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Pour une éthique du secteur médico-social
Par Bernard Dov Botturi
De la démarche qualité à l’émergence de la notion d’éthique
La démarche qualité introduite par loi du 2 janvier 2002 a interrogé les structures médicosociales quant l’efficience de leurs prestations.
Cette démarche consiste notamment à s’interroger sur 4 axes
1. Préparer par l’analyse de l’existant : quelles populations accueillies, accompagnées,
quels services rendus en terme de soutien (éducatifs, pédagogiques, rééducations
orthophysiques, médicaux), selon quelles modalités, avec quels résultats ?
2. Agir en construisant des outils de repérage des dysfonctionnements en regard
d’objectifs à atteindre.
3. Prévenir en proposant des axes d’amélioration qui puissent évalués
4. Évaluer en mesurant les effets des axes d’amélioration du service rendu.
La contrainte légale a induit à aller vers la « démarche d’amélioration continue des
prestations et des services ». Il faut donc rendre lisible, non seulement l’organisation des
moyens, mais aussi la transformation des ressources nécessaires à l’élaboration du service
rendu auprès des usagers sans se perdre dans les méandres des effets des relations
interpersonnelles.
Apprécier la qualité d’un service relevant d’une mission de service public comme l’est
l’action médico-sociale, c’est non seulement apprécier son coût, sa conformité aux attentes
légitimes des prestataires, et aux besoins des bénéficiaires, c’est aussi mesurer ses effets en
termes de cohésion sociale, d’inclusion sociale comme nous y invitent les derniers textes de
l’ONU, l’OMS, l’UNESCO, la CEDH, l’UE concernant les personnes handicapées.
Ceci implique : une prise en considération des destinataires du service

Des objectifs explicites et vérifiables.

Une action tournée vers les résultats (à l’épreuve des faits).

La formulation des valeurs du service.
En Résumé : tout opérateur d’une mission de services publics doit prévoir
1) L’indentification des prestations de l’établissement ou du service et de leurs
destinataires.
1
2) Les choix des critères de qualité de ces prestations.
3) Celui des indicateurs et moyens de mesure correspondants.
4) Sur les bases ainsi définies, la fixation d’objectifs saisie périodiquement d’une
évaluation à l’autre des résultats et de leur publication.
5) À tout le moins, une réflexion d’esprit comparable sur les relations du service avec les
autres parties prenantes.
La finalité poursuivie est l’amélioration de la qualité du service rendu au bénéficiaire et la
motivation des prestataires. Les bénéficiaires de l’action médico-sociale ne sont pas des
clients pris au sens d’acheteurs, mais ils sont utilisateurs, ayant droit, cocontractants,
bénéficiaires, acteurs, évaluateurs, contributeurs, citoyens comme nous le dit la loi du 11
février 2005.
Cette orientation vers le bénéficiaire de l’action médico-sociale définie par la réglementation
en vigueur va bien au-delà d’un simple rapport de co-contractants fait de droits et de
devoirs, il ajoute une dimension interactive de co-construction. La co-construction des
contrats de séjour / d’accompagnement, des projets personnalisés est probablement ce qui
fait l’une des nouvelles spécificités de la rénovation du secteur médico-social généré par loi
du 2 janvier 2002.
C’est donc avec le concours des bénéficiaires et de leur milieu naturel aidant, en les
encourageant à des comportements coopératifs et responsables, en apprenant de ce qu’ils
ont à restituer du « retour d’expérience » (erreurs comprise), que vont pouvoir se redéfinir
les objectifs et les tendances :



Quels services voulons-nous ?
Quels sont les enchainements d’actions indispensables pour cela ?
Quelles améliorations possibles dans les boucles de rétroaction entre l’e bénéficiaire
et le service ?
Autant de question qui incitent à s’inspirer de l’approche processus.
Force est de constater la forte pression en direction de la qualité, qu’elle vienne du plus haut
sommet de l’administration ou de l’injonction légale et réglementaire.
Néanmoins il faut prendre en compte le fait, que dans l’approche pragmatique d’une
situation concrète, trop souvent les établissements et services médico-sociaux, malgré une
implication de terrain plus ou moins fructueuse, ces organisations se caractérisent trop
souvent par leur mutisme sur le droit des personnes bénéficiaires :

Par l’opacité quant aux contenus, objectifs et méthodes de prise en charge.

Par l’absence d’évaluation des actions menées.

Par une autolégitimation des pratiques professionnelles détachées de toute
recherche scientifique (sociologique, neurologique, psychiatrique…).
2

Par une marginalisation plus ou moins grande des familles.

Par un fonctionnement institutionnel ou les responsabilités sont pas ou peu définies,
repérées, hiérarchisées, non analysées dans leurs interactions et le sens qu’elles
peuvent prendre tant pour les usagers que pour les partenaires.

Par un réseau basé sur des affinités personnelles qui travaille sur les effets de filière
et de monopole au détriment d’un enrichissement réciproque des pratiques
professionnelles.
Et surtout par une aversion à toute procédure qui viserait à leur demander des comptes
puisqu’ils s’estiment être les seuls juges de leur propre activité.
L’approche de co-construction avec les personnes en situation de handicap mental et leur
milieu naturel, signifie également que ces personnes ne sont plus abordées à partir de leurs
seules déficiences (restrictions de participation et limitation d’activité) mais aussi et surtout
à partir de leurs potentialités. Ainsi l’une des pièces centrales de la relation entre les
professionnels et les bénéficiaires est le projet personnalisé d’offrir les moyens utiles pour
mobiliser les potentialités existantes (ou latentes) et bénéficier de leurs effets par
l’accompagnement éducatif, pédagogique, orthophysique, thérapeutique, accompagnement
défini par l’article L. 311-3 du CASF (art 7 de la loi de janvier 2002), à savoir ;
« Un accompagnement individualisé de qualité favorisant son développement, son
autonomie et son insertion, adaptés à son âge et à ses besoins, respectant son
consentement éclairé qui doit systématiquement être recherché lorsque la personne
est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. A défaut, le consentement
de son représentant légal doit être recherché ».
L’accompagnement1, en même temps qu’il opérationnalise les possibles, permet dans un
second temps d’aider la personne handicapée à accepter ses limites.
Le concept d’accompagnement est issu du monde sanitaire et plus particulièrement des
soins infirmiers, où la différence est faite entre la « prise en charge » qui désigne ce que l’on
fait pour la personne, et « l’accompagnement » qui désigne le « comment faisons-nous »
avec et pour la personne. La prise en charge désigne l’acte thérapeutique,
l’accompagnement se situe dans une dimension relationnelle qui a notamment pour but
d’aider la personne hospitalisée à faire face à sa situation.
L’accompagnement a pour but d’aider la personne handicapée à construire, élaborer
s’approprier sa place dans le milieu le plus ouvert possible, dans une société dite inclusive.
L’accompagnement a, entre autres, pour but, d’aider la personne handicapée à devenir
maitre de ses choix dans la réalité de ses possibilités de développement de ses compétences,
1
L’accompagnement est le moyen de la compensation (loi 2005-105.art 64 décret 2005-1587 du 19/12/2005).
3
de mise en œuvre de processus d’autonomisation et d’insertion et de celles qui s’offrent à
lui. Mais aider la personne handicapée à trouver sa place, cela ne signifie-t-il pas que les
professionnels tissent des liens de confiance avec lui, que chacun de ses membres ont appris
à se rendre disponibles, à se mobiliser et à mettre en œuvre les soutiens et étayages
pertinents découlant du projet personnalisé ?.
L’action des professionnels du secteur médico-social n’est-elle pas alors un acte militant au
sens étymologique du terme : « remplir un service pour une cause, accomplir un service » en
construisant chaque jour un peu plus de réalité et de mieux être pour la personne
handicapée ? Acte militant entrainant un engagement, n’est-ce point par l’engagement
qu’une équipe pluridisciplinaire peut définir le champ et la portée de sa responsabilité tant
sur le plan individuel que collectif ?
Agir pour la qualité dans le secteur médico-social n’est-ce point :

Considérer la personne dans son unicité, sujet de sa vie et de son avenir, acteur dans
l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation de son projet personnalisé, dans le
respect de l’évolution de ses capacités, son développement, de ses demandes, de ses
besoins et des attentes de sa famille.

