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Le direct sourcing
dans le groupe Kingfisher
Un programme de « Cost Price Reduction » (CPR) a été mis en place
par Kingfisher, troisième groupe mondial d’amélioration de l’habitat
ou, plus traditionnellement, de bricolage. Leviers de réduction des
coûts : l’harmonisation des gammes, le développement de marques
propres au groupe, mais surtout le développement du direct
sourcing. Cette activité d’approvisionnement à la source représente
aujourd’hui un peu plus de 10 % des achats des enseignes
européennes du groupe avec actuellement quatre bureaux (la Chine
– le plus gros bureau – l’Inde, la Pologne et l’Afrique du Sud) qui
ont pour mission de capturer un nouveau marché : celui d’agents,
d’importateurs ou de grossistes.
LA CHAÎNE LOGISTIQUE
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Par Patrick GENTINE, Directeur de la Supply Chain Groupe Kingfisher
Entretien mené par François VALÉRIAN
Pouvez-vous nous présenter le groupe
Kingfisher ?
Votre métier est donc la vente directe
au consommateur ?
Kingfisher est un groupe anglais de distribution, coté à
Londres, qui possède environ 650 magasins dans une
dizaine de pays pour un chiffre d’affaires annuel de 7, 7
milliards de livres sterling (soit environ 12 milliards
d’euros).
Kingfisher est le troisième groupe mondial d’amélioration de l’habitat, derrière deux groupes américains
(Home Depot et Lowes).
Cette appellation « d’amélioration de l’habitat », qui a
aujourd’hui définitivement remplacé celle plus traditionnelle de « bricolage » témoigne de l’évolution de
notre métier pour accompagner un marché de plus en
plus tourné vers la décoration.
En grande partie, oui. Nous sommes un distributeur
essentiellement grand public, même si certaines de nos
enseignes ont une cible professionnelle (artisans).
Notre première région géographique est l’Europe et, en
premier, le Royaume-Uni et l’Irlande avec trois
enseignes : B&Q tout d’abord, qui représente 45 % du
CA du groupe – à peu près le même pourcentage de
notre parc de magasins – et qui est le leader incontesté
du marché anglais avec une part de marché supérieure
à 50 % ; puis Screwfix Direct qui fait de la vente à distance aux artisans, enfin Trade Depot, notre dernièrenée, qui a ouvert en décembre 2005 son premier magasin à destination, là aussi, des artisans.
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Immédiatement derrière le Royaume-Uni, la France
représente environ 35 % du groupe avec deux
enseignes : Castorama et Brico-Dépôt, qui représentent
en cumul environ 170 magasins et nous positionnent,
là aussi, comme numéro 1 du marché français.
Toujours en Europe, nous sommes présents en Italie et
en Pologne (sous l’enseigne Castorama) ainsi qu’en
Espagne (Brico-Dépôt), enfin nous ouvrons, début
2006, notre premier magasin en Russie.
L’Asie est notre seconde région, sans surprise en très
forte croissance :
nous terminons 2005 avec environ 50 magasins en
Chine, pays où nous étions leaders début 2005, et avons
renforcé cette position dans l’année en reprenant le
numéro 2 local.
Nous opérons également en Corée, marché dont nous
espérons une forte croissance dans les prochaines
années.
Enfin, pour terminer le panorama, nous sommes présents grâce à des joint-venture à Taiwan et en Turquie,
et nous possédons 20 % du capital de Hornbach, la
quatrième enseigne allemande d’amélioration de l’habitat. Hornbach est un partenaire idéal, car l’enseigne
opère de fait sur 8 pays d’Europe centrale (Autriche,
Suisse, République Tchèque, Benelux, Suède…), sans
aucun recouvrement avec Kingfisher.
Pour l’histoire, le groupe, initialement, comportait il y
a quelques années plusieurs activités : le bricolage,
l’électroménager (Comet, Darty, Woolworths).
Ces enseignes ne font plus partie du groupe depuis
2003.
UNE MISE EN ŒUVRE CONCRÈTE DES SYNERGIES
« remontons dans la chaîne de valeur et essayons de
nous passer, autant que nous le pouvons, des agents,
des importateurs, des grossistes ».
Cela signifie-t-il qu’autrefois, ou avant le direct
sourcing, il y avait des produits en provenance de
Chine mais qui passaient par des intermédiaires ?
