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«Vaulting ambition»
Allégorie et apparat dans les
portraits des favoris d’Elisabeth Ire
d’Angleterre
Angela Benza
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Table des matières
Bibliographie
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«There shall be but one mistress here and no master», cette célèbre phrase
prononcée, selon l’anecdote, par Elisabeth Ire (1533–1603) lors d’une dispute avec son premier favori, Robert Dudley, 1er comte de Leicester, est
un des principes qui semble sous-tendre les apparitions publiques et les
représentations visuelles des favoris de la reine1. La composition de La
Procession d’Elisabeth Ire2, une œuvre attribuée à Robert Peake, peinte aux
alentours de 1600–1601, met en image de manière explicite l’entière soumission des favoris à leur souveraine. On peut y voir la reine installée dans
une litière recouverte d’un dais, portée par ses favoris et ses Gentlemen Pensionners3, et dominant la foule formée par ses sujets.
Parmi les principaux favoris d’Elisabeth Ire que nous évoquerons dans
ce texte, seul George Clifford (1558–1605), 3e comte de Cumberland,
y est représenté4. En effet deux d’entre eux, Sir Christopher Hatton
(1540–1591) et Robert Dudley (1532–1588), sont morts depuis longtemps; Sir Henry Lee (1533–1611) et Sir Walter Raleigh (1552–1618)
sont à la retraite volontaire ou forcée. Quant à Robert Devereux
(1565–1601), 2e comte d’Essex5, il est exécuté pour rébellion et haute trahison en 1601. La Procession d’Elisabeth Ire nous permet de mieux saisir
la fonction réelle et picturale des favoris. Ces derniers y sont représentés
richement vêtus, se distinguant de la foule; ce sont des hommes de pouvoir et d’ambition qui se mettent ici en scène publiquement aux côtés ou
à la suite de la reine, selon leur statut à la cour. Le terme de «favoris» apparaît d’ailleurs dans la langue anglaise durant la période élisabéthaine aussi
bien dans son sens premier – un personne à qui l’on accorde une préférence ou une attention particulière – que dans son association plus étroite
avec la faveur accordée par un monarque à une membre de sa cour, faisant
de ce dernier ou cette dernière un proche voire un intime du roi ou de la
reine6.
1. Cette contribution est tirée d’une conférence présentée lors du XVe Colloque de la relève suisse
en histoire de l’art, qui s’est tenu les 1er et 2 novembre 2012 à l’Université de Lausanne.
2. Robert Peake (attr.), Elisabeth Ire en procession vers Blackfriars, vers 1600–1601, huile sur toile,
132 x 190.5 cm, Sherborne Castle, Collection Simon Wingfield-Digby.
3. Strong 1999, pp. 17, 134. Gentlemen Pensioners in OED: «gentleman-pensioner, now gentlemanat-arms [are] one of forty gentlemen who act as guards or attendants to the sovereign on state
occasions».
4. La liste des favoris d’Elisabeth Ire étant conséquente, dans le cadre de cet article, nous nous
attarderons principalement sur les favoris de la reine qui ont fait l’objet de plusieurs représentations peintes comme Robert Dudley, 1er comte de Leicester, Sir Christopher Hatton, Sir Walter
Raleigh, Robert Devereux, 2e comte d’Essex, George Clifford, 3e comte de Cumberland et Sir
Henry Lee.
5. Auerbach 1961, p. 146; Strong 1995, p. 185.
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Toutefois, comme le suggère l’absence des principaux favoris dans la
Procession, ces derniers, tels des ornements, sont interchangeables suivant
la mode et les humeurs de la reine. A l’image du comte d’Essex, ils
atteignent parfois les sommets du pouvoir pour retomber «plus bas que
terre». Le statut de favori implique de trouver un équilibre entre ses ambitions personnelles et son statut de courtisan d’une reine dont les faveurs
ont fait et défait les grands hommes de son règne7, une réalité qu’illustre
bien le titre de cet article «vaulting ambition» issu de Macbeth de Shakespeare (1606). La position de favori constitue une forme d’apogée en terme
d’ascension sociale et est la marque du triomphe personnel d’un individu: en louant le souverain, il devient lui-même un être adulé8. Le pouvoir
monarchique se présente dès lors comme le lieu de jeux d’influences entre
les favoris aux ambitions montantes et ceux sur le chemin de la disgrâce9.
Cinq actes d’une pièce de Shakespeare ne suffiraient pas pour relater les
frasques et les multiples rebondissements des «carrières» de Robert Dudley, Robert Devereux ou Walter Raleigh10. C’est pourquoi nous souhaitons
ici délaisser ces éléments biographiques pour nous intéresser – en lien avec
le sujet de notre thèse sur Le portrait allégorique élisabéthain et jacobéen
(1550–1625) – à la manière dont l’allégorie est utilisée dans l’iconographie
des favoris comme un moyen d’expression de l’apparat11. Cette problématique s’inscrit plus largement dans le cadre de la constitution d’un corpus
autour d’un questionnement sur la forme et la fonction de l’allégorie dans
le champ du portrait durant l’époque élisabéthaine et jacobéenne.
