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Compte rendu
Mission d’information
sur les raisons des dégâts provoqués
par la tempête Xynthia
– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Yves Le Ven,
directeur du Centre d’études techniques maritimes et fluviales
(CETMEF) .................................................................................. 2
Mardi
4 mai 2010
Séance de 18 heures 15
Compte rendu n° 6
SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010
Présidence
de M. Maxime Bono
M. le président Maxime Bono. Nous recevons M. Jean-Yves Le Ven, directeur du
Centre d’études techniques maritimes et fluviales (CETMEF), accompagné de quatre de ses
collaborateurs. Messieurs, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation.
Le CETMEF est un service technique central à compétence nationale, spécialisé dans
l’ingénierie côtière. Je vous propose, monsieur le directeur, de nous présenter brièvement le
CETMEF, ses savoir-faire et, surtout, le regard qu’il porte sur l’aléa que nous avons connu,
sur les méthodes de prévisibilité et sur les coopérations engagées. Nous vous poserons ensuite
quelques questions.
M. Jean-Yves Le Ven, directeur du CETMEF. Le Centre d’études techniques
maritimes et fluviales est rattaché au ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement
durable et de la mer. Il compte 240 agents, implantés sur cinq sites : 80 personnes travaillent
au siège, à Compiègne, et autant à l’établissement principal, à Brest ; un autre établissement
est implanté à Bonneuil-sur-Marne ; deux agences, situées à Nantes et à Aix-en-Provence,
accueillent chacune une vingtaine d’agents.
Le CETMEF a quatre domaines d’action principaux.
Il intervient en matière de transports et de multimodalité, notamment pour le compte
de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM). Nous
apportons ainsi une aide technique aux ports sur leurs projets de digues (par exemple pour
Port 2000 au Havre), de quais (pour Fos XXL à Marseille), d’aménagements (pour le terminal
méthanier de Dunkerque). Nous sommes également un soutien de Voies navigables de France
(VNF), notamment pour le canal Seine-Nord Europe, et nous participons, en support
technique, au Grenelle de la mer, dans le cadre du groupe de travail sur les ports du futur.
Le CETMEF intervient également dans le domaine de la sécurité et de la signalisation
maritimes, en soutien de la direction des affaires maritimes. Nous développons des moyens
modernes de surveillance du trafic maritime, utilisés notamment dans les centres régionaux
opérationnels de surveillance et de sauvetage en mer (CROSS). Nous assurons en outre la
modernisation et la maintenance des phares et balises, appellation traditionnelle d’un service
créé en 1792.
Troisième secteur : les télécommunications. À l’origine, il s’agissait plus précisément
de la radiocommunication maritime, mais notre domaine d’intervention a été progressivement
étendu au réseau terrestre, particulièrement important en situation de crise. Nous agissions
surtout pour le compte de la direction des routes, en cas d’inondations ou de tempêtes de
neige. Ce secteur est en mutation profonde, avec la substitution des liaisons numériques aux
réseaux radio et avec la géolocalisation ; nous étudions notamment la mise au point de
l’e-navigation, la navigation guidée par Internet, dans le domaine non seulement maritime,
mais également fluvial.
Enfin, nous intervenons en matière d’environnement et d’aménagement littoral, côtier
et fluvial, en liaison avec la direction générale de la prévention des risques (DGPR) et avec la
direction de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) du ministère de
l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer.
Nous exerçons cinq types de métiers.
Notre premier métier a trait à la recherche, au développement et à l’innovation. Dans
ce domaine, le Centre s’appuie sur trois laboratoires créés en commun avec des universités :
le laboratoire d’hydraulique numérique, en partenariat avec l’université de technologie de
Compiègne ; un laboratoire qui développe des modèles physiques sur les transferts de
sédiments, en partenariat avec l’Université de Bretagne occidentale ; et le laboratoire SaintVenant, sur l’île de Chatou, qui développe des modèles réduits physiques et des modèles
numériques, en partenariat avec le Laboratoire national d’hydraulique et d’environnement
d’EDF et avec l’École nationale des ponts et chaussées. Nous travaillons également
ponctuellement avec d’autres organismes, comme l’Institut français de recherche pour
l’exploitation de la mer (IFREMER), à Brest.
Notre deuxième métier consiste à établir, autant que faire se peut, des règles de l’art
grâce à la rédaction et à la diffusion de notices techniques et de guides méthodologiques,
comme le Guide Enrochement. En outre, afin d’assurer la diffusion la plus large possible de
ces règles, nous sommes particulièrement impliqués dans la formation, qu’il s’agisse de la
formation initiale – nous accueillons de jeunes ingénieurs pour qu’ils préparent des thèses de
doctorat et nous donnons des cours dans plusieurs écoles – ou de la formation continue, pour
l’instant orientée préférentiellement vers les services compétents, mais qui peut s’élargir vers
les collectivités territoriales.
