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Europan France
Analyse de la huitième session
du concours Europan en France
Habiter le temps
La temporalité en projet
J. Njoo - janvier 2007
Europan France
Sommaire
Projeter le temps
1.0 L’hétérogénéité du temps : pour un index de temporalités urbaines
1
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
2
4
6
7
8
9
11
Auto-destruction : stratégies de l’éphémère
Recyclage : re-vitaliser l’existant
Prévision : préfigurer le possible
Témoignage : chroniquer le sensible
Anticipation : actualiser le futur
Incertitude : jeux de hasard
Suspendre le temps : éloges de la lenteur
2.0 (Dé)montrer le temps : mises en scène des temporalités urbaines
12
1.
2.
3.
4.
Voyager dans le temps : cartes, graphiques, formules
Stratégies du vide : le trou, le passage et la parcelle
Do-it-yourself : modes d’emploi, catalogues, options, outils
Donner une histoire : récits, mythes, scénarii
12
16
19
20
3.0 La présence du temps : figures de discours
22
La
La
La
La
nature
biologie
consommation
construction
J. Njoo – Analyse de la 8e session du concours Europan en France.
Projeter le temps
Comment penser la ville comme un phénomène dynamique ?
Comment intégrer l’incertitude dans le projet urbain ? Si
nous avons l’habitude de concevoir l’espace en trois voire en
deux dimensions, comment aborder alors la quatrième, à
savoir le temps ?
La question de la temporalité dans la conception et
l’aménagement de l’espace urbain aujourd’hui a changé de
statut sinon de perspective. Un renouveau d’intérêt pour des
processus « ouverts » et réversibles est à l’ordre du jour, des
démarches « négociées » ou participatives se développent de
plus en plus.
Certes, la tentative de saisir l’élément temporel en
architecture et en urbanisme n’est pas nouvelle. Il suffit de
rappeler les diverses expériences qui jalonnent le vingtième
siècle : les schémas fonctionnalistes de mouvement dans
l’espace des années vingt, les multiples transpositions du
« plan libre », ou encore les théories urbaines de mobilité et
de croissance apparues dans les années soixante –époque
dans laquelle l’art de manière générale a mis à l’honneur la
notion de processus.
Pourtant, si la « reconquête du temps » opérée par les
architectes à partir des années soixante-dix fut surtout
tournée vers le passé à savoir la dimension historique du
projet1, il semble qu’aujourd’hui la quête de la « durabilité »
pose davantage la question de l’avenir, à savoir de la
dimension prospective de la conception.
Dans l’analyse qui suit, nous proposons de considérer les
différentes façons dont les participants d’Europan ont intégré
cette dimension de temporalité dans leurs projets et ce sous
forme d’un petit index en deux temps : un premier qui
identifie sept formes de temporalité mises en œuvre par les
concourants, un second qui examine la manière dont ces
1 Voir à titre d’exemple Colin Rowe et Fred Koetter, Collage City (1978), trad. de K.
Hylton, Paris, Centre Georges Pompidou, 1993.
J. NJOO – Analyse de la 8e session du concours Europan en France.
temporalités sont mises en représentation. Enfin nous
terminerons notre étude par une synthèse du discours sur la
temporalité à travers quatre figures paradigmatiques : la
nature, la biologie, la consommation et la construction.
1 - L’hétérogénéité du temps : pour un
index de temporalités urbaines
Comment restituer l’« épaisseur » temporelle de la ville,
c’est-à-dire le caractère éminemment hétérogène du temps ?
Comment le considérer comme un phénomène sensible et
pluriel, afin de le faire entrer dans le processus du projet ?
Dans une exposition intitulée « De tout temps », organisée
au tournant du deuxième millénaire, l’architecte et théoricien
anglais Cedric Price (1934-2004) invitait le visiteur à
contempler les diverses manières par lesquelles le temps agit
sur notre environnement bâti2.
Price s’intéressait à comprendre la « durée de vie » de
certains phénomènes socio-spatiaux –les circonstances de
leur apparition, les raisons de leur vieillissement ou de leur
disparition,
leurs
exigences,
renouvellement
ou
transformation.
Le temps pour Price était principalement un temps vécu et
socialisé dont il s’agissait de tenir compte à la fois de la
pluralité des formes et de leurs qualités sensibles. A chaque
temps correspondait une icône comme dans un jeu de tarot
où le visiteur participait à la construction du « récit ».
C’est dans cet esprit que nous avons souhaité aborder la
question de la temporalité à la lumière des projets
d’Europan 8 : un index à parcourir librement, un itinéraire
qui n’a ni début ni fin. Nous avons appuyé notre analyse sur
2 Cedric Price, « De tout temps », exposition, Centre Canadien d’Architecture (CCA),
Salle octogonale, Montréal, du 19 oct. 1999 au 27 fév. 2000.
1
les quarante-trois projets retenus sur les sites français à
l’issue de la première phase du jury, ainsi que sur les
propositions des équipes françaises primées à l’étranger.
Sans prétention d’exhaustivité, commençons par isoler
quelques formes de temporalités qui ressortent de ces
projets.
proposée afin d’amplifier l’empreinte des mouvements de
terre, leur assignant ainsi une dimension événementielle.
Auto-destruction : stratégies de l’éphémère
La ville tout comme l’architecture est souvent conçue sous
l’angle de la permanence, de ce qui dure et perdure. Les
théories traditionnelles de l’architecture tendent en effet à
conforter cette image de stabilité que ce soit sur le plan
constructif, social ou politique. Or la dynamique de la ville est
également faite d’éléments temporaires programmés pour
disparaître : constructions démontables ou précaires, usages
intérimaires et évolutifs, événements, spectacles, actions
urbaines...
Un nombre important de projets d’Europan 8 propose
d’accueillir des activités collectives éphémères, tantôt
organisées, tantôt imprévisibles, avec un minimum
d’infrastructure ou d’architecture. Ces espaces urbains
temporaires sont souvent présentés par leurs concepteurs
comme des déclencheurs susceptibles de stimuler le
processus d’urbanisation ou de renouvellement urbain. C’est
la notion de catalyseur qui revient à plusieurs reprises
quoique sous des formulations légèrement différentes.