Lui proposer un accueil, des soins et un accompagnement éducatif, pédagogique,
thérapeutique adaptés à sa situation, ses compétences et ses aspirations.

Contribuer à son évolution harmonieuse et sa meilleure insertion sociale, scolaire et
professionnelle dans son environnement, dans le respect de son intégrité physique et
psychologique, de sa dignité, de son intimité et de ses droits.
L’évaluation des besoins et attentes des personnes accompagnées, l’adéquation des
réponses en fonction des besoins et attentes, la réalisation des missions au nom de l’intérêt
général ne sous tendent elles pas la mise en œuvre des missions par les professionnels ?
Ces redéfinitions appellent le secteur à visiter l’axe de la valorisation des personnes
handicapées à savoir :
1) Développement et reconnaissance des capacités et des habiletés mises en œuvre
2) Mise en place d’un accompagnement qui permet à la personne en situation de
handicap de se réaliser, au mieux de son potentiel, dans ses échanges et ses activités
sociales, scolaires et professionnelles.
3) L’amélioration de l’image sociale, scolaire et professionnelle qui propose, par la
médiation auprès du milieu ordinaire, des rôles sociaux, scolaires, professionnels
valorisants traditionnels ou nouveaux.
4) La mise en place de tout ce qui contribue à améliorer la connaissance de ces
personnes en répondant à leurs besoins spécifiques.
5) La mise en place d’une stratégie individuelle d’appropriation de l’utilisation des
services, des lieux et des équipements collectifs mis à la disposition de tous
4
6) La possibilité d’avoir des relations variées avec d’autres personnes, des relations
affectives privilégiées et le respect de l’intimité.
Tous ces thèmes sont développés dans le référentiel d’évaluation du CEDIS2.
Cet axe renvoie à la notion de compensation, compensation définie par loi 2005.102.du
11/02/2005 article 11.
« Cette compensation consiste à répondre à ses besoins, qu'il s'agisse de l'accueil de la petite
enfance, de la scolarité, de l'enseignement, de l'éducation, de l'insertion professionnelle, des
aménagements du domicile ou du cadre de travail nécessaires au plein exercice de sa
citoyenneté et de sa capacité d'autonomie, du développement ou de l'aménagement de
l'offre de service, permettant notamment à l'entourage de la personne handicapée de
bénéficier de temps de répit, du développement de groupes d'entraide mutuelle ou de places
en établissements spécialisés, des aides de toute nature à la personne ou aux institutions
pour vivre en milieu ordinaire ou adapté, ou encore en matière d'accès aux procédures et aux
institutions spécifiques au handicap ou aux moyens et prestations accompagnant la mise en
œuvre de la protection juridique régie par le titre XI du livre Ier du code civil. Ces réponses
adaptées prennent en compte l'accueil et l'accompagnement nécessaires aux personnes
handicapées qui ne peuvent exprimer seules leurs besoins.
« Les besoins de compensation sont inscrits dans un plan élaboré en considération des
besoins et des aspirations de la personne handicapée tels qu'ils sont exprimés dans son projet
de vie, formulé par la personne elle-même ou, à défaut, avec ou pour elle par son
représentant légal lorsqu'elle ne peut exprimer son avis. »
Compensation qui ne peut se réaliser, entre autres, que par une amélioration du
fonctionnement adaptatif, tel qu’il est défini par la CIF de l’OMS3, visant les domaines
suivants :









La communication.
Les soins personnels.
Les compétences domestiques.
les habiletés sociales, relations et interactions avec autrui.
L’utilisation des services publics.
L’autonomie.
La santé et la sécurité.
Les loisirs.
Le travail.
2
Référentiel VALORIS édité par le Comité Européen pour le Développement de l’Intégration (CEDIS), 2004.
Classification Internationale du Fonctionnement Handicap et de la santé (CIF), élaborée par l’OMS
(organisation mondiale de la santé) rubrique « activités et participation ».
3
5
Co-construction accompagnement, qualité, valorisation, etc. Ces maitres mots posent de
façon radicale la nécessité de penser « comment construire une représentation commune
fondée sur la valeur comme source de la légitimité ». dans cette perspective, l’A.N.E.S.M. a
réalisé et diffusé un travail intense d’élaboration collective de recommandations de bonnes
pratiques4 qui ont pour but d’orienter les postures professionnelles dans le sens d’une
bonne réalisation de la mission tenant en compte l’intérêt collectif mais aussi l’intérêt
individuel, tant des professionnels que des personnes accueillies et accompagnées.
Dans ces recommandations, émerge un système de valeurs et d’identification des relations
sociales clairement repéré et défini.
Mais qu’est que la valeur ? Pour Hanna Arendt5, la valeur, « c’est l’ensemble des toises
auxquelles est mesurée l’estime que se portent les membres d’un groupe en fonction de ce
qu’ils sont et de ce qu’ils font » ; la valeur donne du sens à ce qui est dit ou fait ; la valeur
recouvre le juste, le beau, l’équitable, le bien, la liberté, la force, la ruse, le respect de la
personne humaine.
Question qui pose celle de l’éthique, de l’éthique partagée.
Pour situer la problématique, l’A.N.E.S.M., dans un de ses écrits « Des professionnels en
demande de repères », fait noter :
« L’action sociale se trouve interrogée par les contradictions sociales sur ses finalités mêmes,
sur le sens du vivre ensemble, comme l’est la société toute entière ».
« La confrontation des différentes logiques de l’action sociale et médico-sociale
(thérapeutique, éducative et sociale, judiciaire, administrative, gestionnaire …) peut se
traduire par des tensions qui affectent l’action des professionnels au quotidien :
 Intérêt privé et collectif,
 Mission d’aide et normalisation/contrôle,
 Demande de l’usager et commande institutionnelle,
 Autonomie et règlementation,
 Secret et information partagée,
 Logique de mission et logique de gestion,
 Protection et autonomie. »
Dans un tel contexte, l’expérience passe par l’action, bien sûr mais aussi par l’incertitude, la
culpabilité, l’angoisse, l’indignation ou la souffrance et appellent à un travail éthique
individuel et collectif.
La demande de repères de la part des professionnels est alors intimement liée à la nécessité
de rétablir un bon agencement des responsabilités engagées dans le travail
d’accompagnement.
4
La recommandation de bonnes pratiques définit le contexte réglementaire et les enjeux de la
recommandation, son champ, ses objectifs, son énoncé et son mode d’emploi.
5
ARENDT H., La condition de l’homme moderne, Edition Calman Lévy, Paris, 1983
6
Le repère éthique fondamental : « réaffirmer la position d’acteur de la personne
accompagnée »
Pour l’A.N.E.S.M., la question éthique a pour finalité d’interroger le sens de l’action et pour
cela ne doit pas servir à masquer les dysfonctionnements institutionnels derrière des effets
d’affichage et de communication. L’éthique est « une ressource de pensée indispensable pour
maintenir vivant le désir d’agir pour et avec l’autre ».
Il s’agit d’envisager les conditions pratiques d’un questionnement éthique dans les
structures médico-sociales accueillant des personnes vulnérables en situation
d’accompagnement.
Ainsi, le questionnement éthique se construit en fonction de l’évolution des problématiques
que les professionnels doivent résoudre.
« La loi s’impose, la règle contraint, l’éthique oblige » (E. KANT)
Il est donc nécessaire de garantir un mouvement d’échange permanent entre l’espace dédié
aux questions éthiques et les acteurs de terrain (importance de la capacité à dialoguer de
façon permanente).
La recommandation de l’A.N.E.S.M. définit ainsi l’éthique : « l’éthique est une réflexion qui
vise à déterminer le bien agir en tenant compte des contraintes relatives à des situations
déterminées ».
L’éthique n’est pas un objet fini mais un questionnement sous l’angle des valeurs et cherche
à dépasser une logique d’action purement technique. C’est justement quand dans l’absence
de consigne ou de réponse toute faite que le questionnement éthique apparaît. Par
conséquent, elle interroge des règles de la morale dans leur application. De même, elle est
une réflexion sur l’application du droit dans ses contradictions, ses vides juridiques, mais
aussi vis-à-vis des notions de justice et d’équité.
Les situations problématiques au plan éthique se situent dans des zones d’incertitude
juridique ou règlementaire, ou bien lorsque des logiques de valeurs contradictoires sont à
l’œuvre. La réflexion éthique permet de mettre en relation la situation avec des valeurs ou
des principes d’intervention. En aidant les professionnels à clarifier les éléments de
complexité d’une situation, elle vise à faciliter une prise de décision « juste », dans un
moment et une situation donnés. Réflexion collective d’équipe, elle est un vecteur de
cohérence et de cohésion de ces dernières au sein de structures considérées comme lieux
porteurs de valeurs communes et fédérateurs de moyens.