C’est encore le cas aujourd’hui, malgré le très fort développement de notre activité direct sourcing : nous représentons actuellement un peu plus de 10 % des achats
des enseignes européennes avec quatre bureaux de sourcing : la Chine – notre plus gros bureau avec 220 personnes sur Shanghai et Hong-Kong, qui représente 80
à 85 % de l’activité – l’Inde, la Pologne et l’Afrique du
Sud. D’autres sont à l’étude.
Un bureau de sourcing a toutefois une couverture géographique qui va au-delà d’un seul pays. Ainsi, notre
bureau en Chine gère couvre en fait une grande partie de l’Asie du Sud-est (le Vietnam, la Malaisie, la
Thaïlande) et la Pologne couvre toute l’Europe de
l’Est.
Lorsque nous analysons le poids de ces diverses origines
dans le coût d’achat de nos marchandises, nous estimons qu’il est d’environ 30 %. En tant que direct sourcing, nous avons donc une « part de marché » qui n’est
certes plus marginale, mais qui n’est pas encore majoritaire. Notre cible est donc de graduellement progresser
dans cette enveloppe. Il est vrai qu’au sein de ces 30 %,
on ne trouve pas seulement des agents ou des importateurs. Il est bien connu que les « marques » ont également souvent délocalisé leur production. Il nous est
actuellement impossible d’approvisionner directement
ces marques à la source, nous devons passer par leurs
filiales de distribution en Europe. Nous ne visons donc
pas 30 % à terme.
Il y a donc eu recentrage sur le bricolage ?
Complètement. Dans l’histoire récente du groupe,
Kingfisher avait déjà une participation majoritaire dans
Castorama, qu’elle a porté à 100 %, mi-2002.
Cette acquisition fut à l’époque la deuxième opération,
par son ampleur, de l’histoire de la City. Elle a été présentée à la City comme devant permettre de dégager
1 milliard de livres sterling de gains sur 5 ans, essentiellement par des synergies d’achats. C’est ainsi que nous
avons mis en place un programme de « Cost Price
Reduction » (CPR).
Les leviers de réduction de nos coûts sont l’harmonisation de nos gammes, le développement de marques
propres au niveau groupe (celles-ci représentent aujourd’hui environ un quart de nos ventes – les produits
Performance Power se trouvent dans la quasi-totalité de
nos enseignes), enfin le développement du direct sourcing. Cette appellation direct sourcing est importante car
l’idée n’est pas de dire : « allons acheter en Chine », mais
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Cette mise en œuvre concrète de synergies supposet-elle qu’il existe des fonctions de sourcing ou des
fonctions d’achat qui autrefois étaient à l’intérieur de
chaque enseigne et qui, maintenant, sont remontées
au niveau du groupe ?
Oui pour les synergies, non pour le transfert. Les
bureaux de sourcing, étant Kingfisher, ils sont transversaux et dégagent de fait des synergies entre
enseignes.
Par contre les enseignes ont toujours chacune leur
centrale d’achats. Ces équipes sont complètement
autonomes les unes par rapport aux autres, voire sont
en concurrence quand elles sont sur un même marché.
Les bureaux de sourcing sont de nouvelles équipes qui
ont capturé un nouveau marché (celui d’agents ou
d’importateurs). Le transfert de fonctions a été limité.
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Les enseignes peuvent-elles faire du direct sourcing
et vous mettre en concurrence avec leurs propres
sources d’approvisionnement ?
Oui. La relation entre bureaux de sourcing et directions
achats des enseignes est très simple : il est hors de question d’imposer à une enseigne de s’approvisionner
auprès du groupe.
Si elle choisit le bureau du groupe sur telle ou telle
gamme, c’est que l’offre-produit qui lui est soumise est
performante par rapport à ce que les fournisseurs proposent par ailleurs. Nous sommes en compétition systématique avec les sources d’approvisionnement traditionnelles de l’enseigne. Celle-ci peut même chercher à
s’approvisionner en direct, y compris sur les marchés où
opèrent nos bureaux de sourcing. Mais la valeur ajoutée
de nos bureaux sur les zones couvertes rend cette possibilité peu intéressante pour les enseignes.
Revenons aux « marques » : quand vous achetez
auprès de la filiale de distribution du fabricant,
n’est-ce pas néanmoins du direct sourcing ?
Lorsque l’usine est basée en Asie et que nous achetons à
une entité commerciale en Europe, nous payons un prix
incorporant un bouquet de services réels (transport,
réduction des délais, des franco de commande, développement produit, service après-vente), mais aussi des coûts
de commercialisation propres à la structure de l’industriel
et que nous pourrions éviter en remontant à la source.