Dans le projet Living Landscape3 à Maribor, la dépollution
progressive d’un site périurbain fait appel à une stratégie
d’occupation temporaire où spectacle de chantier et
croissance végétale se mêlent à des événements passagers
tels que marchés, foires, concerts, conventions, sport… Par
une hybridation complexe entre occupation et constitution du
lieu, les actes « fondateurs » du site comme chez les artistes
du Land Art deviennent eux aussi des activités chargées de
signification. Pendant la phase de modelage topographique
par exemple, une course de tracteurs ou de dragsters est
Maribor, Living Landscape, Jérémie Koempgen, Florent Biais, Marianne Richardot, (cité)
3 Jéremie Koempgen (Fr.), Florent Biais (Fr.), Marianne Richardot (Fr.)
J. NJOO – Analyse de la 8e session du concours Europan en France.
2
Dans d’autres projets il s’agit moins de construire le paysage
que de l’activer. C’est ce que le projet JSI-Je suis ici4 tente
de faire dans la région des terrils à Hénin-Carvin. Par des
structures ou interventions légères telles que toits,
chapiteaux, mobilier urbain, traitements de sol… le projet
accueille des usages indéterminés et des occupations
provisoires ou mobiles comme marché, pique-nique ou
spectacle. Cependant le travail de dépollution et de modelage
du terril reçoit un traitement similaire à réaction poétique.
Les agrégats propres sont mélangés à du verre qui fait briller
le parc tandis que le modelage du terril est étudié dans le but
de lui donner un galbe rond et continu.
On retrouve ce motif de modelage sculptural du paysage
couplé à des activités instables dans le projet The Loop5 à
Lille. Cette fois-ci il s’agit d’un parc linéaire en double boucle,
un « paysage-équipement » ponctué d’événements variés :
Lille plage, théâtre de rue, cinéma en plein air, ainsi que
marchés, braderies, brocantes, expositions... Le collage
panoramique ambulant laisse supposer que le parc pourrait
accueillir un éventail d’occupations temporaires infiniment
large sans pour autant que ces usages soient définis une fois
pour toutes.
Lille, The Loop, FHLY, Pierre-Emile Follacci, Astrid Hervieu, Patrick Leitner , Tae-Hoon Yoon,
(lauréat)
Plus les activités éphémères se démultiplient, plus les
éléments architecturaux s’effacent ou presque. C’est le
paysage qui se substitue, qui devient architectural au point
que l’on ne distingue guère l’un de l’autre. Comme l’écrivent
les auteurs de Living Landscape :
C'est l'interaction fine et subtilement dosée de ces éléments
architecturaux presque abstraits avec les éléments naturels
et paysagers qui « tient » et définit le site, permettant à un
nombre indéfini d'activités d'y prendre place d'une manière
libre mais non anarchique.
4 Bertrand Segers, Charles-Edmond Henry, avec Christophe Chabbert et Franck-David
Barbier, (Fr.)
5 Pierre-Emile Follacci (Fr.), Astrid Hervieu (Fr.), Patrick Leitner (Os.), Tae-Hoon Yoon
(Fr.)
J. NJOO – Analyse de la 8e session du concours Europan en France.
3
Recyclage : re-vitaliser l’existant
partie de son histoire. Comme les auteurs nous le rappellent,
la topographie en est sa trace.
Le recyclage s’inscrit quelque part entre l’éphémère et le
durable. Ni origine ni fin, c’est une sorte d’écologie du temps
et de la matière qui apporte une dimension « organique » à
l’existant. En tant que thème, il s’impose d’office dans la
majorité des projets sinon dans les demandes formulées par
les villes. Qu’il s’agisse de réhabilitation, de rénovation, de
reconversion, de re-fabrication, de ré-interprétation, de réutilisation… le recyclage est à l’évidence dans l’air du temps.
En général, il s’agit de ré-actualiser la mémoire d’un lieu en
s’appuyant sur les traces de son histoire. La démarche la plus
répandue consiste à réhabiliter des bâtiments désaffectés ou
mal adaptés en leur attribuant une valeur patrimoniale. C’est
le cas à La Courneuve où les équipes se sont penchées sur la
ré-affectation d’une ancienne usine située près de la mairie,
un édifice-icône sensé assurer de manière manifeste la
pérennité du passé. Cependant le recyclage peut également
concerner des objets moins singuliers et même ordinaires. Le
projet Œuvre ouverte6 à Hénin-Carvin propose notamment
une ré-interprétation typologique du tissu pavillonnaire local
afin de lui donner un nouveau statut.
Parfois le recyclage du patrimoine se prête à être plus
inventif en abordant des échelles qui vont du plus petit au
plus grand. Dans le projet La vie en vert7 à Ghlin-Mons,
l’équipe propose de recycler les débris des tours démolies
pour construire les clôtures et cheminements du nouveau
lotissement. Le projet Urban ZIP8 à Hénin-Carvin prend
également son point de départ dans la matière même du site
au sens littéral du terme en proposant de recycler le schiste
du terril pour en faire un matériau de construction au
potentiel riche et varié : revêtement des chemins et des
façades, utilisation calpinée pour les accès, clôtures de
jardins en gabion. Métamorphoser la matière des terrils fait
6 Antoine Pelissier (Fr.), Stefano Benatti (It), et Sébastien Layet (Fr.), avec Luca
Pastori (It.), Sonia Hellal (Fr.), Alessandro Ascani (It.), Valeria Calabrese (It.), Frederio
Fabiani (It.), Barbara Fumarola (It.),
7 Anne Portnoï (Fr.), Eliana Castelli (It.)
8 Lucie Lamotte, Tristan La Prairie, Christophe Rouille, (Fr.)
J. NJOO – Analyse de la 8e session du concours Europan en France.
Hénin-Carvin, Urban Zip,
(présélectionné)
Lucie Lamotte, Tristan La Prairie, Christophe Rouille,
4
A l’inverse, le projet La médiane9 à La Courneuve propose
d’inscrire le site dans un territoire plus vaste à l’échelle de la
commune, autrement dit de re-situer la problématique de la
centralité posée par la ville. Davantage une question de tracé
que de trace, la figure de la médiane désigne le support à
une conception négociée de la ville à long terme. C’est la
mise en relation qui compte davantage que les objets en
eux-mêmes, une synergie plus politique que physique.
Dans le projet Adhérer au site10 à Chalon-sur-Saône, les
traces font le tracé puisqu’il s’agit de reprendre les
empreintes des anciens enclos portuaires démolis pour en
faire le parcellaire du nouveau quartier. Comme les auteurs
l’écrivent : « La mémoire est vivante sous la forme de traces,
en attente d’être utilisées, d’être révélées et actualisées. » Le
recyclage est alors ici une forme de palimpseste, une
manière d’ancrer le projet dans le site et dans l’histoire.