Comme nous le voyons, l’éthique se différencie du droit, de la morale, de la
déontologie et des recommandations de bonnes pratiques qui sont autant
d’éléments qui structurent le secteur dans le domaine de la prise de décision.
7

L’application de règles, de procédures, de protocoles ne suffisent à rendre compte
du nécessaire devoir d’humanité qui meut les personnes dans leur rapport aux
autres, et ce, quelle que soit la situation qu’ils habitent. Comme le dit Hans Jonas6 :
« Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence
d’une vie authentiquement humaine, … Agis de façon que les effets de ton action ne
soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie ». ce message se
retrouve en partie dans la « responsabilité sociale de l’entreprise » et dans le
« développement durable ».
C’est en quelque sorte le principe même de la vie humaine qui se rappelle dans la question
éthique dès que les personnes se confrontent à la règle, la norme, la prescription,
nécessaires à toute décision dans un mode de vie collectif.
Avant d’aller plus loin, il semble nécessaire de marquer un point d’arrêt. Peut on penser la
qualité, l’éthique si la spécificité du secteur concerné n’est pas définie ?
Peut-on aborder le management du secteur médico-social en faisant l’impasse sur le fait que
le travail social est un travail qui a pour « objet » la préservation, la promotion, de
développement de l’humain, qui se réalise par des interactions entre humains.
Certes il y a bien d’autres métiers de la communication, de la relation mais la plupart ont
pour finalité des acquisitions d’objets, de savoirs, d’événements, de recouvrement de la
santé, etc.
Aucun n’a pour objet, directement, de favoriser le développement de la personne, de son
autonomie et de son insertion sociale.
Les limites de la seule démarche qualité
La qualité peut-elle aller au-delà de ce qui est actions sur les choses, comme dans l’industrie,
ou au-delà de ce qui est action sur les informations (études, collecte, classement, mise en
forme, transcription, ventilation...) ?
Bien sûr la démarche qualité permet à un établissement de clarifier :

ses diverses procédures (accueil, élaboration du contrat de séjour /
d’accompagnement, composition du projet personnalisé, préparation des réunions
de synthèse, orientation, prévention et signalement de maltraitance, intégration des
stagiaires, l’accès au dossier).
 ses documents de suivi (entretiens téléphoniques, rapports d’incidents, métrologie
sociale, etc.)
 ses postes
Les diverses procédures, instructions, protocoles, modes opératoires mis en place facilitent
le travail du personnel, lui offrent la possibilité de pouvoir se centrer sur le travail
d’accompagnement des travailleurs handicapés. MAIS qu’est-ce qui garantit l’effectivité de
6
Hans JONAS, Le Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, Ed. Cerf 1990 p. 30-32
8
la qualité du service rendu auprès des usagers ? Comme le rappelle Jean Luc Joing « l’un des
défis culturels des services humains est la quasi certitude que l’on peut mentir impunément
et ne pas faire ce que l’on a promis »7, car comme il le souligne immédiatement après « une
bonne organisation uniquement basée sur des processus clarifiés ne garantit pas le respect
dû à la personne, à l’environnement et donc à l’Humanité »8.
Quels sont les indicateurs d’un accompagnement de qualité ?
L’amélioration du bien être de la personne handicapée ? L’acquisition de nouvelles
compétences ? Son insertion durable dans un milieu scolaire ordinaire ? Ces divers
indicateurs peuvent faire illusion, car comment démêler ce qui vient de l’environnement
(lieu de travail, milieu naturel aidant,…), des capacités de la personne handicapée qui se sont
révélées lors de son immersion dans le monde ordinaire, de l’action des professionnels ?
Les divers protocoles n’ont-ils pas pour seuls objets que ce qui est repérable, tangible ? Les
temps, les écrits, les coûts… Mais à s’en tenir qu’à ce qui est repérable ne risquons-nous pas
d’oublier la motivation, l’implication, l’engagement ? or qu’est-ce l’action sociale ou médicosociale si ce n’est le fait d’hommes et de femmes motivés qui s’engagent, s’impliquent
auprès de ce qu’il faut bien appeler des « clients ».
Oui, arrêtons la langue de bois, le « socialement correct » afin de reprendre le sens des
termes et le sens de « client » est à reprendre dans son sens premier issu du droit romain
désignant la personne protégée, représentée, défendue et accompagnée par les institutions
et services relevant du social et du médico-social…
Par delà l’usager, le client
Rappelons que le mot « usager » vient de l’ancien français us qui désigne un habitué de, à,
quelqu’un qui est accoutumé à, …Si le terme convient bien aux usagers de la Poste ou des
divers transport en commun, nous pouvons nous demander s’il est bien choisi pour désigner
les personnes prises en charge et accompagnées par les institutions et services relevant du
médico-social. Étymologiquement le mot de client vient du latin cliens-clientis, qui désigne
trois types de relations :
1. Sociale : sous la république romaine, le fait pour un citoyen, membre de la plèbe ou
nouvel affranchi, un étranger de se mettre sous la protection d’un patronus (un noble
ou un patricien9). Ici la notion de patronus n’a rien à voir avec le père au sens familial,
personnel, c’est le chef d’un clan dont tous les membres s’appellent frères entre eux,
en effet chaque nouveau client prend le nom de famille de son patron. Le lien
s’institue par un serment public le fides par lequel les deux parties énoncent leurs
droits et devoirs ; la Loi des XII Tables déclare comme sacer (maudit) tout patron qui
ne tiendrait pas ses engagements vis-à-vis de son client. Le patron avait notamment
des devoirs de protection de subsistance et de protection physique et morale (ainsi,
7
Jean Luc JOING « Éthique et qualité dans les services humains », p. 17, éditions l’Harmattan, 2002.
Ibid.
9
Les patriciens sont les descendants des Cents nommés par Romulus pour former le Sénat.
8
9
chaque matin, le patron faisait ou faisait faire la distribution des sportules (corbeille
contenant la nourriture et autres présents : vêtements neufs chaque année, prise en
charge des frais de noces, place gratuite dans les jeux, donation testamentaire). Le
patricien prend soin de son client ou « protégé », il a l’obligation de le défendre, de
l’assister en justice ou de lui fournir un avocat qu’il paie de ses deniers propres.
2. Politique : le lien de clientèle est celui qui unissait les citoyens à leurs représentants
sous la république romaine (sénateur ou tribun). Le représentant faisait un serment
par lequel il énonçait sa mission, son programme de défense des intérêts et vœux de
ses clients / mandants. En échange ses clients font campagne pour lui.
3. Professionnelle : la relation de clientèle est celle qui unit l’avocat à celui qu’il
représente, accompagne, défend devant les tribunaux.
Ce n’est qu’au XIX° siècle que l’économie s’est emparée du mot de « client » qu’il faudrait
plutôt remplacer par « consommateur » ou « acheteur ». Cela dit ce passage par
l’étymologie nous indique que le client est :
Celui que l’institution, le service protège, représente, accompagne, prend soin, défend et
surtout celui auquel il est lié par un contrat personnel « intuitu personae » (en
considération des personnes) dans lequel sont énoncés des droits et des devoirs
spécifiques.
Bien évidemment ce type de lien a donné des dérives bien connues telles : le clientélisme, le
paternalisme, le féodalisme.
Cela dit Carl ROGERS, dans son livre « La relation d’aide et la psychothérapie 10 », reprend la
notion de client, ou plutôt la relation au client en la définissant de la manière suivante :
La relation d’aide psychologique est une relation permissive, structurée de manière
précise, qui permet au client d’acquérir une compréhension de lui même à un degré
qui le rende capable de progresser à la lumière de sa nouvelle orientation 11.
Relation qu’il oppose aux relations classiques aux personnes réputées « inadaptées,
handicapées » qui privilégient les compétences des conseillers (psychologues, éducateurs)
dans le choix des buts de l’individu et dans les valeurs par rapport auxquelles la situation
doit être jugée12.
Par ailleurs, il y a centration non sur les symptômes, les problèmes, les déficiences mais sur
la personne. Le but de la prise en charge n’est pas de résoudre un problème, soigner un
symptôme mais de prendre en charge la personne, de l’accompagner afin de l’aider à
atteindre la maturité qui lui permettra de faire face au problème actuel.13
10
11
12
13
Aux éditions ESF, Paris, 1977.
In « La relation d’aide » tome I, page 33.
In Ibid. page 41.
Ibid. page 42.
10
Carl ROGERS insiste beaucoup sur la nécessité d’évaluer la capacité du client à faire face à sa
situation avant de le croire capable de recevoir telle ou telle prise en charge14.
Plus loin Carl ROGERS définit les caractéristiques de la relation de l’aidant15 :




