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HORIZONS
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Portrait
N°713 NOVEMBRE 2012
Béatrice Idiard-Chamois
Cordon solidaire
Béatrice Idiard-Chamois est une pionnière. En 2006, cette sagefemme en fauteuil roulant crée la consultation “Handicap et
parentalité” au sein du département Mère/enfant de l’Institut
mutualiste Montsouris à Paris. Aujourd’hui, elle rêve de voir naître
ces consultations sur tout le territoire.
‘‘V
ous ne travaillerez
jamais comme sagefemme dans un grand
hôpital ! » Qui soigne la vue n’en
est pas pour autant visionnaire. La
preuve. Malgré cette “prédiction”
assénée par un grand “ponte” de
l’ophtalmologie durant ses études,
Béatrice Idiard-Chamois a réalisé
son rêve : aider les femmes à
devenir mères.
Sa façon de slalomer à vive allure
avec son fauteuil roulant dans les
couloirs de l’Institut mutualiste
Montsouris (IMM) où elle travaille, respire la détermination.
Trois téléphones dépassant des
poches de sa blouse renseignent
sur son sens du contact et sa
volonté de transmettre. Médecins, sages-femmes et femmes
handicapées de toute la France
sollicitent beaucoup celle qui a
créé la consultation “Handicap
et parentalité” en 2006. Rieuse
et volubile, Béatrice Idiard-Chamois, 48 ans, y reçoit des femmes
handicapées (dont une forte
majorité en situation de handicap moteur) pour la consultation
anténatale, l’accouchement et
son suivi.
DÉTERMINÉE
D’où est née l’idée de cette
consultation ? « En 2003, après
avoir participé au colloque “Vie
de femme et handicap moteur -
Sexualité et maternité”, organisé
par la Mission handicap de l’Assistance publique - Hôpitaux de
Paris (AP-HP), et constaté qu’il ne
suscitait aucune réaction, aucun
projet, je bouillais de colère. J’ai
alors proposé au Dr Henri Cohen,
mon chef de service, de créer la
consultation “Handicap et parentalité”. Il m’a soutenue à fond. »
Durant trois ans, Béatrice suit
des formations (connaissance
des différents handicaps, sexualité, parentalité…) et apprend la
langue des signes.
Elle propose aujourd’hui une
prise en charge globale aux
femmes. « Durant la première
consultation de deux heures,
j’ étudie tout : le handicap, les
besoins de la future maman en
matière de soins et de rééducation, sa situation administrative,
ses appréhensions… » Lors de la
grossesse, tout en restant en rela-
Consultation “Handicap et
parentalité”, mode d’emploi
> L’accompagnement comprend une consultation
préconceptionnelle, un suivi complet de la grossesse,
des cours de préparation à la naissance et une aide pour
les démarches administratives.
> Le département Mère/enfant dispose de locaux et de
matériel adaptés aux personnes en situation de handicap
moteur (table de gynécologie électrique pour les
transferts depuis le fauteuil, chambre adaptée) et visuel.
Tél. : 06 98 02 42 73 - www.imm.fr
tion avec les patientes par mail,
téléphone ou durant un déjeuner,
elle les oriente vers un réseau de
sages-femmes qui se déplacent à
domicile pour assurer leur suivi.
Un accompagnement adapté
rarement proposé par les autres
maternités, ce qui provoque
parfois une forme de maltraitance. « Certes, la femme en
situation de handicap est une personne comme une autre, mais elle
a une singularité et des besoins spécifiques qu’il convient de prendre
en compte. Pourtant, en voyant
qu’elle n’arrive pas à grimper sur
la table d’examen, certains gynécologues ne se préoccupent même pas
de savoir comment elle se débrouillera le jour de l’accouchement. »
La force de Béatrice ? « Comprendre ce que vivent les femmes
enceintes ou qui souhaitent le
devenir », estiment ses collègues.
Elle confirme : « Quand elles me
posent des questions, mes réponses
sont fluides. Je cherche toujours des
solutions à leurs problèmes. »
COMBATTANTE
Le parcours de Béatrice a été
chaotique. Elle naît avec une
amblyopie sévère qui la pénalise
dans sa scolarité jusqu’aux années
collège et dans ses relations avec
les autres, pas toujours tendres.
À 15 ans, une première opération lui restitue une partie de
la vision et « change sa vie ». Au
même âge, elle apprend qu’elle
souffre du syndrome de Marfan,
une maladie génétique rare, qui
provoquera, en 1999, son handicap moteur et une vie en fauteuil.
Durant ses études de sagefemme, personne ou presque ne
la ménage et elle subit une ...
