin du monde dans la folie,
rééditée en 1986 par les éditions de l'AREFPPI
282
op cit p43
283
Jean Oury et Marie Depussé: A quelle heure passe les trains Calman Lévy 2003p192
284
idem p56
285
Nous utilisons les caractères gras à chaque fois que nous voulons souligner un propos.
286
Guattari:" La psychothérapie institutionnelle",(texte daté 1962-63) in Psychanalyse et Transversalité p45
François Maspero, Paris 1972(désormais résumé en PT)
287
P.Delion. Conversation avec l'auteur en 1990.
88
en bas de page] devait permett re de balayer les idées reçues sur l'agitation,
la chronicité, etc., et c'est jusqu'à la sémiologie traditionnell e qui se trouvai t
ainsi mi se en question par l'établi ssement de nouveaux rapport s ent re les
malades et les soignant s, ent re les inf irmiers et les médecins, ent re les
médecins et les f amilles, etc. De proche en proche, c'est l'armature de l a
psychiat rie
tout
entière
qui
se
trouvait
ébranl ée ,
de
sort e
qu'un
rapprochement réel ent re la pratique hospitalière et la psychanalyse pouvai t
s'amorcer, permettant de surmonter une blessure ancienne -la rupt ure de
Jung, Bleuler et des Zurichois avec Freud - blessure qui devait séparer pour
longtemps la p sychanal yse de la psychiat rie " 288 . Ce passage est int éressant à
plus d'un t it re: d'abord il y est quest ion de "so igner le quart ier". S i cet t e
quest io n est récurrent e dans le cha mp inst it ut io nnel (Our y dit qu'elle s'impose
co mme l'asepsie en chirurgie), elle n'est pas exclusive de la vo lo nt é de
so igner PAR l'inst it ut ion :" Ce que Tosquelles appelle l'ensembl e du t ransf ert
institutionnel. ."
289
Le fait que Félix Guat t ari met t e l'accent sur cet t e
dimensio n de cr it ique de l'inst it ut io n n'est pas anodin, et nous place au cœur
de
l'ambivalence
de
la
dimensio n
alt er nat ive
de
la
psychot hér apie
inst it ut io nnelle par rapport à la psychiat rie. Fer nand Del igny l'avait bie n
not é: "J'ai travaill é à La Borde, mais ça ne pouvait pas marcher: je passai s
mon temps à mettre du sable dans les rouages (c'était mon grai n de sable à
moi) quand les aut res f aisaient tout pour que ça marche " 290 On vo it bien dans
ce passage que cet t e ambivalence est support ée par l'ambit io n (ou bien plut ôt
l'illusio n?) de pouvo ir subvert ir la psychiat r ie. En même t emps, Félix milit e
pour
un
rapp roch ement
réel
ent re
la
p ratiqu e
hospitali ère
et
la
psychanalyse ,en référence à la clinique du B urghö lzi d'E.Bleuler. Ceci
explique bien qu'alor s même qu'il revendique une remise en cause de la
sémio lo gie t radit ionnelle, il ut ilise la référence à la schizophrénie. Fer nand
Deligny
(encore
lui)
lui
reprochera
son
ut ilisat ion
d'une
sémio logie
t radit io nnelle : " Pourquoi parl es-tu de débiles quand tu parles d'ici? Il s'agit
d'enf ants mutiques" . 291 Nous ne pouvons co mprendre cet usage qu'en nous
rappelant du cont ext e. Les écr it s de Deleuze et Guat t ari se sit uent à l'int ér ieur
288
Guattari PT p40
J.Oury:Il,donc UGE 1978 p153
290
F.Deligny.Conversation avec l'auteur Août 1975
291
Fernand Deligny , lettre à Félix Guattari , archives IMEC 31 octobre 1977
289
89
du t roisième paradigme de la psychiat r ie moder ne. 292.C'est à la même époque
que Roger Gent is publie, à l'usage des infir mier s psychiat r iques, le pet it livr e
" Les Schizophrènes" . 293 Rest e à savo ir ce que Deleuze et Guat t ari ent endent
précisément par schizophrènes et schizophrénie. Pour cel a nous devrons faire
le dét our par la philosophie. L'apport essent iel de Félix Guat t ari à la
psychot hérapie inst it ut ionnelle t ient à son approche de la r éalit é psychique
des groupes. Sa dist inct ion ent re groupes sujet s et groupes assujet t is est
opérant e parce qu'elle décr it une réalit é bien que l'exemple des sociét és
religieuses et milit ant es nous para isse mal cho isi (E n effet , les sociét és
religieuses sont fondées aut our d'un ordre et leur lo i ( tout comme pour les
sociét és milit ant es) est en référ ence à u ne vo lo nt é, (un idéal), une puissance,
ext erne.). " Je ne suggère cett e image que pour illust re ce que j'entends par
groupes assujettis: des groupes qui reçoivent l eur loi de l'extéri eur, à la
diff érence d'aut res groupes, qui prét endent se f onder à partir de l'assumation
d'une loi interne; ceux -ci étant des groupes f ondateurs d'eux -mêmes, dont le
modèle est plus à chercher du côté des sociétés reli gieuses ou militantes, et
dont la totalisati on dépend de leur capacité à incarner cett e loi ." 294 Un
groupe sujet devient sujet de son destin . Cet t e affir mat io n port e en elle un
fort cont enu ant icipat eur par rapport au paradigme de l'empower ment , en t ant
qu'il est mis en œuvre dans les E spaces Conviviaux Cit o yens d'Advocac y 295 et
repr is par la circula ir e minist ér ie lle des Groupes d'E nt raide Mut uelle d'Août
2005 296. "Tant que le groupe reste objet des autres groupes, il reçoit le non sens, la mort, de l' extérieur; on peut touj ours escompter se réf ugier dans des
structures de méconnai ssance. Mai s dès que le groupe devient sujet de son
destin, dès qu'il assume sa propre f initude, sa propre mort, alors les données
d'accuei l du surmoi sont modif iées, le seuil du complexe de cast ration,
spécif ique d'un ordre soci al donné, peut être localement modif ié. On est dans
le groupe, non pour se cacher du dési r et de la mort, engagé dans un procès
collectif d'obsessionnali sation, mais en raison d'un problème particulier, non
292
Voir C.Deutsch : De la prise en charge à la prise en compte VST 113.2012
Roger Gentis :Les schizophrènes. CEMEA Scarabée Paris 1969
294
Guattari PTp42
295
Voir notamment: C.Deutsch:" L' Advocacy, un concept et des actions de lutte contre l'exclusion, la
disqualification, la discrimination". in Processus d'exclusion Au fil du mois Revue CREAI PACA-C 11/2004 et
M.Dutoit et C.Deutsch :"Advocacy, une recouvrance " in Domination et révolte VST 89 Paris2006
296
Bien que cette orientation paraisse aujourd'hui dévoyée comme en témoigne l'article de F.Leroy, M.Dutoit,
C.Deutsch "Vous avez dit entraide mutuelle?" in VST 112 Paris .2011
293
90
pour l'ét ernité, mai s à tit re t ransitoi re: c' est ce que j'ai appel é la structure de
transversalité. " 297 Le groupe sujet , parce qu'il n'est pas "clo s" par rapport à
son devenir, per met au sujet d'advenir comme sujet -par lant , et d'advenir
socialement . Les deux dimensio ns ne se cont redisent pas, elles se co mplèt ent .
C'est ains i que nous co mprenons la phrase: "le seuil du com plexe de
cast ration, spécifique d'un ordre social donné, peut être localem ent
m odifié", phrase qui pourrait parait r e obscur e dans un mode de lect ure
psychanalyt ique, mê me lacanien. C'est cett e réflexio n sur les groupes sujet s
qui int roduit à la t ransver salit é. La t ransver salit é, qu'est -ce que c'est ?: "La
transversalité, dans l e groupe, est une di mensi on contrai re et complémentai re
aux st ructures génératri ces de hi érarchi sation pyramidal e et des modes de
transmi ssion stérilisateurs des messages". 298"Transversalité par opposition
à:-Une verticalité qu' on ret rouve par exemple dans les descriptions f aites par
l'organi gramme
d'une
structure
pyramidale(chef s,
sous -chef s,
etc) -une
hori zontalit é comme cell e qui peut se réaliser dans la cour de l'hôpital, dans
le quartier des agit és, mieux encore celui des gâteux, c'est -à-dire un certain
état de f ait où les choses et les gens s' arrangent comme ils peuvent de la
situation dans laquelle il s se t rouvent."
299
"La transversalité est une
dim ension qui prétend surm onter l es deux im passes, cell e d'une pu re
verti calité, et celle d'une sim ple hori zontalité; elle tend à se réali ser
lorsqu'une com m unication m axim um s'effectue ent re les dif f érents ni veaux et
surt out dans les dif f érent s sens" 300. "La transversalité est le li eu du suj et
inconscient du groupe, l'au-delà des loi s objecti ves qui le f ondent, le support
du désir du groupe" 301. Nous pouvons dire que la t ransversalit é est une
prat ique. Du po int de vue de l'animat eur de groupes que Félix n'a ja mais cessé
d'êt re, c'est sans dout e une prat ique d'agencement inst it ut ionnel. En mê me
t emps, on peut dire que c'est une post ure, un posit io nnement des act eurs ent re
les différent s niveaux , les différ ent s sens. C'est un posit io nnement qu i
per met que quelque chose passe, que quelque chose se passe, que l'évènement
advienne. Nous ret rouvons là quelque cho se d'essent ie l dans la philosophie de
297
Guattari "Le transfert" (1964) in PT p54
Guattari "La transversalité " (1964) in PT p84
299
idem p79
300
idem p81
301
idem p84
298
91
l'E mpower ment . Lorsque Félix définit la t ransversalit é co mme le "lieu du
sujet inco nscient du groupe", non seulement il définit l'imaginaire groupal,
mais il sit ue le me mbre du groupe co mme sujet . Non seule ment il ant icipe sur
les t ravaux de Didier Anzieu et René Kaës 302 mais sur la différenciat io n
majeure que fera ult ér ieurement Jean Our y ent re le groupe et le co llect if. 303
Par cont re, il hér it e de la dist inct ion que Tosquelles fait ent re Inst it ut io n et
Et ablissement . Approfo ndir les différ ences co ncept uelles nous ent rainerait
dans de t rop amp les dévelo ppement s.
I l faut
se garder
de
lire
"La
Transver salit é" en oubliant tout es les ouvert ures que ce t ext e a per mi s.
Sur l'héritage phi losophique
Lorsque Guat t ar i rencont re Deleuze celui- ci est déjà un pro fesseur de
philosophie re-connu qui va apport er au tandem t out son back -ground qu'il est
int éressant d'ét udier car les idées - force qu'il revendique sont à cro iser av ec ce
qui const it ue le fo nde ment philo sophique de l'empower ment . Par ailleur s ,
cet t e mét hode nous parait la meilleure pour compr endre les concept ions de
l'ho mme sur lesquelles est bât i le "syst ème Deleuzo -Guatt ar ien ".
Le premier des aut eurs de référence e st Hume. "Une des idées de Hume les
plus si mples, mais les plus important es est cel le -ci :l'homme est beaucoup
moins égoï ste qu'il est partial" 304. Hume nous présent e toujours un sujet qui
n'est jamais donné mai s toujours const ruit.il n'est pl us source d'expl icati on
mais ce qui doit être expliqué:
305
"La philosophi e de Hume est toujours une
théori e de la prat ique " 306."Deleuze attribue à Hume l'int uition selon l aquell e
tout le débat sur la nature humaine tient à la diff érence ent re insti nct et
institution. Rien en l'homme ne relève d'un quelconque naturel , tout est en
const ruction, en élaboration. L'hom m e ne nait pas sujet, il le devient " 307."Au
cœur de l'empiri sme Humien , Deleuze trouve le principe auquel il consacrera
sa
thèse,
le
principe
de
dif f érence.
Son
atomi sme,
comme
son
associationnisme, est le corrélat de sa conception du suj et comme se
302
D. Anzieu: le groupe et l'inconscient Dunod. 1981.R.Kaës (dir) L'institution et les institutions Dunod 1987
J.Oury.le Collectif Scarabée1986
304
G.Deleuze.Différence et Répétition PUF 1968 (désormais résumé en DR)p24
305
F.Dosse: Gilles Deleuze , Félix Guattari, biographie croisée La découverte Paris 2009 (désormais référencé
Dosse) p 140
306
M.Antonioli. Deleuze et l'histoire de la Philosophie Kimé paris 1999 p30
307
Dosse p142
303
92
constit uant dans le donné....le mérite de Hume est d'avoi r su percevoi r
l'extériorité des relations par rapport à leur termes et d'avoi r ainsi rompu
avec le jugement d'att ribution" 308. Nous sommes, quand à nous, ext rêmement
sensibles à cet t e idée que nous avo ns soulignée : "L'ho mme ne nait pas sujet ,
il le devient ". Cependant nous so mmes devenus prudent s d'une une approch e
t rop sensualist e et empir ist e , dont on a vu, avec le Lysenk isme à quels excès
dogmat iques elle pouvait about ir. I l ne faut jamais perdre de vue la
dialect ique de l'assimilat io n et de l'acco mmodat ion. Ro mpre avec le jugement
d'at t ribut ion, au no m de la cr it ique du pr ima de la démarche logico -déduct ive
(pour ne pas dire cr it ique de la raiso n pure, ce qui serait un néo logis me),
n'est -ce pas r isquer de refuser à la personne la possibilit é de l'appropr iat io n
de ses capacit és et not amment de ses capacit és de se représent er ? C'est sans
dout e pour t ent er de résoudre c e dilemme que DG 309 ét ayero nt leur réflexio n à
part ir du fait psychot ique , c'est -à-dire du const at
de l'incapacit é de se
représent er et qu'ils sont si cr it iques de la not ion de représent at io n.
Le deuxième aut eur de référence est Spinoza: "le thème de la pui ssance est au
cœur du Spinozi sme.la puissance est à l'œuvre partout.. La puissance est
l'équival ent de l'essence. Tous les êtres sont animés par la pui ssance
d'exist er, qui est pour l'homme "une partie de la pui ssance inf inie, c'est -àdire de l'essence, de Dieu ou de la Nature" 310.."Cette pui ssance pousse
l'exist ence dans ses limites ext rêmes et a pour nom conatus qui est cet ef f ort
pour persévérer dans l'êt re. Deleuze conf ère à cette f orce le nom de "désir" et
insi ste sur le f ait qu'il est dét erminé par des af f ections...La question du dési r,
mais sous une f orme non f reudienne .La relance de ce conatus/dési r provient
selon Spi noza des rencont res...Là où la rencont re -ce que Deleuze appellera
,après sa rencont re avec Guatt ari, la coupure du f lux est majeure pour
persévérer dans l'êt re, c'est parce que l e "Je peux" est lié à la capacité d'êt re
aff ecté et cell e-ci dépend de la rencontre avec autrui et dépend de l a
rencont re avec aut rui en tant qu'il peut altérer l'identit é du même." 311 Le
t hème de la puissance es t fondament al dans une réflexio n sur l'appropr iat io n
du pouvo ir. La mise en rapport du conat us et de la renco nt re comme capacit é
308
Dosse p143
C'est ainsi que nous dénommerons Deleuze et Guattari dans leur œuvre commune
310
Spinoza, Ethique livre IV,4 cité par Dosse p180
311
Dosse p181
309
93
d'êt re
affect é
,y
co mpr is
dans
l'ident it é
même,
vo ilà
sensiblement not re réflexio n sur l'e mpower ment . Pour
qui
enr ichira
aut an t cela est - il
suffisant pour définir l'essence du désir ? Pour aut ant , est -ce que cela aut orise
une démar che mo nist e? C'est ce que nous t acherons de dégager lor s du der nier
chapit re de not re exposé.
L'évocat io n de Bergson, t rois ième mousquet aire des ant écéd ent s deleuziens,
nous renforce dans cet t e dernière int errogat ion: " La doctrine de Bergson,
comme celle de Del euze reste résolument
moni ste.
Toute la méthode
bergsoni enne consi ste en f ait à restaurer les dif f érences de nature dans les
mixtes que nous livre l'expérience...Un des déplacements maj eurs réalisés par
Deleuze par rapport aux interprétations traditionnell es de Bergson est de
consi dérer que le cœur de sa doct rine n'est présenté ni par l'él an vital, ni par
la mémoi re, mai s par la logique de la mul tip licité" 312.