L’implication et l’engagement.
L’acceptation
La compréhension
Exemption de toutes formes de pression et de coercition (sociale ou familiale).
C’est parce qu’il rejette toute formes de liens de dépendance que Carl R OGERS rejettera les
termes de patient, d’usagers et préférera celui de client qui institue la personne aidée
comme sujet à qui l’aidant doit un service de soins, d’aide, de protection des pressions
externes.
Terme de client qui nous renvoie également aux termes de « prestation » et de « service »,
le premier nous renvoie à un acte découlant d'un engagement contractuel et / ou éthique, le
second à l’activité au service de quelqu’un, le soin, l’attention, donner des soins à quelqu’un.
Tous ces mots client, service, prestation, sont en adéquation avec non seulement la
définition de la mission de l’action sociale et médico-sociale (Cf. les articles L.116.sq. du
CASF), mais aussi avec la démarche contractuelle définie par les articles L.311sq du CASF.
« Art. L. 116-1. - L’action sociale et médico-sociale tend à promouvoir, dans un cadre
interministériel, l’autonomie et la protection des personnes, la cohésion sociale, l’exercice de
la citoyenneté, à prévenir les exclusions et à en corriger les effets. Elle repose sur une
évaluation continue des besoins et des attentes des membres de tous les groupes sociaux, en
particulier des personnes handicapées et des personnes âgées, des personnes et des familles
vulnérables, en situation de précarité ou de pauvreté, et sur la mise à leur disposition de
prestations en espèces ou en nature. Elle est mise en œuvre par l’État, les collectivités
territoriales et leurs établissements publics, les organismes de sécurité sociale, les
associations ainsi que par les institutions sociales et médico-sociales au sens de l’article L.
311-1. »
« Art. L. 311-3. - L’exercice des droits et libertés individuels est garanti à toute personne prise
en charge par des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Dans le respect des
dispositions législatives et réglementaires en vigueur, lui sont assurés :
« 1° Le respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité et de sa
sécurité ;
14
15
Ibid, pages 70/80.
Ibid. pages 94/97.
11
« 2° Sous réserve des pouvoirs reconnus à l’autorité judiciaire et des nécessités liées à la
protection des mineurs en danger, le libre choix entre les prestations adaptées qui lui sont
offertes soit dans le cadre d’un service à son domicile, soit dans le cadre d’une admission au
sein d’un établissement spécialisé ;
« 3° Une prise en charge et un accompagnement individualisé de qualité favorisant son
développement, son autonomie et son insertion, adaptés à son âge et à ses besoins,
respectant son consentement éclairé qui doit systématiquement être recherché lorsque la
personne est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. A défaut, le
consentement de son représentant légal doit être recherché ;
« 4° La confidentialité des informations la concernant ;
« 5° L’accès à toute information ou document relatif à sa prise en charge, sauf dispositions
législatives contraires ;
« 6° Une information sur ses droits fondamentaux et les protections particulières légales et
contractuelles dont elle bénéficie, ainsi que sur les voies de recours à sa disposition ;
« 7° La participation directe ou avec l’aide de son représentant légal à la conception et à la
mise en œuvre du projet d’accueil et d’accompagnement qui la concerne.
« Les modalités de mise en œuvre du droit à communication prévu au 5° sont fixées par voie
réglementaire. »
« Art. L. 311-4. - Afin de garantir l’exercice effectif des droits mentionnés à l’article L. 311-3 et
notamment de prévenir tout risque de maltraitance, lors de son accueil dans un
établissement ou dans un service social ou médico-social, il est remis à la personne ou à son
représentant légal un livret d’accueil auquel sont annexés :
« a) Une charte des droits et libertés de la personne accueillie, arrêtée par les ministres
compétents après consultation de la section sociale du Comité national de l’organisation
sanitaire et sociale mentionné à l’article L. 6121-9 du code de la santé publique ;
« b) Le règlement de fonctionnement défini à l’article L. 311-7.
« Un contrat de séjour est conclu ou un document individuel de prise en charge est élaboré
avec la participation de la personne accueillie ou de son représentant légal. Ce contrat ou
document définit les objectifs et la nature de la prise en charge ou de l’accompagnement
dans le respect des principes déontologiques et éthiques, des recommandations de bonnes
pratiques professionnelles et du projet d’établissement. Il détaille la liste et la nature des
prestations offertes ainsi que leur coût prévisionnel. Le contenu minimal du contrat de séjour
ou du document individuel de prise en charge est fixé par voie réglementaire selon les
catégories d’établissements et de personnes accueillies.»
Petit arrêt historique
Il a fallu les lois de janvier 2002, février 2005 pour qu’enfin la mission de l’action sociale et
médico-sociale soit enfin définie, pour qu’enfin le handicap soit lui aussi défini… Jusqu’à
12
présent ces secteurs étaient plus ou moins perçus comme des appendices de la psychiatrie,
de la psychologie clinique, de l’éducation spécialisée, de la bienfaisance, de la prévention
dénués d’identité propre ! Il a fallu attendre 2007 pour que l’ensemble des métiers du
secteur soit relèvent de diplômes d’état, que les différents métiers soient cadrés par des
référentiels professionnels et de formation (selon les méthodes européennes ECVET 16 ou
ECTS17). L’identité du secteur, comme celle des métiers sont récents, à peine cinq ans !
Cette jeunesse du secteur quant à une conception claire de ses fondements actualisés s’est
élaborée dans un paysage si ce n’est incertain, tout du moins en grande mutation : pression
des familles quant à l’amélioration de la prise en charge de leurs parents handicapés,
révolution des neurosciences et de la génétique venant bousculer les représentations des
troubles dont sont porteurs les clients, tolérance zéro envers tout acte de maltraitance fut-il
par négligence ou ignorance, crise économique conditionnant les dotations budgétaires à
des exigences de transparences et d’évaluation.
C’est dans cette métamorphose qu’il faut, semble-t-il comprendre les enjeux et
problématiques de la mise en place de la qualité au sein du secteur médico-social.
À ne pas prendre le recul nécessaire sur les révolutions récentes qui ont secoué les secteurs
de l’action sociale et médico-sociale, ne risquons-nous pas de nous aveugler sur des termes
non assimilés comme « performance », « efficience ». Aveuglement pouvant soit susciter le
rejet primaire « nous ne sommes pas des industriels », soit susciter un engouement tout
aussi primaire envers les tableaux de bords ?
Les uns retomberont dans les ornières du passé