Hénin-Carvin, JSI-Je suis ici, Bertrand Segers, Charles-Edmond Henry, avec Christophe
Chabbert et Franck-David Barbier, (lauréat)
Enfin, le recyclage peut concerner les usagers autant que les
usages, autrement dit les ressources humaines. Le projet
JSI-Je suis ici à Hénin-Carvin aborde justement cette
problématique, celle d’une population locale en difficulté.
L’équipe propose une stratégie de micro-activités et de
pépinières d’entreprises, afin de régénérer de l’emploi. « Les
ressources sont nécessaires et présentes –écrivent-ils. Il
s’agit de les reconsidérer, de les exploiter raisonnablement
en conscience des besoins d’aujourd’hui ».
9 Hervé Ellena (Fr.), Stéphanie Mehl (Fr.)
10 Gérald Lafond (Fr.), Sabine Orlandini (Fr.), Julie Laborde (Fr.)
J. NJOO – Analyse de la 8e session du concours Europan en France.
5
Prévision : préfigurer le possible
Le temps est comme la météo, ce qui est constant, c’est le
changement. Analyser les données contextuelles et
programmatiques d’un site est un peu comme formuler des
prévisions. Il s’agit de considérer le site dans sa dynamique,
son devenir et non pas comme un objet statique ou pétrifié ;
observer les tendances actuelles pour mieux en déduire ou
induire les conséquences futures.
Grand Parc Urbain et les voies d’accès au centre-ville afin
qu’ils constituent des lieux d’échange entre le bâti et le
végétal, entre les nouveaux quartiers et les cités minières
jusqu’alors enclavées. Ces nœuds d’articulation, équipés par
des commerces de proximité et des zones d’activités, sont
habilement mis en relation avec les différents réseaux de
circulation à l’échelle locale et régionale. L’indétermination de
l’écriture architecturale met en avant la matrice urbaine de
chacun des scénarii proposés.
Les projets qui adoptent une posture prévisionnelle
s’appuient sur une lecture tendancielle des données et
s’efforcent de préfigurer une réalité « possible » en
corrélation avec les orientations en cours. Il s’agit de
s’accommoder au mieux de ce qui peut arriver en
considérant le temps de toute façon comme non-maîtrisable.
Si la dimension d’innovation architecturale passe parfois au
deuxième plan, c’est souvent au profit d’une lecture plus
attentive de la demande ou du contexte qui, en retour,
devient une forme d’écriture où l’analyse se superpose à la
conception.
Le projet Paysage Code-barres11 à Lille s’appuie par exemple
sur une restitution assez méticuleuse des données
historiques, contextuelles et programmatiques, proposant un
répertoire très fourni de typologies et d’ambiances urbaines
susceptibles de révéler les spécificités du contexte
environnant. Cependant on peut se demander si la réalité
hétérogène de la ville ne s’éclipse pas trop derrière
l’apparente hétérogénéité des édifices proposés, pour se
réduire à une espèce de Collage City revisitée à travers les
dernières tendances architecturales.
Le projet Dialectiques12 à Hénin-Carvin propose également
une analyse assez fine de sa situation, identifiant à la fois les
atouts, les opportunités et les problèmes. Il s’agit de
travailler les interstices constitués par les limites du futur
Hénin-Carvin, Dialectiques, Pierre Frinault, David Jouquand, avec Julien Boidot et Emilien
Robin, (lauréat)
C’est dans la cohérence entre l’analyse du territoire et le
choix précis des sites d’intervention que ces propositions
architecturales tirent toute leur pertinence : le périmètre
opérationnel devient alors le terrain de démonstration d’un
de ces « possibles ». Inscrit dans une stratégie de microcentralités plus globale comme une constellation dynamique
de forces, le prévisionnel dessine un outil méthodologique qui
permet de mieux gérer la capacité foncière du territoire dans
son ensemble et dans le temps.
11 David Depreeuw (Fr.), Thibaud Foucray (Fr.), Hélène De Deurwaerder (B.)
12 Pierre Frinault (Fr.), David Jouquand (Fr.), avec Julien Boidot (Fr.), Emilien Robin
(Fr.)
J. NJOO – Analyse de la 8e session du concours Europan en France.
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Témoignage : chroniquer le sensible
« L’architecte est une variété pacifique de stratège13. »
Alain Rey, France-inter, 21/09/2005
Pas de survie possible sans l’aide des habitants. Passons à
côté du stade, une caravane « la fringale » vend des frites
quand elle est ouverte. Sur le parking du stade 5 voitures
sont garées, décorées pour un mariage. Deux enfants sont
déguisés pour l’occasion.
Parfois le travail d’observation et d’analyse s’inscrit
davantage dans le temps réel. C’est la dimension sensible qui
importe, la rencontre avec le site, l’ici et maintenant, la
transcription de l’existant comme un temps vécu. L’architecte
est plutôt un chroniqueur, un témoin du réel. Il ne prétend
pas porter un regard objectif sur les choses, il enregistre et
restitue. Sa démarche est davantage inductive. Inspirés par
l’art des années soixante, ces projets adoptent le dispositif
du témoignage comme une manière de conjuguer le sensible
et l’analytique.
C’est sur une « chronique » de la visite du site qu’ouvre le
dossier de présentation du projet JSI-Je suis ici :
Samedi 27/08/2005
13h00 arrivée à Hénin
Halte dans un café. Deux objectifs : demander une bonne
adresse, un bel endroit avec vue sur le terril et acheter un
opinel pour le pique-nique. Nous repartons avec un
magnifique couteau avec une image sur le manche, un aigle
sur un drapeau américain, il tient dans ses serres une feuille
de salade ou un bouquet d’épinards.
L’histoire se déroule sur le ton d’un road movie, un journal
intime qui restitue les événements d’un week-end au fil du
temps :
14h30 recherche du site
De vrais aventuriers des temps modernes. Nous partons sans
plan, sans carte, sans ordinateur. Tactique participant d’une
stratégie brutale, forcer le contact avec la réalité concrète.