On pourra nous reprocher d'avo ir vo lont airement écart é de not re réflexio n, le
d'Art agnan de l'affair e, qui fera le lien ent re Deleuze et Foucault , à savo ir
F.Niet zsche. Nous avons est imé que cela nous obligerait à t rop nous élo igner
de not re propos.
Sur l'individu, le schi zoph rène et la schi zo -analyse
Nous avo ns pu , grâce à ce dét our, commencer à appréhender la concept io n de
l'ind ividu chez DG: " L'individu, selon Si mondon -et Deleuze- n'est pas un êt re
stable, mai s le résultat d'une rencont re de processus, d'opération et de
f ormes, une rencont re d'énergi es dif f érent ielles ent re des af f ects, des percept s
et des émotions" 313 Et nous souscr ivons à l'idée que "l'indivi -du" ne saurait
êt re qu'une manièr e de déno mbrement st at ist ique, et que la vér it é de l 'êt re
huma in, qui est divisé, clivé , ne saurait s'y résumer. Maint enant , nous
pouvons chercher à co mprendr e pourquoi DG prennent "le schizophrène"
co mme référence."L'intention de Deleuze et Guattari n'est pas de f aire
l'apologie de la schizophrénie...La s chizophrénie brandi e comme programme
universalisant par Deleuze et Guattari n'est pas une maladie qui port e ce
nom, mais l'idée d'un processus sans limi tes, la capacit é toujours repri se de
312
313
Dosse p 174
Dosse p200.
94
transgresser les limites, de réali ser des levées d'écrou " 314."Il convient de
briser la segment arit é dure qui clive les i ndividus dans un univers clos, et la
schi zophréni e se déf init comme une t ent ative de cart ographie des lignes de
f uite possibles par rapport à ces segment ations". 315 Not re analyse est que DG
ut ilisent là un concept issu de la nosographie médicale , mais pour désigner
aut re chose, qui t ient de leur co mpréhensio n de la psycho se, mais pas
seule ment . Il s'agit pour eux de fa ir e ent endre une concept io n du mo nde, à
part ir de ce qu'ils définissent co mme l'univers psyc hot ique, une co ncept ion du
mo nde
co mpat ible
avec
l'univer s
psychot ique 316,
du
mo ins
l'univers
psychot ique t el qu'ils l'ent endent . "La ligne de f uite n'est pas en soi source
créative
et
libératoi re,
elle
peut
être
un
ef f ondrement
lorsqu'ell e
se
transf orme en ligne d'abolition, de destruction et c'est en cela que le
psychotique dit schizophrène n'est pas magnif ié dans sa souf f rance en tant
que malade...Deleuze insi ste donc bien sur la di stincti on ent re l'entit é
clinique qui suit une ligne d'aboli tion et de mort , et la schi zophréni e comme
processus de vie. C' est l'occasion pour lui de réaf f irmer son vitalisme
f ondamental, sa dét est ation de tout af f ect morbide: "Quand j'entends que l a
mort pui sse êt re un processus, c'est tout mon cœur, tous mes af f ects qui
saignent" 317 .Il n'en demeure pas mo ins que la mort est un processus. On nous
rétorquera que cet t e réflexio n est hors -sujet .Elle s'inscr it cependant dans une
lect ure cr it ique où la quest io n qui se pose à nous est de savo ir si la
concept ion du monde de DG vient de leur regard et de leur pr ise en co mpt e de
l'univer s
psychot ique,
ou
si leur
vis io n de
l'univers
psychot ique
est
dét er minée par leur concept io n du monde. Peut -on réelle ment par ler de la
schizophrénie co mme processus de vie ? Qu'est -ce, pour eux, que le vécu du
schizophrène? (Et posant cet t e quest io n, nous avo ns à l'espr it la phrase de J.
Our y: " Un schi zophrène, ça n'exist e pas")."Ce que vit le schizophrène, c'est
justement l'absence de surf ace des corps: "Le premier aspect du corps
schi zophréni que, c'est une so rte de corps passoi re...tout est corps et
314
Dosse p240
Deleuze : Cours du 27 mai1980 à Vincennes cité par Dosse p264
316
Le terme de psychose et celui de schizophrénie ne se recouvrent pas, dans la mesure où à la différence du
terme médical de schizophrénie, le terme de psychose peut être utilisé pour définir, non une pathologie, mais
un agencement libidinal. L'argumentation est impossible à développer ici et trouvera sa place dans le mémoire.
317
Deleuze Cours du 27 mai1980 à Vincennes cité par Dosse p264
315
95
corporel..Un arbre, une f leur, une canne poussent à t ravers le corps"." 318 Le
corps schizophrène revêt troi s caractéri stiques: c'est un corps passoi re, un
corps morcel é et un corps di ssocié... Deleuze repère chez Art aud le corps
sans organe "CsO". Le corps sans organe n'est pas un corps dépourvu
d'organes, mai s un corps "en deçà de la détermination organique, un corps
aux organes indéterminés, un corps en voi e de dif f érenciati on"
319
. "Artaud est
l'accompli ssement de l a littérature, préci sément parce qu'il est schizophrène
et non parce qu'il ne l'est pas". 320 Au bout du compt e, ce qui est en quest ion ,
c'est la quest ion du désir, du désir co mme machine de
product ion et non
co mme art icu lé à part ir de la quest io n du manque. Le schizophrène, avec son
corps sans organe ser ait le paradigme d'un mo nde sans limit e -a-pr ior i, d'u n
mo nde où le changement est possible . D.G. sont ext rêmement clairs au
lendema in de la publicat ion de l'Ant i -Oedipe: "Gilles Deleuze: L'idée
f ondamentale est peut-êt re celle-ci: l'inconscient "produit"...Nous pensons
que l'inconscient n'est pas un théât re, mais plutôt une usine... Dire que
l'inconscient "produit", signif ie que c'est une sorte de mécani sme qui produi t
d'autres mécani smes. L'inconscient n'a rie n à voir avec une représent ation
théâtrale,
mais
avec
ce
que
nous
pourrions
appeler
des
"machines
dési rant es"...Désirer consi ste en ceci: f aire des coupes, laisser coul er
cert ains f lux, opérer des prélèvements sur les f lux, couper l es chaînes qui
épousent les f lux...Le désir ne dépend pas d'un manque..le dési r ne renvoie à
aucune Loi, le désir produit...Cela si gnif ie peut -être que l e désir est
révolutionnaire..Il est révolutionnai re par nature parce qu'il const ruit des
machines qui, dans le champ social son t capables de f aire saut er quelque
chose, de dépl acer le ti ssu social" 321. On peut ici se poser la quest io n de la
nat ure d'un désir qui se r éclame du champ social en réfut ant -à t ravers la
quest io n du manque- l'art iculat io n du désir avec l'int er subject ivit é. Ne peut on dir e avec J. Lacan que "L e sujet prend conscience de son désir dans l'aut re
par l'intermédiai re de l'image de l'autre qui lui donne le f antôme de sa propre
maîtri se" et que l'on peut " rappeler le thème hégélien f ondamental -l e dési r
318
Deleuze Logique du Sens. Minuit 1969 p106 (résumé LS)
Anne Sauvagnargues Deleuze et l'art PUF 2005 p87-88
320
Deleuze et Guattari. L'Anti-Oedipe minuit 1972 (résumé AO)p160
321
Deleuze et Guattari: "Capitalisme et schizophrénie" traduit et reproduit dans Ile Déserte Minuit paris 2002 p
323 et 324
319
96
de l'homme est le désir de l'autre " 322 ? On nous opposera que c'est just ement
à cela que s'opposent DG en faisant la promot io n de la product ion face à la
t héât ralisat io n. On peut cependant se demander si la not ion de flux, en court cir cuit ant le phant asme, ne r isque p as d'int roduire une confusio n ent re
le
beso in et le désir. C'est dans ce co nt ext e qu'ils inscr ivent leur concept io n de
la fo lie. Cert es, co mme dit F.Guat t ar i dans cet art icle: " La schi zophréni e est
une expéri ence involontai re,
et
très
aigüe,
d'intensité e t
de passage
d'intensi té", mais cela aut orise-t - il de dire que" c'est pour cela que les
recherches expériment ales pharmacologi ques pourraient êt re très riches "?
Posit ion qui paraît parado xale quand on pense aux effet s aliénant s de la
camiso le chimique, ma is qui, en fait , confir me l'hypot hèse de la confusio n du
désir et du beso in :"Les ét udes pharmacologiques posent l e problème en
termes de variation d'int ensité du métabolisme" 323 . C'est dans une int ent io n
polit ique qu'il faut donc ent endre de leur concept io n de la fo lie et sa pr ise e n
co mpt e:" Pour rendre compte de l'aliénation, la répressi on que l'individu
subit dans l e syst ème capitali ste...nous devons mett re en jeu des concept s qui
sont les mêmes que ceux auxquel s on devrait avoi r recours pour int erprét er la
schi zophréni e". 324 C'est ains i qu'il convient de co mprendre la schizo -analyse:
"la schi zo-anal yse entend reconnect er l'inconscient au social et à la
politique....Remettre le dési r en mouvement, le rendre productif devient la
f onction première de la machi ne dési rant e qui doit se substituer à la structure
œdipienne enf ermante."...se déf inissant comme une démarche matériali ste, la
schi zo-anal yse entend au contraire opposer aux enjeux endogènes de la
structure l'int ervention signif iante d'un dehors". Le schi zo-analyste se
présent e toujours comme le tenant d'un mode d'expérimentation.." Ce ne sont
pas les lignes de pression de l'inconsci ent qui comptent, ce sont au contraire
ses lignes de f uite" 325.
Mais l'Ant i-Oedipe peut prêt er à des malent endus qu'il convient de rect ifier:
"En 1988, à l'occasion de l'Abécédai re, Deleuze préci se que l'intention
n'avait rien à voi r avec le tout désirant , mais le passage d'une conception
abst raite du désir à une approche constructivi ste qui prenne en compte
322
J. Lacan, Séminaire 1"les écrits techniques de Freud Le Seuil 1975 p178 et 169
Deleuze et Guattari: "Capitalisme et schizophrénie" traduit et reproduit dans Ile Déserte p 332
324
ibid p325
325
Deleuze etGuattari ,AO p405
323
97
l'agencement concret d ans lequel il s'exprime: "il n'y a pas de dési r qui ne
coule dans l'agencement. Dési rer: c'est const rui re de l'agencement " 326.Témo in
de l'idéalisat ion de la psycho se que le livre a provoqué, ce t émo ignage :" L a
psychanal yst e Catherine Millot reconnait à l'Ant i-Oedipe le mérit e" d'avoi r
f ait valoir une concepti on non déf icitaire de la psychose. Au -delà d'une
idéalisation un peu naïve , L'Anti -Oedipe rend sensibl e au f ait de la psychose,
sa dim ension
créati ve, la liberté, l'originalit é et l'inventivité dont les
psych otiques sont capables , tandis qu'il f aut bien le dire, la névrose avec ses
ref oulements apparaît à cet égard bien inhibée" 327.S i nous récusons, bien
évidemment , la co ncept ion déficit aire de la psychose , il faudra bien qu'o n
nous explique la dimensio n c réat ive de la psycho se, en t ant que t elle et par
elle - même. Et si des per sonnes qualifiées de psychot iques sont capables de
libert é, d'or igina lit é et d'invent ivit é, c'est sans dout e qu'ont leur aura per mis
de les exercer, et non du fait qu'ils ser aient "ps ychot iques".
Sur la conception stoïci enne de l'événement .
C'est t out le mér it e de DG, just ement , d'avo ir donné des out ils concept uels
per met t ant la créat io n d'espaces de libert é, d'espaces où puisse sur venir
l'évènement . Deleuze et Foucault ont tous les deux une philo sophie de
l'évènement issue de la cr it ique de l'hégélianis me. Mais si, chez Foucault ,
c'est au bénéfice d'une lect ure des rupt ures épist émiques, "Deleuze et
Guattari insist ent dans leur conception de l'évènement sur son caractère de
surgissement d'une nouveauté, de commencement, d'origine à lui même". 328
Avec 68, l'évènement est un défi à la concept ion t radit ionnelle de l'hist o ire. I l
est même sa mise en cr ise.." Cet univers [dont nous relevons qu'il est plur ie l
mais un] revêt l'aspect d'un ense mbl e de singularités plus ou moins
connectées, agencées ent re elles, une sorte de "mur de pierres libres, non
ciment ées, où chaque él ément vaut pour l ui -même et pourtant par rapport aux
autres" 329 .Cet univers plur iel, mult i-cosmique
rejo int le t hème de la
sympat hie univer selle ent re les choses t errest res et célest es des st oïciens. 330
326
Dosse p 264
Dosse p266
328
Dosse p385
329
Deleuze Critique et clinique Minuit 1993 p110
330
Dosse p194
327
98
"Selon les st oïciens, tout est potenti ellement événement jusqu'au phénomène
le plus inf ime, le moins remarquable, conception que reprend à son compt e
Deleuze qui t rouve aussi un point d'appui majeur dans la di stincti on de
nature qu'il opère entre "représentation" et expressi on" au prof it de cette
derni ère... Deleuze voit dans cett e posture st oïcienne l'expression même du
dési r d'incarnati on de l'événement pur dans la propre chair du sage, sa
volonté de "corporaliser" l'ef f et incorporel " 331.L'évènement se t rouve ident ifié
à une adéquat ion ent re la for me et le vide. "La morale stoïcienne concerne
l'évènement; elle consi ste à vouloi r l'événement comme tel, c'est -à dire à
vouloi r ce qui arrive en tant que cela arrive". "Là, le sage att end
l'événement. C' est -à-di re : il comprend l'événement pur dans sa vérité
éternelle, indépendamment de son ef f ectuation spatio -t emporel le" 332.
Cet t e not ion d'évènement est ext rêmement import ant e. Ne dis io ns - nous pas
nous mêmes, à propos de l'I nst it ut ion :" L'Institution introduit la f onction
historique par la place qu'elle f ait à l'Evénement. Il s'agit là de la mi se en
situation par l'Instituti on que l'"événement advienne", que cela soit probable.
L'Evénement, ce n'est pas un f ait insignif iant. C'est quel que chose qui arrive
et qui est i mportant pour l a personne. C 'est quel que chose qui arrive de
l'ordre de la rencont re . Pour cela ,l'Insti tution doit êt re en devenir. Cela lui
impose d'êt re un li eu d'élaboratio n. C'est à ce pri x qu'ell e est le lieu
d'élaboration, qu'elle assume sa f onction thérapeuti que" 333 . L'empower ment
n'est pas un processus t hérapeut ique. I l ne suppose aucune int ent ionnalit é de
changement ext ér ieure à la per sonne, elle - même. Mais quand Jean-Luc définit
l'E space Convivial Cit o yen de Caen, à son ouvert ure, comme "Un at elier
prot égé par nous- mê mes", so n mouvement d'appropr iat io n du pouvo ir n'est - il
pas , en même t emps un mouvement d'appropriat io n par et dans l'évènement ?
L'évènement décr it par DG d'inscr it dans une pensée qui part de la
différenciat io n des groupes sujet s et des groupes assujet t is et nous y
reconnaisso ns co mme un air de frat ernit é. En même t emps, nous nous
int errogeons sur l'équivo que qui pourrait surgir ent re une concept ion de
l'événement vécu, t el que nous l'ent endons, comme expér ience sensible d'u n
331
Dosse p191 citant Victor Goldsmidt
Deleuze logique du Sens Minuit Paris 1969p172
333
C.Deutsch.l'institution ,outil d'action thérapeutique, Thèse de Doctorat de psychologie. Paris V Descartes
1985 p349
332
99
sujet pr is dans une hist o ire co llect ive , et qui, à ce mo ment là et de ce fa it là
prend sens par "gr effe de t ransfert " et la not ion " d'évènement pur dans sa
vér it é ét ernelle ".
L'empower ment , co mme mouvement d'"appropriat ion du pouvo ir par" ne nous
paraît pas, dans l'ét at act uel de nos réflexio ns, co mpat ible avec une démarche
st oïcienne.
Sur la p ri se de parole.