Ceci étant, je suis d’accord avec vous : c’est effectivement une certaine forme de direct sourcing car il n’y pas
d’intermédiaire entre le fabricant et nous.
Au niveau du groupe Kingfisher, nous avons énormément travaillé depuis quelques mois sur la partie
import, en partie car de nombreux « chantiers » à forts
enjeux se trouvaient là, mais également car le découpage organisationnel entre enseignes et groupe nous permettait d’avancer rapidement.
Nous avons démarré plus lentement le travail sur
l’identification des enjeux associés à la relation fournisseur au niveau « local », car la démarche doit y être
conjointe avec les enseignes. Mais nous progressons
dorénavant correctement sur ces sujets.
VERS UNE DIMINUTION DES PRIX
À LA CONSOMMATION
Quel est le gain que représentent 10 % de direct
sourcing par rapport à la situation où il n’y aurait
pas eu direct sourcing ?
Pour revenir sur un des premiers points évoqués dans
cet entretien, le programme CPR présenté aux ana-
lystes financiers avait pour objectif de réduire nos
charges, mais également de repositionner notre offre
prix, c’est-à-dire de rétrocéder au consommateur une
partie des gains obtenus.
Au niveau macro, nous sommes en avance sur notre
objectif CPR après 3 ans.
Vous donner des chiffres est difficile car tout dépend de
la façon de comptabiliser : au prix d’achat départ, au
prix d’achat rendu entrepôt à destination ou au prix
d’achat rendu magasin ? La mesure de l’élasticité des
ventes par rapport à un nouveau positionnement prix
est aussi très délicate.
De plus, sur plusieurs milliers de références aujourd’hui
achetées en direct, la performance d’achat varie énormément.
Pour essayer malgré tout de donner quelques indications, je peux dire que nos enseignes se tournent vers le
direct sourcing lorsque le gain « rendu magasin » dépasse
15 %. C’est une moyenne naturellement.
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Quand vous dites qu’une partie des économies,
finalement, va dans la marge et qu’une autre partie
va au consommateur, y a-t-il eu réellement
diminution de prix sur un certain nombre de
produits ? Peut-on parler d’une tendance vers une
diminution des prix à la consommation ?
Absolument. Je peux là aussi donner quelques exemples
où nous avons réinvesti les gains obtenus sur le prix de
vente, en France : réduction du prix de vente des carrelages de 25 %, du prix des panneaux/écrans de jardin
de 37 %, du prix des piscines gonflables de 60 %… Et
en Grande-Bretagne : réduction du prix des parquets de
30 %, des tondeuses à gazon de 25 %…
Pour l’Angleterre, l’index prix de nos produits au cours
des deux ou trois dernières années montre une diminution de 4 %. Je ne dis pas qu’il y a une corrélation directe et entière avec le direct sourcing puisque nous représentons 10 % de l’activité, mais la contribution à la
réduction des prix est réelle.
Et j’ai parlé de réinvestissement, car nous parions naturellement sur de meilleures ventes en volume grâce au
repositionnement des prix.
Est-ce que le direct sourcing commande de plus en
plus l’offre commerciale selon les bonnes affaires
qu’on réalise à l’achat ?
Pour donner quelques chiffres : le principal format de
magasin de B&Q et celui de Castorama ont tous deux
plus de 50 000 références, voire plutôt 70 000.
Pour revenir sur le premier commentaire que j’ai pu
faire entre les notions de bricolage et amélioration de
l’habitat, nous devons faire évoluer notre offre pour
répondre aux attentes du marché, et donc aller de plus
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Kingfisher a une charte éthique très forte envers ses fournisseurs : «Avant tout référencement et de façon régulière ensuite, nous pratiquons un audit du fournisseur ; nous vérifions qu’il n’emploie pas d’enfants ni d’adolescents, et que les conditions de travail et de sécurité des employés répondent aux normes que
nous voulons respecter (sécurité des postes de travail, présence d’issues de secours pour la sécurité, présence de sanitaires, de dortoirs, de cantines…».
en plus vers de nouvelles catégories. Les chefs produits
réfléchissent à leur catégorie en fonction des attentes du
client : nos gammes produits s’élargissent donc.
Le direct sourcing ne pèse que 10 %, et nous sommes –
contrairement à ce que votre question laisse à penser –
encore très fortement marqués par une culture pull (le
chef produit exprime un besoin et nous essayons d’y
répondre).