Nous tenterons premièrement de définir le statut particulier de la
représentation des favoris et de l’interprétation socio-historique de leurs
portraits. Dans un second temps, nous nous intéresserons à un article
de Michael Leslie, professeur à Oxford et spécialiste des relations entre
littérature et arts visuels dans l’Angleterre du XVIe siècle. Cet article, intitulé «The Dialogue between bodies and souls: Pictures and Poesy in the
English Renaissance»12, propose une forme de classement typologique des
portraits allégoriques en fonction du degré et du type d’allégorie utilisé dans la composition d’un portrait13. Dans le but de combiner une
approche thématique et méthodologique, ce classement nous permettra
6. Favourite (n. et adj.) in OED: «1. a. A person or thing regarded with peculiar favour, one preferred
above others; 2. One who stands unduly high in the favour of a prince, etc.; one chosen as an intimate
by a superior.»
7. Williams 1974, pp. 65-108, 144–181, 182-240; Strong 1999, pp. 129–134; Frye 1993, p. 92:
au sujet de Dudley «… an ongoing struggle for control of the queen’s ear, for power in the Privy
Council…».
8. Frye 1993, pp. 92–96, pour un exemple concret de l’ascension fulgurante d’un favori – Robert
Dudley – et de sa position privilégiée vis-à-vis de la reine et dans les affaires de la cour.
9. Frye 1993, p. 136. Pour un parallèle ainsi qu’une mise en contraste du statut de favori à la cour
d’Elisabeth Angleterre avec le statut du favori à la cour de France sous Henri III, voir Le Roux
2000.
10. Williams 1974, pp. 65–108 (Dudley), 144–181 (Hatton), 182–240 (Essex et Raleigh); Strong
1999, pp. 129–134 (Lee).
11. Frye 1993, pp. 92–96. En prenant pour exemple, Robert Dudley, Frye souligne à la fois
l’émulation et l’interdépendance entre l’iconographie royale et l’iconographie des favoris, p. 136:
Frye fait ici plus particulièrement allusion à l’émulation entre les représentations du «jeune»
Robert Devereux et celles de «the ageing queen».
12. Leslie 1985, pp.16–30.
13. Ibidem, pp. 22–29.
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Fig. 1 Artiste inconnu, Sir Christopher Hatton, vers 1588-1591, huile sur bois, 78.7 x 63.5 cm
(Londres, National Portrait Gallery).
d’envisager comment interpréter les relations complexes entre le contenu
du portrait et son récepteur ou destinataire. Enfin, nous nous pencherons
plus en détail sur un portrait de Sir Christopher Hatton14 et sur les portraits
de favoris en costumes de tournoi (tilters)15. Ces deux études de cas nous
permettrons de remettre en question le classement de Leslie et la possibilité de son application concrète à un corpus de thèse.
Si nous avons décidé de nous intéresser aux portraits des favoris, c’est
parce qu’ils se trouvent, durant la période élisabéthaine, dans une position
intermédiaire entre la production massive de portraits du monarque et
une production plus éparse et occasionnelle de portraits aristocratiques et
bourgeois. Le nombre de ces derniers va d’ailleurs en se réduisant au fur
et à mesure que le modèle représenté est éloigné de l’épicentre du pouvoir,
c’est-à-dire, de la reine Elisabeth Ire d’Angleterre. On constate à ce titre
très vite que les favoris comme Robert Dudley ou Robert Devereux sont
des figures privilégiées puisqu’elles se sont faites représenter plus d’une
dizaine de fois en peinture à l’huile et en miniature16. Une fois encore, la
Procession d’Elisabeth Ire constitue un bon exemple de cet état de fait. Con-
14. Artiste inconnu, Sir Christopher Hatton, vers 1580, City of Northampton, Central Museum.
Strong 1969, pp. 136–137.
15. Auerbach 1961, pp. 112–115, 125–126; Strong 1969, pp. 57–58, 115–117; Hearn 1995, pp.
126–127, 133.
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trairement aux Gentlemen Pensionners, les favoris qui y figurent ne sont pas
de simples personnages mais bien des portraits, des visages de notoriété
publique dont les traits devaient être potentiellement identifiables pour le
spectateur d’alors17.
Cette tension entre personnage public et personnalité privée fonde la
complexité de ces portraits qui doivent à la fois rendre compte d’une physionomie particulière tout en exprimant une idée générale des relations
qui unissent le favori à la cour et surtout à la reine. A travers ces portraits
collectifs ou individuels, il s’agissait donc pour le modèle-courtisan
d’exprimer son statut social tout en faisant une démonstration d’apparat18.