S'il y a eu un évènement , au XXème siè cle, marqué par la pr ise de paro le,
c'est Mai 68."Quel que chose nous est arri vé. Quelque chose s' est mi s à
bouger en nous. Emergeant d'on ne sait où, rempli ssant tout à coup les rues
et les usi nes, circulant ent re nous, devenant nôtres mai s en cessant d'êt re le
bruit étouf f é de nos solitudes, d es voix j amais entendues nous ont changés.
Du moins avions-nous ce sentiment. Il s'est produit ceci d'inouï: Nous nous
sommes mi s à parler .Il nous semblait que c'était la première f ois. De partout,
sort aient les trésors, endormis ou tacit es, d'expéri ences jamai s dites
concept ion de la paro le de DG
334
".La
rent re en résonnance avec le Mai 68 du
mouvement du 22 Mar s qui les a pro fondément marqué, et l'o n co mprend
pourquoi:" Ce qui est signif ié, ce n'est jamais le sens lui même"."Ce sont l es
évènement s qui re ndent le langage possi ble"
l'ordre
de
la
parole" 335.
"L'évènement
"On commence toujours dans
devient
avec
Deleuze
transcendantal du langage, ses condi ti ons de possibilit és".
336
l'horizon
Deleuze et
Guat t ari reprendront à Hjelms lev sa dist inct ion ent re le plan de l'expressio n
et le plan du co nt enu. I ls s'appuient également sur les t hèses de J. Aust in à
propos des rapport s ent re act ion et parole dans les per for mat ifs. La parole
prévaut comme expressio n d'un fair e." L'unité élémentai re du langage l'énoncé- c' est l e mot d'ordre ". 337 Le langage est d'abord et avant tout
per for mat if, bien qu'il se présent e co mme infor mat if.
Aust in explique t rès
clairement ce qu'est la dimensio n per for mat ive du langage: "Exemples: a)
"Oui[je le veux](c'est -à-dire je prends cette f emme pour épouse l égitime)" ce
"oui" étant prononcé au cours de la cérémonie du mari age. b) "je baptise ce
bateau le Queen Elisabeth"-comme on dit lorsqu'on brise une bouteill e contre
334
Michel de Certeau: La prise de parole. Le Seuil 1994 p41
Deleuze LS p 51,et 212
336
Dosse p276
337
DG Mille Plateaux Minuit paris 1980p95
335
100
la coque. Pour ces exempl es ,il sembl e clair qu'énoncer la phrase (dans les
circonstances appropri ées, évidemment), ce n'est ni décri re ce qu'il f aut bien
reconnaît re ce que je suis en train de f aire ainsi, ni aff irmer que je le f ais:
c'est le faire" 338 .DG att ir ent à just e t it re l'at t ent io n et valor isent le langage
per for mat if, en opposit io n à F.de Saussur e pour lequel le langage est
uniquement infor mat if. S i ,pour Saussur e, qui a su met t re si br illa mment en
évidence la dimensio n ar bit raire du signe, le langage est premier par rapport à
la paro le, c'est parce que pour lui la paro le est support du langage
339
.
Pourt ant , peut -on dir e que la paro le est uniquement t echno logie, au même
t it re que l'écr it ure, l'impr imer ie, l'infor mat ique? Ce serait o met t re qu'il n'y a
pas de paro le sans émet t eur ni sans adr esse. DG at t irent l'at t ent io n sur l e fait
que c'est le message qui produit les deux pô les dist inct s de l'émet t eur et du
récept eur. Pour DG , l'agencement co llect if d'énonciat io n, c'est d'abord d'êt re
un agencement . Pourt ant même une paro le co llect ive n'est pas imperso nnelle.
Peut -on ignorer la dimens io n fo ndat r ice , no n du langage basé sur des signes
arbit r air es, ma is de la parole ? Ce qui fo nde un nouvel êt re humain, c'est qu'i l
est par lé, génér alement mê me, et le plus souvent , avant sa naissance.
Qu'import e avec quels mot s, et mê me peut -êt re sans mot du t out dans le cas
des enfant s de sourds- muet s 340.En disant que " la sit uat ion d'énonciat ion est
impersonnelle et collect ive" 341 DG ent endent met t re l'accent sur le fait que
tout énonciat io n dépend de son cont ext e social, et cela est inco nt ournabl e.
Pour aut ant n'y a-t - il pas r isque de nier le rôle fondat eur de la parole? Ce rô le
fo ndat eur t ient , non seulement , co mme on vient de le vo ir parce qu'elle
inst it ue l'exist ence de l'aut re, mais de ce qu'elle inst it ue l'exist ence de
l'éno nciat eur .La paro le, à la différence du langage n'est pas un "déjà - là". La
paro le est quelque chose qui se prend, et cet t e appropr iat ion est affir mat io n
d'exist ence. "Même s'il ne communique ri en, le discours représente l'exist ence
de la communi cation; même s'il nie l' évid ence, il aff irme que la parole
constit ue la vérité; même s'il est dest iné à tromper, il spécul e sur la f oi dans
le témoi gnage" 342 .Car, bien sûr, cet t e revendicat ion d'exist ence n'est pas "en 338
J.L.Austin Quand dire c'est faire .Le seuil 1970 p41
F de Saussure. Cours de linguistique générale .Payot 1972 p419:"Par parole on désigne l'acte de l'individu
réalisant sa faculté [au langage] au moyen de la convention sociale qui est la langue.
340
A.Pelletier et Y.Delaporte "Moi, Armand, né sourd et muet" Plon Terre Humaine2002
341
Anne Sauvagnargues, Cours du 1.12.2011 Paris X
342
J. Lacan "Fonction et champ de la parole et du langage" in Ecrits Seuil 1966p251
339
101
so i" mais dans une relat io n à l'aut re: "C'est à l'intersubjectivit é du "nous"
qu'il assume que se mesure en un langage sa valeur de parol e... Ce que je
cherche dans la parol e, c'est la réponse de l'autre. Ce qui me constitue
comme sujet, c'est ma question. Pour me f aire reconnaît re de l'autre, je ne
prof ère ce qui f ut qu'en vue de ce qui sera. Pour le t rouver, je l'appelle d'un
nom qu'il doit assumer ou ref user pour me répondre ." 343 Ces lignes de Lacan
nous para issent just ement expr imer not re propos.
Sur la théorie.
Tout l'effort de DG est t endu vers la
const ruct ion d'une alt er nat ive au
st ruct uralisme. I ls opposent le mouveme nt , la product ion à la st ruct ure qui
att ribue une place à chaque chose. Pour s'opposer à la t héor ie régnant e, ils
bât issent une t héor ie: "En f ait, une théorie phil osophique e st une quest ion
développée, et rien d'autre: par elle -même, en elle-même ,ell e consiste non
pas à résoudre un probl ème mai s à développer jusqu'au bout les i mplicati ons
nécessaires d'une questi on f ormulée" 344"Je croi s à la philosophi e comme
système...Pour moi, le système ne doit pas seulement êt re en perpétuell e
hétérogénéité, il doit êt re une hét érogène, ce qui, il me semble, n'a jamai s ét é
tenté". 345 Cet t e t héor ie est le fruit de l'apport de chacun à ce "mot eur à deux
t emps": "Les thèses élaborées au début de s années 1960[par Guattari] sont
dans le prolongement de la conception sartri enne du sujet qui doit se libérer
de l'aliénati on pour f aire surgi r sa propre liberté." 346"Deleuze ne cessera de
déf endre [le point de vue] d'un m onism e qui part de la vie subsum ant toute
subdivi sion: "L'unit é, la hiérarchie par l à de toute duali té anarchique, c'est
celle-là même de la vie, qui dessine un troisième ordre , irréductible aux deux
autres. La vie , c'est l'unité de l'âme comme idée du corps et l'idée du corps
comme étend ue de l'âme." 347 Co mme le mont re Dosse ce passage est "une
déf inition de stricte obédience spinozienne" et par ailleurs " on y retrouve la
marque de Sartre dans cette i ntroducti on où Del euze af f irme que " chaque
exist ence trouve sa propre essence en dehors d 'elle-même, dans l'aut re" . Cet t e
343
J. Lacan idem p 299
Deleuze "Empirisme et subjectivité " PUF 1953(cité ES) p119
345
Deleuze "lettre à J-C Martin "in Variations. La philosophie de G.Deleuze. Paris Payot 1993.p7
346
Dosse p 79
347
Dosse p126 citant Deleuze introduction à "Etude sur la Mathèse de J.Malfatti Griffon d'or paris 1946
344
102
référ ence à Spino za n'est pas celle d'une œuvre de jeunesse co mme en
t émo ignent les no mbr eux t ravaux ult ér ieurs de Deleuze sur Spinoza (comme
nous l'avo ns déjà vu). Leur vo lo nt é d'int égrer la diversit é dans une seu le et
même t héor ie condu it DG a élaborer un syst ème de pensée mo nist e, un
"m onism e qui part de la vie subsum ant toute subdivision "(sic)."L'essentiel
de l'univocité n'est pas que l'êt re se dise, en un seul et même sens. C'est qu'il
se di se ,en un seul et même sens ,de toutes ses dif f érences indi viduant es ou
modalités int rinsèques . 348"Il s'agi t de const rui re une "ontologie de la
diff érence
qui n'aurait pas à aller jusqu'à la contradi ction ,parce que l a
contradiction serait moins que la diff érence et non plus." " 349 Le but est de
met t re en évidence l'hét érogénéit é pure et le pr imat de la relat ion ent re ces
différences dans une ont o logie de la relat ion. A -t - il ét é at t eint ?
Conclusi on
Nous avons pu relever, t out au lo ng de ce t ravail co mment les t ravaux de
Deleuze et Guat t ar i ont cont r ibué, à l'int ér ieur d'un débat d'idée qui a t raver sé
le XXème siècle, à ce que puisse advenir un nouveau paradig me dans la
manière de considérer les fous, qui consist e en la pr ise en co mpt e de
l'appropr iat io n du pouvo ir par les per sonnes en sou ffr ance psychique ellesmêmes. Not re propre recher che dans ce domaine est redevable de la manièr e
part iculièr ement innovant e par laquelle ils ont int roduit des concept s comme
celui de t ransversa lit é et de groupes sujet s, comment ils ont cont ribué à
modifier l'image de la psychose et des personnes qualifiées de psychot iques,
co mment ils ont mis en exergue la quest io n de l'évènement et de la paro le.
Nous avons cher ché à mener not re recherche sans co mplaisance, en po int ant
aussi les po int s de désaccord. Les é cr it s de Deleuze et Guat t ari sont marqué
de l'empr unt e de leur époque . C'est
un fait
qu'ils aur aient
sûrement
revendiqué. En tous cas, l'affir mer c'est surement rest er fidèle au message
qu'ils o nt cherché à nous faire par venir. C'est une époque pro fondémen t
marquée par l'exist ent ialis me et par la pensée st ruct uralist e, mais aussi les
guerres ant ico lo nialist es et Mai 68. I l nous semble que c'est aussi leur rendre
ho mmage que de rassembler ains i des phéno mènes de nat ure t rès diver se.
348
349
Deleuze DR p53
Dosse p148 citant Deleuze "Jean Hyppolite, logique et existence" ID p18
103
Mais ce faisant , nous ent endo ns rest er dans une per spect ive modest e de
cont ext ualisat ion hist or ique, et nous rest ons ,quant à nous, ext rêmement
prudent s au niveau d'une démar che monist e. L'image de "la guêpe qui,
fécondant l'orchidée, t ransgr esse les règles de part age ent re les de ux mo ndes"
est cert es t rès séduisant e ma is il nous semble que la guêpe ne fait qu'obéir par
là à la même dest inée et st rict ement à la même logique de co mport ement que
"le ver qui prenait l'escargot comme t axi" 350, et qui, lui, ne t ransgresse r ien. I l
ne s'ag it pas ic i d'opposer à une déma rche monist e, un discours dualist e
renvo yant à une concept ion de l'ho mme - individu où le co mplé ment de l'âme et
du corps se suffisent , mais de revendiquer quand à nous une démar che
ho list ique, respect ueuse de la pensée complé m ent air e de chaque discipline.
Peut -êt re que, dans ce cadre, les t ravaux de Deleuze et Guatt ari nous seraient
apparus mo ins ésot ériques.
350
J. Deutsch Le ver qui prenait l'escargot comme taxi le seuil 2007
104
3. L'empowerment ou appropriation du pouvoir.
105
Nous so mmes part is du co nst at qu'il y avait deux manières d'appréhender la
souffr ance psychique, deux manières de penser, deux logiques de discours,
deux paradig mes:
Le
premier ét ait l'approche object ive, l'approche médica le, l'approche
psychiat r ique, que l'o n a vu , au XXIème siècle, "t ot alement " object ivant e et
ne laissant aucune place à la parole de la personne en souffr ance psychique à
t ravers ses quat re caract ér ist iques: Le sect eur psychiat r ique co mme disposit if,
le
DS M
co mme
médicalisat io n
de
clinique,
la
les
sociét é.
limit es
Nous
du
avons
consent ement
cherché,
éclairé
chez
les
et
la
aut eurs
cont emporains no vat eurs, Michel Foucault d'une part , Deleuze et Guat t ari
d'aut re part la place de la paro le des personnes en souffr ance psychique. Nous
avons t rouvé, chez ces philo sophes, des ouvert ures dét er minant es sur la
quest io n, mais aussi des limit es liées à leur approche mê me. Ains i, si
Foucault met en évidence le car act ère déter minant des rapport s de pouvoir, il
le fait au no m d'une vér it é de la fo lie, d'une revendicat ion de paro le de la
fo lie- en so i, et non de la fo lie co mme phéno mène vécu , incar né. Ainsi , s i
Deleuze et Guat t ari, avo ns nous t rouvé la place de la paro le du schizophrène,
mais enchâssée dans le cadre d'une t héor ie mo nist e, t rop généralisant e à not re
avis.
Le seco nd, c'est ce que nous no mmo ns encore "empower ment ", reprenant le
t erme anglo -saxo n, par peur d'une mauvaise int erprét at ion
du t er me de
pouvo ir dans la langue française et que les québéco is no mment déjà
l'appropr iat io n du pouvo ir: la (ré)appropr iat io n de la paro le / des capacit és
par les per sonnes désignées/st igmat isées comme fo lles elles - mê mes.
I l convenait alors de définir l'appropr iat ion du pouvo ir.
Un
problème
de
mét hode
se
posait
cependant :
co mment
par ler
de
l'appropr iat io n de la paro le des personnes en souffrance psychique sans en
sacr ifier l'or iginalit é, qui est que c'est just ement de leur paro le dont il s'agit ?
Co mment évit er de par ler à leur place, de "par ler sur", d'object iver leur
paro le et ainsi de l'inst rument aliser ? Le cho ix fut donc de leur donner la
paro le, grâce aux act es du co lloque "L'appropriat ion du pouvo ir, ensemble o n
y gagne" organisé par l'Associat io n des Groupes d'I nt ervent io n en Défense
des Dro it s en Sant é Ment ale au Québec ( AGIDD -S MQ) auquel nous avo ns
part icipé le 2 juin 2011 à Mont réal. Condit io n nécessair e, la paro le des
106
"usager s" n'est pas suffisant e par elle - même. Il n'y a pas à sacraliser une
"paro le-d e- l'usager", co mme si le fait qu'elle so it dit e par un usager ét ait
suffisant e comme garant ie de sa valid it é. Évid emment , cela n'est pas suffisant
pour affir mer la validit é du concept d'appropriat io n du pouvo ir. Nous devio ns
donc finir ce t ravail par une analyse de la valeur épist émo logique du concept .
Le t ext e qui suit présent e succinct ement une définit io n de l'appro pr iat io n du
pouvo ir, individuel et collect if, par et pour les personnes vivant avec un
problème de sant é ment ale :
L’appropriation du pouvoir (em powerm ent) en quelques m ots 351
L’appropriati on du pouvoi r f ait réf érence au processus par lequel une
personne ret rouve son autonomie et acquiert une plus grande maît rise de sa
vie.
Le processus d’appropriation du pouvoi r s’enclenche bien souvent par une
prise de consci ence, celle qu’il est possi ble d’avoi r un plus grand contrôle
sur ce qui est important pour soi (la personne conscientise qu’elle peut
«agir» et qu’ elle n’a pas seul ement à «subir»).