Tous ces éléments montrent que nous n’allons certainement pas vers une réduction de la diversité de l’offre.
Ceci crée un double challenge pour nos équipes direct
sourcing :
– du point de vue produit, il nous faut être capables de
renouveler l’offre plus vite, si possible d’anticiper la
demande des chefs de produits (faire du push). Nous
estimons que nos délais de développement sont trop
longs, et parfois des produits sont référencés auprès de
fabricants locaux, de grossistes qui ont su trouver le bon
produit plus vite ;
– sous l’angle supply chain, on constate que le foisonnement de nouvelles références diminue la vente moyenne par référence ; le direct sourcing en souffre parce que
tous les processus du grand import ont été bâtis à l’origine pour de la « grosse cavalerie » ; nous devons donc
revoir ces processus pour aller vers de la petite série, des
approvisionnements en petite quantité avec des délais
d’approvisionnement réduits. Ce sont des objectifs sur
lesquels nous sommes en train de fortement travailler
depuis plusieurs mois.
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UN CONTRÔLE À TOUS LES STADES
DU PRODUIT ET UNE CHARTE
DE RESPONSABILITÉ SOCIALE
Etre capable de faire de l’approvisionnement en
petites quantités à distance, est-ce que cela ne
suppose pas d’être très réactif, d’avoir des équipes
très importantes sur place ?
C’est exact. D’une part les processus administratifs sont
toujours plus contraignants que sur de la vente domestique : traitements douaniers, financiers…
Réduire les quantités, c’est multiplier les commandes et
les expéditions – ou les lignes de commandes et les
lignes d’expédition – et augmenter l’administratif.
Mais aussi, dans les pays où opèrent nos bureaux de
sourcing, on ne peut pas se contenter de donner des instructions sur un produit à un fournisseur, puis d’attendre une offre avec un échantillon et de passer une
commande.
Nous devons contrôler le processus à tous les stades du
produit :
– contrôler les prototypes, les préséries, la première production, l’emballage, car l’erreur peut se nicher dans le
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code barre qui est illisible ou faux, ou encore dans une
mauvaise traduction du mode d’emploi ;
– par la suite, il faut systématiquement vérifier la qualité des productions, qui varie d’un lot à l’autre.
Au niveau supply chain, nous devons contrôler l’avancement des commandes : commandes des matières premières, réception, démarrage de la production, etc.
Malheureusement, même si la fiabilité des industriels
chinois, indiens ou lettons progresse à grands pas, nous
ne pouvons nous permettre de croire aux promesses de
livraison.
Il s’agit donc d’une énorme tâche, demandant beaucoup d’énergie, qui explique l’importance des effectifs
que nous avons sur place. Et, là aussi, multiplier les
approvisionnements a un coût.
Par contre, la fiabilité est au rendez-vous : grâce à ces
contrôles permanents, nous respectons les délais et
quantités de livraison à plus de 97 %, et les rejets de
produits pour défaut à l’arrivée en Europe sont 4 fois
inférieurs lorsqu’ils proviennent d’un bureau de sourcing que pour lorsqu’ils arrivent d’un autre fournisseur
(importateur ou producteur local).
La réactivité aux nouveaux produits, aux nouvelles
gammes ne suppose-t-elle pas quant à elle de
changer très souvent de fournisseur ?
Nous poursuivons une politique constante de développement des industriels avec lesquels nous travaillons.
Ceci car l’investissement qualité (sur les produits et les
processus) est important et qu’il est préférable de le rentabiliser, mais aussi car Kingfisher a une charte éthique
très forte envers ses fournisseurs.
Avant tout référencement et de façon régulière ensuite,
nous pratiquons un audit du fournisseur. Nous vérifions qu’il n’emploie pas d’enfants ni d’adolescents, et
que les conditions de travail et de sécurité des employés
répondent aux normes que nous voulons respecter :
sécurité des postes de travail, présence d’issues de
secours pour la sécurité, présence de sanitaires, de dortoirs, de cantines (ou de services de restauration selon la
culture du pays)…
Pour certains matériaux, notamment le bois, nous n’approvisionnons que des bois certifiés FSC (Forest
Stewardship Council), qui garantissent une exploitation
durable, avec replantation d’arbres correspondant à
l’abattage. Nous ne voulons pas d’une exploitation sauvage.
Cette charte de « responsabilité sociale » impose des
délais de référencement plus longs, des surcoûts au
niveau du fournisseur et de nos audits, et parfois des
difficultés d’approvisionnement…Mais nous ne voulons pas transiger pas sur ces points et tout notre personnel est fier que Kingfisher défende ces valeurs.