Hénin-Carvin, JSI-Je suis ici – vivre et travailler à Drocourt, Bertrand Segers, Charles-Edmond
Henry avec Christophe Chabbert et Franck-David Barbier, (lauréat)
Les détails et les anecdotes défilent… on découvre le terril
(non pas sans effort), des lotissements charmants (qu’on
dessine), le Kebab du coin (grâce au conseil de Gus)… Mais
surtout des gens –les locaux, les habitants, le portrait pluriel
et sensible d’un territoire :
Roger est dans son camion dans la nuit, garé 100 m devant
notre voiture vandalisée. Dans le coin on l’appelle « le
polonais ». De père polonais, sa mère ukrainienne, il est né à
13 Citée par B. Segers et alii, JSI-Je suis ici, op. cit.
J. NJOO – Analyse de la 8e session du concours Europan en France.
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Hénin. Corpulent, la cinquantaine, bonne moustache et
calvitie, lunettes pour lire, T-shirt rouge et barbe de trois
jours. Chauffeur poids lourds, il convoie aujourd’hui des
jambons qu’il étiquette « fumé », « parme », « York » pour
qu’ils soient traités en usine. Divorcé, calme, il aime écouter
le soir la musique dans son camion.
projet Je suis ici, ou le tracé paysager inédit du projet The
Loop qui met en scène de façon spectaculaire une vision
populiste de la métropole lilloise.
Roger comme les autres –Gus, Hakim, Jano, Bélo… raconte
son histoire, ses souvenirs de l’usine qui a fermé, les camions
de charbon, pourquoi il n’est pas rentré à la mine, comment
les gens travaillaient… C’est ce que les auteurs appellent « la
première voie » : être présent sur le site, écouter,
s’impliquer.
Lille, The Loop, FHLY, Pierre-Emile Follacci, Astrid Hervieu, Patrick Leitner, Tae-Hoon Yoon,
(lauréat)
Anticipation : actualiser le futur
Si la plupart des projets tentent d’apporter des réponses aux
demandes formulées par les villes, certains participent
également à formuler les questions de demain, à imaginer ce
qui n’est pas encore défini sur le plan social, spatial ou
technique. Inventer le futur, rendre possible l’impossible est
une manière d’introduire de la temporalité dans le projet. Il
s’agit d’une démarche prescriptive qui permet de
(re)formuler les prémisses du projet, de parler du futur au
présent.
Dans chacun des cas, on est confronté à une sorte de villepaysage où cultures suburbaine et métropolitaine se
superposent,
anticipation
peut-être
d’une culture
de
congestion de l’avenir –seul le temps pourra nous le dire15.
Si le prévisionnel est souvent motivé par une visée
opérationnelle, l’anticipatoire semble se placer plus du côté
de l’utopique. Improbable, singulière, provocatrice … elle se
veut révélatrice d’un contexte encore en gestation. Dans
plusieurs projets, cette dimension d’anticipation se manifeste
par une sur-valorisation du local : les jardins pédagogiques
« pionniers » du projet Field and Building Catalysts14 à
Chalon-sur-Saône qui amorcent l’établissement du nouveau
quartier, le cliché touristique « Hénin by night » dans le
14Daniel Mallo Martin (Fr.), Armelle Tardiveau (Fr.), Noémie Laviolle (Fr.)
J. NJOO – Analyse de la 8e session du concours Europan en France.
15 Sur la théorie d’une culture de congestion voir Rem Koolhaas, New York Délire : un
Manifeste rétroactif pour Manhattan, trad. de Catherine Collet, Paris, Chêne, 1978.
8
Incertitude : jeux de hasard
L’incertitude s’apparente parfois à un jeu. C’est l’élément du
hasard qui permet de générer de la différence et de la
complexité. Mais dans quel but et avec quels moyens ?
Quelle utilisation pour le projet urbain aujourd’hui ?
A titre d’exemple, plusieurs candidats ont recours à des
systèmes modulaires tels que containers, boîtes, panneaux
de façade, trames porteuses, trames urbaines... Ces matrices
à déclinaisons permettent de glisser facilement d’une échelle
à une autre, de relier le générique et le spécifique, de
multiplier les options. L’apparente neutralité se veut
« ouverte » et adaptative en proposant du choix et de
l’évolutivité. Alternative à la standardisation de masse, la
modularité se définit comme un procédé de la différence, une
image dialectique de l’individu et de la société.
Les projets Port d’attache16 à Chalon-sur-Saône et
Multiplicity17 à Lille développent, chacun en référence au
passé industriel de leur site, un système de containers
combinables. Portuaire dans le premier cas, ferroviaire dans
le second, c’est l’idée d’un habitat nomade remise à jour. On
retrouve le même dispositif dans le projet Œuvre ouverte à
Hénin-Carvin, mais cette fois-ci en écho à un autre cadre de
référence, le lotissement périurbain. Stratégie autonome
susceptible de s’adapter à des contextes variés, le dispositif
du container permet d’accueillir une diversité de typologies et
d’usages, de la maison minimale aux logements extensibles,
du commerce aux espaces culturels ou tertiaires.
Lille, Multiplicity, Lydéric Veauvy et Olivier Camus, (présélectionné)
16 Julie-Laure Anthonioz (Fr.), Corinne Curk (Fr.), Jean Angelini (Fr.)
17 Lydéric Veauvy(Fr.) et Olivier Camus (Fr.)
J. NJOO – Analyse de la 8e session du concours Europan en France.
9
échiquier de densité et d’usage, de privé et de public, de
plein et de vide. On retrouve à nouveau cette volonté
d’hybrider les échelles et les fonctions comme dans le projet
Smallness18 à Lille où le module de l’îlot se rapproche de celui
de l’immeuble pour produire une typologie de bâtiment
proche des grands hôtels américains.
Deux attitudes semblent se dessiner ici, l’une qui se pense en
terme de lien social, l’autre plus tournée vers la
consommation et l’individu. Or les dispositifs de l’une comme
de l’autre ont tendance à se ressembler voire à se substituer.
A titre d’exemple, dans le projet Œuvre ouverte à HéninCarvin, la nappe de maisons à patio se prête aussi bien à des
usages publics (bar, bistrot, restaurant…) que domestiques,
tout comme le jeu de « bandes boisées » où la valeur
esthétique du végétal se confond avec des valeurs
marchandes telles que la vente du bois ou l’augmentation
progressive des prix fonciers.