Bien sûr, l’appropriati on du pouvoi r ne veut pas di re abus de pouvoi r! Elle
n’est pas un état de f ait, mais une démarche permett ant à la personne
d’acquérir les habiletés q ui lui permett ront de contrôler davantage sa vie et
son destin.
L’appropriati on du pouvoir est à l’opposé de la pri se en charge de la
personne. Elle f avorise l’aut onomi e et permet d’augment er l’estime de soi, de
rédui re l’isolement. De par son essence même, la démarche d’appropriation
du pouvoi r est source d’espoi r et of f re aux personnes l a motivation nécessaire
pour rechercher des solutions à leurs problèmes, leur permettant ai nsi
d’obteni r un meilleur contrôl e sur leur vi e au quotidien.
Le f ait de devenir autonome ne signif ie pas qu’il f aille régl er seul ses
probl èmes. Utili ser des ressources existantes (personnelles, communaut aires,
publiques, privées), c’est aussi f aire preuve d’autonomie.
351
AGIDD-SMQ, Être délégué régional, c’est quoi?, Cahier du formateur, annexe 3, mars 2008.
107
Quatre com posantes essenti elles à
l’appropriation de son p ouvoir
Quatre élém ents de l’appropriati on du
pouvoir indivi duel et collectif dan s
une dém arche d’am éliorati on de la
santé m entale
La participation
Pouvoir choisi r : avoi r la possibilit é
d’exercer des choi x libres et éclai rés.
La compét ence
Pouvoir
parti ciper acti vement
aux
déci sions qui ont un impact sur sa vie.
L’estime de soi
Pouvoir
actuali ser
son
pot entiel
personnel, prof essionnel et social.
La conscience crit ique
Pouvoir
connaît re,
comprendre,
exercer et déf endre ses droit s.
Co mplét ons cet t e définit io n de l'appropr iat io n du pouvoir donnée par une
organisat ion d'usagers en sant é ment ale ( l'AGIDD -SMQ) par un der nier t ext e
qui émane de l'Organisat ion Mondiale de la Sant é , preuve, s'il en ét ait beso in,
de la reconnaissance inst it ut ionnelle de l' empower ment :
Les 19 indi cateu rs de l’ em powerm ent en santé mentale 352
Protection des Droits de l’Homme
1. Les usagers des ser vices de sant é ment ale  ont le dro it de vot e.
2. Les usagers des ser vices de sant é ment ale ont le dro it de remplir des
fo nct io ns offic ielles.
3. Le pays dispose d’une législat io n du t ravail int erdisant la discr iminat io n à
l’emplo i
fo ndée sur
un diagnost ic ou des ant écédent s de
ma ladie
psychique.
4. Le pays co ncer né dispose d’une légis lat io n du t ravail qui couvr e les
beso ins des familles et aidant s.
Inclu sion dans la p ri se de déci sion
5. Les usagers des ser vices de sant é ment ale et leur s proches prennent part à
l’élaborat io n de la po lit ique et de la légis lat io n sur la sant é ment ale.
6. Les usager s des ser vices de sant é me nt ale et leur s proches ont les
capacit és requises pour prendre part au processus de concept io n, de
352

OMS Europe 2010 Traduction Stéphanie Wooley
Personnes qui, soit par le passé soit actuellement, ont eu ou ont recours à des services de santé mentale
108
planificat io n et de mise en œuvre des ser vices de sant é ment ale.
Soins de qualité supérieu re et respon sab ilité des servi c es
7. Les perso nnes vivant avec un problè me de sant é ment ale et leurs proches
ont accès à des ser vices de sant é ment ale convenables et adapt és.
8. Les per sonnes vivant avec des problèmes de sant é ment ale o nt accès au x
ser vices de sant é génér aux, tout comm e les aut res cit o yens.
9. Les personnes vivant avec des problèmes de sant é ment ale ont la
possibilit é de s’impliquer act ivement dans la planificat ion et l’adapt at ion
de leurs so ins.
10. La famille et les proches des personnes vivant avec un problè me de s ant é
ment ale a ont la possibilit é de s’impliquer act ivement dans la planificat io n
et l’adapt at io n des so ins.
11. Les usager s des ser vices de sant é ment ale et leur s proches prennent part au
cont rôle et à l’évaluat io n des ser vices de sant é ment ale.
12. Les personnes vivant avec un problè me de sant é ment ale et leur s proches
sont impliqués dans l’éducat io n et la for mat io n du personnel des ser vices
de sant é ment ale.
Accès à l’information et aux ressou rces
13. Les usager s des ser vices de sant é ment ale o nt un dro it d’accès à leur
dossier médical.
14. Les personnes faisant l’objet de mesures judicia ires en raiso n de leurs
problèmes de sant é ment ale ont accès à une assist ance jur id ique abordable.
15. Les per sonnes en sit uat ion de handicap causé par un problè me de sant é
ment ale et leurs proches ont un accès équit able aux prest at io ns sociales.
16. Des fo nds publics sont dispo nibles pour les organisat ions nat ionales
d’usagers et de proches et familles d’usagers.
17. Des infor mat io ns et une éducat io n appropr iées e t accessibles concer nant
les ser vices et les so ins sont à la disposit ion des per sonnes ayant des
problèmes de sant é ment ale.
18. Des infor mat io ns et une éducat ion suffis ant es sont à la disposit io n des
proches des per sonnes vivant avec des problèmes de sa nt é ment ale afin de
leur apport er un sout ien dans leur rô le d’aidant s.
19. Le syst ème d’allo cat ions sociales accorde une co mpensat ion financière
aux aidant s.
109
La parole des intéressés:
1) Philippe Guérard
Le t ext e suivant reproduit le début de l'int er vent io n de P hilippe Guérard,
Président de l'Associat ion Advocacy Fr ance et invit é à int er venir dans le
cadre du co lloque de l'AGIDD-SMQ. Ce t ext e est un récit de vie. Nous
penso ns que les récit s de vie sont des élément s de connaissance per met t ant
d'ét ayer le débat philo sophique. I l t rouve pour nous tout e sa place ici, car il
éclaire l'art iculat io n des concept s et de la vie concrèt e. Nous verrons qu'il n'y
a pas d'appropr iat io n du pouvo ir sans discr iminat io n préalable. Nous verrons
aussi qu'appropr iat io n du pouvo ir individuelle et appropr iat io n du pouvo ir
co llect ive so nt indissociables.
" Bonjour, je m’appelle Philippe Guérard et voici mon hi stoi re personnelle.
Prési dent d’Advocacy France, je sui s tout à la f ois handi capé physique et
handicapé psychique. Ma premi ère hospit alisation en psychi atri e, c’est pour
avoir ét é trouvé, à l’âge de 20 ans, dans la chambre d’une jeune f emme
consentant e. C’était dans un CAT. Ils ne m’ont pas gardé à l’HP, mais je me
souvi ens encore de cet te humil iation ; je me sui s révolt é intérieurement, mai s
je n’ai ri en pu di re Pourtant : POURQUOI ? POURQUOI, est-ce que j’ai ét é
traité comme ça ? Qu’avai s-je f ait de mal ? Pourquoi est-ce que je n’étai s pas
traité comme tout le monde ? Pourquoi est-ce que je n’avai s pas le droit de
draguer et de plai re ? EST- CE QUE JE N’ÉTAIS PAS UN HOMME COMME
UN AUTRE ?
J’ai été f rappé d’une hémi plégi e à l’âge de 13 ans. Mais déjà à ce moment-là,
mon père m’a appri s la dignit é. C’était un homme digne, mon père, mai s aussi
exigeant. Il n’a pas voulu que je me plaigne et que je me f asse dorloter. Il
m’a donné une binette et il m’a dit « Il n’y a pas de raison pour que tu ne
f asses pas du jardin. Fais ce que tu pourras, mais f ais -le ». Bon ,je passe sur
les moqueries quotidiennes dans le village. Il a f allu me scolariser en classe
spéciale. C’est en tout cas ce que les spécialistes ont dit à mes parent s.
On était dans les années 60. Et puis après, je me sui s ret rouvé en CAT. La
f ilière, quoi ! On ne m’a pas demandé mon avis .
Choisir sa Vie, c’est pas
mal ! D’abord, j’ai été dans un CAT-f ourre-tout à Barenton. Ils avaient réuni
là toute la misère du monde : Des bancales, des débiles, des cin gl és, nous
tous, quoi ! pour les f aire travailler. Remarquez, déjà à l’époque j’étais du
110
genre révolté et on a f ait une grève à cause de la bouf f e. Peut -être à cause de
l’exempl e de mon père qui était ouvri er communi ste, ou d’avoir été dans des
mouvement s de jeunesse, la JOC, etc.
Après Barenton, j’ai été dans un aut re CAT spécial pour handicapés
physi ques. Je ne sais pas si j e m’ét ais assagi, mai s il f aut croi re que j e
f aisais moins peur. Quoique, l’histoi re de la f ille et de l’HP, c’était là, à
Val ognes. Pour ceux qui ne connai ssent pas, Val ognes, c’est dans la Manche,
et Barent on, dans l’Orne. Alors que moi, je sui s un gars de Rots, à côté de
Caen préf ecture du Cal vados.
Alors, je me suis battu pour quitter le CAT. J’avais gardé des amis de la JOC,
à Caen , comme Désiré Lepoil, un curé et j’ai passé l e concours des emploi s
réservés aux personnes handi capées de la Ville de Caen. C’est comme ça que
j’ai travaillé au Théât re de Caen. Et j’ai pri s une chambre meublée dans la
rue Caponière. C’est la rue où il y a l’hôpital psychiat rique. Au théâtre,
j’étais gardien de nuit et une nuit j’ai envoyé val ser le directeur au téléphone
en croyant que c’ était quelqu’un qui me j ouait une f arce. Ça a f ait mal et je
ne sui s pas resté au théâtre, mai s comme j’étai s f onction nai re muni cipal
titulaire, j’ai été muté à la bibliothèque où je m’occupe de la bibliothèque
sonore pour les aveugl es. C’est comme ça que j’ai connu Agnès, dans un caf é,
en cent re-vi lle.
Agnès , elle était de Nevers, mai s elle ét ait arri vée à Caen, parce q u’il y a
près de Caen un drôle de Foyer, le Foyer L éone Richet, qui reçoit des
personnes en situati on de handi cap psychique. Agnès, ça lui a permis de
quitter l’hôpital psychiatrique de la Charité sur Loi re, pui s une f ois dans ce
f oyer, de f aire les démarc hes pour ne pl us avoi r de tutel le. C’était une f ille
superbe, Agnès, et vachement int elligente
J’en parle au passé, parce qu’elle est morte du cancer du f umeur, bêtement, il
y a 3 ans. C’était une f emme qui pouvait être très déprimée, qui n’en sortait
pas mais aussi t rès généreuse, et sans el le, je n’aurais pas pu f aire t out ce
que j’ai f ait au niveau associat if et municipal. J’y pense souvent. Et pui s,
évidemment je n’aurai s pas pu f aire Emmanuel, not re f ils, tout seul. On a
vécu ensembl e plus de 20 ans, a vec des hauts et des bas, comme dans tous l es
couples. On n’a pas hésit é à demander des aides quand on avait besoi n :
aides ménagères, AEMO, Maison d’enf ants et même occasionnellement
111
placement f amilial pour Manu, quand c’ était trop lourd. Avec
découvert
combien
quelqu’un
pouvait
être
invalidé
par
Agnès , j’ ai
une
psychose
prof onde, mais aussi, stigmatisé comme f ou. Agnès avait quitté son f oyer pour
un studio rue d’Enf er (parl ez d’un nom!) mais rapidement, elle m’a rejoint
rue Caponière (je vous rappell e q ue c’était dans la rue de l’hôpital
psychiat rique). Un jour, elle va au tabac, elle f euillette une revue. Le patron
l’engueul e. Elle lui répond. Et comme ell e est connue de l’H.P., hop, ni une ni
deux, elle se ret rouve à l’H.P. Moi, de mon côté, je rent re du boulot, je ne la
ret rouve pas, je me f ais du mauvai s sang. Les voisins m’apprennent qu’ell e a
été embarquée à l’H.P. Je vais voi r son toubib, je m’énerve un peu mais ce
coup-là, moi, ils ne m’ont pas gardé.
Il ne f aut pas croi re que je f ais de l’antipsy chiatri e.
Ça serait compl ètement débi le de penser que l’on n’a pas besoin de soin et
que l’on n’a pas besoin de servi ce. Agnès a été hospitali sée plei n, plein de
f ois, et suivi e en ext rahospitalier, en hôpital de j our, en li béral, etc. Moi
aussi, j’ai été hospitali sé quand j’en ai eu besoin. J’ai même dû f aire une
H.D.T pour Manu, l’été dernier, et croyez -moi, c’est dur et sur le coup, il
m’en a voulu et pourtant c’était nécessai re.
Comme je vous l’ai dit, on a f ait appel à plein de services sociaux quand on
avait besoin. Même si parf ois, c’était surtout pour se rassurer (j e peux le
penser après coup), ça permet alors de ne pas perdre pied et de repart i r.
Fai re appel à un service c’est complèt ement aut re chose qu’une orientation.
Ce qui est terribl e, dans l ’orient ation, c’est qu’on cesse d’être une personne
humaine pour êt re un cas, «une psychose» ou «une patte f olle». On va vous
f aire rent rer dans une case au lieu d’ét udier vos besoins. La loi du 11 f évrier
2005 est une bonne loi avec la notion de projet pe rsonnalisé. Dommage
qu’elle ne soit pas appliquée.
Lutter cont re la di scriminati on, c’est lut ter pour le respect. Et vivre comme
tout le monde, c’est lutt er contre la discriminati on. Ça ne veut pas dire que
tout est permi s. Et dans ces conditions tant pis s’il y a des gens aigri s que ça
embêt e.
S’il f aut des aides de « compensation » pour vivre comme tout le monde, il
f aut les créer. Actuell ement, en santé mentale, elles n’exist ent pratiquement
pas. L’institut ion doit êt re le derni er recours et alors, l’ins titution doi t
112
respecter l’intimité de la personne, ses eff ets, son droit de f aire des choi x,
ref user l’arbit rai re. L’institution ne doit pas être un ghetto mais inscrit e dans
la cité. Aujourd’hui, je suis conseill er municipal de mon village, vice présiden t de la Commission des Droi t s et à l’Autonomie de la Maison
Départementale
du
Cal vados,
je
représent e
les
usagers
au
conseil
d’administrati on du CHS de Caen.
Pourtant, beaucoup de gens nous voient mais f erment les yeux parce qu’on
f ait peur, mais si on f ai t peur c’est parce qu’on ref use de nous connaît re.
Respect, Dignité, lutte cont re la Discrimi nation et la stigmatisation, ça passe
par la f raternité et la solidarité. Tout ça, ce n’est pas pipeau. On vit dans un
monde où chacun est de plus en plus individuali ste. Et pourtant, c’est tous
ensemble qu’on doit revendi quer le droit d’être considérés comme des êt res
humains.
C’est donc dans le cadre de l’action coll ective que ces positions prennent du
sens.
Nous, les usagers des services de sant é et du soci al, s ouhaitons une évolution
de la «pri se en charge» vers «la prise en compte».Nous devons bien sûr êt re
et rester acteurs de not re vi e, de notre santé, des actes de soin, de nos
besoi ns sociaux. Nous demandons de l’aide f ace à une détresse. Nous
espérons une r éponse d’accompagnement, de soutien, et non pas une prise en
charge balayant nos demandes, nos revendications.
Les prof essionnel s chargés dans leur mission de notre accompagnement
doivent prendre en compt e not re vécu et notre expérience pour t rouver
ensemble le chemi n de la reconstruction. Savoi r rebâti r l’édif ice ébranl é par
la maladie, consoli der les pièces f ortes et les acquis, mai s ne j amai s reparti r
de rien.
L’expérience de la souf f rance, des diff icultés génère des armes ; nous sommes
volontai res pour des alliances soi gnants/ soignés – écout ants/écoutés –
analysant s/analysés.
Nous souhaitons et pouvons f aire évoluer les politiques et les prati ques de
santé mentale dans la sociét é tout entière. Nous sommes citoyens, usagers et
nous revendiquons not re droi t à la connaissance de la mal adie dans notre
vécu, not re quotidien.