Mutisme sur le droit des personnes bénéficiaires ;
Centration sur la prise en charge à temps complet ;
Opacité quant aux contenus, objectifs et méthodes des prises en charge.
Le refus d'évaluation des actions menées
L'autolégitimation des pratiques professionnelles détachées de toutes les recherches
scientifiques (neurologiques, psychiatriques, psychologiques, psychopédagogiques,
etc.)
La marginalisation des familles
16
European Credit system for Vocational Education and Training :
 C'est un cadre méthodologique commun, conçu pour l'enseignement et la formation professionnels,
afin de décrire les certifications en termes d' « unités ».
 Chaque unité est constituée de connaissances, aptitudes et compétences (acquis d'apprentissages).
 Des points de crédits sont attribués à chacune de ces unités, ce qui leur donne ainsi un « poids » et
évite la redéfinition des unités au sein de chaque contexte d'apprentissage.
Cf. http://www.europe-education-formation.fr/ecvet.php (L'agence Europe-Éducation-Formation France)
17
European Credit Transfer and Accumulation System : le système européen de transfert et d’accumulation de
crédits est un système centré sur l’étudiant, basé sur la charge de travail à réaliser par l’étudiant afin
d’atteindre les objectifs du programme qui se définissent en terme de connaissances et de compétences à
acquérir.
Cf. http://www.2e2f.fr/index.php (L'agence Europe-Éducation-Formation France)
13

Etc.
Les autres, atteints par l’obsession de la quantification, feront de la qualité pour la qualité,
multiplication des indicateurs, des cahiers à remplir, où au final les travailleurs sociaux et
médico-sociaux passeront leurs après-midi à décrire leurs activités du matin
Aveuglement parce que d’une position à l’autre, il y a grand risque d’oubli de la mission,
du client, du service à rendre…
L’intangible enjeu de l’éthique
Constatant que 60 à 80 % du temps du travailleur social relèvent de l’accompagnement du
client, accompagnement qui ne peut être prescrit au sens de mise en œuvre de procédures
tangibles et quantifiables, si le cœur du métier s’exerce dans l’intangible, alors qu’est ce qui
garantit que la mission auprès du client sera performante, efficiente ?
L'effectivité de la mission ne pose-t-elle pas avec acuité le problème des valeurs
d’engagement et donc de l'éthique professionnelle ? Et de son contrôle par le
management ?
Comment définir une éthique
Plus haut, l’éthique a été définie comme est une réflexion sur les fondements de la morale,
une réflexion sur au nom de quoi j’agis vis-à-vis de l’autre, et là plus précisément au nom de
quoi le travailleur social agit auprès du client. Certes au nom de la mission ! Mais comment
peut-il s’incorporer la mission sans s’être identifié à elle ? Comment une équipe peut-elle
faire cohésion dans son action auprès du client ?
N’y a-t-il pas nécessité de faire débat afin que la mission apparaisse comme clairement
définie, ciblée, afin que chacun puisse professionnellement s’identifier à elle ?
L’efficience ne commence-t-elle pas par poser la question de la mission en tant que valeur
clairement identifiée.
Les paradoxes de l'éthique
« L’éthique n’est ni une science, ni une technique, ni un système de règles, ni un savoirfaire. C’est pourquoi on ne peut l’enseigner » (Ludwig WITTGENSTEIN)18
Et pourtant une éthique partagée est nécessaire pour rendre performant et efficace l’action
sociale et médico-sociale.
Comment établir une éthique commune ?
Le conflit des éthiques
La recherche éthique actuelle a établi trois types d'éthique19.
18
Ludwig WITTGENSTEIN « Conférence sur l’éthique », aux éditions Gallimard, Paris, 1971.
14
1. L'éthique de conviction
Tout un chacun s'est élaboré de façon plus ou moins consciente diverses convictions
concernant les divers domaines de la vie : privée, familiale, sociale, politique,
professionnelle, culturelle,…Dans la vie professionnelle lors d'une réunion, il y a forcément
débat, et en saine démocratie, les convictions des uns valent bien celles des autres. En rester
qu'aux seules convictions c'est prendre le risque de transformer un établissement ou un
service en arène politique (au sens de jeux de pouvoirs) où s'affrontent des coalitions et des
alliances plus ou moins instables selon les enjeux du moment20, ou ce qui compte est le loi
du plus fort, ou plus précisément des plus habiles à savoir manier le verbe, la persuasion, à
établir des cliques…. Cela donne lieu à des jeux du genre
L’accusation
« Ma fonction est plus importante que la tienne dans l’institution et tu dois en reconnaître la
priorité » (jeu pratiqué par certains Éducateurs spécialisés envers des AMP).
La division
« Nous on travaille, mais eux ce n’est pas sûr ». (Revanche des AMP envers les éducateurs
spécialisés qui pratiquent le jeu de l'accusation / disqualification)
La rivalité
Saboter un projet, une fonction, une mission, monter des coups, « tu ne vas pas te prévaloir
d’un succès qui pourrait t’être bénéfique et nuire à mon pouvoir, ma manière de travailler »,
etc.… (Jeu pratiqué entre éducateurs spécialisés, mais pas que)
La défiance
Notamment entre chefs de services et direction, « tu ne sauras rien », enfumage des
directeurs par des tableaux multiples, des discours conformistes ; les erreurs, les
manquements sont toujours dissimulés. Chefs de service qui vis-à-vis de leurs collaborateurs
sont dans « le pas de vagues » et / ou « je ne veux pas le savoir »… Attitudes qui interdisent
l’expression des doutes et échecs réels, cela a pour conséquences de geler tout processus
d’apprentissages collectifs, car au lieu de profiter des erreurs inévitables de la vie
quotidienne pour apprendre à mieux faire, on n’apprend rien parce que les erreurs sont
cachées ou rejetées sur les autres.
L’hostilité et la peur
19
Les trois auteurs qui sont ici principalement retenus sont : Max WEBER (Le Savant et le Politique, éditions La
Découverte, 2003), Hans JONAS (Le principe responsabilité, éditions du Cerf, 1990) et Jürgen HABERMAS (De
l’éthique de la discussion, éditions du Cerf, 1992), mais aussi au thème d’Antigone repris par divers auteurs
depuis la tragédie d’Eschyle, où le conflit entre l’éthique de responsabilité, représentée par Créon, et l’éthique
de conviction, représentée par Antigone, est poussé à son paroxysme.
20
Cf. le chapitre L’arène politique dans Le pouvoir dans les organisations, par Henry MINTZBERG, aux éditions
d’organisations, 1986, pages 547-602.
15
Jeu préféré des relations direction / instances représentatives du personnel, tout est dit et
pensé en termes de harcèlement, position de tranchées, condescendance, fausse
compassion, etc. « Ma légitimité humaniste contre ta légitimité gestionnaire ».
La concurrence
Jeu des relations intersyndicales où il s’agit de protéger et d’étendre sa sphère d’influence
par des actes de surenchères, etc.
Le triangle infernal
Bourreau, victime, sauveur, jeu dont la pratique dans le secteur pourrait donner lieu à
plusieurs volumes, l’enjeu est de montrer « que serais-tu sans moi », jeu de racket pervers.
Impasse de l'éthique de conviction
Tous ces jeux sèment la confusion des rôles, des relations professionnelles, on ne sait plus
pourquoi, pour qui on travaille, d’où baisse de motivation, repli sur des stratégies de
protection, d’arrangements, d’accommodements, de système « débrouille »… pseudo
communication, silences, paroles creuses (stéréotypées, « éducativement correctes », etc.,
en cela, la lecture de bien des rapports de synthèse sont éloquents, hélas).
Cette pseudo communication renforce les symptômes liés aux divers non-dits : soupçons,
rancœurs, « peaux de bananes », retentions d’information, sabotages plus ou moins
conscients, jeux de revanche continus…
La pathologie des conflits d’éthique de convictions
Cette communication pathologique peut se résumer selon deux schémas :
"Je me tais / me tiens dans le langage convenu pour que : ni le directeur, ni le chef de
service, ni les collègues ne puissent avoir barre sur moi »
Ce qui de l’autre côté est interprété comme : « Ils n’ont rien à dire », « Ils ne s’intéressent
pas à ce qu’ils font », « Ils ne connaissent rien », « Ils ne comprennent rien » ! Donc nous
devons parler à leur place, et pour éviter des risques, les directeurs et chefs de services vont
faire appel à un cadre fonctionnel le psy de service, dont la seule fonction (inavouée et
inavouable) est de sidérer, méduser le personnel éducatif et si cela ne suffit pas on fera
appel à la « supervision » dont le risque est d'entretenir les névroses interpersonnelles du
personnel éducatif pour ne JAMAIS aborder les problèmes de fond : les valeurs fondatrices
du métier, les missions et leur effectivité et surtout les modes d'organisation et de
management (dont les trois fonctions sont : gérer, animer et soutenir les équipes de travail).
Et pendant que l'institution ou le service passe son énergie à ces jeux divers, question : « et
le client ! Où est-il ? ».
L'éthique de conviction a fait largement la preuve de sa nuisance, de ses contreperformances, de son inefficacité quant à l’accomplissement de la mission ; les convictions
personnelles tout comme les convictions religieuses, sont à déposer à l'entrée de
l'établissement ou du service.
16
2. L'éthique de responsabilité
Cette éthique est celle qui anime tout responsable hiérarchique (directeurs, chef de service)
ou fonctionnel (Éducateurs spécialisés - animant un lieu de vie / une équipe de Moniteurs
éducateurs et d'Auxiliaires médico-psychologiques -, de psychologues assumant pleinement
leur responsabilité d'appui et d'étayage tant vis à vis du public que des professionnels)
normalement constitués ; c'est celle qui fait passer le bien collectif avant les intérêts
personnels. Cette éthique, si elle est doublée par un management participatif, un réel souci
d'animation et de soutien des équipes de travail, peut se montrer relativement efficace et au
moins l'organisation sera mobilisée sur le travail et non plus sur les conflits de personnes
comme nous avons pu le voir dans une organisation minée par le conflit des convictions. Ce
type d'organisation ne peut être performant que dans un environnement stable et dont les
injonctions ne sont pas contradictoires, mais dans l'environnement actuel où la
réglementation ne cesse de bouger, où les impératifs de financement viennent souvent
mettre à mal des projets pertinents, le système risque d'imploser par les conflits de
responsabilités, où vont s'affronter : responsabilité éducative versus responsabilité
gestionnaire et cela sur fond d'injonction des différents instances de tutelle et de contrôle ;
ces affrontements sont souvent insolubles car se posant dans des alternatives exclusives : ou
bien l'éducatif, ou la gestion (bien sûr le trait est simplifié) faisant apparaitre alors les guerre
des convictions avec les jeux mortifères qui ont été exposés plus haut.
Face à ces impasses, il a été élaboré une troisième éthique dite de communication ou
éthique procédurale21.
3. L'éthique de communication
Cette éthique part du constat qu'il est difficile, même impossible de travailler sur des
éthiques de conviction communes, soit cela débouche sur des conflits permanents, soit cela
débouche sur la dictature, le terrorisme du "bien". Donc ne pouvant travailler sur le fond, les
valeurs, une nouvelle piste de travail s'est imposée, travailler sur des principes de base qui
ne peuvent être qu'universellement reconnus par toute personne saine d'esprit. Et c'est
seulement à partir de ces principes que pourront se décliner un certain nombre de postures
reconnues par les personnes concernées.
« N'agis que d'après une maxime dont tu puisses présupposer, sur la base d'une
concertation réelle avec les concernés, respectivement avec leurs défenseurs, ou - à
titre de succédané - sur la base d'une expérience de pensée correspondante, que toutes
les conséquences et effets secondaires résultant de manière prévisible de son
observation universelle en vue de la satisfaction des intérêts de chacun des concernés
pris individuellement, puissent être acceptés sans contrainte, dans une discussion
réelle, par tous les concernés. » (K.O APEL, L’éthique de discussion, aux éditions du Cerf,
1994, page 78.
21
Karl Otto APEL, « L’éthique de la discussion », éditions du Cerf, Paris 1994.
17
De la maxime de K.O APEL, il est possible déduire cinq maximes de bases pour le secteur et
médico-social.
Les cinq principes de base
Les principes qui donnent le cadre au bon déroulement de toute discussion éthique sont :