Les démarches entreprises par le spectateur d’alors pour interpréter ces
portraits s’inscrivent pleinement dans ce contexte. En effet, les portraits de
favoris étaient vraisemblablement commandés par et destinés aux favoris,
à leurs proches voire à la reine. Ces destinataires formaient donc un public
socialement et intellectuellement homogène qui se revendiquait comme
l’élite du royaume. Il se peut que la capacité du spectateur à interpréter ces portraits ait été perçue comme une pratique intellectuelle visant à
l’inscrire, tout comme le modèle dépeint, dans une classe sociale et culturelle supérieure à même de comprendre ces portraits et d’en retirer des
enseignements moraux ou philosophiques19. La distance chronologique et
culturelle qui nous sépare de l’époque élisabéthaine et jacobéenne fait que
les spectateurs contemporains que nous sommes ne semblent plus forcément être en mesure de saisir et décrypter la dimension allégorique de
ces portraits. En effet, ce mode de lecture nécessite en soi une importante
remise en contexte non seulement du contenu ou sujet du tableau, mais
également du spectateur et de son contexte d’interprétation.
Ces constats sur la fonction générale et les principaux enjeux des portraits de favoris, nous permettent de souligner plus clairement l’approche
méthodologique que nous souhaitons employer pour analyser ces portraits. En effet, une des principales difficultés de l’étude du portrait allégorique élisabéthain et jacobéen est d’identifier si ou quand un portrait est
potentiellement allégorique. Cette distinction, bien qu’essentielle, s’avère
plus compliquée en pratique, dans la mesure où fixer des critères de sélections et catégoriser les œuvres peut devenir un obstacle à une mise en
dialogue dynamique des œuvres au sein du corpus. Créer des catégories
implique d’instaurer a priori des limites et de définir arbitrairement la
nature des œuvres étudiées. Afin de conserver une forme de perméabilité
entre les groupes de portraits et d’assurer une analyse du corpus qui soit
16. Auerbach 1961, pp. 125–126 (Devereux); Strong 1969, pp. 191–196 (Dudley), 115–117
(Devereux); Hearn 1995, pp. 96–97 (Dudley). Pour un aperçu des nombreuses représentations
des autres favoris voir Strong 1969, pp. 57–58, 115–117, 135–138, 189–196. Pour une discussion des relations entre artiste de cour (principalement Hilliard) et favoris (comme centre de
gravité de cercle de cour) voir Strong 1995, p. 182.
17. Auerbach 1961, p. 146. Dans le cadre du tableau Elisabeth Ire en procession vers Blackfriars, Auerbach souligne le contraste en la figure rayonnante et «goddess-like» d’Elisabeth et les figures plus
réalistes des courtisans à sa suite.
18. Strong 1995, p. 182; Strong 1999, p. 23. Strong rappelle que «an almost completely new list of
portrait identities appeared replacing those by Vertue but, alas, like his, nearly all are wrong. In respect of the ladies, Scharf [George Scharf, premier directeur de la National Portrait Gallery], did
cautiously conclude that ‘we must admit that the various faces introduced are not remarkable for
boldness or decision in character».
19. Leslie 1985, pp. 27–28.
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la plus dynamique possible, il semble nécessaire de formuler de nouvelles
questions partant cette fois-ci du contenu de ces représentations. Nous
pourrions alors nous demander quelle fonction expressive vise l’allégorie et
à quel procédé allégorique le portraitiste recourt pour rendre compte d’un
message ou d’une idée. En d’autres termes, il s’agira de comprendre comment l’allégorie signifie et comment ou sous quelle forme cette dernière se
manifeste dans les portraits des favoris de la reine.
C’est le parti que semble prendre Michael Leslie dans son article20.
Il suggère que l’on pourrait distinguer les représentations littéraires et
visuelles non pas selon leur appartenance ou non au champ de l’allégorie
mais en fonction du degré ou du type d’allégorisation qu’elles mobilisent.
Cette hypothèse impliquerait que toutes les représentations littéraires et
visuelles sont allégoriques à cette période. Toutefois, la visibilité de
l’allégorie varie selon le mode allégorique choisi par l’artiste. Bien qu’il
admette que la frontière entre elles soit souvent floue, Leslie propose finalement deux catégories: les portraits emblématiques, fonctionnant sur le
mode de l’emblème (image, inscription, commentaire), et les portraits
qu’il nomme impresa-like, s’inspirant de la technique de la devise (image
et motto)21. Afin d’être rigoureux, il faudrait ajouter une troisième catégorie qui pourrait être considérée comme un premier degré de l’allégorie
s’appuyant sur des symboles et des attributs qui relèvent du lieu commun
pour la période.
A l’aide de ces deux catégories, Leslie cherche à définir et à appréhender
des compositions atypiques et difficiles à interpréter car elles impliquent
parfois plusieurs niveaux d’allégories et une interaction complexe entre
attributs, textes, décors et figure portraiturée22. Si nous devions illustrer
plus précisément chacune des catégories, nous pourrions mettre dans
le niveau le plus simple les portraits ne comportant que des éléments
conventionnels tels que la date, le nom et les armes du modèle23 comme
le Portrait de Robert Devereux, 2e comte d’Essex (vers 1596–1599) peint
par Gheeraerts et se trouvant à Cambridge. Nous trouverions en revanche
dans la deuxième catégorie des œuvres comme le Portrait de Christopher
Hatton (vers 1588–1591) conservé à la National Portrait Gallery24 (Fig.