Notre troisième métier est l’expertise. Nous sommes intervenus, il y a plusieurs
années, à l’occasion du sinistre du port de Nice : le chef de service de l’époque avait participé
à l’expertise de cette catastrophe. Nous participons également en tant qu’experts à
l’aménagement de Port 2000, au projet de rétablissement du caractère maritime du MontSaint-Michel et au projet de route du littoral sur l’île de la Réunion. En matière d’ingénierie,
nous considérons qu’il existe des bureaux d’études compétents et que notre vocation n’est pas
de les concurrencer ; nous intervenons de manière limitée, sur des problèmes qui sortent de
l’ordinaire, de manière à nourrir par la pratique l’état de l’art.
Notre quatrième métier est l’assistance aux maîtres d’ouvrage, en priorité publics,
comme les directions générales du ministère, les grands ports maritimes, Voies navigables de
France, les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement
(DREAL) ou les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM). Nous
travaillons également sporadiquement pour d’autres maîtres d’ouvrage.
Enfin, nous exerçons un métier plutôt atypique, la direction technique et industrielle en
sécurité maritime et en signalisation. À ce titre, nous concevons, évaluons et validons des
matériels pour les phares et les balises, mission particulièrement importante pour la fiabilité
de la sécurité maritime qui mobilise non seulement des ingénieurs, mais également des
ouvriers.
Vu l’étendue de notre champ de compétence, nous disposons nécessairement de
moyens limités dans chacun de nos domaines d’intervention. Nous avons donc décidé de
partager le savoir et de travailler en réseau avec des partenaires comme l’IFREMER, le
Service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM), Météo-France, le Bureau
de recherches géologiques et minières (BRGM), l'Institut de recherche pour l'ingénierie de
l'agriculture et de l'environnement (le CEMAGREF) et les centres d’études techniques de
l’équipement (CETE) qui, en raison de leur dissémination sur l’ensemble du territoire, sont un
relais très important.
S’agissant de nos moyens, nous employons 240 personnes pour un budget de
fonctionnement d’environ 2 millions d’euros. Nous menons en outre des études financées par
les directions générales du ministère pour un montant annuel de quelque 1 million d’euros.
Enfin, nous avons la capacité de faire travailler les CETE à hauteur de 2 à 3 millions d’euros
par an.
Permettez-moi de vous présenter les collaborateurs qui m’accompagnent. Olivier Piet,
directeur adjoint, possède vingt ans d’expérience dans la maison ; je ne suis pour ma part à la
tête du CETMEF que depuis quelques mois. Joël L’Her, également depuis vingt ans au
CETMEF, est le chef du département « Environnement, aménagement littoral et côtier ».
Sébastien Dupray, spécialiste des ouvrages côtiers, possède une expérience internationale ; il
a notamment participé, dans le cadre de ses travaux en Angleterre, à l’élaboration du Guide
Enrochement, version française du Rock Manual. François Hissel, chef du département
« Recherche, informatique, modélisation », est impliqué dans la gestion des crises, dans la
mesure où il participe au développement d’un logiciel, Osiris, qui pourrait être utile à cette
fin ; il prépare en parallèle une thèse, car il nous importe que nos ingénieurs disposent d’une
formation en doctorat, afin de renforcer leur position à l’international.
Ils répondront avec plus de précision que moi à vos questions sur les zones littorales,
la gestion des traits de côte, l’état de l’art pour la réalisation des ouvrages de défense, la
recherche sur les digues et les ouvrages côtiers, la gestion des risques et les guides
méthodologiques.
M. le président Maxime Bono. Pouvez-vous préciser la nature de votre partenariat
avec Météo-France ? Comment participez-vous à ce que l’on appelle l’« océanographie
opérationnelle » ? Quels sont les rapports entre les houlographes du CETMEF et les
marégraphes du SHOM ?
M. Joël L’Her, chef du département « Environnement, aménagement littoral et
côtier » du CETMEF. Le CETMEF est chargé de la mesure de la houle. Nous transmettons
nos informations à Météo-France, afin qu’elles soient intégrées à sa chaîne de prévision. Le
réseau de houlographes, dont l’existence était menacée jusqu’à il y a environ trois ans, a été
pérennisé et inscrit dans notre contrat d’objectifs et de moyens. Météo-France participe aux
réunions annuelles de programmation et d’orientation dans ce domaine.
Par ailleurs, nous participons au projet partenarial PREVIMER, piloté par
l’IFREMER, auquel Météo-France et le SHOM sont associés, qui vise à la diffusion de
diverses données d’océanographie opérationnelle et bénéficie de la collaboration
d’organismes privés soutenus par des pôles de compétitivité Mer, comme PREVICOT.