Le principe de réciprocité : « ne fais pas à autrui, ce que tu n’aimerais que l’on te
fasse »
Le principe d’exemplarité : « ne pas exiger d’autrui, ce que suis incapable de
m’exiger ».
Le respect des lois et réglementation qui définissent nos missions et notre mode de
fonctionnement.
Le principe de résistance qui consiste à faire respect des personnes et notamment de
leur intégrité physique et psychique au dessus de tout.
À ces principes auxquels tout professionnel du sanitaire / médico-social ne peut
qu’adhérer, il faut rajouter un principe méthodologique de base, les erreurs
professionnelles, les négligences, la maltraitance sont avant tout une situation à
analyser (en cherchant le quoi, comment, quand, combien etc.…) dans son contexte
bio-psycho-social en référence à la réglementation, ainsi chercher le / les coupables
(le qui) est une impasse qui de toute façon contredit le principe de réciprocité. Bien
sur en cas d'atteintes aux personnes de délits et de crimes, le responsable doit faire
l'objet d'une procédure disciplinaire, mais cela dit ce n'est pas parce que le coupable
est en prison que le problème est résolu à savoir pourquoi cette situation a pu se
produire ?
L'éthique de communication ne peut se réaliser que par un engagement de la direction, par
un acte de management volontariste.
Management mettant en œuvre les trois interdits fondateurs de toute éthique, à savoir le
REFUS :

De l’intimidation ;

De la séduction ;

Et de la trahison.
Ce refus permet d’assumer sa subjectivité et offre des points de repères critiques qui
permettent d’exclure l’arbitraire.
Le management est également le garant des postulats de l'éthique de communication :

Reconnaître et accepter la présence de la diversité des personnes et donc des
différences de points de vue.

Reconnaître, a priori l’équivalence morale de l’autre.
Le management veille à l'application des règles concrètes :

Refuser l’intimidation ;

Refuser la manipulation ;
18

Exclure le mensonge ;

Écouter ;

S’exprimer ;

Chercher à considérer tous les acteurs ;

Interpeller les exclus ;

Mettre en relief les divergences ;