1). Ce type de portrait emblématique intègrerait, aux côtés du modèle,
des images tirées de l’héraldique ou simplement figuratives accompagnées
d’une inscription et d’un sonnet ou d’un commentaire à la manière des
recueils d’emblèmes de Cesare Ripa (Iconologia, 1593) ou d’auteurs anglais
comme Geoffrey Whitney (Choice of Emblemes, 1586). Le commentaire
ou texte quel qu’il soit permet de mettre en lien de manière explicite
figure, texte et image pour autant que l’on connaisse un minium la vie et
les aspirations du modèle portraituré25.
20. Ibidem, pp. 16–30.
21. Ibidem, pp. 22–25 (différence entre portraits emblématiques et «impresa-like»), 25–28 (portraits
impresa-like).
22. Ibidem, pp. 24–26.
23. Marcus Gheeraerts le Jeune, Robert Devereux, 2e comte d’Essex, vers 1596–1599, huile sur bois,
110 x 80.5 cm, Cambridge, The Master, Fellows and Scholars of Trinity College. Strong 1999,
p. 133.
24. Artiste inconnu, Sir Christopher Hatton, vers 1588–1591, huile sur bois, 78.7 x 63.5 cm,
Londres, National Portrait Gallery. Strong 1969, pp. 134–136.
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Fig. 2 Nicholas Hilliard, George Clifford, 3e comte de Cumberland, vers 1590 (?), vélin sur bois,
25.7 x 17.8 cm (Greenwich, National Maritime Museum).
Enfin, le troisième degré d’allégorisation s’inspirerait des fameuses
imprese ou devises qui consistent à associer une image et un motto aux côtés
du modèle sans qu’aucun lien explicite ne soit souligné. Ce procédé tend
à rendre plus difficile l’interprétation de la composition comme un tout.
Selon Leslie, la valeur de ce type de portrait résiderait avant tout dans la
confrontation du spectateur avec la polysémie des symboles contenus dans
la représentation26. Sur le plan social et intellectuel, cette confrontation
permettrait au spectateur de s’inscrire dans une élite. A la manière de la
Miniature de George Clifford 27 (vers 1590) (Fig. 2) ou du portrait de Sir
Walter Raleigh28 (1588) (Fig. 3): image, portrait et motto sont nécessaires à
l’interprétation de la composition et sont associés de manière à représenter
conjointement l’homme, son statut social et ses conceptions personnelles
de la cour, du monde et de l’existence – il s’agit du portrait d’un individu
au sens large et renaissant du terme29.
25. Leslie 1985, pp. 22–26.
26. Ibidem, pp. 27–28.
27. Nicholas Hilliard, George Clifford, 3e comte de Cumberland, vers 1590 (?), vélin sur bois, 25.7 x
17.8 cm, Greenwich, National Maritime Museum. Strong 1969, pp. 57–58.
28. Attribué au monogrammiste «H», Sir Walter Raleigh, 1588, huile sur bois, 91.4 x 74.6 cm,
Londres, National Portrait Gallery. Strong 1969, pp. 256–257.
29. Leslie 1985, pp. 25–28.
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Fig. 3 Attribué au monogrammiste «H», Sir Walter Raleigh, 1588, huile sur bois, 91.4 x 74.6
cm (Londres, National Portrait Gallery).
Bien que ces catégories paraissent pratiques et confortables pour
l’analyse, elles ne nous permettent pas d’appréhender des portraits très
atypiques qui sont aux limites, il nous semble, de l’impresa et d’une
conception encore plus complexe de l’allégorie en peinture. C’est à ces cas
particuliers et aux dysfonctionnements qu’ils créent au sein du classement
proposé par Leslie que nous allons nous intéresser maintenant. Le premier
exemple que nous souhaitons considérer est un portrait très étrange de Sir
Christopher Hatton (vers 1581)30 attribué à William Segar. Ce portrait met
en évidence le fait que les favoris, conformément à leur position privilégiée dans le milieu de la cour, aimaient à doter leurs portraits d’une part
d’énigme, une pratique supposée les distinguer comme membres d’un élite
non seulement sociale mais aussi intellectuelle. Dans la suite des idées de
Castiglione31 ou en avance sur l’adage de Nietzsche, «tout esprit profond
avance masqué»32, la dimension allégorique de ces portraits contribuait
certainement à valoriser leur «aura» de courtisan tout en divertissant le
spectateur averti33.
30. William Segar (attribué à), Sir Christopher Hatton, vers 1581, City of Northampton, Central
Museum. Strong 1969, pp. 136–137.
31. Voir Castiglione Baldassare, Il Cortegiano (Le Livre du Courtisan), 1528.
32. Voir Nietzsche Friedrich, Jenseits von Gut und Böse (Par-delà le bien et le mal), 1886.
33. Leslie 1985, pp. 28.
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Le Portrait de Christopher Hatton du Central Museum de Northampton
peut en effet être analysé dans cette perspective. La figure est inscrite dans
une série de cercles concentriques, le premier représentant les signes du
zodiaque et le second orné des personnifications des planètes. La partie
le plus surprenante reste toutefois les deux petits personnages placés de
part et d’autre du portrait. Celui sur la droite représente un portraitiste
peignant un portrait similaire à celui se trouvant au centre du cercle.