Malgré cet investissement initial important, il va de soi
que les revues de gammes, les nouveaux produits se traduisent effectivement par une adaptation constante de
notre pôle de fournisseurs. Ainsi, en 2004, nous avons
référencé en Chine plus de 200 nouvelles usines. Et
100 % d’entre elles sont passées par nos procédures
d’audit qualité.
Cette responsabilité sociale est-elle propre
à Kingfisher ?
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Je ne vois pas pourquoi des distributeurs ayant adopté
une telle politique ne communiqueraient pas dessus. Et
comme peu d’enseignes communiquent à ce sujet…
Par ailleurs, nous connaissons explicitement des distributeurs qui n’ont pas cette politique : par volonté ou
parce qu’elle est difficile à mettre en œuvre du fait des
audits.
Donc, non seulement vous remontez dans la chaîne
de valeur en supprimant des intermédiaires, mais en
plus vous allez jusqu’à contrôler la fabrication de
vos fournisseurs. Est-ce qu’on arrive à des situations
de dépendance où les fournisseurs travaillent
essentiellement pour vous ?
Nous pouvons peser parfois très lourd chez un fournisseur. Mais il y a peu de cas de dépendance. Les cas où
nous atteignons 35 %-40 % d’un fournisseur sont
exceptionnels et la moyenne est largement inférieure.
Si vous introduisez de nouveaux fournisseurs à
l’occasion des changements de gamme, est-ce que
vous changez souvent de fournisseur pour réduire le
plus possible les coûts, ou est-ce que vous arrivez à
construire des relations de long terme ?
Nous avons une culture anglaise, et c’est peut-être caricatural, mais je pense que nos amis anglais ont une
mentalité de travail concernant la durée, largement
supérieure à celle des Français.
Cette volonté de durée ne nous empêche pas, bien sûr,
de réduire notre activité avec les fournisseurs qui ne se
positionnent plus du point de vue prix, ou dont la performance n’est pas satisfaisante : sur 3 ans, nous avons
ainsi arrêté de travailler avec environ un quart de nos
fournisseurs chinois.
Mais nous n’agissons pas de façon brutale :
– sur les prix, le fournisseur reçoit des signaux, par
exemple en se voyant retirer une première partie de sa
gamme ;
– lorsque le problème vient d’un problème de qualité
produit ou de fiabilité (tenue des délais, des quantités
commandées), nous envoyons une équipe de spécialistes de la production qui cherchent des solutions avec
le fournisseur ; de tels projets durent parfois plusieurs
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mois, ce qui illustre la volonté de Kingfisher d’accompagner ses fournisseurs vers une meilleure performance.
Pour revenir à votre question sur la dépendance, lorsqu’un retrait de nos commandes peut mettre en danger
un fournisseur, nous essayons, là aussi, plusieurs solutions en commun : nous avons ainsi beaucoup travaillé
avec nos fournisseurs sud-africains, récemment désavantagés par le rand (la monnaie sud-africaine) fort. Des
équipes communes Kingfisher/fournisseurs ont travaillé
pour trouver de nouvelles sources d’approvisionnement,
pour revoir les processus de production afin de gagner
en productivité. Nous sommes allés jusqu’à analyser
ensemble les impacts de solutions de désinvestissement
de capacités de production. Un travail complet où nous
avons mis nos compétences en sourcing, en supply chain
et en ingénierie financière au service de nos fournisseurs
et de nos sources d’approvisionnement. Nous avons également, dans ce cas précis, accepté une réactualisation
des prix d’achats pendant la durée des plans d’action.
LE LANCEMENT DE NOUVEAUX PRODUITS :
LE RÔLE DE LA RÉACTIVITÉ
Vous avez insisté sur l’évolution de votre métier vers
l’amélioration de l’habitat. Pouvez-vous nous en dire
plus sur les impacts de cette évolution ?
Je restreindrai ma réponse aux impacts supply chain,
même si naturellement il y aurait beaucoup à dire sur
toute la chaîne de valeur de la distribution, dans l’offre
magasin, dans la gestion catégorielle…
Les lignes de produit « décoration » présentent selon
moi deux éléments critiques :
– tout d’abord, une durée de vie réduite (6 mois environ, alors qu’elle est d’un an sur le bricolage) ;
– ensuite, la multiplication des références dont nous
avons déjà parlé vient essentiellement de ces catégories.