La principale action que nous avons menée en commun avec le SHOM s’agissant des
risques littoraux fut l’élaboration d’un CD-Rom contenant des cartes de niveaux extrêmes de
la mer, obtenues en cumulant les effets de la marée et des surcotes météorologiques, suivant
une méthode mise au point par Bernard Simon, du SHOM, en réponse à une commande du
CETMEF. Ce document, dont je vous ai apporté quelques exemplaires, sert de référence pour
fixer les niveaux extrêmes utilisés comme données d’entrée pour l’élaboration des plans de
prévention des risques naturels prévisibles (PPR). L’avantage, c’est que l’unité de mesure est
l’IGN69, et non la cote marine.
M. le président Maxime Bono. Cet outil permet-il, si l’on possède une bonne
connaissance de la topographie au-delà des ouvrages de défense et du trait de côte, de prévoir
ce qui se passerait en cas de submersion ?
M. Joël L’Her. Il fournit en tout cas la donnée qui doit être saisie dans les outils de
simulation afin d’obtenir des données spatialisées.
M. Dominique Caillaud. Vous disposiez de ce calcul le 28 février dernier ?
M. Joël L’Her. Non : il s’agit d’une évaluation des niveaux marins extrêmes pour une
période de retour de cent ans, qui sert de référence à l’élaboration des PPR, sauf si un
événement plus intense survient.
M. le président Maxime Bono. Pour prévoir la valeur des surcotes, Météo-France
utilise-t-il cet outil statistique ?
M. Joël L’Her. Le métier principal de Météo-France est la prévision. Il s’agit ici d’un
outil de climatologie, qui donne une information sur le niveau marin extrême centennal. Pour
réaliser des prévisions, il faut faire des assimilations de données. Notre apport en la matière se
limite à la fourniture à Météo-France de nos données de houle.
M. Jean-Louis Léonard, rapporteur. Cinq heures avant la catastrophe, MétéoFrance ne prévoyait qu’un mètre de surcote. Qui, en France, est capable de calculer douze
heures à l’avance le niveau de surcote en fonction des données dont dispose Météo-France sur
les marées, les vents et les pressions ?
M. Joël L’Her. Ce sont Météo-France et le Service central d'hydrométéorologie et
d'appui à la prévision des inondations (SCHAPI) qui sont chargés de réaliser les prévisions et
de lancer les alertes.
M. le rapporteur. Quel est votre rôle, à vous ?
M. Joël L’Her. En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas chargés de produire de
la prévision météorologique ni océanographique. Nous contribuons à la production des
modèles qui servent aux services chargés de la prévision. Nous avons notamment participé à
l’élaboration du modèle pour la Gironde, que va vous présenter François Hissel.
M. François Hissel, chef du département « Recherche, informatique,
modélisation » du CETMEF. Le CETMEF n’intervient pas en tant que maître d’ouvrage,
mais en soutien au développement et à l’expertise des modèles. C’est à ce titre qu’il a
participé récemment au développement d’un modèle de prévision des surcotes sur l’estuaire
de la Gironde, qui utilise, comme données d’entrée, des données météorologiques telles que le
vent ou les pressions, des données d’états de mer comme les marées ou les surcotes, ainsi que
des données fluviales provenant du Service de prévision des crues, comme les débits de la
Dordogne et de la Garonne, afin de prévoir, à échéance de 48 heures, les hauteurs d’eau dans
tout l’estuaire de la Gironde. Cet outil a été réalisé, sous la maîtrise d’ouvrage du Service de
prévision des crues Littoral Atlantique, par Météo-France et le SCHAPI ; le CETMEF est
intervenu en tant qu’expert pour le développement du modèle.
On a d’abord évalué les modèles existants sur la Gironde et l’on a retenu un modèle
mis au point par EDF après la tempête de 1999, à l’adaptation duquel on a procédé à partir de
2005. Le nouveau modèle est pré-opérationnel depuis octobre 2009. Couplé aux données de
Météo-France, il permet la prévision en temps réel ; il lui reste une validation à obtenir avant
d’être opérationnel – probablement d’ici à la fin du semestre.
Ce modèle permet de prévoir les hauteurs d’eau dans tout l’estuaire de la Gironde,
avec une marge d’erreur de 10 à 30 centimètres, ce qui est très satisfaisant eu égard à
l’amplitude de la marée, qui atteint plusieurs mètres en ce lieu.
M. Jean-Yves Le Ven. Des modèles du même type pourraient être utilisés pour
d’autres zones. Il s’agit d’outils relativement complexes, dont la mise au point nécessite
beaucoup de soin. L’expérience de Xynthia nous conduit à considérer qu’il serait pertinent de
développer aussi rapidement que possible des modèles adaptés aux zones les plus fragiles,
qu’il s’agisse d’estuaires ou de littoraux. Il conviendrait de mobiliser des ingénieurs et des
chercheurs pour mettre au point plusieurs modèles en parallèle et de trouver les financements
nécessaires.