Le deuxième personnage sur la gauche serait un astrologue déclamant
l’horoscope de Hatton. Les phylactères partant de la bouche de
l’astrologue et du peintre feraient l’éloge de Hatton en tant que Chancelier
de l’Université d’Oxford, une fonction suggérée par le costume dans lequel
il est portraituré34. Ce qui est intriguant ici, c’est la manière dont l’image
semble émaner de ces deux personnages sans que l’on puisse déterminer
qui en est le véritable initiateur35. Toutefois, l’aspect ascendant des deux
phylactères, bien que les points d’impact ne soient pas différenciés, nous
induisent plutôt à penser que les deux figures participent ensemble à la
création du portrait: l’un du point de vue de la physionomie, l’autre d’un
point de vue plus psychologique représenté sous la forme des astres qui
déterminent le caractère du modèle au sens large du terme.
De par sa structure et son contenu, le portrait de Christopher Hatton
nous fournit peut-être une sorte de mode d’emploi du fonctionnement et
des constituants principaux d’un portrait allégorique voire d’un portrait
en général à cette époque: un visage ressemblant (ou likeness en anglais)
et une représentation, par le biais de symboles, d’un caractère (character),
c’est-à-dire, d’un individu et de toutes les caractéristiques qui le constituent (qualités, convictions, croyances). En d’autres termes, le portrait de
Sir Christopher Hatton pourrait être une allégorie du portrait de cour élisabéthain.
La composition atypique du portrait de Hatton nous amène à considérer un autre type de portraits allégoriques de favoris incitant à nuancer les
catégories proposées par Leslie: les portraits en costume de tournois – tilts
en anglais. Durant la période élisabéthaine, les tilts sont des événements
qui s’inspirent des tournois médiévaux tout en romançant et en accentuant la dimension allégorique de ces derniers36. C’est Sir Henry Lee, en
qualité de Master of the Ordnance qui fut chargé d’organiser ces joutes
entre les années 1570 et 159037. Le fameux Portrait d’Elisabeth dit Portrait
de Ditchley38 (Fig. 4) fut commandé par Sir Lee en 1592 très certainement
à l’occasion du tournoi pour célébrer son départ à la retraite ainsi que
l’avènement de son successeur au titre de champion de la reine, George
34. Strong 1969, pp. 136–137.
35. Si nous suivons le sens des signes du zodiaque, l’ensemble émanerait du peintre pour atteindre
l’astrologue.
36. Strong 1983, pp. 98–99; Strong 1999, p. 129. Strong souligne l’importante influence des tilts et
des festivités qui les accompagnent sur l’imagination des artistes élisabéthains, à l’occasion de ces
événements tous les arts étaient mis à contribution pour une démonstration d’apparat au service
de l’état. Pour une description des festivités et du déroulement de leur cérémonial les jours de
tournois ou de l’Accession Day, voir Strong 1995, pp. 123–125.
37. Strong 1995, p. 138; Strong 1999, pp. 129–130.
38. Marcus Gheeraerts le Jeune, Portrait d’Elisabeth Ire dit le Portrait de Ditchley, vers 1592, huile sur
toile, 241.3 x 152.4 cm, Londres, National Portrait Gallery.
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Fig. 4 Marcus Gheeraerts le Jeune, La reine Elisabeth Ire dit Portrait de Ditchley, vers 1592, huile
sur toile, 241.3 x 152.4 cm (Londres, National Portrait Gallery).
Clifford39, 3e comte de Cumberland; les festivités prirent place à Ditchley,
Oxfordshire, sur la propriété de Sir Henry Lee.
En comparant le Portrait de Ditchley avec le Portrait d’Henry Lee (1568)
(Fig. 5) par Anthonis Mor40 et de George Clifford (vers 1590) par Nicholas
Hilliard41 (Fig. 2), on remarque facilement un certain nombre d’éléments
iconographiques marquant la connivence entre la monarque et ses favoris42. Sur l’Armure de tournoi de Sir Lee43, par exemple, on voit figurer un
aigle volant vers le soleil. Ce motif pourrait faire allusion au sonnet du Portrait de Ditchley (Fig. 4), dans lequel la reine est désignée comme le soleil
illuminant le royaume44. On retrouve par ailleurs, accrochée à l’oreille de
39. Strong 1983, pp. 95, 99; Hearn 1995, pp. 126-127; Strong 1999, p. 133.
40. Anthonis Mor, Sir Henry Lee, 1568, huile sur toile, 64.1 x 53.3 cm, Londres, National Portrait
Gallery. Strong 1969, pp. 189–191; Hearn 1995, pp. 60–61.
41. Nicholas Hilliard, George Clifford, 3e comte de Cumberland, vers 1590 (?), vélin sur bois, 25.7 x
17.8 cm, Greenwich, National Maritime Museum. Auerbach 1961, pp. 112–115; Strong 1969,
pp. 57–58; Hearn 1995, pp. 126–127.
42. Frye 1993, p. 96. Frye met en évidence cette connivence entre la reine et Dudley en soulignant
le contraste entre la volonté de la monarchie de se construire une image forte et faisant autorité,
et le manque de contrôle manifeste de la reine sur ses favoris (cf. notamment la rébellion et
l’exécution d’Essex).