Chalon-sur-Saône, Port d’attache, Julie-Laure Anthonioz, Corinne Curk, Jean Angelini, (cité)
Hénin-Carvin, Œuvre ouverte. D’une urbanité industrielle à une urbanité forestière, Antoine
Pélissier, Stefano Benatti, Sébastien Layet, (présélectionné)
Propice à la contradiction et à la spéculation, l’incertitude
suscite l’élaboration d’un espace de jeu pour que
l’imagination puisse s’exprimer. Pour passer de l’incertain au
hasard, il faut que le regard se fixe, qu’une idée de
quantitatif prenne forme. Dans plusieurs projets le tracé
urbain suit alors le système modulaire pour devenir un
18Sören Grunert(D.) Kirsten Husig (D.)
J. NJOO – Analyse de la 8e session du concours Europan en France.
10
Suspendre le temps : éloges de la lenteur
« Une certaine forme de sagesse se reconnaît à la volonté de
ne pas brusquer la durée, de ne pas se laisser bousculer par
elle, pour augmenter notre capacité à accueillir l’événement.
Nous avons nommé lenteur cette disponibilité de l’individu. »
Pierre Sansot, Du bon usage de la lenteur
« Ici le temps s’est arrêté ». C’est ainsi que le projet Vides
chargés19 présente le site de Hénin-Carvin. Un endroit oublié,
abandonné par l’homme mais où la nature a progressivement
repris ses droits. On retrouve ce thème d’un temps
« naturel » qui résiste à la pression de l’homme dans de
nombreux projets. Comme Laboratoire insulaire –tectonique
chloroph’île20 à Dijon qui, par une robinsonnade villageoise
de petits habitats, cabanes suspendues et ateliers
enveloppés dans du végétal maraîcher, propose de
réconcilier « le rêve calme campagnard» avec l’effervescence
économique et culturelle de la ville. Puisant leur inspiration
dans le caractère désuet du site, les auteurs font écho au
« sentiment de se retrouver soudain hors la ville hors les
murs, de se retrouver en l’espace de quelques mètres à la
campagne… ». C’est l’image d’une oasis, un petit paradis sur
terre protégé des regards extérieurs, un lieu insulaire pour se
réfugier dans la nature.
Lille, Endroit en ville en vert, Xavier Géant, Jochen Gerner, Camille Tourneux, (préselectionné)
Dans le projet Endroit en ville en vert21, la nature sauvage
« maîtrisée » est à nouveau au rendez-vous, dans chaque
cœur d’îlot, dans les rues, sous le métro, sur les toits,
balcons et loggias. Un nouveau quartier fait d’une
architecture de containers, de garages, d’anciens murs de
briques, envahie par une végétation désordonnée et
assumée. La référence ici n’est pas tant la campagne ou l’île
de Robinson que la friche industrielle aux allures bucoliques.
On retrouve cet imaginaire du terrain vague également dans
le projet Adhérer au site à Chalon-sur-Saône, sous la forme
d’une petite archéologie portuaire en préambule, le temps
suspendu d’une attente qui persiste et qui fait reculer
l’horizon de son avenir. C’est le sentiment d’éloignement qui
est ici valorisé, le fait d’être si proche et pourtant se sentir si
loin.
Dijon, Laboratoire insulaire –Tectonique chloroph’île, Magali Volkwein, Estelle Vincent,
Virginie Gloria, (mentionné)
C’est parce que dans tous les cas, suspendre le temps c’est
aussi s’abandonner à la rêverie, projeter un « ailleurs » à
partir de choses familières et quotidiennes. Une forme de
paresse qui résiste à la routine et permet de développer un
rapport plus individualisé au temps, ce que Pierre Sansot
appelle « une lucidité tranquille22 ».
19 Thomas Saint Guillain (Fr.), Vincent Parreira (Fr.), avec Benoît Schelstraete (Fr.)
20 Magali Volkwein (Fr.), Estelle Vincent (Fr.), Virginie Gloria (Fr.)
21 Xavier Géant, Jochen Gerner (Fr.), Camille Tourneux (Fr.),
22 Pierre Sansot, Du bon usage de la lenteur, Paris, Payot & Rivages, 1998, p. 65.
J. NJOO – Analyse de la 8e session du concours Europan en France.
11
2 - (Dé)montrer le temps : mises en
scène des temporalités urbaines
Donner du temps, c’est aussi et surtout donner du sens parce
que les manières de montrer et démontrer le temps
traduisent autant de significations qu’on lui en attribue23.
Mais comment dessiner les contours de ce qui résiste à toute
définition et échappe à toute fixité ? En objectivant le temps
par différents procédés de représentation, les équipes
d’Europan parviennent à le façonner et le parcourir comme
un espace maîtrisable. Nous proposons d’examiner quatre
procédures de mise en représentation conférant une
légitimité aux temporalités urbaines projetées.
l’eau24 et Field and Building Catalysts à Chalon-sur-Saône
structurent la transformation du site comme une suite
raisonnée de scénarii probables. Le premier, en partant de la
qualification progressive des quais pour aller ensuite vers
l’intérieur du site ; le second en développant le
franchissement
du
site
par
bandes
successives.
Voyager dans le temps : cartes, graphiques,
formules
La manière sans doute la plus simple de mettre en
représentation le temps est de simuler un voyage temporel,
de nous montrer ce qui n’existe pas encore ou ce qui n’existe
plus. Comme tout déplacement, les modalités du voyage
temporel dépendent de sa destination et une destination
favorite des projets d’Europan est certes la réalisation. Or
dans un urbanisme par étapes, il doit faire preuve d’un
phasage progressif et structuré, d’une capacité à s’adapter
dans le temps.
Le mode de représentation le plus fréquent reste le plan
masse bien qu’il existe de multiples variations et nuances.
Tandis que certaines équipes décomposent leur phasage par
critères tels que programme ou circulation, d’autres préfèrent
mettre l’accent sur les relations entre l’ensemble des
éléments projetés à chaque étape et leur contexte
environnant ainsi re-qualifié. Des projets comme Au fil de
23 Voir P. Sansot « Donneurs de temps, donneurs de sens » dans Pascal Amphoux et
alii, Les donneurs de temps, Alberive (Suisse), Castella, 1981, pp. 15-22.
J. NJOO – Analyse de la 8e session du concours Europan en France.
24 Gaëlle Cusy (Fr.), Karine Martin (Fr.) avec Anthony Brook (Fr.)
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Le projet Urban Sliding25 à Istanbul propose, lui, un phasage
plus fragmenté par pôles multiples, modélisé à travers des
plans qui intègrent des tableaux détaillant le programme des
différentes opérations à prévoir sur une échéance de dix ans.