Aider le groupe à progresser.
Les résultats du processus de discussion amènent au consensus, au compromis ou au
dissensus (la clarification des désaccords). Le consensus est « un accord explicite et critique
intervenant après analyse de la situation problématique et discussion argumentée entre les
personnes effectivement concernées par la décision et ses conséquences »22.
Par delà l'éthique de communication, l'éthique de la sollicitude
L'éthique de communication, tout comme les principes de la Charte des droits et libertés,
imposent comme fondement de la performance de l’action médico-sociale le principe du
respect d'autrui, principe qui oblige à reconnaitre en tout un chacun sa dignité.
Certes le respect et la dignité sont les fondamentaux de toute éthique relationnelle, mais si
cela est nécessaire est-ce suffisant pour pleinement finaliser une éthique relationnelle plus
spécifique du service aux clients en tant que personnes vulnérables ?
L’intangible une relation à définir
Qu’en est-il d’une éthique relationnelle ? Ou plus exactement quel est le type de relation
qu’entretient le professionnel du secteur social / médico-social auprès de ses clients ?
Un constat : entre la personne prise en charge, accompagnée, et le travailleur médico-social
s'impose une dissymétrie, une non réciprocité immédiates qu'on ne peut dénier, si ce n'est
qu'au nom d'idéologies futiles. Et donc s’impose que soit posé le problème d'une relation
positive à partir d'un déséquilibre.
Le problème peut-il seulement se résoudre par la reconnaissance de la dignité de la
personne vulnérable, le respect de son intégrité physique et morale ? Cette reconnaissance
nécessaire ne fait-elle pas l'économie de la situation concrète de chaque personne dans son
unicité ?
Comment donner une couleur personnalisée à la relation effectuant la mission de l’action
sociale / médico-sociale ? Autrement dit, comment donner une tonalité d'affects au devoir
froid du respect et de la dignité ?
22
Validité et limites du consensus en éthique clinique, par Jean-François MALHERBE, Loretta ROCCHETTI et AnneMarie BOIRE-LAVIGNE, 1994, http://id.erudit.org/iderudit/400869ar.
19
Quelles sont les vertus classiques qui présupposent une dissymétrie dans les relations, qui
désignent la relation à ce client si particulier car trop souvent démuni, souffrant, blessé,
vulnérable, déficient23 dont le regard m'invite à le soulager, le réconforter, le consoler ?
Une voie possible celle de la sollicitude
Celle-ci se distingue qu’elle est davantage une vertu qu’un sentiment ou une passion. Alors
qu’on peut se sentir submergé par la compassion ou envahi par la pitié, la sollicitude ne
relève-t-elle pas d’une tension éthique de la personne qui s’y oblige. On s’oblige à la
sollicitude, on n’y est pas passif, la sollicitude est engagement.
La sollicitude peut donc ainsi prendre la forme d’un devoir, mais qui n’est pas distant et
froid, comme peuvent l’être les devoirs découlant de la Charte et/ou de l’éthique de
communication, car il entre dans la notion de sollicitude l’idée d’un mouvement qui nous
porte vers cette personne-ci, ce client-ci et non pas vers le client générique. Alors que les
vertus de respect et de dignité signifiaient surtout une distance à préserver et renvoyaient à
l’image d’une frontière universelle sacrée à ne pas dépasser pour toute personne, la
sollicitude désigne un élan vers un client particulier à accompagner de façon singulière.
Le respect et la dignité, vertus nécessaires et fondamentales tracent une distance
universelle, la sollicitude rapproche dans la singularité. Mais ce mouvement qui porte le
professionnel vers cette personne présente ici et maintenant ne tend pas vers une fusion ou
même une intrusion, car la sollicitude relève davantage de l’attention et de la vigilance que
du partage intrusif et de la prétention à tout partager.
Ce rapprochement n’implique-t-il pas une certaine dimension de réciprocité instituant la
personne handicapée en tant que client ?
Principe de réciprocité que l'on a vu auparavant comme fondement de l'éthique de
communication, bien sûr, mais alors que celle-ci donne un fondement universel, la
sollicitude va particulariser le principe de réciprocité au sein de cette relation-ci établie ici et
maintenant en tant que professionnel particulier face à ce client particulier.
Dans la sollicitude, on trouve l’idée qu’on porte attention aux limitations et restrictions de la
personne handicapée en face de soi, qu’on se propose d’accompagner, mais en laissant
ouverte la possibilité que cette personne-ci puisse m’apporter quelque chose et même
constituer une leçon pour soi, professionnel. Le handicap de l’autre ne renvoie-t-il pas à sa
propre finitude, sa propre incomplétude, sa propre vulnérabilité ne rappelle-t-il pas la
propre condition humaine du professionnel ?
L’autre présent en face de moi m’apprend par son handicap à relativiser ses propres ennuis,
mais aussi par sa capacité parfois à « faire avec » ne donne-t-il pas des leçons de courage,
23
Les termes de déficiences, déficient sont pris au sens de l’OMS : « problèmes des fonctions organiques ou des
structures anatomiques, sous forme d’écart ou de perte importante » (Cf. CIF-OMS, éditions de l’OMS, Genève,
2001, page 11.
20
n’invite-t-il pas à travailler sa finitude, son incomplétude, sa vulnérabilité, bref son humanité
de travailleur médicosocial ?
La sollicitude se penche sur le handicap, la vulnérabilité du client et se propose de
l’accompagner, de le « protéger », le représenter, mais en se mettant dans la posture de
recevoir quelque chose de lui. C’est la réintroduction de cette dimension d’échange,
« d'humanisation réciproque » qui est sans doute la plus précieuses Cette
proposition/position éthique de la sollicitude nous renvoie, dans ses derniers
développements, et comme en ultime instance, au concept de responsabilité.
Est responsable celui qui répond à l’invocation que constitue la fragilité du semblable
handicapé et qui l’institue comme client à protéger, à stimuler son potentiel, à déclencher et
renforcer des processus d’autonomisation, à l’accompagner dans un parcours d’insertion,
tant en l’acheminant vers la maitrise de son destin.
L’éthique du soin, l’humanitude
Cette notion de sollicitude nous renvoie naturelle à ce que l’on pourrait qualifier
« d’approche éthique du soin ». Ici le soin est à prendre dans son équivalent anglo-saxon de
« care », et dans l’acception que lui donné Jean WATSON « Le Caring (prendre soin) représente
l’activité d’aider une autre personne à croître et à s’actualiser ; un processus, une manière
d’entrer en relation avec l’autre qui favorise son développement. »24
Dans le prolongement du Caring, Walter HESBEEN25, va développer le concept d’humanitude :
« Le soin, est l’essence même du travail d’humanitude ; l’implication même de la personne,
au-delà du geste technique, est convoquée. »
« Comment puis-je porter attention à la personne en me souciant de la sensibilité, de la
douceur, de la simplicité, de la bienveillance et de la délicatesse dans la manière d’être
présent à elle et dans les actes que je dois poser ou les soins que j’ai à donner ?
« Au-delà de la nécessaire rigueur, il y a toute la forme de l’intention humaine, de la posture
d’attention à l’autre, de l’intérêt porté à son humanité (dans l’expression pleine et entière de
sa singularité, mais aussi de ce qui nous relie).
Le souci bienveillant pour autrui peut être considéré comme une route exemplaire dans
l’expression des pratiques du secteur médico-social, et ce d’autant plus que la personne
accueillie / accompagnée sera en position de grande dépendance et de vulnérabilité
(jusqu’au point extrême ou certaines personnes ne sont pas / ne sont plus / ne sont pas
encore en mesure de se représenter elle-même.
La vigilance éthique
Sylvie PANDELÉ26, à partir de son expérience auprès de publics en situation de dépendance
extrême, définit les deux facettes de la vigilance éthique27 :
24
25
Jean WATSON « Le Caring. Philosophie et science des soins infirmiers », aux éditions Seli Arslan, 1998.
Walter HESBEEN, « Travail de fin d’études, travail d’humanitude », aux éditions Masson, Paris, 2005.
21
1. Une vigilance à tout évènement qui peut surgir dans la vie de la personne dont la
situation de désorientation la rend inapte à y faire face. Il s’agit de la fonction vigile.
Surveillant de l’environnement de la personne, guetteur du moindre danger mais
aussi du petit incident, de l’accident ou de l’évènement, l’accompagnant-gardien se
fera le garant du maintien de l’ordre singulier de la personne en grande vulnérabilité,
à l’image de l’attention protectrice que la mère accorde à son nouveau-né. Cette
vigilance-là répond à la définition classique du terme : surveillance qui a pour but de
prévenir et de prévoir l’environnement de la personne afin de réduire sa vulnérabilité
à tout agent extérieur.
2. Une vigilance pour non pas comprendre, mais tout au moins décoder l’expression