43. Strong 1999, p. 132: Dessin de l’armure de Sir Henry Lee tiré de The Almain Armourers’Album,
daté de la fin du XVIe siècle, plume, encre et aquarelle, 42.7 x 29 cm, Londres, Victoria &
Albert Museum.
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Fig. 5 Anthonis Mor, Sir Henry Lee, 1568, huile sur toile, 64.1 x 53.3 cm (Londres, National
Portrait Gallery).
la reine, la même sphère armillaire que sur les manches du pourpoint de
Sir Lee et de George Clifford accompagnée, pour ce dernier, du caducée
et de branches d’olivier45. On peut procéder de la même manière en comparant les miniatures de George Clifford, 3e comte de Cumberland (Fig. 2),
et Robert Devereux, 2e comte d’Essex (1587) (Fig. 6)46. Dans les deux portraits, on peut apercevoir un gant de la reine, gage de faveur, sur le chapeau
du comte de Cumberland ou noué par un ruban au bras du comte d’Essex.
Les deux favoris sont ainsi physiquement et matériellement mis en faveur
par la reine47. Ces éléments particuliers nous montrent que l’émulation et
44. Hearn 1995, pp. 60–61, 89–90; Strong, 1995, p. 122. Pour une transcription du sonnet voir
Strong 1969, pp. 104–107. Pour une description complète de l’armure de Sir Henry Lee et de
sa symbolique voir Strong 1999, p. 133.
45. Hearn 1995, pp. 60–61, 89–90, 86–87, 126–127; Strong 1999, p. 133.
46. Nicholas Hilliard, George Clifford, 3e comte de Cumberland, vers 1590 (?), vélin sur bois, 25.7 x
17.8 cm, Greenwich, National Maritime Museum, et Nicholas Hilliard (attribué à/artiste inconnu), Robert Devereux, 2e comte d’Essex, vers 1593-95, 25 x 20.3 cm, Londres, National Portrait
Gallery. Auerbach et Strong ont attribué la miniature du comte d’Essex à Hilliard alors qu’elle
se trouvait encore dans la collection de Lady Lucas (Burhunt Farm, Selborne), puis réattribué à
un artiste inconnu après son arrivée à la National Portrait Gallery en 1994. Auerbach 1961, pp.
125–126 (Devereux); Strong 1969, pp. 57–58 (Clifford), 115–117 (Devereux); Strong 1983,
pp. 95, 98–99; Hearn 1995, pp. 126–127 (Clifford). Pour les liens de entre Essex et Hilliard
voir Strong 1995, p. 184.
47. Auerbach 1961, p. 112; Strong 1983, p. 95: au sujet des marques de faveur et Cumberland;
Hearn 1995, pp. 126–127.
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Angela Benza
«Vaulting ambition»
Fig. 6 Nicholas Hilliard (attribué à), Robert Devereux, 2e comte d’Essex, vers 1587, 25 x 20.3 cm
(Collection privée).
les rivalités entre les favoris participant à un tournoi débutaient déjà dans
le choix de leur apparence48.
Ces éléments d’apparat visuels et matériels étaient toujours agrémentés
d’un appareil littéraire complexe. Avant leur entrée en lice, les chevaliers
défilaient sur leur cheval ou dans un char transformé en véhicule allégorique. Comme les armures de leurs maîtres, les serviteurs des favoris
étaient eux aussi déguisés en figures fictives décrites parfois comme des
«sauvages» ou des «irlandais»49. Leurs costumes venaient ainsi prolonger
le contexte allégorique entourant les faux chevaliers50. Par la suite et
avant d’entrer en lice, le chevalier-favori se présentait officiellement face
à la reine et ses dames de compagnie sous le pseudonyme d’un chevalier
comme, par exemple, le «Chevalier de Pendragon» pour Clifford51. Cette
48. –––
49. Strong 1995, p. 138; Strong 1999, p. 134.
50. Strong 1995, pp. 123–125; Strong 1999, p. 134.
51. Dans les pseudonymes-personnages de favoris on trouve également Erophilus pour Essex ou
encore Laelius pour Lee. Strong 1995, pp. 123, 133–136, 138–139; Strong 1999, pp. 130–133:
Dans le cas de Sir Henry Lee, Strong souligne le lien fondamental entre la construction d’une
carrière de cour et ces festivals ou tournois (tilts) comme ceux de l’Accession Day; voir également pp. 142–143 pour L’Armure de tournoi (Tilt armour) du comte de Cumberland conservée
aujourd’hui au Metropolitan Museum of Art à New York ainsi que pour le Dessin de l’armure du
comte de Cumberland tiré de The Almain Armourers’Album, daté de la fin du XVIe siècle, plume,
encre et aquarelle, 42.9 x 29 cm, Londres, Victoria & Albert Museum.
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présentation se faisait sous la forme de poèmes ou d’un discours du chevalier visant à décrire sa personnalité ainsi qu’à s’inscrire dans un contexte
narratif ou allégorique ayant toujours, de près ou de loin, un lien avec la
réalité historique52.