Le point prépondérant devient donc la réactivité.
La réactivité, c’est d’abord le lancement de nouveaux
produits. Aujourd’hui, entre le moment où un chef
produit commence à réfléchir à un changement de
gamme et à exprimer ses idées, et le moment où le produit va être commercialisé, il se passe encore bien souvent un an.
Beaucoup de ces produits sont soit one-shot, soit saisonniers, et génèrent donc de fortes contraintes sur le
flux produit : il ne faut pas rater le mois de mars parce
que les climatiseurs se vendent en mai ou en juin et
qu’il ne faut pas être en retard…
Et lorsque l’on commence à réfléchir un an à l’avance à
une gamme produit, toutes sortes de problèmes peuvent survenir entre temps, du changement de tendance
au changement de normes – que nous avons connu
voici deux ans avec les climatiseurs.
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Un an de lancement pour les nouveaux produits, c’est
donc énorme. Nous avons pour objectif de diviser ce
chiffre par deux. Comment l’obtenir ?
D’une part, heureusement, nous allons bénéficier des
expériences de nos équipes de sourcing : grâce à la
connaissance de la base industrielle des pays où nous
sommes installés, l’identification des industriels
capables de suivre ces nouvelles spécifications peut se
faire plus vite. C’est également un des bénéfices indirects que nous retirons de notre démarche de coopération avec nos fournisseurs.
Mais cela ne suffit pas. Nous travaillons à un nouveau
découpage des rôles et responsabilités entre chefs produits/acheteurs et bureaux de sourcing.
La relation entre un chef produit et un bureau de sourcing peut être envisagée soit avec des échanges permanents, un processus de validation par l’enseigne à toutes
les étapes (les normes de sécurité, le prix, l’emballage
consommateur, la traduction des guides utilisateur/
cartes de garantie, les prototypes) soit avec une plus
forte délégation.
Le premier mode de travail peut rassurer, parfois éviter
des erreurs, mais il génère des allers-retours en nombre
et, par conséquent, un rallongement des délais et des
coûts.
L’autre façon de procéder consiste à clarifier dans un
premier temps le besoin du chef produit, et réduire le
nombre de points de validation, qui se traduit par une
plus grande responsabilité des bureaux de sourcing. Ce
type de fonctionnement nécessite de nouvelles expertises, voire une nouvelle organisation à base de services
partagés entre bureaux de sourcing, permettant une professionnalisation accrue avec des outils adaptés.
Et quand j’évoque la capitalisation sur les expertises de
chacun, je pense qu’il ne faut pas oublier le fournisseur.
Car, avec lui aussi, une démarche commune dans la
durée permet mieux de se comprendre immédiatement,
de «faire bien du premier coup». Enfin, nos fournisseurs ne travaillent pas exclusivement pour nous, ils sont
capables de nous apporter des idées déjà mises en œuvre
pour d’autres produits ou d’autres clients. C’est ainsi,
par exemple, que pour les décodeurs TNT, nous avons
pu livrer les magasins Castorama moins de 4 mois après
le premier contact avec le chef produit.
Lorsque vous évoquez des idées apportées par les
fournisseurs, on est bien dans un cas d’offre au
consommateur poussée par le sourcing chinois qui
peut déterminer certaines offres, qui peut avoir des
idées de nouveaux produits, de nouvelles gammes ?
Ces questions me rappellent le débat : « Est-ce que les
distributeurs vendent ce que les clients attendent ou
ce qu’ils ont en stock ? ». Je pense que ce débat présente peu d’intérêt, qu’il est nombriliste pour un distributeur, et que nos clients ne s’en soucient pas beaucoup.
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Nous avons tous de nombreux exemples de produits
« poussés » qui se vendent très bien et de produits supposés répondre à une demande marché qui n’ont pas
tenu les objectifs. Je préfère de loin les premiers.
Lorsqu’un chef produit exprime un « besoin » du marché, celui-ci est, le plus souvent, assez générique et le
produit fini contiendra une forte proportion de propositions émanant du fournisseur. Où est le push, où est le
pull dans ce cas ?
De l’autre côté, je le redis, nos fournisseurs travaillent
pour d’autres distributeurs, européens mais aussi américains, et les idées qu’ils proposent ont souvent déjà été
expérimentées ailleurs.
En fait, c’est cette fusion des marchés qui permet de
faire des produits « poussés », ce qui serait très
difficile si chaque marché restait très local ?