Nous vivons, au sein de nos associati ons d’usagers, dans un esprit de
113
partici pation active dans des champs comme l’ éducati on à la santé et
d’entrai de mutuelle, au -delà de la vi sion consumé rist e.
Notre participati on active à la recherche de solutions et d’alt ernatives ne vi se
pas seulement la lutt e cont re la maladie, mais aussi les impacts dans not re
vie quoti dienne au sein de la cité. Ce n’est pas en nous « muselant »,
« f icelant », «enf ermant»… que nous progresserons vers un mieux -êt re, mai s
au contrai re en étant libre et parti cipatif dans les solutions thérapeutiques et
social es.
Personne ne doit oublier nos compét ences ; nous devons éveill er nos envi es,
étayer nos proj ets, accompagner nos pairs dans les ef f orts f ace aux
diff icultés, échanger nos expériences… Voilà ce qu’une associati on d’usagers
peut activer, parallèlement et en complémentarit é de toute aide médico social e.
Nous sommes des citoyens, et not re place est celle de personnes re sponsables
de leur vi e malgré la maladie.
Ce qu’il f aut bien voir, c’est que je t iens ces propos à partir de mon
expérience personnelle, qui prend sens dans le cadre de l’A ssociation que j e
préside.
Notre devise est
« Quand des personnes peu habit uées à p arler seront
entendues par des personnes peu habituées à écouter, alors de grandes choses
pourront arri ver ».
Autre grand principe : Toute personne a droit au respect, et l’on doit
consi dérer qu’une personne peut êt re en situation de handicap et aussi « en
capacit é »
Enf in : Il est essenti el de se senti r « en droit de », pour réali ser des choses
avec d’autres, pour se réali ser dans son humanité. Pour cel a, le respect et la
f raternité, le regard positif et l’écoute par les pai rs et la soci été sont des
princi pes préalables ". 353
353
Ph.Guérard."L'appropriation du pouvoir en France".in AGIDD-SMQ :l'appropriation du pouvoir: ensemble ,on
y gagne Actes de la journée de réflexion et d'échange sur l'appropriation du pouvoir..AGGID- SMQ. Montréal
2010 p17-29
114
2) Jean-Nicolas Ouell et:
Le denier t ext e est composé d'ext rait s de l'exposé de Jean - Nico las Ouellet , en
ouvert ure du co lloque. Dans son int er vent io n: " L’appropr iat io n du pouvo ir :
un co ncept au bout de ses pro messes?", celui -ci repr end l'hist o ire de
l'évo lut io n des concept s couramment ut ilisés dans l'élaborat ion et la mise en
œuvre des po lit iques en mat ièr e de sant é ment ale au Québec. I l les appelle
des mot s valises, car dit - il , ils peuvent cont enir une foule de choses t rès
différent e s. I l les analyse à la lumière de son expér ience d'usager et d'act eur
de
l'appropr iat ion
du
pouvo ir.
Jean - Nico las
Ouellet
est
act uellement
coordonnat eur du groupe de promot ion - vigilance CAMÉÉ à Mont réal:
"Développé dans les années 1980, le concept de donne r aux personnes du
pouvoi r d’agir sur leur situati on a f ait son chemin petit à pet it et s’est
imposé vingt ans plus tard. Comme le concept était peu ou mal connu et
encore moins compri s, il a été résolu de produi re un document de réf érence
s’adressant autant aux prof essionnels qu’aux personnes qui utilisent les
services de santé mentale tant du réseau publi c que des organi smes
communautai res : le guide sur l’appropriation du pouvoir ( Parol es et
parcours d’un pouvoi r f ou 2004). Ma démonstration s’appui e sur l’idée
qu’avoir des probl èmes de santé mental e c’est perdre du contrôle ou même
perdre le cont rôle sur sa vie, par l a nature même du problème ou par ses
conséquences. Appropriation et réappropriation c’est l e processus et qu’ avoi r
du pouvoi r d’agir 354 c’est le résultat de ce processus.
Les m ots valises en psychiatri e:
Désin stitutionnal isati on : Le début d’un temps nouveau, la rupture avec
l’ordre ancien. L a personne reprenai t son droit de vi vre dans la cité. On a
juste oubl ié de désinstitutionnali ser l a psychiat rie et les psychiatres.
La prim auté de la personne : [C'est l'idée] Que la personne sera au cent re
des préoccupati ons. Cl é de voût e de la politique de sant é mental e de 1989.
C’est pourtant le système, qui était toujours au centre des préoccupatio ns.
Le PSI, plan de soins indivi duali sé : On n’échappera plus personne. On va
penser à tout. Les pati ents sont sortis des institutions, l’argent n’a pas sui vi.
Mais là, on a trouvé comment f aire. On a oublié que tout e personne qui a des
probl èmes de sant é mentale a droit à l a libert é et que la planif ication à
354
C'est Ouellet qui souligne dans tout le texte.
115
outrance niait cette libert é. Les pati ent s ne voulai ent plus s’évader de l’asile
mais du PSI.
L’appropriation
du
pouvoir :
le
nouveau
paradigme
l ors
de
la
transf ormation des servi ces de santé ment ale de 1998. . On aurait eu besoi n à
ce moment-là de ce qui se const ruit avec la mobilisat ion des personnes
Le rétabli ssem ent :On change de mot - clé. En 2003, l’appropriati on du
pouvoi r, notion encombrant e j’imagine, a été tassée du chemin, par l e
changement de ministre. Plutôt que de bâtir sur ce qui était déjà en place, on
a lancé un nouveau paradigme.
L’appropriation du pouvoir versus le rétablissem ent
A - Le rétabli ssement est un mot du vocabulaire médi cal. Il sort les
prof essionnels de la santé d’une postu re de gardi ennage et les amène à
entreteni r une attitude d’espoir C’est important de croi re que la personne que
l’on aide va s’ en sorti r. Cependant, il f aut f aire attention à comment la notion
de rétabli ssement est comprise. Que recouvre ce concept selon l a position que
l’on occupe ? Avec des att entes uniquement médical es, avec des outil s
diagnostiques comme le DSM (Manuel diagnostique et stat istique des troubles
mentaux) on peut f acilement en rester à des considérations purement centrées
sur le contrôle de s symptômes.
Une personne qui n’expérimente plus aucun symptôme peut êt re parf aitement
gelée par l es médi caments. Elle ne voit plus d’araignées sur le mur mai s ell e
ne voit pl us l e mur non plus. Est - elle mi eux ? Cert es, d’une certaine f açon,
elle ne souf f re pas. Mais vit -elle ? À la l imite, ne pas ressentir de symptôme
est aussi une caractéri stiq ue d’une personne décédée.
Comment est-ce que l’on se rétablit ? Quand est-on rétabli ? Qui détermine
que l’on est rétabli ?
Il f aut f aire attention de déterminer des voies obligées, des buts qui serai ent
ceux d’une normali sation, d’un cheminement prévu q ui ne tienne pas compt e
des rêves et des aspi rations de la personne. On ne doit pas conf ondre la
réadaptation et l e rétablissement. Le normal pouvant vite deveni r une espèce
de vision stéréot ypée de la f açon idéale de vivre.
Ce que l’on voit avec le rét ab lissement et qui ne s’applique pas dans une
approche
d’appropri ation
du
pouvoi r,
c’est
l’émergence
de
modèles
reproductibl es pour tout le monde. Une taille pour tous. Dans une démarche
116
d’appropriat ion du pouvoir le processus est souvent plus import ant que le
résultat. On n’est jamai s sûr du résultat de nos démarches, mais on en sort
grandi de ce que l’on a appris, notamment avoi r appris comment f onctionne
le système et avoi r appris à se f aire respecter.
B – L’appropriation du pouvoi r est une notion radi cal e.
Pour moi, l’appropriation du pouvoi r est une not ion radical e, c’est -à-di re
sans compromi s. Comme il n’y a pas de compromi s quant au respect d’un
droit : on le respecte ou on ne le respecte pas.
C’est la personne qui peut nous dire si elle sent qu’elle reprend du pouvoi r
sur sa vie. Elle[l'appropriation du pouvoir]place la personne au cent re des
déci sions
qui
la
concernent.
Elle
est
l’inverse
du
modèle
médi cal
paternalist e. Nous ne sommes plus dans la prise en charge. On éclate les
derni ers murs de l’asil e dans la cité. Dans ce sens, il serait i nconcevable de
déménager quelqu’un d’une résidence à une autre sans que cett e personne
n’ait son mot à di re. Ce sont pourtant des sit uations que l’on rencont re
encore et qui n’aident pas la personne à se rétabli r. Elle doit participer au
const at qui mène à la réf lexion sur l’opportunit é de déménager et partici per
activement à la déci sion.
Elle va au-delà du simple cont rôle des symptômes qui est une part non
négligeable du rétabl issement. Elle implique la notion de s’autodétermi ner,
de f aire soi-même ses choix de vi e. Pour choisi r, la personne doit comprendre.
Et pour bi en comprendre, ell e doit parti ciper à la di scussion en regardant
elle aussi les alternati ves.
Choisi r, participer, com prendre : Ce sont les 3 piliers de l’appropriation du
pouvoi r.
3 verbes que l’on conjugue à tous les temps , mai s toujours à la première
personne, du singuli er ou du pluriel.
La personne est l’expert e de son propre cas. Elle ressent les symptômes. Si on
l’écoute pour le diagnostic, on doit aussi l’écouter après le diagnostic. C’est
un ef f et pervers de la psychiat rie qui n’a pas de marqueur physique de l a
maladie. Sans not re parole il n’y a pas de di agnostic. Mais après l e
diagnostic, notre parole est f olle.
La personne ressent aussi les ef f ets du traitement, médicament eux surtout.
Elle doit avoir son mot à dire parce que tout l’arsenal médi cal est utilisé
117
pour qu’ell e se sent e mieux
Le rétabli ssement n’est que personnel, il n’a pas de dimension collective.
L’appropriati on du pouvoir pe ut prendre un aspect collectif qui lui interpell e
le social. Peut-il y avoir rétabli ssement sans appropri ation du pouvoi r ? Pour
moi, non. Pour moi, se rétablir ce n’est pas que ressenti r moins de sympt ômes
ou avoi r une vie qui ressembl e ou se conf orme à c elle des voi sins. Il f aut
avoir l e sent iment que malgré tout, j’ai plus de pouvoi r sur ma vie que
lorsque j’étai s moins bien.
Si on poursuit un objectif de contrôle des symptômes, on passe à côté d’une
partie import ante de l’expérience des personnes. Parc e qu’il y a des ef f ets sur
le rapport à soi et au monde : la sociali sation, la cont ribution à la sociét é
par le t ravail ou l’implication sociale, sur les revenus donc l a personne lutt e
cont re la pauvreté, ce qui a un i mpact sur sa capacité à avoir un logem ent et
bien d’aut res aspect s de la vie qui ne sont pas dans la li ste des symptômes qui
décrivent la maladie.
Élément paradoxal pour le médecin : il y a des gens qui préf èrent vivre avec
une cert aine quantit é de symptômes plutôt que d’accepter les ef f ets d’ une
quantité de médicament s qui les étouf f erait complètement.
Appropri ation du pouvoi r et ent raide
L’entrai de c’est une f orme et un moyen de l’appropriation du pouvoi r. Toute
personne qui a vécu une expéri ence a priori négati ve peut en f aire prof iter l es
autres. L’ent raide redonne conf iance parce qu’elle donne compétence à parti r
de ce que l’on a retenu pour vai ncre les diff icultés ou surmonter des échecs.
On n’a pas traversé le désert pour rien, on est devenu guide. C’est une
transf ormation de l’expéri enc e qui nous sort de la posit ion de victime .
L’entrai de f ait en sorte que chaque êt re humain puisse un jour sent ir la vie
réussi r en lui. Cela place la personne dans une posture dif f érent e : elle
devient compétente.
Appropri ation du pouvoi r et droits
C’est encore ici une dif f érence maj eure avec le rétabli ssement qui lui ne parl e
pas de respect des droits. Cett e identi té positi ve, on l’a quand on se sent
respecté et considéré comme une personne à part entière" 355.
355
J-N Ouellet "L’appropriation du pouvoir :un concept au bout de ses promesses?" in AGIDD-SMQ:
l'appropriation..op cit p8-16
118
Les disability stu dies
Nous avons ét é t ent és de co mment er dans le fil du t ext e les propos de J - N
Ouellet , t ant celui-ci nous a paru expr imer l'aut hent icit é de la problémat ique,
de la logique de discours de l'appropr iat ion du pouvo ir, not amment sur ce qui
la différ encie de la lo gique du discours psychiat r ique. Nous y avo ns reno ncé,
est imant que cet t e aut hent ic it é se suffisait à elle - mê me. La démarche qui est
décr it e ic i, co mme chez P hilippe Guérard, est une revendicat io n
d' expert ise.
Cet t e pensée s'inscr it dans ce que Gar y Al brecht no mme les Disabilit y
St udies. Nous ne rent rerons pas aujo urd'hui dans le débat de savo ir s'il faut
faire rent rer le t rouble psychiat r ique dans le champ du handicap ou non. Les
québéco is s'y refusent , jugeant cela t rop st igmat isant , quand les animat eurs
du Réseau Mondia l des Usagers et Survivant s de la Psychiat r ie , aut eurs du
Manuel d'ut ilisat ion de la Convent io n de l'ONU des Dro it s des Personnes
Handicapées le revendiquent . Nous appuyo ns not re propos sur le sent iment
que les deux démar ches so nt non seulement iso morphes ma is ident iques.
Albr echt , Ravaud et St icker nous disent à propos des Disabilit y St udies:
"L'expressio n anglo -saxonne des "disability studies" n'a pas d'équiva lent
simple en français... Les disability studi es acquièrent dans plusieurs pays un
st at ut de courant académique aut onome à l'inst ar de ce qui s'est fait dans le
domaine des " women studi es " ou "ethnic studies "...Les perso nnes concer nées,
qui so nt actr ices de leur devenir et de leur libérat ion, sont considér ées comme
dét ent r ices
de
savo irs
propres
que
le
chercheur
ext ér ieur
n'a
pas....L'or iginalit é des disabili ty studi es n'est pas seulement dans la place, y
co mpr is scient ifique,
donnée aux "usagers",
n'est
pas seule ment
dans
l'int erdisciplinar it é, n'est pas seulement dans l'exist enc e d'un mouvement de
personnes handicapées, br ef n'est pas dans la list e des car act ér ist iques que
l'o n peut énumér er, mais dans la rencont re, dans l'int r icat io n de ces
élément s...c'est pourquoi l'expressio n di sabily studi es ne peut t rouver un
équivalent
fra nçais
adéquat ." 356
Est -ce
pour
cela
que
les
québéco is
francophones et nord -amér icains so nt plus accessibles que les fr ançais à la
logique de l'empower ment ?