Cette pratique s’avère essentielle pour l’analyse des portraits des comtes
de Cumberland et d’Essex puisqu’il semble que l’apparition publique des
favoris lors de ces tournois était considérée comme des démonstrations
d’apparat mais, surtout, comme un spectacle allégorique53. A travers leurs
personnifications, les participants incarnaient des idées ou des valeurs
et mettaient en scène des faits historiques54. Bien qu’il soit antérieur
aux représentations que nous avons étudiées jusqu’à présent, le portrait
de Sir John Luttrell, peint par Hans Eworth autour de 155055, pourrait
s’apparenter aux deux miniatures réalisées par Hilliard, par la manière
dont l’artiste conçoit la place de l’allégorie dans le champ pictural. Dans le
portrait de Luttrell, les différents niveaux d’allégorie semblent se chevaucher et s’entremêler; on peine à distinguer ce qui relève de l’allégorie de
ce qui prétend être un motif littéral56. C’est une caractéristique que l’on
retrouve dans les représentations des deux favoris. Dans ces dernières, Clifford et Devereux ne sont plus à proprement parler eux-mêmes, leurs corps,
comme celui de Luttrell ne sont ainsi plus des expressions littérales des
modèles portraiturés, si ce n’est pour la ressemblance qu’ils maintiennent
avec ces derniers. De plus, les arrière-plans des deux miniatures sont plus
symboliques que réellement situables57. Ces décors, inspirés de lieux réels,
servent de points d’ancrage pour la création et le développement d’espaces
imaginaires et allégoriques autour d’un thème particulier, ici, la chevalerie
ou le retour à une forme de féodalité58. Ils matérialisent ou «mettent en
espace» un contexte littéraire qui situe et sert de référence aux personnages
joués par Devereux et Clifford59 dans le cadre des festivités.
Dans cette optique, l’allégorie dans le champ du portrait durant la
période élisabéthaine peut et doit également être conçu comme un espace
et comme un contexte de mise en scène, de perception et, nécessairement
d’interprétation. L’allégorie est non seulement un contenu mais également
un contenant. En cela, il semble que l’on se rapproche de la conception
de l’allégorie chez Spenser. Dans la Faerie Queene (1590), une œuvre
52. Concernant la dramatisation et la nature symbolique (role-playing) de la relation entre la reine
et ses favoris lors des tilts voir Strong 1983, p. 95 («The Queen was seen to receive the homage of
her knights in an event which was designed to be the quintessence of Elizabethan chivalry») et Strong
1995, pp. 123, 133–136, 138–139 («… pageant cars attended by … allegorical personages who in
prose, verse and song paid the Queen tribute»).
53. Strong 1983, pp. 98–99.
54. Strong 1995, p. 123.
55. Hans Eworth, Sir John Luttrell, vers 1550, huile sur bois, 109.3 x 83.8 cm, Londres, Courtauld
Institute of Art. Hearn 1995, pp. 63–76.
56. Leslie 1985, p. 25; Hearn 1995, p. 65.
57. Leslie 1985, p. 28. Pour une évolution des arrière-plans des miniatures d’Hilliard d’un fond bleu
à une fond paysagé voir Strong 1983, pp. 95–96 («… nature never figures in any of Hilliard’s
miniatures other than in an emblematic context»).
58. Auerbach 1961, p. 126: au sujet de l’arrière-plan de la miniature d’Essex; Strong 1983, p. 95;
Strong 1995, p. 122; Strong 1999, p. 12: «Refeudalization of late Tudor Society».
59. Auerbach 1961, p. 125. Auerbach présente la miniature d’Essex peinte par Hilliard comme une
miniature presque héraldique; Strong 1995, pp. 123–125, 131.
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presque «manifeste» en ce qui concerne la fonction, la forme et l’usage de
l’allégorie dans l’Angleterre élisabéthaine, l’allégorie est omniprésente et
elle structure l’ensemble du récit et des personnages60. Le lecteur de Spenser, comme le spectateur des portraits de Hilliard ou Eworth, n’a d’autre
choix que s’immerger dans l’allégorie pour que le récit devienne pleinement fonctionnel.
Cette conception de l’allégorie comme espace et contexte
d’interprétation dépasse les limites proposées par Leslie pour les classifications des portraits allégoriques élisabéthains. D’une part l’allégorie dépasse
physiquement les limites du corps du modèle en devenant un espace ou
en transformant le décor. D’autre part elle dépasse aussi sa propre forme
et ses caractéristiques habituelles pour devenir un contexte, c’est-à-dire un
espace d’interaction entre le spectateur et l’œuvre. Dans les portraits de
Hatton, Clifford et Devereux, une partie de la signification de l’œuvre
est ainsi reportée sur le spectateur qui doit modifier ses habitudes de perception et s’éloigner d’une interprétation littérale des symboles61. Le seul
élément littéral de ces portraits s’avère être le visage qui doit permettre au
modèle d’être identifié et de s’inscrire dans la postérité62.