Ce serait probablement plus difficile, oui. Mais, pour
expliquer ce que j’entends par fusion, prenons un
exemple dans le bricolage, où on a vu apparaître voici 4
ou 5 ans de l’électroportatif équipé de lasers : c’est une
évolution du produit, une première fois testée aux
Etats-Unis, et qui a ensuite été proposée ailleurs.
L’osmose entre marchés ne doit pas être considérée uniquement d’un point de vue géographique : les évolutions sur les plâtres ou les colles rapides, qui dominent
aujourd’hui le marché, sont venues d’un transfert du
milieu professionnel au grand public.
Est-ce qu’on observe les mêmes évolutions dans
l’aménagement intérieur et la décoration ? Est-ce
qu’on peut avoir aussi des offres poussées qui
réussissent dans un pays et qui sont faites dans un
autre pays ?
Le rôle du chef produit dans un pays est d’y identifier
une ou des tendances (sous la forme d’ambiances), mais
une fois cette étape franchie, le plus souvent l’offre produit « détaillée » sera essentiellement poussée par les
fabricants locaux, et souvent avec une richesse de variétés allant bien au-delà des attentes premières.
Là aussi, rien n’est intégralement poussé, rien n’est intégralement tiré.
En fait, il existe une sorte d’exotisme mondialisé de
l’aménagement, de la décoration, qui se conjugue
bien à ce sourcing en Asie.
Ce que nous constatons, c’est que cette tendance renforce le poids de l’Asie, mais rééquilibre les sources au
sein de la région : moins de Chine, plus d’Asie du SudEst.
Mais sur la décoration, le direct sourcing a plus de challenges à surmonter que sur le bricolage pour se positionner face aux fabricants locaux ou aux agents.
Nous voilà revenus à la question de réactivité.
L’important aujourd’hui n’est pas d’aller « sourcer » en
Asie pour obtenir un prix, parce que tout le monde le
fait et que c’est devenu assez simple sur le fond de
rayon. L’avantage prix devient insignifiant. Le véritable
avantage compétitif réside donc dans la capacité à comprendre les tendances, et à les traduire en nouveaux
produits sur les linéaires.
Mais il réside aussi dans la capacité à gérer la fin de vie
sans obérer la marge.
C’est là que la supply chain doit suivre l’évolution commerciale. Ce qui me paraît important, c’est la qualité
du processus opérationnel : éviter l’approvisionnement
en masse à délais longs, et travailler sur des délais raccourcis, des réapprovisionnements fréquents sur de
petites quantités, l’analyse des signaux de vente, la gestion de la fin de vie.
L’évolution des habitudes ne doit pas seulement être
réalisée côté source. L’analyse des signaux de vente, la
modification des besoins d’approvisionnement, la gestion des fins de vie : c’est de ce côté de l’océan que ça
se passe !
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UN ARBITRAGE ENTRE ALLONGEMENT
DES DÉLAIS ET AMÉLIORATION DU PRIX
D’ACHAT « DÉPART »
Quelle est l’importance des temps de transport
dans ces délais ?
Le trajet est d’environ 35 jours, de Shanghai au Havre
ou à Dunkerque. Ce n’est pas négligeable. Mais pour
un réapprovisionnement, une supply chain import traditionnelle connaît encore classiquement des cycles
locaux de 90 ou 100 jours (entre l’expression du besoin
et le chargement sur le bateau).
Ceci veut dire que quand on a, sur certaines familles de
produits, des ventes saisonnières qui se font sur trois ou
quatre mois, il faut tout approvisionner sur prévisions.
Ce qui est intenable lorsque le produit présente le
risque d’être démodé à la fin de la saison.
En fait, ces 120 jours de cycle s’opposent à combien
de jours quand on faisait du sourcing plus local en
France ou en Angleterre ? Un mois au total entre la
commande et la livraison ?
Beaucoup moins !
L’acheminement, même si l’on achète aux limites de
l’Europe, disons en Pologne, n’excède pas 3 jours. Mais
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surtout lors d’un approvisionnement « local » le fournisseur gère dans la quasi-totalité des cas un stock de produits finis qui fait tampon. Donc, la partie visible du
cycle d’approvisionnement est en moyenne inférieure
ou égale à la semaine.
Acheter en direct sourcing, c’est se priver du confort de
ce tampon pour son approvisionnement, et le plus souvent, le reconstituer au moins en partie…
Tout l’enjeu n’est-il pas là ? On y va pour avoir des
prix plus bas, mais on passe aussi d’une semaine à
120 jours, et il faut arbitrer entre les deux. Peut-on
résumer ainsi les choses ?