Habit ués à défendre une cult ure minor it a ir e, ils
sont fier s d'appart enir à une t erre de cro isement de peuples. Mais ce qui est
356
G.Albrecht, JF Ravaud, H-J. Sticker: L'émergence des disability studies: état des lieux et perspectives . Sciences
sociales et Santé, vol 19, n°4 2001 p 44-45
119
int éressant dans le mouvement des disabilit y st udies, et qui se recoupe avec
les propos de Ph.Guérard et de J -N.Ouellet , c'est qu'elles s'opposent au mode
de pensée réadapt at if. Nous repreno ns largement les cit at io ns de l'art icle
d'Albrecht et al qui le mo nt rent , et ce d'aut ant plus que cet t e art icle est lui même une recensio n des t ravaux sur la quest io n: "A post ér ior i, nous vo yo ns
que les disability studi es s'opposent à ce qu'il est convenu d'appeler les
sciences de la réhabilit a t ion (réhabilit ation sciences). Elles opèrent par
rapport à celles-ci un vér it able renver sement de problémat ique. Le modèle de
la r éadapt at ion repose sur les not ions de défic iences et d'incapacit és,
lesquelles relèvent des pro fessio ns médicales et const it u ent des fact eur s
individuels relevant de la sant é. L'évo lut ion par rapport au modèle médica l
curat if ant ér ieur avait déjà déplacé le project eur ver s le niveau fo nct ionnel,
celui des capacit és et des rest rict ions d'act ivit és...Ma is le chemin va
essent iellement de l'ind ividu vers la sociét é. La limit e d'une t elle perspect ive
ouvre le t errain de prédilect io n des disability studi es, dont le po int de départ
est toujours la sociét é et ses barr ières...Ce n'est plus à l'individu à s'adapt er à
l'environnement social, mais à celui-ci à s'adapt er aux individus. C'est
pourquoi la not ion de nouveau paradig me a ét é ut ilisée (de Jong 1979)" 357 "
Les spécialist es du handicap int roduisent un changement de paradig me majeur
dans la pensée concept uelle, en dét ournant l'at t ent ion du modèle médica l
t radit io nnel, qui met l'accent sur la phys iopat ho logie à base organique de
l'ind ividu, ver s la not ion de handicap comme ét ant dû en grande part ie au
t rait ement par la sociét é des personnes qui fo nct ionnent différemment de la
nor me. Au lieu de cons idérer le handicap comme une imper fect io n apparent e
dans la const it ut ion phys ique ou ment ale d'un individu, signifiant un défaut
de fo nct ionnement phys ique, ment al ou psychique, ils r emirent en cause
l'import ance accordée aux déficiences individue lles, pour rendre co mpt e des
problèmes renco nt rés par les per sonnes handicapées. I ls se cent rèrent au
cont raire
const ruit es
sur
l'environne ment
co mme
l'exclusio n,
physiq ue
et
les
l'inaccessibilit é,
barr ières
les
sociale ment
préjugés
et
la
discr iminat io n (P r iest ley,1998) " 358" Au congrès de 1993 de la "S ociet y for
Disabilit y St udies", un panel présidé par S.Lint on a do nné la définit io n
357
358
ibid p 46
ibid p 55
120
suivant e, ut ilisée depuis par de no mbr eux spécialist es: " Les disabilit y
st udies rest ruct urent l'approche du handicap en se cent rant sur lui en t ant que
phéno mène social, co nst ruct ion sociale, mét aphore et cult ure, ut ilisant un
modèle de groupe minor it aire. E lles ut ili sent les idées relat ives au handicap
sous tout es les for mes de repr ésent at io ns cult urelles t out au long de
l'H ist oir e, et analysent les po lit iques et prat iques de t out es les sociét és afi n
de
compr endre
les
dét er minant s
sociaux
plut ôt
que
physiques
ou
psycho logiques de l'expér ience du handicap. Les disabilit y st udies t out à la
fo is émanent du, et sout iennent le, mouvement pour les dro it s des perso nnes
handicapées, qui plaide pour les dro it s civiques et l'aut odét erminat ion. Ce
point
de
vue
dét ourne
prévent ion/t rait ement /remède
l'at t ent io n
en
port ée
faveur
au
paradigme
du
par adigme
social/po lit ique/cu lt urel. Ce changement ne signifie pas le déni de l'exist ence
de déficiences ni le r ejet de l'ut ilit é d'int ervent ions et de t rait ement s. Au lieu
de cela,
les disabilit y st udies se sont
défic iences
du
myt he,
de
l'idéo logie
et
dévelo ppées pour dégager
du
st igmat e
qui
les
influencent
int eract io ns et prat iques sociales. Cet t e discipline cont est e ainsi l'idée que les
st at ut s écono miques et sociaux ains i que les rô les assignés aux perso nnes
handicapées sont des conséquences inévit ables d e leur condit io n"( Lint o n
1998)" 359. Comme le fo nt remarquer les aut eurs de l'art icle, les expressio ns de
"modèle social", de "modèle minor it air e" est diffic ile à ut iliser dans le
cont ext e français, mais o n peut se t rouver d'accord avec le fait que le
handicap do it se penser en rapport avec d'aut res phéno mènes sociaux car il est
pr ior it air ement un "co nst ruit social". A ce const ruit social, les disabilit y
st udies répondent . Face
à la quest ion de l'oppressio n ils
suggèrent des
changement s cult urels et sociaux dest inés à renforcer la qualit é d'act eurs pour
les per sonnes handicapées. L' éman cipat ion est une valeu r cru ciale ain si
qu'un objectif clé.
360
Les aut eurs de l'art icle insist ent sur la valeur
épist émo logique de la connaissance des usager s: "Ce n'est pas seul ement une
expér ience et des revendicat ions qu' apport ent les usager s (du handicap, de la
misère, du genre), c'est une co nnaissance de même for ce que la connaissance
plus discursive et ut ilisant des protocoles expér iment aux du chercheur. I l faut
359
360
ibid p59
C'est nous qui soulignons
121
qu'elle s'e xpr ime en t ant que t elle. On pourrait avancer qu'il s'agit là de la
même mét hode que celle de l'ant hropolo gue, mais conscie mment menée par
les su jet s concer nés." 361
Nous ét ions part is du sent iment d'une ident it é d'approche de l'appropr iat ion
du pouvo ir et des disabilit y st udies. Nous pouvons dire maint enant que les
disabilit y st udies sont le support concept uel du mouvement des personnes
handicapées dont la revendicat io n d'émancipat io n, (expr imée par le mot
d'ordre " Not hing about us, wit hout us", " Rien à n ot re sujet sans nous"), est
l'appropr iat io n du pouvo ir. L'ent raide,
la lut t e pour les dro it s ( les dro it s
sociaux mais aussi et peut -êt re surtout les dro it s fo nda ment aux, ce qu i
explique la place t rès grande des droit s de l'ho mme ) et la vie indépendant e
sont les for mes concrèt es essent ielles de cett e revendicat ion d'émancipat ion,
de cet t e appropriat ion du pouvo ir. Nous avons vu que pour Albr echt et al,
l'expér ience des usager s est un t er me qui s'applique aux perso nnes en
sit uat io n de handicap mais aussi à celle qui sont dans la misèr e ou au co mbat
féminist e.
S i le t émo ignage de l'usager est condit ion nécessaire indispensable à la
(re)connaissance du dire de l'usager (et plus précisément , dans le cadre de
not re recherche de la perso nne en souffr ance psychiq ue), pouvons nous dire,
pour aut ant , qu'il so it suffisant ? N'y aurait - il pas a lors le r isque d'une
"sacralisat io n" de la paro le de l'usager qui deviendrait vér it é, à part ir du
mo ment où elle serait pro férée par un usager ? Cert es, nous part ageons avec
les aut eurs des disabilit y st udies l'idée que les usager s sont port eurs d'un
aut hent ique savo ir. Cert es, nous souscr ivons au fait que sa valeur t ient dans
ce qu'il s'inscr it dans un discours milit ant , un discours d'émancipat io n. Cert e s
enfin, nous preno ns act e , avec J.F. Ravaud du fait que "Au delà de ces
clivages relat ivement t radit ionnels opposant individu et milieu, médical et
social, il semble que ce so it act uellement la quest io n du sujet et l'approche
ident it aire qu i fasse défaut pour aller ver s un modèle général et une approche
du handicap réelle ment int égrat ive" . 362 Mais plusieur s quest io ns demeurent
auxquelles on ne peut t ent er de répondre , nous semble-t - il, que par un t ravai l
d'analyse co ncept uel. Nous nous limit erons à en repérer que lques jalo ns.
361
362
G.Albrecht et al, art cit p65
J.F.Ravaud : Modèle individuel, modèle médical, modèle social: la question du sujet. Handicap n°81.1999.p64
122
Nous évit erons de t rait er de ce que l'empower ment n'est pas. Nous avons vu,
dans les t ext es de Philippe Guér ard et de Jean-Nico las Ouellet qu'il ne faut
pas co nfo ndre l'appropr iat io n du pouvoir avec la résilience (que Oue llet
no mme le r ét ablissement , en t raduis ant en fr ançais le reco ver y angla is). I ls
mo nt rent également bien que ce mouvement , dont les usager s ont l'init iat ive
ne saura it êt re assimilé à un ser vice social qui "do nnerait la paro le au x
usagers"
363
et , que
ce mouvement que les disabilit y st udies
qua lifient de
mouvement d'émancipat io n n'a jama is r evendiqué d'êt re un mouvement de
libér at ion. Même quand, dans l'après 68, les femmes créent le MLF, le
Mouve ment de Libér at ion des Femmes, les usager s les plus ant ipsychiat r iques
ne revendiqueront pas une "libérat ion des fous" ( libér at ion de qui et quoi? I l
faudr ait alors le préc iser). 364 Leur journal est alors "Psychiat r isés en lut t e", ce
qui est différent . S i les associat ions européennes et mondia les regroupent les
"users" et les "sur vivor s" 365 c'est pour faire t ravailler ensemble ceux qui
milit ent au sein de la psychiat r ie et ceux qui la cr it iquent . Ph . Guér ard co mme
J-N.Ouellet so nt très explic it es sur le fait qu'ils ont beso in ,ou peuvent avo ir
beso in de ser vices. I ls revendiquent le droit d'y fair e appel et r écusent le fait
que ceux- ci leur so ient imposés apr ior i.
Préalab les épist émologiques
Co mment
donc
ce
mouvement
d'émancipat io n
peut -il
se
définir
philosophiquement ?
Trait er de la discr iminat io n dont sont l’objet les per sonnes reconnues co mme
" malades ment ales" et de leur capacit é de pr ise de parole suppose que so ient
éclaircis deux pr éalables épist émo logiques.
Le premier t ient dans la cont radict io n apparent e ent re le fait de refuser la
différence (en lut t ant cont re la discr iminat io n) et le fait d’affir mer la
différence (pu isqu’elles so nt rec onnues co mme malades ment ales).C et t e
cont radict io n apparent e est au cœur du sujet t rait é, au cœur de la quest io n de
l’alt ér it é et de la "mêmet é". Nous disons qu’elle est apparent e en nous
363
Nous nous opposons ici clairement à A. Ehrenberg qui écrit: " La clinique psychosociale est un empowerment
à la française" dans La société du malaise. Odile Jacob Paris 2012 p 391
364
C. Deutsch . Contribution à l'histoire des usagers en santé mentale en france. Médiapart juillet 2010
365
Enusp: European Network of Users and Survivors in Psychiatry .Wnusp :World Network of Users and
Survivors in Psychiatry
123
appuyant sur l’ expressio n " reco nnues co mme ". Cet t e expressio n fait la
différence avec la not ion d’une essence ét ablie co mme une vér it é. C’est à ce
t it re que nous sout eno ns que " le- fou " n’exist e pas. Par ailleurs , nous
reconnaisso ns que des perso nnes sont unies par une com m unauté de destin .
Nous irons jusqu’à par ler du « Peuple des Malavivre ».Sans aller jusque- là
dans cet t e présent e recherche (car il faudrait par ler alors de cult ure
co mmune), on vo it bien que cet t e not ion de co mmunaut é de dest in nous
aut orise à par ler au plur iel "des fous", des " malades ment aux ", des
" perso nnes en sit uat ion de handicap psychique" (concept s qui ne se
superposent pas mais se co mplèt ent ) à l’ image de Sart re qui définit la
quest io n juive par l’ant i- sémit is me.
La deuxiè me cont radict ion apparen t e a à vo ir avec la quest io n ambiguë de la
pr ise de paro le : S’agit - il de la pr ise de paro le du sujet s ingulier, ou d’une
pr ise de paro le co llect ive ? Les deux regist res ne so nt pas les mêmes. L’ét ude
de
la
pr ise
de
paro le
ind ividuelle
nous
renvo ie
à
une
a pproche
phéno méno logique, ps ychanalyt ique , vo ir e clinique aut our de cet t e quest ion :
" Qu’est -ce qui va faire que la paro le fo lle va êt re invalidée par le récept eur,
ou pas ?", alors que l’émergence de la paro le co llect ive renvo ie à une
approche polit ique, socio logique vo ir e ét hique, aut our de la quest io n de la
reconnaissance d’une co mmunaut é devenue vis ible dont la présence peut êt re
pert urbant e pour l’ordre social. Nous voyo ns bien que nous ne so mmes pas
sur les mêmes plans. Pourt ant P.Ricoeur nous per met de sort ir de ce dilemme
grâce à la référence aux apori es de l’ascription : " La per sonne, en t ant que
t erme référent iel, dit - il, r est e une des "choses" dont nous par lo ns. E n ce sens,
la t héor ie t out ent ière des part iculier s de base est comme aspirée par un e
quelque chose en général (souligné par lui) qui , confront ée à la requêt e de
reconnaissance de l’i pse développe une rési stance comparab le quoiqu e
différemment argu mentée ( souligné par mo i) " 366 . Il nous faudra donc, pour
reprendre cet t e belle expressio n, dans la mise en parallè le du discours
individuel et du discours co llect if nous at t acher à mo nt rer ce qui est
co mparable et ce qui est différemment argument é .
Au demeur ant , il ne s'agit pas, dans l'empower ment , pour l'int éressé, d'êt re
reconnu "co mme" malade, mais bien d'êt re reconnu co mme perso nne. Pour
366
P.Ricoeur: la mémoire, l'histoire, l'oubli Le seuil Paris 2000 p155
124
reprendre une for mule que nous aimo ns, il ne s'agit pas d'êt re reconnu co mme
une "perso nne-à-part ", ma is co mme une "personne -à-part -ent ière". G. Le
Blanc le dit t rès just ement : "Désirer êt re reconnu co mme exerçant t el t ravail,
c'est désir er êt re reconnu co mme sujet d'act ions spécifiques. E n revanche ,
désirer êt re reconnu co mme "ma lade" ou membr e d'une co mmunaut é et hnique
ou cult urelle apparaît co mme beaucoup plus ambigu . Non que ce désir so it
illégit ime, ma is s'agit - il réelle ment d'un désir de reconnaissance?...L'ident it é
de so i n'est jamais présupposée à l'or igine du parcours de la reconnaissance
mais elle est toujours conquise au t er me de ce parcours." 367
Si
nous
att achons
t ellement
d'importance
au
champ
d'inscr ipt io n
de
l'e mpower ment sur lequel nous nous sommes cent rés , à savo ir celui des
personnes ét iquet ées fo lles, c'est bien parce que leur act io n de "reco nquêt e"
est secondair e à la disqualificat ion, disqualificat io n qui peut aller jusqu'au
déni de responsabilit é, c'est -à-dire de capacit é de par ler pour soi- mê me. Cet t e
revendicat ion de "par ler pour so i- même" ne veut évidemment pas dir e que le
langage ne serait pas aliéné . Par définit io n, le langage est le véhicule
symbo lique de l'échange humain. C'est pourquoi la pr ise de parole et la
revendicat ion d'avo ir une vie à so i sont si import ant es dans la d ynamique de
l'e mpower ment .
Nous
ne
développerons
pas
ce
po int
plus
avant .
La
problémat ique de la reconnaissance est un phéno mène co mplexe et cela nous
ent rainera it t rop lo in. 368
Lévi-St rau ss et Lacan
S i l'éclairage philo sophique apport é par le cro ise ment des recherches de M.
Mauss et C. Lévi-St rauss d'une part , S. Freud et J. Lacan d'aut re part nous
paraît s i fécond, c'est parce que, just ement , il se sit ue au niveau de la
fo nct io n symbo lique co mme définit io n de la co ndit io n huma ine.
C'est ce
rapport au symbo lique qui do nne sens à l'engagement polit ique quand il est
pr is dans la quest io n de la pr ise en compt e. Et c'est la qu est io n du st at ut
social du "fou" qui est la pierre d'angle de cet t e réflexio n, comme le mo nt re
la lect ure des premières pages de l'I nt roduct ion à l' Œuvre de Marcel Mauss de
C. Lévi-St rauss. Une phr ase éclaire l'ensemble du passage :"En fait, c'est la
367
G. Le Blanc "La reconnaissance à l'épreuve de la méconnaissance "in S. Haber(dir) Des pathologies sociales
aux pathologies mentales .Presses universitaires de Franche-Comté 2010
368
Travail crucial pour notre recherche et que nous envisageons pour ultérieurement.
125
notion même de m aladie m entale qui est en cause" 369.
C. Lévi-St rauss ouvre le propos en lui donnant tout e sa dimensio n po lit ique.
C'est cett e dimensio n po lit ique qui donne t out e la dimens io n ét hique à la
recherche
épist émo logique
qui
va
suivre.
Lévi-St rauss
appuie
so n
argument at ion sur un art icle Mauss de 1934 " Les t echniques du corps" 370.