Ce dernier constat m’amène à conclure cet article sur une notion
empruntée à Gustave Courbet: celle d’allégorie réelle. Bien que cette
notion nous projette brusquement en 1855, date de la réalisation par
Courbet de son Atelier du peintre ou l’Allégorie Réelle déterminant une phase
de sept années de ma vie artistique (et morale), elle s’avère a posteriori une
notion pertinente pour les portraits que nous venons d’analyser. L’allégorie réelle pourrait ainsi englober toutes les questions et les problèmes que
génère la «traduction» d’une figure réelle en peinture et, qui plus est, dans
un contexte allégorique ou sous l’apparence d’une personnification. En
effet, on peut se demander s’il est possible, en insérant l’allégorie dans le
champ du portrait, d’être confronté à autre chose qu’une allégorie réelle?
Le terme en lui-même semble paradoxal puisqu’il réunit la «réalité» (d’une
figure ou d’un modèle) et l’allégorie, une procédé supposé transformer
cette réalité ou la montrer autrement. Cette notion et les exemples que
nous venons d’étudier nous éclairent peut-être sur le paradoxe même d’un
portrait allégorique: vouloir représenter un être réel d’une autre manière
sans pouvoir pour autant se départir de l’élément «réel» ou «littéral» que
constitue la physionomie du modèle. Cela signifie-t-il que le portrait
allégorique, comme mode de présentation, se construirait sur une contradiction interne entre ces ambitions et leur mise en pratique?
60. Pour la manière dont l’œuvre de Spenser exprime, sous couvert de l’allégorie, les aspirations des
favoris et courtisans élisabéthains voir Frye 1993, p. 136. Sur la relation de Spenser aux célébrations allégoriques élisabéthaines telles que l’Accession Day voir Strong 1995, p. 121. Strong 1999,
p. 43: Strong compare la Faerie Queene de Spenser avec Elisabeth Ire en procession vers Blackfriars
(vers 1600–1601) et souligne que «Although Spenser’s characters are trapped in all the abstruse permutations of late Renaissance allegory, they are deployed within a narrative framework…», donnant
ainsi une forme de spatialité au récit de Spencer.
61. Leslie 1985, pp. 25–27.
62. Coombs 1998, p. 34. L’équilibre entre élément allégorique et littéral pourrait aussi être le résultat d’une interaction privilégiée entre le modèle et l’artiste surtout lorsque l’on sait qu’Hilliard
faisait partie des «cercles» des comtes de Leicester et, probablement, d’Essex (cf. Strong 1995, p.
182).
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A l’image du portrait de Hatton qui tente de représenter le modèle sur
un plan aussi bien physique que moral, la notion d’allégorie réelle semble
annuler ce conflit générique entre allégorie et portrait. Elle permet de
concevoir les deux modes ou genres comme complémentaires et nécessaires à la représentation des aspects aussi bien visibles qu’invisibles d’un
63
être humain . Les portraits de favoris se trouvent au carrefour de ces
considérations puisque leurs portraits doivent non seulement promouvoir
une esthétique de cour tout en générant et alimentant une forme de culte
personnalisé. L’iconographie du favori, comme le genre du portrait allégorique, repose ainsi sur un équilibre entre l’image de la monarchie dont
elle dépend et la nécessité pour le favori d’établir au sein de la cour une
identité visuelle forte, de marquer son statut et sa présence en existant par
l’image.
Bibliographie
Auerbach Erna, Nicholas Hilliard, Londres, Routledge & Kegan Paul,
1961.
Coombs Katherine, The Portrait Miniature in England, Londres, V&A
Publications, 1998.
Frye Susan, Elizabeth I: The Competition for Representation, Oxford,
Oxford University Press, 1993.
Hearn Karen (éd.), Dynasties: painting in Tudor and Jacobean England,
1530–1630 [Tate Gallery, London, 12 October 1995 – 7 January 1996],
Londres, Tate Gallery, 1995.
Le Roux Nicolas, La Faveur du roi: Mignons et courtisans au temps des
derniers valois (vers 1547 – vers 1589), Seyssel, Champ Vallon, 2000.
Leslie Michael, «The Dialogue between bodies and souls: Pictures and
Poesy in the English Renaissance», in Word & Image, I, 1985, pp. 16–30.
Strong Roy, Tudor & Jacobean Portraits, I, Londres, Her Majesty’s Stationery Office, 1969.
Strong Roy, The English Icon: Elizabethan & Jacobean portraiture,
Londres, Routledge and Kegan Paul, 1969b.
Strong Roy, The English Renaissance Miniature, Londres, Thames &
Hudson, 1983.
Strong Roy, The Tudor and Stuart Monarchy: Pageantry, Painting, Iconography – II Elizabethan, Woodbridge, The Boydell Press, 1995.
63. Strong 1969b, p. 38. Roy Strong l’a résumé dans sa définition du portrait à l’époque élisabéthaine et jacobéenne en expliquant que «Potraiture was symbol and allegory, but portraiture was
also likeness».
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Strong Roy, The Cult of Elizabeth: Elizabethan Portraiture and Pageantry, Londres, Pimlico, 1999 (1977).
Williams Neville, All the Queen’s Men, Londres, Cardinal, 1974 (1972).
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