Une représentation originale du phasage est aussi proposée
par le projet Living Landscape à Maribor, un graphique qui
montre les interrelations entre différentes variables telles que
la croissance végétale, l’occupation humaine ou l’activité. De
même pour le projet The Loop qui propose des
« familigrammes »
qui
cartographient
l’évolution
générationnelle de plusieurs ménages successifs. Enfin le
plan masse du projet La médiane à La Courneuve, bien que
schématique, présente une superposition intéressante de ces
deux modes de représentation –le graphique et le plan-, afin
de suggérer une continuité conceptuelle dans un espacetemps discontinu.
Istanbul, Urban Sliding, Carole Pralong, Nathanaelle Baës, Kevin Joutel, (lauréat)
Chalon-sur-Saône, Field and Building Catalysts, Daniel Mallo Martin, Armelle Tardiveau,
Noémie Laviolle, (préselectionné)
25 Carole Pralong (Fr.), Nathanaelle Baës (Fr.), Kevin Joutel (Fr;)
J. NJOO – Analyse de la 8e session du concours Europan en France.
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Maribor , Living Landscape, Jérémie Koempgen, Florent Biais, Marianne Richardot, (cité)
Lille, The Loop, FHLY, Pierre-Emile Follacci, Astrid Hervieu, Patrick Leitner, Tae-Hoon Yoon,
(lauréat)
J. NJOO – Analyse de la 8e session du concours Europan en France.
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La Courneuve, La médiane, Hervé Ellena, Stéphanie Mehl, (présélectionné)
Le voyage temporel peut en effet concerner également le
processus de conceptualisation ou de mise en forme, un
mode d’argumentation qui restitue les données et valide les
choix. Dans le projet Urban Osmotic26, une séquence de
diagrammes met en scène la genèse du plan masse : une
barre rectiligne modulaire qui se contorsionne et se
fractionne en réaction aux spécificités du site. Une autre
séquence
d’images
intéressante,
cette
fois-ci
des
photographies de maquettes d’étude, permet de restituer
différentes hypothèses d’implantation par type, comme une
manière de valider et d’expliciter les propriétés hybrides de la
solution adoptée.
Dijon, Urban Osmotic, Aldo Micillo, avec Paolo Falco, Rosa Pascarella, Massimiliano Fedele,
Assunta Duracci, Vittoria d’Orta, Rossella di Francesco, (mentionné)
26 Aldo Micillo (I.), avec Paolo Falco (I.), Rosa Pascarella (I.), Massimiliano Fedele (I.),
Assunta Duracci (I.), Vittoria d’Orta (I.), Rossella di Francesco (I.)
J. NJOO – Analyse de la 8e session du concours Europan en France.
15
Autre modalité, assez fréquente d’ailleurs, de restituer la
dimension hybride d’un projet est celle des formules
additives. Il s’agit de mettre à plat les différents éléments
constitutifs afin d’exposer la diversité de l’ensemble, de
comprendre les différents ingrédients avant de contempler le
produit final. Si la structure d’équation (a + b +… = x ) reste
invariante quoique extensible, le mode de représentation des
différents éléments peut varier. Cela peut consister par
exemple en de petits schémas axonométriques, notamment
quand il s’agit d’une imbrication de typologies de bâtiment.
Ou encore prendre la forme d’icônes, ce qui permet de mieux
expliciter le mariage des intentions parfois contradictoires qui
concourent à l’hybridation27.
Lille, Paysage Code-barres, Damien Guiot, David Depreeuw, Thibaud Foucray, Hélène De
Deuwaerder, (préselectionné)
s’inscrivent. Voyager dans le temps semble surtout voyager
dans
le
futur
et
ce
à
partir
du
présent.
Stratégies du vide : le trou, le passage et la
parcelle
« Où il n’y a rien, tout est possible. Où
il y a l’architecture, rien (d’autre) n’est
possible ».
Rem Koolhaas, « Imaginer le néant »
Une deuxième manière de mettre en scène le temps est la
mise en valeur du vide. Espace de jeu de la temporalité
urbaine par excellence, le vide désigne la figuration d’une
disponibilité foncière, sociale et politique. Si voyager dans le
temps, c’est montrer les traces du temps lors de son
passage, le vide, c’est accueillir le temps, le prévoir et
l’attendre.
Dans le projet Je suis ici à Hénin-Carvin, cet esprit
d’ouverture trouve sa traduction poétique dans le programme
du « trou », programme métaphorique qui propose de réexploiter les kilomètres de galeries minières cachées sous la
terre. Le trou se définit comme « un vide en attente… aux
limites vagues », une idée qui aurait le potentiel de faire
dialoguer les villes et de révéler une part de leur histoire
commune.
Leinefelde, Communication locale, Nicolas Reymond, (lauréat)
Rares enfin sont les projets qui nous font voyager dans le
passé, qui s’efforcent de reconstituer un cadre historique audelà des documents fournis par le concours. En effet, à part
quelques témoignages lors des visites des sites, on constate
une quasi-absence de documentation historique montrant
l’évolution des situations urbaines dans laquelle les projets
27 Voir par exemple le projet de Nicolas Reymond (Fr.), Communication locale,
Leinefeld, Allemagne, projet lauréat.
J. NJOO – Analyse de la 8e session du concours Europan en France.
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Hénin-Carvin, JSI-Je suis ici – vivre et travailler à Drocourt, Bertrand Segers, Charles-Edmond
Henry avec Christophe Chabbert et Franck-David Barbier, (lauréat)
Cette disponibilité du vide au sens propre comme au figuré
est au cœur de la proposition Projets de Vacance28 à
Waremme. L’auteur met en place un cheminement paysager
sur lequel se greffe des « zones de vacance », c’est-à-dire
des réserves foncières disponibles pour des utilisations
futures diverses. On retrouve cette articulation par le vide
d’une temporalité d’attente et de passage dans d’autres
projets comme Natural Connection29 à Brezice où il s’agit de
mettre en place une forêt « active » qui relierait la ville à sa
rivière, ou encore avec Gold in the Shell30 à Châteauroux qui
propose un vaste parvis végétal doté de nouvelles fonctions
afin de faciliter les interconnexions autour de la gare.