Dans cet art icle, Mauss mont re " la façon dont chaque sociét é impose à
l'ind ividu un usage r igoureusement déter miné de son corps" 371." J'appelle
t echnique un act e traditionnel ef f icace ...Il faut qu'il so it traditionnel et
eff icace" 372. Mauss prend d'abord des exemples dans la nage, la marche, la
posit ion de la main pour mo nt rer que "tout e t echnique proprement dit e a sa
for me. "Mauss recourt à la not io n d'habit us. " Ce que Mauss décr it , c'est un
processus qui engage l'ho mme, c'est un fait t ot al, dans ce sens où ce n'est pas
seule ment un co mport ement social, c'est un "habit us". Nous voulons renforcer
not re propos en disant que cela "habit e" l'ho mme. " 373
Ce qui int éresse Lévi-St rauss, c'est le fait "qu'il n'y a pas, dans le mo nde, un
seul groupe humain qui ne puisse appo rt er à l'ent repr ise une cont r ibut ion
origina le. I l s'agit d'un pat r imo ine commun accessible à l'hu manit é...[il
s'agit ]de rendre chaque ho mme sensible à la so lidar it é, à la fo is int e llect uelle
et physique, qui l'unit à l'humanit é t out ent ière. L'ent repr ise serait aussi
éminemment apt e à cont recarrer les préjugés de race ...On mo nt rerait que
c'est l'ho mme qui, t oujours et partout, a su fair e de son corps un pr oduit de
ses t echniques et de ses représent at ions...E lle [cet t e connaissance des
modalit és d'ut ilisat io n du corps humain] apport erait des infor mat io ns d'une
r ichesse insoupçonnée sur des migr at ions, des cont act s cult urels, t ransmis de
générat io n en générat ion" 374. Claude Lévi- St rauss int erpelle la co mmunaut é
int er nat ionale en lui rappelant so n bien co mmun, sa r ichesse à t raver s la
diversit é. C'est un out il pr écieux de lutt e cont re le racis me et tout es les
discr iminat io ns.
369
C. Lévi-Strauss: "Introduction à l'œuvre de Marcel Mauss" ( référencé ultérieurement IOM) in Mauss Marcel
Sociologie et anthropologie PUF. Quadrige Paris 2003 p xxii. C'est C.Levi- Strauss qui souligne les mots maladie
mentale.
370
M Mauss Les techniques du corps in "Sociologie et anthropologie" op cit p 365 à 386
371
Lévi-Strauss IOM pxi
372
M.Mauss art cit p 371.C'est Mauss qui souligne.
373
En écrivant cela nous pensons à la relation entre "habiter " et "être" et de la relation entre résider et vivre,
c'est-à-dire occuper un espace en l'animant et en le construisant. En allemand "bauen" signifie à la fois bâtir et
habiter (cf S.Reisnik. Psychose et personne Payot1973 p27)
374
IOM p xiv
126
Margar et Mead qui a ét é, en 1948, l' une des fo ndat r ice de la Fédérat io n
Mondia le de Sant é Ment ale, écr ir a de son côt é : " Un à un, des aspect s du
co mport ement
que nous avio ns cout ume de considér er
comme
faisant
invar iable ment part ie de la nat ure humaine, se révélèr ent êt re simple ment des
résult ant es du milieu." 375
C'est bien de la place de la fo lie dont t rait e Lévi-St rauss int roduisant aux
écr it s de M. Mauss : " Les conduit es individuelles anormales , dans u n
groupe social donné, atteignent au symboli sme, mai s su r un niveau
inférieu r et dans un o rdre de grandeur et inco mmensurable à celui dans
lequel s'expr ime le groupe. Il est donc à la foi s
natu rel et fatal que,
symboliques d'une part et traduisan t de l'autre (par définition) un
syst ème différent de celui du groupe, les conduites psychopatholog iqu es
individuelles offrent à chaque société u ne sorte d'équivalent, doublement
amoind ri (parce que indi viduel et p arce que pathologique) d e symbolismes
différents du sien prop re, tout en étant vaguement évocateu rs de formes
normales et réali sées à l'éch el le collecti ve." 376
Les propos de Lacan rent rent en réso nnance avec la lect ure de Lévi -St rauss.
N'avait - il pas dit , au 3ème Co llo que de Bonneval : " Le r isque de la fo lie se
mesure à l'at t rait même des ident ificat ions où l'ho mme engage sa vér it é et son
êt re. Loin donc que la fo lie so it le fait cont ingent des fragilit és de so n
organisme, e lle est la virt ualit é per manent e d'une faille ouvert e dans son
essence. Lo in qu'elle so it pour la libert é "une insult e" 377, elle est
sa plus
fidèle co mpagne, elle suit son mouveme nt comme une o mbre. Et l'êt re de
l'ho mme, no n seule ment ne peut êt re compr is sans la fo lie, mais il ne ser ait
pas l'êt re de l'ho mme s'il ne port ait en lu i la fo lie co mme limit e de sa
libert é" 378. A t raver s la quest io n de l'ident ificat ion, c'est au symbo lique que
Lacan se réfère, et non à l'ét io logie. .
Tâchons de résumer ce que nous ret enons de ces propos ent recro isés: 1.Les
conduit es
"anor males",
"pat ho logiques",
"fo lles"
so nt
des
conduit es
375
M.Mead Adolescence à Samoa in Mœurs et sexualité en Océanie Plon Paris 1963 Pocket 2004 p 368
IOM p xvii. C'est nous qui soulignons.
377
Rappelons qu'Henri Ey avait défini la maladie mentale comme pathologie de la liberté.
378
Lacan J. "Propos sur la causalité psychique" in .Ey H (Dir) Le problème de la psychogénèse des névroses et
des psychoses (3ème colloque de Bonneval) Tchou 2004. Repris in Lacan. J: Ecrits. Le Seuil. Paris 1966.
376
127
huma ines. 2.Les co nduit es huma ines so nt nat urellement liées à la fo nct io n
symbo lique (c'est -à-dire de l'échange). A ceci les co nduit es pat ho logiques
n'échappent pas.
3. E lles expr iment un rapport part icul ier à l'ordre
symbo lique nor mal , ( ceci ét ant lié au dest in des ident ificat ions d'après
Lacan.)
Mais, dans la suit e du t ext e, nous vo yo ns que Lévi -St rauss ne port e pas so n
regard sur la place de la fo lie, mais sur la place des "fous" dans la sociét é, à
t ravers la quest ion du rapport des individus à la cult ure : " Toute cu ltu re peut
êt re considérée comme un ensemb le de systèmes symboliques au premier
rang desquels se placent le langage, les règles mat r imo nia les, les rapport s
écono miques, l'art , la science, la religio n. Tous ces s yst èmes visent à
expr imer... les relat io ns que ces deux t ypes de réalit é [phys ique et sociale]
ent ret iennent ent re eux...Qu'i ls n'y puissent jamai s parveni r d e façon
intégralement satisfai sante résult e des condit io ns de fo nct io nneme nt propres
à chaque syst ème...Il résu lte qu'aucune soci été n'est jamais intégralement
et comp lèt ement symbolique; ou plu s exactement, qu'elle ne parvient
jamai s à offri r à tous ses memb res, au même degré, le moyen de s'uti liser
plein ement à l'édi fi cation d 'une st ructu re symbolique qui, pou r la pen sée
normale, n'est réali sab le que su r le p lan de la vi e sociale....La santé d e
l'esp rit individuel i mp lique la partici pation à la vie sociale, comme le
refus de s'y p rêter ( ma is encore selon des modalit és qu'elle i mpose)
correspond à l'app arition des t roub les mentau x" 379. Le passage qui suit est
encore plus éloquent : "Dans tout e sociét é, il serait inévitab le qu'un certain
pou rcentage d'individus se trou vent placés , si l'o n peut dire hors du
syst ème...Dans ces conduit es aberrant es,
les "malades" 380ne font
que
tran scri re un état du group e et rend re mani feste telle ou telle de ses
constantes. Leur posit io n pér iphér ique par rapport à un syst ème loca l
n'empêche pas qu'au même t it re que lui 381 ils ne soi ent partie intégrant e du
syst ème total. " 382
Pour bien co mprendr e Lévi-St rauss, il faut bien avo ir à l'espr it cet t e phrase: "
Deu x ord res
[per sonnalit é et cult ure] ne sont pas, l'un par rapport à
379
IOM p xix et xx
les guillemets sont de Lévi-Strauss
381
il s'agit du système local
382
IOM p xx
380
128
l'aut re, dans un e relation de cau se à effet". Lévi- St rauss ne cherche pas à
expliquer la pat ho logie ment ale mais à mo nt rer la fo nct io n sociale de ceu x
que l'o n considère "ma lades". Pour Lévi -St rauss, ceux-ci par lent un cert ain
langage, qui n'est pas le langage co mmun, ce qui les met , cert es, dans une
posit ion part iculière, mais t oujours à l'int ér ieur du syst ème humain. Par la
phrase où il nous dit que les malades ret ranscr ivent un ét at du groupe,
manifest e nt une de ses co nst ant es, Lévi- St rauss ne dit pas que la fo lie aurait
une ét io logie sociale. I l dit que le discours des "fous" est une m anière de
par ler. Ce passage est dét erminant pour not re propre recherche.
Lévi-St rauss
poursuit :
"Ou
les
prétendues
maladi es
mentales 383 sont
ét rangères à la médecine et [sont ] des incidences socio logiques sur la
conduit e d'individus...so it
la présence d'u n ét at
vraiment
pat ho logique
d'or igine physio logique créerait un climat "sensibilisat eur" à cert aines
conduit es s ymbo liques int erprét ables socio logiquement ". 384 "Une théori e
purement sociologique pou rrait êt re élaborée san s crainte de voi r un jour
les physi o logi stes découvri r un subst rat bio -chimiqu e des névroses" 385.
Nous ajout ons, quand à nous, non seulement bio -chimique mais aussi
génét ique ou fonct ionne l.
Nous avons acquis cet t e cert it ude à la lect ure du
t rès beau livr e d'Oliver Sacks: L'homme qui prenait sa f emme pour un
chapea u. Ce livre décr it des "cas" de per sonnes at t eint es, nous dit Sacks (et
nous
n'avons aucune raiso n d'en dout er)
de dét ériorat io ns
et
lésio ns
import ant es du syst èmes ner veux. Tout es ces perso nnes: la vieille dame, le
mar in, les jumeaux, le music ien se réappr oprient leurs capacit és, ou du mo ins
une bonne part ie de leurs capacit és à par t ir du mo ment où Sacks ( et d'aut res
aut our de lui ) leur par le et prend en co mpt e ce qu'ils peuvent manifest er. La
quest io n de l'e fficience, c'est -à-dir e de la va leur de la conduit e se pose alors,
indépendamment de la recherche ét io logique (qu'elle so it individuelle ou
sociale). Tout e personne peut se réapproprier ses capacit és à part ir du mo ment
où elle se vo it écout ée et reconnue : « Dans le syndro me de Korsakov, dans la
démence ou dans d’aut re cat ast rophes du même genre, si graves que so ient les
dégât s organiques qui ent raînent cet t e disso lut io n " humienne", il r est e
toujours la possibilit é ent ière d’une rest aurat ion de l’ int égr it é grâce à l’art ,
383
C'est nous qui soulignons cette expression de L-S.
IOM pxix
385
IOM pxix
384
129
la co mmunio n, le cont act avec l’espr it huma in et cett e possibilit é demeure
même là où nous ne vo yo ns de pr ime abord que l’ét at désesp éré d’une
dest ruct ion neuro logique » 386. "Même dans cett e hypot hèse [ la découvert e d'un
subst rat bio -chimique des névroses], dit Lévi-St rauss, la t héor ie rest erait
valide" " E n fait , c'est la not ion mê me de maladie mentale qui est en cause.
Car si, co mme l'a ffir me Mauss, le ment al et le social se confo ndent , il y
aurait absurd it é, dans les cas où le social et le phys io logique sont direct ement
en cont act , d'appliquer à l'un des deux ordres une not io n (co mme celle de
maladie) qui n'a de sens que dans l'aut re".
387
La r éférence à Mauss s'impose
en effet t ot alement , à t ravers le concept de celui - ci de "fa it s sociaux t ot aux"
. 388 "Nous ne par lo ns même plus en t er me de droit s, nous par lo ns d'ho mmes et
de groupes d'ho mmes parce que ce so nt eux, c'est la sociét é, ce sont des
senti ments d'hommes en esp rit, en ch ai r et en os, qui agissent de tout
temp s et ont agi partout." 389 Le phéno mène pat ho logique est un fait t ot al au
sens
de
Mauss.
On
ne
peut
considérer
le
phéno mène
pat ho logique
indépendamment de sa reconna issance et de son t rait ement .
De son côt é, Lacan définit "une expéri ence qui est subjective par sa
const it ut ion mê me " (dans
laquelle
l'agressivit é
se
manifest e).
"E lle[ la
psychanalyse] suppose donc un sujet qui se manifest e comme t el à l'int ent io n
d'un aut re". "Cet t e subject ivit é ne peut nous êt re object ée...en l'éliminant par
l'appareil enregist reur "" Seu l un sujet peut comprendre un sens, inver sement
tout phéno mène de sens implique un sujet " . " Const it uée ent re deux sujet s
dont l'un joue dans le dialogue un rôle d'idé ale impersonnalit é, l'expér ience
peut êt re repr ise par l'aut re sujet avec un t roisième. " 390
" Ces phéno mènes ment aux qu'on appelle les images...dont les accept io ns
sémant iques confir ment leur valeur expressive...elle [ la ps ychanalyse] est
part ie de leur fo nct ion for mat ive dans le sujet 391 et a révélé que si les images
courant es dét er minent t elles inflexio ns des t endances, c'est co mme var iat ions
des mat r ices...que nous faiso ns répo ndre à l'ant ique appellat io n d'imago."
392
386
O.Sacks L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau. Le Seuil Paris1988 p60
IOM pxxii
388
M.Mauss Essai sur le don in "Sociologie et anthropologie" op cit p 274. Mauss emploie p 151 le terme de
système des prestations totales
389
ibid p264
390
J.Lacan "L'agressivité en psychanalyse" in Ecrits Le Seuil 1966 p 102-103
391
c'est nous qui soulignons.
392
J.Lacan "L'agressivité en psychanalyse" in Ecrits Le Seuil 1966 p104
387
130
Ces quelques cit at ions n'ont pas pour but d'opposer un symbo lique -selo nLacan à un symbo lique -selo n- Lévi-St rauss. On sait bien que Lacan a t rouvé
une part de so n inspirat io n dans la lect ure de Mauss et de Lévi -St rauss. O n
sait aussi que la not io n de sujet est quant à elle t ot alement ét rangère à Lévi St rauss, au po int que Foucault revendiquera l'hér it age de Lévi -St rauss dans
son concept de dest it ut ion du sujet . Nous chercho ns simplement à mo nt rer que
la dimensio n du sujet , de l'appareil psyc hique, de l'élabo rat ion psychique a
tout e sa place dans une lect ure psychanalyt ique (celle de Lacan) qui prend e n
co mpt e le symbo lique, vo ir le met en po sit io n cent rale, dans l'ent re -deux du
sujet et du monde, art iculé au réel et à l'imaginaire.
Le dét our par Oliver Sack s est nécessaire comme révélat eur de la dyna mique
int ersubject ive des capacit és, problémat ique essent ielle dans l'appropr iat ion
du pouvo ir. La capacit é est
ici liée à la reconnaissance a -pr ior i de
capabilit é. 393 Dout ez de quelqu'un, il ser a maladro it .Face à la t âche, il
regardera sur le côt é. Fait es lui confiance, il regardera l'o bst acle bien en face
et s'y affront era avec hardiesse, gage d'une meilleure réussit e.
Nous voudr io ns, en fin,
psychanalyse" où Laca n
cit er
le passage du t ext e sur "l'agressivit é e n
décr it le st ade du miro ir : "I l y a là une premièr e
capt at io n par l'image où se dessine le pr emier mo ment de la dia lect ique des
ident ificat io ns. I l est lié à un phéno mène de Gest alt ...Mais ce qu i démo nt re le
phéno mène de reconnaissance, impliquant la su bject ivit é, ce sont les signes
de jubilat io n t r io mphant e et le ludis me de repérage qui caract ér isent dès le
sixième mo is la rencont re par l'enfant de son image au miro ir" . 394
393
394
Nous empruntons ce concept à Amartya Sen: Repenser l'inégalité Le Seuil Paris 2000
J.Lacan "L'agressivité en psychanalyse" in Ecrits Le Seuil 1966 p 112
131
Conclusion: Pour introduire l'appropriation du pouvoir.
