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Devant des valeurs à risque,
quel mode d’emploi ?
q
Dans les sciences exactes, la précision est
reine. Pas en économie où il est difficile
de quantifier certaines variables. Notamment
le risque qui n’est pas unique !
La récurrence des crises finan-
cières le montre : la gestion du risque
fait aujourd’hui partie intégrante de
toute stratégie d’investissement. Cependant, à l’inverse de la vitesse ou
de la température par exemple, le risque n’est pas une grandeur mesurable.
Cela signifie que différents modèles de
risque peuvent renvoyer des valeurs
distinctes pour un même produit financier. Parmi tous les modèles, celui
de la valeur à risque s’est imposé. Il
sert notamment à estimer les réserves
nécessaires aux banques pour couvrir
leur risque de marché.
La valeur à risque d’un
portefeuille
La valeur à risque peut se modéliser
de nombreuses manières. Par « valeur
à risque », nous entendons ici « modèle de valeur à risque». En termes
mathématiques, la valeur à risque est
définie à un niveau de probabilité et à
une échelle de temps fixés. Pour plus
de clarté, nous considérerons par la
suite un portefeuille d’actions dont
nous estimons la valeur à risque à l’horizon d’une semaine. Dire que sa valeur à risque hebdomadaire atteint un
niveau de -3% signifie qu’il y a 95%
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Felix Roudier
Quant Engineer
swissQuant Group.
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de chances que le portefeuille ne subisse pas de perte de plus de 3% dans
la semaine. De manière équivalente, il
y a 5% de chances que le portefeuille
perde 3% ou plus dans la semaine.
Nous nous attendons donc à une perte
de plus de 3% au cours des vingt prochaines semaines.
Modèles de valeur à risque
Le 12 septembre 2006, soit exactement
cinq ans et un jour après le 11 septembre
2001, le niveau de risque estimé a chuté
brutalement.
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L’approche la plus simple est de considérer les rendements historiques du
portefeuille. Sur les cinq dernières
années, nous constatons que 5% des
pertes hebdomadaires du portefeuille
ont été supérieures à 3%. Notre valeur
à risque est donc de -3%. La question
se pose alors de savoir jusqu’où il faut
remonter pour obtenir une valeur fiable. Le chiffre de cinq ans est souvent
avancé. Dans ce cas, le champ d’estimation est décalé chaque semaine de
manière à ne prendre en compte que
les cinq dernières années de données.
Cette approche est pratique, mais très
instable face à des évènements dits «
extrêmes ». Le 11 septembre 2001 en
est un exemple classique. L’effondrement général des cours de bourse a entrainé une augmentation du risque de
marché et ce rendement unique a fortement influencé l’estimation du risque
des cinq années suivantes. Le 12 septembre 2006, soit exactement cinq ans
et un jour plus tard, le niveau de risque
estimé a chuté brutalement, parce que
le rendement extrême du 11 septembre
2001 n’entrait plus en compte dans la
fenêtre d’estimation. Cette discontinuité dans la mesure du risque n’est
pas intuitive et ne reflète pas un changement réel du risque de marché. Nous
souhaitons au contraire que l’effet des
rendements anciens s’estompe avec
le temps. Nous obtenons précisément
ce genre de modèle en appliquant une
pondération plus forte aux rendements
récents. La mesure du risque varie
alors de manière moins discontinue.
Ces deux approches sont dites empiriques car elles ne prennent en compte
que les rendements passés et ne font
d’hypothèses ni sur les rendements à
venir, ni sur les effets d’un rendement
sur les suivants. Elles sont donc faciles
à mettre en œuvre, mais trop statiques.
Modéliser la dynamique des
marchés
Une approche plus complexe consiste
à prendre en compte la dynamique des
marchés.
La valeur à risque peut être modélisée
en supposant l’existence d’un processus sous-jacent, modifiant l’importance relative accordée aux rendements
anciens et récents. Cette famille de
modèles de valeur à risque est inspirée
des phénomènes GARCH (voir encadré).
Plus compliqués à calibrer et à mettre
en œuvre, ces modèles de valeur à risque sont aussi plus « proches » du marché. Ils réagissent aux pics de volati-
-
lité et reflètent mieux les accalmies du
marché que les modèles empiriques.
Contrôler la validité du
modèle
Quel que soit le modèle envisagé, il
faut pouvoir en contrôler la validité.