Waremme, Projets de vacances, Ronan Abgral Abhamon, (lauréat)
28 Ronan Abgral Abhamon (Fr.)
29 Noely Ratsimiebo (Fr.), Pacome Bommier (Fr;), Jonathan Bruter (Fr.)
30 Damien Malige (Fr.)
J. NJOO – Analyse de la 8e session du concours Europan en France.
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Châteauroux, Gold in the Shell, Damien Malige, (mentionné)
Enfin, le vide, c’est aussi la densité, une occupation du sol
qui peut varier dans le temps. Le projet Entre les murs31 à
Dijon, par exemple, imagine un principe de densification
progressif où les parcelles non construites sont affectées
temporairement comme jardins ouvriers privatifs. Dans le
projet Port d’attache à Chalon-sur-Saône, ce processus de
densification est également réversible, ouvrant ainsi la voie à
des formes d’habitat précaire ou des usages évolutifs. Il
s’agit de tempérer la question de la densité comme seul
garant d’urbanité, en considérant d’autres facteurs comme la
mobilité et l’usage.
Dijon, Entre les murs, Augustin Cornet,
Frédéric Bataillard, Andras Jambor, (présélectionné)
31 Augustin Cornet (Fr.), Frédéric Bataillard (Fr.), Andras Jambor (H)
J. NJOO – Analyse de la 8e session du concours Europan en France.
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Do-it-yourself : modes d’emploi, catalogues,
options, outils
L’invitation à la participation constitue une troisième forme
de mise en scène du temps. Acteur, utilisateur ou
consommateur, l’implication du destinataire dans le
processus du projet fait appel à des formes de représentation
spécifiques.
Dans le projet La médiane à La Courneuve, une typologie
d’opérations
élémentaires
(encercler,
évider,
isoler,
approprier, découper, révéler…) met en scène une stratégie
de renouvellement urbain généralisée. Manipulations
formelles de situations abstraites, les divers schémas
axonométriques
définissent
une
série
de
modèles
conceptuels pour réinterpréter l’existant. Le projet Smallness
à Lille, au contraire, plus catalogue que mode d’emploi,
propose un tableau de « 1000 possibilités », une suite de
variations sur le thème de l’îlot. Si, dans le premier cas, il
s’agit de modèles d’intervention, dans le dernier ce sont des
modèles au sens d’objets de consommation.
La Courneuve, La médiane, Hervé Ellena, Stéphanie Mehl, (présélectionné)
Lille, Smallness. Reconsidering the Grid City, Sören Grunert, Kirsten Husig, (préselectionné)
Istanbul, Urban Sliding, Carole Pralong, Nathanaelle Baës, Kevin Joutel, (lauréat)
Enfin, faire soi-même sous-entend également disposer
d’outils nécessaires pour agir et s’impliquer. Dans le projet
The Loop à Lille, plusieurs outils analytiques sont proposés
notamment des indicateurs quantitatifs et qualitatifs,
diagrammes comparatifs de consommateurs qui sont
réinterprétés par les auteurs pour mettre en parallèle
différentes typologies d’habitat et valoriser une stratégie
d’adaptation dans le temps.
Dans cette voie, plusieurs projets offrent la possibilité de
personnaliser leurs « produits », un peu comme une voiture
ou un téléphone portable. On propose alors des accessoires
en option tels que balcons, terrasses, jardins d’hiver,
habillages, etc. sous forme de kit ou de catalogue.
En contraste avec l’invariabilité du noyau dur (gaine
technique, structure porteuse, etc.), ces accessoires tendent
en général à graviter autour de la périphérie des édifices
comme autant de traitements de surface.
J. NJOO – Analyse de la 8e session du concours Europan en France.
Lille, The Loop, FHLY, Pierre-Emile Follacci, Astrid Hervieu, Patrick Leitner,
Tae-Hoon Yoon, (laureat)
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Donner une histoire : récits, mythes, scénarii
Donner une histoire au projet, et non pas seulement raconter
une histoire à travers le projet, c’est souscrire à une certaine
forme de pérennité. C’est indiquer, par le moyen d’un récit,
les repères temporels autour desquels s’articule une tradition
ou une identité.
Dans le projet Adhérer au site à Chalon-sur-Saône, ce sont
les impressions d’un paysage déserté restituées par des mots
et des photographies, des références à l’Antiquité et à la
permanence des tracés qui construisent un mythe fondateur
pour le projet, une « image-cristal32 » -pour reprendre le
terme de Gilles Deleuze-, qui montrerait le présent tout en
retenant en elle du passé. Traces de disparition, mais aussi
de vie rames, marquages au sol, fragments d’enclos envahis
par la végétation… ces figures, d’un temps passé tissent une
filiation avec la mémoire du lieu comme une matrice qui
attend de faire renaître sa forme. Dans le projet Je suis ici à
Hénin-Carvin, cet aura d’un « autre temps » prend une
dimension oraculaire ancrée paradoxalement dans le présent,
une espèce de mythologie prospective pour la transformation
future des terrils, un culte non pas du passé mais du présent.
32 Gilles Deleuze, L’image-temps. Cinéma 2, Paris, Ed. de Minuit, 1985.
J. NJOO – Analyse de la 8e session du concours Europan en France.
20
Lille, Endroit en ville en vert, Xavier Géant, Jochen Gerner, Camille Tourneux,
(préselectionné)
Chalon-sur-Saône, Adhérer au site, Gérald Lafond, Sabine Orlandini,
Julie Laborde, (mentionné)
D’autres formes de récit se rapprochent davantage du
quotidien et de l’ordinaire, comme les séquences de bandes
dessinées du projet Endroit en ville en vert à Lille, dialogues
ludiques d’« architectures parlantes » qui permettent de
souligner différents thèmes comme la nature ou la
réhabilitation. Quand il s’agit d’imaginer un futur moins
défini, le récit peut prendre des formes d’écriture plus
ouvertes comme la forme d’un scénario par exemple.
Support à la participation et à l’improvisation, la
scénarisation permet de circonscrire les conditions d’une
dynamique urbaine possible sans la figer. Si les récits en
forme de mythes ou de dialogues ont tendance à se
structurer sous forme de séquences linéaires, le scénario au
contraire se présente en général comme une image unique
mais composite mettant en scène moins l’action que les
interrelations entre acteurs.