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Portrait
Béatrice Idiard-Chamois en sept dates
intervention cardiaque liée
à sa maladie. Elle se bat pour
finir ses études et avec le soutien
d’un médecin du travail – « une
femme formidable », elle décroche
un poste à l’IMM.
Béatrice mène également un
combat plus intime pour devenir
maman. En 1993, Mathilde naît
sans le gène du syndrome de
Marfan, malgré les mises en garde
du monde médical. « “ Votre
enfant coûtera cher à l’assurance
maladie”, ai-je entendu de la part
d’une femme médecin », se souvient-elle, encore émue.
Ce qui l’exaspère aujourd’hui ?
Le manque de formation des
médecins et du personnel soignant sur le handicap : « Ils
reçoivent seulement quelques
heures de cours durant leurs
études, souvent dispensées par des
médecins à la retraite, parlant
encore de la Cotorep ! »
Une méconnaissance du handicap
qui, là encore, peut s’apparenter à
de la maltraitance. « J’ai reçu une
femme ingénieur en fauteuil qui
s’est vu proposer une ligature des
trompes par le service de gynécologie d’un hôpital public parisien
où elle se rendait pour un frottis ! »
Elle a également accueilli une
femme enceinte de cinq mois qui,
ne sentant pas bouger le fœtus,
...
1964 : Naissance à Paris.
1979 : Première intervention chirurgicale des yeux.
Diagnostic du syndrome de Marfan.
1988 : Opération à cœur ouvert.
1990 : Diplôme de sage-femme.
1993 : Naissance de sa fille.
2006 : Création de la consultation “Handicap et parentalité”
à l’Institut mutualiste Montsouris de Paris (IMM).
2010 : Chevalier de l’ordre national du Mérite.
paniquait. La raison ? Une fracture de la moelle provoquant une
insensibilité. Personne ne lui avait
expliqué. Béatrice l’a orientée vers
le service de traumatologie de
l’Hôpital Raymond-Poincaré à
Garches (Hauts-de-Seine).
EMPATHIQUE
La sage-femme assure également
une vacation hebdomadaire au
sein de l’équipe pluridisciplinaire et mixte (soignants valides
et handicapés) du Service d’aide
à la parentalité des personnes en
situation de handicap (Sapph) (1),
de l’Institut de puériculture et de
périnatalogie de Paris, avec lequel
l’IMM travaille main dans la
main. Il accueille des femmes en
situation de handicap – surtout
visuel – du début de la grossesse jusqu’à l’accouchement,
assure l’apprentissage des gestes
de puériculture aux mamans et
le suivi de l’enfant jusqu’à sept
Un film pour “dire” la maternité
Le Groupe Pasteur Mutualité et la Mutuelle nationale des hospitaliers et
des professionnels de la santé et du social (MNH) ont réalisé Handicap
et maternité. Un film pour le dire. Objectif : sensibiliser les futurs parents,
leur entourage, les professionnels de santé et le grand public. La bandeannonce est visible sur le blog Faire Face : taper “Groupe Pasteur Mutualité”
dans le moteur de recherche.
Disponible gratuitement sur http://www.gpm.fr ou à demander à MNH-DASPP
Laurence Benard - 45213 Montargis Cedex ou par fax au 02 38 90 78 36 ou
encore par mail à [email protected]
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ans. « Béatrice a un sens de l’autre
et une éthique rares chez les soignants, apprécie Édith Thoueille,
la responsable. Tout en étant très
pointue au niveau professionnel, elle
fait preuve d’une empathie remarquable. Elle partage beaucoup avec
les familles et les professionnels et
travaille en réseau. Seul, on ne peut
rien faire. »
Le rêve de Béatrice ? « Voir naître
des consultations “Handicap et
parentalité” sur tout le territoire. »
Ses projets ? La création d’une
consultation de gynécologie au
sein du département Mère/enfant
qui propose ce suivi aux femmes
handicapées tout au long de leur
grossesse (2). Cette passionnée de
natation et de puzzle, « un jeu qui
canalise l’ énergie », désire aussi
retourner au Togo où, avec Handicap international, elle a formé
des monitrices sages-femmes de
l’école de Lomé ; suivre des cours
d’haptonomie et… se reposer de
temps en temps. Mais enchaînet-elle aussitôt : « Je suis tellement
motivée que je n’arrive pas à
déconnecter ! » ●
Texte Katia Rouf
Photos Sébastien Le Clézio
(1) Contact au 01 40 44 39 05.
(2) Elle évalue le fonctionnement d’un tel service
à 60 000 € par an et cherche des financements.