Chaque semaine, nous estimons la valeur à risque de notre portefeuille. Si
nous traçons l’évolution de cette estimation, ainsi que les rendements effectifs du portefeuille, nous obtenons
les courbes de la figure 1. Nous avons
estimé la valeur à risque à 95%. Nous
nous attendons donc à ce qu’environ
Certains modèles réagissent aux pics de
volatilité et reflètent mieux les accalmies
du marché que les modèles empiriques.
Rendements hebdomadaires du portefeuille (%)
5
Rendements
VaR 95 empirique
4
3
2
1
0
-1
-2
-3
-4
-5
Sep03
Mar04
Oct04
Apr05
Nov05
Jun06
Dec06
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Jul07
Fev08
Aug08
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5% des pertes soient plus importantes
que notre estimation.
Un modèle produisant nettement plus
de 5% de pertes n’est pas fiable. Le risque est alors sous-estimé et le modèle
ne doit pas être employé. De la même
manière, s’il y a nettement moins de
5% de dépassements, le modèle est
alors trop conservateur et ne correspond pas aux objectifs qui lui sont
fixés.
Prendre en compte
l’incertitude des données
Tous les modèles sont calibrés avec
des données. Pour un modèle empirique, il s’agit de déterminer le risque
sur une période passée. Pour un modèle paramétrique, il s’agit de choisir
les paramètres du modèle de manière
optimale. Cette étape est la plus délicate. En effet, comment comparer le
risque d’un hedge fund ayant six mois
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de track-record au risque d’une action
du SMI pour laquelle nous disposons
de plusieurs années, voire décennies
de données ?
Des travaux de recherche récents montrent qu’il est possible de déterminer
de manière analytique l’incertitude
sur une mesure de valeur à risque en
fonction de la quantité de données
disponibles. Nous obtenons un terme
correcteur qui permet de compenser
ce manque de données. Une estimation de valeur à risque effectuée sur
dix rendements sera alors revue à la
hausse, tandis qu’une mesure faite sur
plusieurs centaines de rendements sera
quasiment inchangée.
Confronter plusieurs modèles
Dans le cadre de la gestion des risques de marché, il est toujours utile de
considérer plusieurs modèles de valeur
à risque.
Rendements hebdomadaires du portefeuille (%)
5
Rendements
VaR 95 dynamique
4
3
2
1
0
-1
-2
-3
-4
-5
Sep03
Mar04
Oct04
Apr05
Dans une approche de « haut en bas
», nous ne considérons que le risque
du portefeuille complet, sans regarder
ses constituants. Nous estimons le risque du portefeuille à partir de données
empiriques, ou bien nous utilisons un
modèle paramétrique pour estimer la
distribution de ses rendements.
Dans une approche de « bas en haut »,
nous agrégeons les risques individuels
pour obtenir le risque du portefeuille.
Là encore nous avons le choix entre
l’estimation empirique des risques individuels ou bien leur modélisation.
Nous disposons donc de quatre valeurs
de risque distinctes qu’il faut interpréter. D’autres paramètres entrent également en jeu. Quel modèle semble le
plus adapté au marché actuel? Comment les modèles se sont-ils comportés par le passé? En fin de compte, les
modèles de risque ne font que fournir
des indications aux investisseurs, qui
doivent ensuite décider de la marche
à suivre.
Nov05
Jun06
Dec06
Jul07
Fev08
Aug08
Figure 1 et 2:
Valeur à risque empirique et dynamique.
Nous traçons en abscisse les semaines et en ordonnée les rendements hebdomadaires du portefeuille.
a. Modèle empirique. Sur 251 semaines, 9 pertes
sont supérieures au risque estimé, soit 3.6 %. Le modèle empirique est donc conservateur. Cependant, les
prévisions de risque sont statiques. La VaR varie assez peu et les dépassements se répartissent sur une
période très resserrée.
De manière contre-intuitive, le risque estimé diminue
au cours de l’année 2007.
b. Modèle GARCH. Sur 251 semaines, 13 pertes sont
supérieures au risque estimé, soit 5.2 %. Le modèle
respecte donc la cible de risque fixée. Par ailleurs, le
risque estimé est dynamique et «suit» le marché. Les
dépassements sont répartis sur l’ensemble de la période testée et le risque estimé augmente au cours de
l’année 2007. Le modèle répond donc à tous les critères de performance fixés et peut donc être utilisé.
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