Hénin-Carvin, JSI-Je suis ici – vivre et travailler à Drocourt, Bertrand Segers,
Charles-Edmond Henry avec Christophe Chabbert et Franck-David Barbier, (lauréat)
J. NJOO – Analyse de la 8e session du concours Europan en France.
21
3 - La présence du temps : figures de
discours
Istanbul, Urban Sliding, Carole Pralong, Nathanaelle Baës, Kevin Joutel, (lauréat)
L’avenir est devenu le lieu de la réalisation du progrès et de
l’accomplissement de l’histoire, ce qui implique que le futur
soit dorénavant à prospecter et à construire. Les diverses
manières d’investir rationnellement le futur telles que la
prévision, la planification, la prospective, mais également la
futurologie et la science-fiction, répondraient ainsi à la
volonté de maîtriser l’avenir et le changement.
Or, comme bon nombre de spécialistes l’ont observé, nous
ne sommes plus dans la temporalité linéaire des sociétés
industrielles – les valeurs de la modernité se sont étiolées
parce que la rationalité instrumentale n’est plus l’unique
modèle de cohérence et que le refus de la raison triomphante
se généralise. Pour des sociologues, le travail n’est plus
l’activité attractive autour de laquelle s’organise la société,
dont le relais serait assuré par le loisir. Toutefois, encore
J. NJOO – Analyse de la 8e session du concours Europan en France.
sous la dépendance du travail, le loisir cèderait plutôt le pas
au temps libre, que l’on peut comprendre comme un temps
réservé à la réalisation personnelle.
C’est le passage d’une société de production à une société de
consommation. Les modifications de notre expérience du
temps se rapporteraient essentiellement à l’amplification
d’une temporalité plurielle, composite, aux niveaux
enchevêtrés et à l’accent donné à la quotidienneté,
l’actualité, l’instantanéité. Ce retour à soi signifie un avenir
subordonné à une extension du présent. L’homme tendrait
dorénavant à revendiquer et à construire son temps, celui-là
même dont il a été dépossédé. Un tel désir est manifeste au
regard du sentiment largement partagé de manque de
temps. Autrement dit, l’impression de manquer de temps
révélerait l’inadéquation entre le temps dont nous disposons
et l’ensemble des actions que nous désirons accomplir. Parce
que le temps semble s’accélérer et nous échapper, il devient
impératif de s’en réserver un qui nous appartienne et dont
nous maîtrisons les limites. C’est le passage du temps conçu
comme valeur abstraite, homogène et universelle au « temps
à soi33 » comme reconnaissance de la pluralité des
temporalités qui nous paraît primordial. Les projets
d’Europan reflètent-ils cette évolution d’un avenir plus centré
sur le présent ? Prennent-ils en compte le besoin actuel de
personnaliser davantage le temps ?
Nous avons vu que les projets ont tendance à épouser des
formes de temporalité plurielles et à combiner des procédés
de représentation très divers. En effet, les projets font
souvent appel à la participation ou l’implication des usagers
et acteurs en leur offrant des outils et des choix plutôt que
des solutions prédéterminées. On peut constater d’ailleurs
qu’un bon nombre d’équipes attribue un statut privilégié aux
éléments temporaires ou évolutifs (activités événementielles,
systèmes modulaires adaptatifs, emploi de scénarii, etc.). Si
tous les projets n’adoptent pas une approche « par le bas »
33 Voir Helga Nowotny, Le temps à soi. Genèse et structuration d’un sentiment du
temps, trad. de S. Bollack et de A. Masclet, Paris, Ed. de la Maison des Sciences de
l’homme, 1992.
22
qui implique les futurs usagers dans le processus décisionnel,
la plupart envisage au moins un re-équilibrage des pouvoirs
où le rôle de l’individu dans un contexte local (ville, quartier,
lotissement…) se trouve amplifié. C’est la valorisation d’un
avenir plus « immédiat » qui ferait l’objet d’une construction
dans le présent, sans pour autant que le projet, lui, perde
ses dimensions durable et prospective.
Proche de l’analogie biologique, se situe une troisième figure,
celle de la consommation. Il s’agit d’impliquer davantage
l’usager dans le processus de conception, de lui permettre de
personnaliser le « produit ». Par des choix, options, outils,
l’usager devient un participant actif dans la fabrication du
projet, il construit son habitat futur dans le présent qui
devient un temps plus individualisé.
Pour conclure, considérons brièvement comment certaines
figures de référence permettent d’étayer le discours sur la
temporalité à commencer par une récurrente, celle de la
nature.
Enfin, la dernière figure de référence est celle de la
construction, l’analogie au chantier comme lieu de
mouvement perpétuel. Il s’agit de rendre plus concrète la
dynamique des processus urbains, de conjuguer le pérenne
et le passager par référence aux procédés constructifs. Aux
antipodes des analogies biologique et consommateur mais
proche de celle de la nature, notamment dans la
symbolisation du rapport au sol, le chantier met en scène
une pensée du faire et de la matière. Lieu scénique ainsi que
technique, il incarne l’idée de la ville comme œuvre
inachevée.
La nature permet de célébrer des processus lents et
pérennes, une écologie du temps qui résiste à la pression
spéculative. Dans plusieurs projets ce temps « naturel » est
le temps de la maturation et de l’adaptation, à la fois en
terme de conscience environnementale et de croissance
physique. Le sol prend souvent une valeur identitaire à part,
articulation entre paysage et urbanisme, enracinement et
mémoire collective. Se réfugier dans la nature, c’est
« suspendre le temps », faire en sorte que le présent se
prolonge.
Une autre figure de référence importante est celle de la
biologie. Si la référence à la nature est souvent employée
comme une ode au contextualisme, celle de la biologie
s’apparente plus à un plaidoyer pour l’hybridation et la
complexité. Jeu de programmation et de paramétrage
typologique, la biologie offre un modèle de variation
infiniment riche. Les concepteurs s’appuient sur la notion de
code génétique qui permet de fixer les invariants dans un
champ d’indétermination sans échelle. Le dispositif formel du
« chromosome », unité typologique de base, permet de
décomposer le processus de la conception, assurant ainsi au
projet une certaine « traçabilité ». Du micro-urbanisme au
mobilier urbain, l’analogie biologique permet d’objectiver
l’imbrication des échelles et la production de différence.
J. NJOO – Analyse de la 8e session du concours Europan en France.
Ces quatre figures convergent vers un enjeu commun qui est
la liberté d’action. Dans un monde où chacun doit trouver
son chemin entre le déterminisme et la contingence des
événements, il y a –comme Cedric Price le disait– un certain
délice dans l’inconnu.
23