des besoins et des attentes de la personne. C’est par cette tension portée à chacune
de ces personnes dans leur expression originale, dans cette vigilance à leur mode
d’expression préférentiel que va devoir opérer le décodage. Il n’existe pas un silence
de l’agonie, excepté dans l’œuvre romantique ou les vers du poète. Mais il existe des
pauses respiratoires, des silences paisibles, des engouements, des crispations qui
disent quelque chose du vécu présent, en situation de cette personne-là en fin de vie.
Le respect pourrait bien être là qu’il n’en ferait rien. La sollicitude aurait déjà pris la
main ou repositionné l’oreiller derrière la nuque. Seule, la vigilance aura attendu,
prêté l’oreille et décodé l’expression de cette expérience de vie. À partir de cette
double posture, la vigilance pourra alors se déployer comme vertu principale d’un
accompagnement qui devient agir éthique.
Ce qui lui permet de conclure :
De la gamme des vertus humaines propices à nourrir la rencontre avec la grande
vulnérabilité, j’en ai identifié deux : le respect pour l’autre et le souci bienveillant pour autrui.
Le respect de la personne, parce qu’il est reconnaissance de sa dignité d’homme, s’est révélé
être le fondement même de la rencontre. Point de départ de l’acte d’accompagnement, il
tient donc une place majeure dans cette entreprise mais trouve ses limites dans son
incapacité à s’engager plus avant dans la relation. La sollicitude, quant à elle, se contente de
la souffrance ordinaire, moyenne, quotidienne, celle de l’homme de tous les jours confronté
aux aléas et désagréments de la vie ; mais l’acte ou le geste plein de sollicitude vis-à vis de la
personne en défaillance de toutes ses capacités d’autonomie, cette « bonne intention » de
secourir l’autre s’échoue dans l’absurde et le non-sens. La grande vulnérabilité mobilise un
autre type d’agir : la vigilance éthique. En réponse à cette grande vulnérabilité, une vigilance
éthique peut dès lors être proposée à partir du moment où elle s’instaure comme
26
Sylvie PANDELÉ « La grande vulnérabilité, esquisse d’une éthique de l’accompagnement », aux éditions Seli
Arslan, 2008.
27
Sylvie PANDELÉ « Pour une éthique de l’accompagnement »,
http://accompagnerlavie.net/index2.php?option=com_content&do_pdf=1&id=399
22
responsabilité à créer les conditions d’une communauté d’éthos et permet ainsi à l’Autre
d’être reconnu comme Même.28
Nous le voyons, toute la problématique éthique passe par la reconnaissance de l’autre à la
fois comme semblable et différent.
Conclusion, ouverture
Ces diverses réflexions nous amène à poser les enjeux de l’introduction de nouvelles
démarches dans le secteur médicosocial : qualité, performance, éthique et comment il est
possible de les lier en cohérence.
Ces démarches nécessaires ne peuvent se faire que si elles s'établissent entre professionnels
qui se sont pleinement appropriés leur identité et leurs spécificités, or la spécificité de
l’action médicosociale peut être facilement effacée au nom d’une efficacité technique
gestionnaire.
Pourquoi ? L’introduction des lois de janvier 2002-2, février 2005-102, mars 2007-293 et
juillet 2009-879 ont depuis bientôt 10 ans révolutionné le secteur, les missions et ses outils
de mise en œuvre sont enfin définis, l’ensemble de la filière éducative a été professionnalisé
depuis 2007, une nouvelle architecture partenariale s’est mise en place (CVS, MDPH, ARS,
CNSA, MAIA) le secteur est devenu plus visible, plus lisible, plus rigoureux et tant mieux !
Mais, il peut y avoir la tentation d'une approche purement gestionnaire et technique,
tentation facilitée par l'ensemble des protocoles, recommandations, avis, fiches, guides
édités par l’ANESM, la CNSA, l’ANAP, la HAS, ces différentes document sont bénéfiques et
utiles, il serait stupide d'en nier leur pertinence !
Mais tout cela est tellement nouveau dans le secteur ? Il est tentant pour les diverses
directions de se laisser fasciner par elles, de ne plus les utiliser comme des moyens mais
comme des fins au nom de l'efficacité technique et gestionnaire et tout cela ne sera qu’un
misérable cache sexe de la misère des accompagnements.
La démarche du secteur n’est-elle pas de ne jamais oublier qu’il s’agit d’accompagner des
personnes humaines en favorisant leur développement personnel, leur autonomie et leur
insertion sociale et professionnelle. Que chaque problématique est unique, celle portée par
UNE personne humaine. Que chaque client selon un contexte psychologique et social
spécifique vit son handicap de façon unique et que c'est le rôle des professionnels du secteur
de lui apporter l'aide nécessaire pour qu'il puisse faire face au mieux de ses possibilités à sa
situation qu'elle soit passagère ou chronique.
La gestion et ses outils sont bien impuissants dans ce domaine, les meilleurs managers du
secteur social et médico-social seront en mesure de donner un soutien logistique,
organisationnel, matériel, un cadre repérant et valorisant pour leurs collaborateurs, mais
28
Cf. note 82.
23
restera toujours la question de l'accompagnement des personnes et cela c'est bel et bien la
part intangible des professionnels qui elle doit soutenue, reprise par un management
éthique et bien sûr participatif.
L'autre tentation est celle des sirènes valorisant le travailleur social le plan technique par
l’intégration des procédures, métrologies, protocoles, mirage, car le travailleur social n'est
pas un manager, à moins de changer de métier et de devenir à son tour manager avec le
risque de ravaler le statut du travailleur social à celui d'un grade de passage pour devenir
manager !
Ces deux tentations peuvent gravement interférer sur la mise en place des protocoles liés à
la qualité et la performance et par cela même créer de la non-qualité et des contre
performance en termes de service rendu aux clients.
D’où contrairement à ce que l’on pourrait croire, la Qualité et la Performance sont des outils
nécessaires à pouvoir enfin se centrer sur le cœur du métier, sur la nécessaire humanitude à
toujours poser, redéfinir, jamais acquise auprès des personnes handicapées.
Qualité et Performance ont une finalité : l'intérêt supérieur de la personne handicapée, et
donc la mise en place d’une éthique partagée permettant la promotion de la vie humaine si
blessée, si déficiente, si vulnérable soit elle, d'humanisation de l’accompagnement.
Dans sa « théorie générale des systèmes », Ludwig von BERTALANFFY nous rappelle que « la
perception n’est pas une réflexion des "choses réelles" (quel que soit leur statut
métaphysique) et la connaissance n’est pas une simple approximation de la "vérité" ou
"réalité". C’est une interaction entre celui qui connait et l’objet de sa connaissance, qui
dépend de multiples facteurs de nature biologique, psychologique, culturelle, linguistique,
etc.29 ». Ceci pour définir le périmètre d’authenticité et de légitimité de l’auteur de ce
document.
Par ailleurs, la position d’Isabelle ORGOGOZO30, doit être exposée en guise de
conclusion/ouverture, car elle a balisé en partie l’esprit de la démarche :
« L’environnement n’est pas seulement turbulent et agressif, il est aussi complexe et
changeant. Il nous inonde d’informations et d’attentes qu’un seul cerveau, ou quelques
cerveaux dirigeants sont inaptes à traiter, même s’ils se font aider par les ordinateurs les plus
sophistiqués.
En outre, ce ne sont pas uniquement les idées de tous qu’il faut utiliser ; car les idées ne sont
que des productions de l’intelligence. Il faut pouvoir intégrer aussi les sentiments, les
impressions, les intuitions, les convictions, tout ce qu’on appelle en anglais le "feeling", qui ne
relève pas de la tête mais du cœur, de l’expérience, du savoir-faire. Il faut que les membres
des groupes naturels, ou sous-systèmes de l’entreprise, puissent échanger leurs idées et leur
"feeling", pour se sentir des hommes et des femmes à part entière dans l’entreprise certes,
29
30
Théorie générale des systèmes, éditions Bordas, Paris 1973, p. VIII.
Les paradoxes de la Qualité, aux éditions d’Organisation, Paris, 1988, p.140.
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mais aussi pour donner à l’entreprise ce qu’ils ont de meilleur et lui permettre ainsi de
survivre et de gagner sans détruire l’environnement.
Il faut enfin qu’un sentiment d’équipe s’élabore pour réussir ce que la somme des capacités
individuelles ne peut pas faire : l’élaboration d’une intelligence collective à ce que l’on fait.
Ceci implique :
1. Que chacun soit toujours plus compétent et formé.
2. Que chacun (niveau 1) se sente responsable des performances de l’équipe et lui
apporte ses idées, ses doutes, ses impressions, ses informations.
3. Que le responsable de l’équipe (niveau 2) renvoie à chacun les informations sur les
mérites qui lui reviennent, les succès qu’il a contribué à remporter, les changements
qui se profilent.
Lorsque tout ceci est réalisé, on observe un véritable saut qualitatif. »
25