Sous l’angle opérationnel, en grande partie oui.
N’oublions pas ce que nous avons dit précédemment
sur les capacités de développement et d’introduction de
nouveaux produits.
Mais si l’on entend « angle opérationnel » comme étant
la recherche du meilleur coût et de la meilleure disponibilité du produit, alors cet allongement du délai est
l’un des éléments clés à mettre en balance avec l’amélioration du prix d’achat « départ » afin de comprendre
le gain réel à l’arrivée. Mais Il n’est pas le seul. Les minima de commande sont encore trop souvent liés à l’optimisation du remplissage du container ou aux
contraintes administratives, ce qui est souvent contradictoire avec une gestion fine du stock. C’est aussi le cas
de l’optimisation de la couverture devise. Si l’achat
devise est de 1 % moins bon, c’est 1 % de plus sur le
prix de revient : un levier majeur.
Une autre composante importante du prix de revient
est la distribution locale : dans une Supply Chain traditionnelle, lorsque le container arrive en Europe, il
sera dirigé vers un centre de distribution, déchargé et
stocké souvent plusieurs semaines avant d’être préparé
pour envoi aux magasins. Or il est possible, au moins
dans certains cas, de s’affranchir de ces points de passage, de ces ruptures de charge, pour diminuer les
coûts…
Tous ces impacts doivent être compris et estimés. Cette
connaissance des coûts est primordiale et souvent délicate à appréhender. Il arrive souvent q’un fournisseur
affirme à l’acheteur qu’il peut livrer le magasin ou le
centre de distribution de l’enseigne à meilleur coût et
fait une proposition en ce sens. Autant que possible
nous essayons d’obtenir des éléments de comparaison
pour nous améliorer s’il s’avère que nous ne sommes
effectivement pas les meilleurs. Lors d’une de ces comparaisons récentes, un fournisseur s’est rendu compte
qu’il s’était simplement trompé dans l’allocation de ses
coûts sur le prix du produit.
Je ne veux pas donner l’impression toutefois que nous
sommes imbus de notre performance. En d’autres cas,
nous avons pu constater, en effet, que notre Supply
Chain n’était pas la plus performante sur certains types
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RÉALITÉS INDUSTRIELLES • MAI 2006
de produit. Chaque découverte de ce type est passionnante car elle ouvre de nouvelles opportunités.
Y a-t-il eu une amélioration de l’offre logistique des
grossistes locaux ces dernières années ?
Je ne dirai pas une amélioration car la valeur ajoutée
d’un grossiste réside principalement dans sa Supply
Chain, et leur performance est généralement bonne
depuis longtemps, en coût et en disponibilité. Je ne
pense pas qu’ils aient eu par le passé – ni qu’ils aient
aujourd’hui – une meilleure performance que
Kingfisher sur la partie internationale de la Supply
Chain où l’essentiel des coûts est associé au commerce
maritime et où nos volumes nous permettent d’obtenir d’excellents conditions tarifaires avec les compagnies maritimes. Mais leur logistique locale leur permet encore, dans certains cas, une réelle compétitivité
au niveau des prix et de la disponibilité «rendu magasin ».
Maintenant, à mesure que nous comblons le différentiel de performance avec eux, leur positionnement évolue vers d’autres composantes de l’offre pour continuer
à se différencier : largeur de la gamme, après-vente,
réapprovisionnement du linéaire (ce que certains appellent le rackjobbing, d’autres le merchandising), voire
des centres d’appels « conseil client ».
DES BUREAUX DE SOURCING À UNE LOGIQUE
D’ORGANISATION SOURCING
Quel est votre objectif à court ou moyen terme ?
L’objectif est d’augmenter les équipes sourcing sans augmenter les équipes totales.
Donc, répartir différemment les tâches, avec ici deux
axes de travail.
En premier lieu, simplifier les processus internes (diminution des boucles de validation) et professionnaliser
de petites équipes sur des processus spécifiques, grâce à
la mise en place de services partagés (plates-formes
communes à tous les bureaux de sourcing). Nous passons d’une logique « bureaux de sourcing » à une logique
« organisation sourcing ».
En second lieu, tout en conservant des points de
contrôles, continuer l’intégration et la délégation de
tâches aux fournisseurs. Par exemple, leur demander de
faire eux-mêmes le reporting d’avancement de la production sur nos outils web, nous permettant de travailler par exception sur les seules informations manquantes.