132
Aline
est
cat aloguée
co mme
schizophrène. 395 A
l’issu
d’un
parcours
t hérapeut ique en inst it ut io n elle se sent apt e à reprendre une vie nor male..Le
professeur de psychiat r ie dont elle a ét é la pat ient e à l’hôpit al de conclure
alors
"Ceci
prouve
que
cet t e
pat ie nt e
n’ét ait
pas
schizophrène
mais
hyst ér ique ". (sic)
I l ne s’agit pas de cont est er le bien - fo ndé de la vo lont é de so igner, de la
vo lo nt é de guér ir, ni le bien- fo ndé d’une démarche rat io nnelle fo ndée sur le
désir de t rouver une cause à une souffr ance réelle. I l convient d’abord de
s’int erroger sur les fo ndement s épist émo logiques d’une démarche scient ifique
dont le sujet est l’êt re humain. Mais, au -delà, il s'agit de co nsidérer que c e
qui just ifie alor s l’appel au médical, ce n’est plus la recherche de la ca use,
mais l’écart à la nor me. I l y a des personnalit és nor males et des personnalit és
pat ho logiques. Ce qui définit le pat ho logique, c’est l’écart à la nor me.
L’écart au comport ement normal est difficile ment niable. Mais quand nous
disons " le fou est incapable ", " le fou est inco mpréhensible" , "le fo u est
subver sif", "le fou est inquiét ant ", "le fou est dangereux ", "le fou est
insupport able", qu’est -ce que nous faiso ns, sino n désigner quelqu’un co mme
différent parce que ce qui est just ement insupport able c’est de considérer ses
manifest at ions co mme pot ent ielles en nous ?
La référ ence au médical sert ici à marquer une différence. E lle est mise au
ser vice de l’ét ablissement d’une hiér ar chie ent re le nor mal ( bon) et le
pat ho logique ( mauva is), d’un rapport de pouvo ir : l’ho mme a ainsi beso in de
classer et d’exclure.
Pourquoi ? I l revient à la recher che, du double po int de vue de la const ruct ion
de la pensée et de l’approche hist or ique, de nous éclairer sur ce po int .
La quest io n n’est donc pas de savo ir si la fo lie est une maladie ou pas ma is de
s’int erroger
sur
la
sit uat io n
des
personnes
désignées
co mme
fo lles.
Aujourd’hui, on leurs refuse le droit de vot e, comme hier aux fe mmes, comme
avant -hier aux emplo yés de maiso n, (considérés en 1791 co mme dépendant s
du maît re). Aujourd’hui on recherche le dysfo nct ionnement du mét abo lisme
du cer veau ou la malfor mat ion chro mosomique. Hier en Allemagne, on
ext er minait les ma lades ment aux et les ju ifs, au no m de la puret é de la race,
avant -hier o n brûla it les possédés et les juifs (déjà) au no m de la lut t e cont re
395
Ceci fait référence à l'introduction.
133
le malin et pour la seule vr aie fo i, à l’exclusio n de t out autre. Quel est
l’enjeu ?
Ant onin Art aud le dit à son édit eur : " Je suis un ho mme qui a beaucoup
souffert de l’espr it , et à ce t it re j’ai le droit de par le r". Et ailleurs: "I l ne
s’agit pour mo i de r ien mo ins que de savo ir si j’ai ou non le dro it de
cont inuer à penser, en ver s ou en prose". On vo it ici que pour l’int éressé,
l’enjeu est essent iel, et pourt ant Jacques Rivière va lui répondr e : "Avec u n
peu de pat ience, vous arr iverez à écr ire des poèmes par fait ement cohérent s et
har mo nieux. "
Alor s Art aud va insist er : "Un quelque chose de furt if qui m’enlève les mot s
que j’ai t rouvés, qui diminue ma t ensio n ment ale, qui dét ruit au fur et à
mesure dans sa subst ance la masse de ma pensée, j’en voudrais dire seulement
assez pour êt re enfin co mpr is et cru de vous. Et donc fait es - mo i cr édit .
Admet t ez je vous pr ie, la réalit é de ces phéno mènes, admet t ez leur furt ivit é,
leur répét it ion ét er nelle ..."
396
Art aud par le-t - il dans le désert ?
Ce t ext e fait écho à un aut re t ext e, celui d’Art o Paasalina : " le Meunier
Hurlant " 397.Dans ce t rès beau cont e/récit , l’aut eur nous décr it un ho mme
simple qui mo nt e sur le t oit de so n moulin pour hur ler la nuit . I l indispose le
village q ui l’enverra à l’hô pit al psychiat rique pour ne plus l’ent endre ma is la
gent ille post ière saura part ager sa vie.
Ici, on ent revo it qu’il y a une possibilit é, que le ma lent endu n’est pas t ot al.
S’il exist e une possibilit é, c’est que cela est possible.
Sans dout e, pour ent endre faut - il écout er au lieu de par ler à la place de. C’est
ce que S arah nous enseigne dans :" les Enfant s du S ilence " 398: "Les gens
m’o nt t oujours dit qui j’ét ais et je les ai la issés fair e. Elle veut ceci, elle
pense çà. Et la plupart du t emps, ils se t rompaient . Ils n’avaient aucune idée
de ce que je disais, voula is, pensais et ils n’en auront aucune. Ce signe ∞,
unir, il est simple ma is il signifie êt re uni à quelqu’un t out en rest ant soi même c’est ce que je veux, mais t u penses pour mo i, t u penses pour Sarah
co mme s’il n’ y avait pas de Sarah……Jusqu’à ce que t u me laisses êt re mo i,
co mme t oi t u es t oi, t u ne pourras jamais ent rer dans mo n silence ou me
396
A. Artaud: Correspondance avec Jacques rivière.in l'Ombilic des limbes. Gallimard Paris 1954 p19 à 47
Arto Paasalina "le Meunier Hurlant "Denoël 1991
398
Les enfants du silence, film de Randa Haines avec Marlee Matlin et William Hunt 1986 adapté de la pièce de
Mark Medoff,(1980) traduite et adaptée en français par J.Dalric et J.Collard
397
134
connaît re, et je m’ int erd ir ais, mo i, de t e connaît re. Jusqu'à ce que ça n’arr ive ,
jama is nous ne pourrons êt re co mme ceci : ∞ unis. " 399.Le fait que Sarah so it
une perso nne sourde- muet t e et non une personne en souffrance psychique (en
t héor ie), ne nous égare pas ma is , au cont rair e, éclaire not re propos, car il
per met de rest it uer le problème au sein du problème plus large des perso nnes
handicapées. C’est l’une des révo lut io ns de not re époque que le changement
de parad igme qui vo it les passages d’un modèle pat ernalist e à un modèle de
part icipat io n cit o yenne des per sonnes handicapées en général. S ar ah, diro nt
cert ains, a
la langue bien pendue, et pourt ant elle a beso in d’un t raduct eur
pour s’expr imer au sein des nor maux qui ne connaissent pas la langue des
signes. Le problème est différent pour les insensés qui vont ut iliser la langue
sans que leur paro le ne prenne sens pour l’int er lo cut eur. A y regarder de près,
est ce que le problème est différent ?
Est - ce que, dans un cas co mme dans l’aut re, le problème au lieu d’êt re
considéré co mme un déficit perso nnel ne peut pas êt re considér é co mme u n
o bst acle à la vie sociale de la personne considérée ? C’est la quest ion que
pose à la sociét é la lect ure de la Convent io n de l’ONU sur
les Dro it s des
Personnes Handicapées fait e par le Réseau Mondia l des Usagers et Survivant s
de la Psychiat r ie. I l ne s’agit pas de nier une différence mais d’inver ser les
post ulat s et au lieu de se poser la quest ion de l’ insert ion de la personne dans
la sociét é par la réduct io n de sa fo lie, de se poser la quest io n de l’inclusio n
sociale de la perso nne en souffrance ps ychique p ar l’accessibilit é socia le mise
en œuvre. Pour les WNUSP (Réseau Mondial des Usagers et Survivant s de la
Psychiat r ie) , 400 la conséquence de la reconnaissance de la d ignit é huma ine
pour t out es les personnes handicapées est l’abando n des lo is spécifiques qui
les concer nent , de t out es les lo is spécifiques, y co mpr is sur l’hospit alisat io n
sous cont raint e et sur les t ut elles. Pou r per met t re l’accès aux dro it s généraux,
les sociét és do ivent met t re en p lace des disposit io ns part iculières, équ ivalent
social des plans inc linés réalisés pour per met t re l’accès aux per sonnes à
399
Il ne s’agit pas de l’infini mais de 2 anneaux enchaînés réalisés par ses doigts et mal représentés
graphiquement ici.
400
Word Network of Users and survivors of Psychiatry: Implementation manual for the United Nations
Convention on the Rights of Persons with Disabilities diffusé sur internet:http://wnusp.rafus.dk/crpd.html.
135
mo bilit é réduit e, et c….Subst it uer par exemple, l’acco mpagneme nt à la pr is e
de décis io n au mandat donné à un t iers pour qu’il prenne la décisio n pour
l’ int ér essé incapable est t ent ant , si c’est réalisable , sino n c’est un vœux
pieux au mieux , ou un changement de vocabula ir e hypocr it e , au pire. Est -ce
donc réalisable, et si oui co mment ?
Ceci nous met une fo is de plus face à la quest io n du regard que nous portons
sur la perso nne et sur la sociét é. Parler de ce regard, c’est par ler de nos
att ent es à
l’égard de l’une et de l’aut re. Un ho mme n’est pas une machine.
Les capacit és d’un ho mme so nt éminemment var iables selo n le cont ext e dans
lequel celui- ci va évo luer. Souvent , face à des sit uat ions ext raordinair es
vécues, on va se demander : Co mment ét ait - ce possible ? Et les act eurs de
répondre : " C’est ainsi, nous l’avo ns fait ".
L’expér ience est encore plus probant e dans le quot idien où not re capacit é va
êt re sans cesse confront ée au regard de l’aut re:
-Va-t - il nous sous est imer ? Nous allo ns nous même échouer dans l’ent repr ise.
-Va-t - il nous fair e confiance ? Nous t rouvons en nous des énergies qu i
peuvent mê me nous ét onner.
Le regard posit if de l’aut re nous per met de prendre confiance, et cett e fo is en
nous même, ce regard posit if sur nous même nous per met d’invest ir
posit ivement nos but s.
A l’ inver se, l’ind ividu pr ivé de ses dro it s sur son dest in ne va -t - il pas r isquer
de perdre tout e humanit é …même " S i c’est un ho mme " ?
401
(Pr imo Levi).
Part ir de ces considérat ions per met de dépasser le débat sur la part organique
de la dit e :" dét ér iorat ion psychique " . Comme o n l'a vu, dans:" L’ho mme qu i
prenait sa femme pour un chapeau " le grand neuro logue Oliver Sack s,
s’at t ache à mo nt rer qu e tout e personne peut se réappropr ier ses capacit és à
part ir du mo ment où elle se vo it écout ée et reconnue . On nous object era que
s’il suffisait de bonnes paro les pour guér ir de la fo lie, cela se saurait depuis
lo ngt emps. Nous
ser io ns alor s suspect és
d’une " ant ipsychiat r ie pr imaire "
qui ne t ient compt e ni de la souffr ance psychique de l’ho mme fou, ni de
l’échec où le conduit so n co mp ort ement hors nor me. Bref, nous
ser io ns
suspect és de nier la fo lie de l’ho mme, de voulo ir suppr imer les gardes - fous à
la sociét é.
401
Primo Lévi .Si c'est un homme Julliard Paris 1987.
136
S i t out est per mis à l’insensé, où va -t -on ?
L’ensemble de ces object io ns sont guidées par la peu r et conduisent peu ou
prou à des co mport ement s de maît r ise. Ce dont il s’agit , en effet , est bie n
d’accept er l’ho mme avec sa fo lie. Reconnaît re l’ho mme avec sa fo lie n’est
pas t out accept er, même l’ inaccept able. Cela ser ait même un déni de
reconnaissance. C’est d’une cert aine manièr e déjà ce qui est en cause dans le
non- lieu pour irresponsabilit é ps ychiat r ique. I l y a quelque chose d’ét onnant à
dire à quelqu’un dont on suppose qu’il est dans le déni de réalit é :" Vot re
cr ime n’a pas à êt re jugé " Le cr ime alors n’est par reconnu. A-t -il eu lieu ?
Les deux quest ions auxquelles nous so mmes confront és so nt celle du sens de
la peur et celle de la possibilit é d’accueil de la pensée et de la paro le fo lles.
Blaise Pascal no us ouvre la port e quand il dit " Les ho mmes sont s i
nécessairement fous que ce sera it êt re fou par un aut re tour de fo lie de n’êt re
pas fou ".
402
C’est bien par ce que la fo lie est émine mment huma ine qu’elle fait peur. C’est
une idée maint enant fort bien accept ée que c’est " l’inquiét ant e ét ranget é "
de la fo lie qui fa it peur, son aspect à la fo is si proche et si déconcert ant ,
familier et inco mpréhensible. S i l’o n pr end cela co mme un fa it , on prend
rarement le t emps de l’analyser. Qu’est -ce qui just ement dans la fo lie est à la
fo is si proche et si différent ? Pour t ent er de répondre à cela, il faut prendre
le t emps d’écout er.
-Ecout er l’ango isse qui cherche à se dire par là .
-Ecout er la pert e du sent iment cont inu d’exist er.
-Ecout er l’hyper- mimét isme et l’hyper-cent ralit é.
-Ecout er la révo lt e exist ent ielle, le refus de la mort , de la co ndit io n de
mort el, qui passe par la revendicat io n de t out e puissance.
Pourt ant , comme dit A. Art aud: "Bien heureux quand cet t e incert it ude n’est
pas remplacée par l’inexist ence abso lue dont je souffre par fo is ".
403
Dans un deuxiè me t emps, il faut met t re cet t e écout e en perspect ive avec le
rapport de l’ho mme au t emps et à la mort , et sa recherche pour se co nfro nt er à
cet inco nnu. La mort est un phéno mène à la fo is t rès co ncret que je vis à
t ravers la mort des aut res et t r ès abst rait car jamais je ne pourrais fair e
402
403
Cette citation, rappelons-le, débute la préface de 1961 de l'histoire de la folie de Foucault
A.Artaud op cit p20
137
l’expér ience de la mort . C’est à part ir de la confront at ion à la mort que
l’ho mme va t ent er de remplacer l’absence par une for me, qu’il invent e
le
signe, que la paro le remp lace le cr i. Déjà le cr i lui - même est s igne de
reconnaissance et c’est par lui que la mèr e buffle et la mère manchot
ret rouvent leur pet it au sein de la horde.
Mais quelque chose va différenc ier l’ho mme de l’anima l ; Quelque cho se que
Vercors va appeler dans " Les animaux dénat urés", "les gr is-gr is", l’o bjet
symbo lique par lequel l’ho mme désigne son rapport à son dest in. C’est dans
cet t e archéo logie de la paro le qu’il faut rent rer pour appréhender tout à la
fo is la réalit é de la paro le fo lle et le refus de l’ent endre. I ndividuellement et
co llect ivement , les perso nnes en souffr ance psychique so nt souvent , t rop
souvent ,
dans
la
sit uat io n
du
meunier
hur lant
perché
sur
so n
t oit .
Reconnai ssons, ce qu'i ls revendiquent pour eu x -mêmes, leu r geste de
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Vi e S oci a l e et Tra i t em ent (VST ) n °128 m ai 180: Ge orge s Daumé zon
We ber. M. E c onomi e e t soc i ét é . t 1 ch a p I, §16
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Uni t e d Nat i ons Conv e nt i on on t he R i ght s of Pe rsons wi t h Di sabi l i t i e s di ffu sé sur
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Wol f M-A : Di al ogue ave c l e suje t psyc hot i que Tri pt yqu e 2005
Za r i fi an . E . Le s j ardi ni e rs de l a f ol i e Odi l e Ja cob 1988
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