M. le président Maxime Bono. Nous avons prévu d’auditionner le Syndicat mixte
pour le développement durable de l'estuaire de la Gironde (SMIDDEST).
Mme Marie-Line Reynaud. Je note que le CD-Rom Statistiques des niveaux marins
extrêmes a été réalisé en 2008. À qui est-il destiné ? A-t-il été utilisé à des fins de prévision
avant la tempête ?
Par suite de la tempête Xynthia, vos missions vont s’accroître ; disposerez-vous des
financements nécessaires pour mener en parallèle vos cinq métiers ?
M. Joël L’Her. Les Statistiques sont référencées dans les PPR sous le nom d’« Étude
SHOM de Bernard Simon de 1994 » ; le document de 2008 correspond à une actualisation des
données, sur la base desquelles ont été définis les aléas de référence des PPRN littoraux.
Mme Marie-Line Reynaud. A-t-il servi à Météo-France pour l’annonce de la
tempête ?
M. Joël L’Her. Ce document ne sert pas à annoncer des tempêtes, mais à définir
l’exposition aux risques d’une zone et à élaborer un plan de prévention. Il indique l’intensité
du phénomène susceptible de se produire une fois tous les cent ans, référence prise en compte
dans les PPR.
M. le rapporteur. Quand on travaille à l’analyse des risques ou à l’établissement d’un
PPR, le CETMEF est la référence des services de l’État. Avez-vous une vision globale de
l’état de protection du littoral français ? Sur quels réseaux vous appuyez-vous pour asseoir
votre expertise ?
M. Joël L’Her. Tout dépend à quel niveau l’on se situe.
S’agissant de la recension des ouvrages de protection, Sébastien Dupray vous
apportera des précisions. Mais, en amont, on peut souhaiter disposer d’une vision synoptique
du risque littoral en France – d’ailleurs, la directive européenne « Inondation » impose que
tout citoyen soit informé du risque d’inondation dans sa zone de résidence ; et, encore plus en
amont, se pose la question d’une connaissance globale de l’état des structures côtières sur le
littoral français.
Le CETMEF a produit, dans les années 1980, le Catalogue sédimentologique des côtes
françaises, atlas général donnant des informations sur l’érosion et le recul des côtes, ainsi que
sur les risques de submersion. Une conséquence malheureuse de la décentralisation fut d’ôter
à l’État toute vision synoptique en la matière. Nous avons pris les choses en main, en lançant
une étude de vulnérabilité, qui a abouti à la recension bibliographique détaillée des études
régionales existantes sur les risques, leur évolution et la gestion du littoral ; nous avons
également cartographié les zones basses françaises, au-dessous des niveaux de référence
centennaux. Cette étude, qui est en cours de publication, sera diffusée à l’occasion de la
relance des PPR consécutive à Xynthia.
M. Sébastien Dupray. Le terme d’« ouvrage de protection du littoral » recouvre des
réalités très diverses, depuis les digues et les structures naturelles comme les cordons littoraux
ou les dunes qui protègent contre les submersions et les inondations, jusqu’aux ouvrages de
lutte contre l’érosion, notamment en pied de falaise. Le travail de recensement de l’existant
est très lourd.
Dans la famille des ouvrages de protection contre les submersions et les inondations
coexistent des ouvrages à proprement parler et des systèmes naturels complexes, qui
nécessitent une approche, non de génie civil mais naturaliste. Dans ce cadre, il est essentiel de
nouer des liens avec d’autres organismes, comme nous l’avons fait pour la réalisation du
Guide de gestion du trait de côte.
M. Dominique Caillaud. Vous avez fait état de votre mission d’assistance aux
DDTM. Or celles-ci ont été le bras technique des préfets lors de la définition des « zones
noires ». Avez-vous joué un rôle d’expert en la matière ?
M. Jean-Yves Le Ven. À la demande de la DGPR, le CETMEF est en effet intervenu
sur les critères ayant servi à la définition des zones noires.
M. Joël L’Her. Par une lettre de mission envoyée le 16 mars 2010, le directeur
général de la prévention des risques, Laurent Michel, nous a sollicités, Sébastien Dupray et
moi-même, afin de fournir un appui technique au préfet de la Charente-Maritime. Ma mission
portait sur la définition des zones à fort danger, celle de Sébastien Dupray sur le diagnostic
des ouvrages et la reconstruction des digues. Des experts de la direction régionale de
l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) Centre et de la DREAL MidiPyrénées ont également été désignés. Au total, nous étions sept experts. Nous avons effectué
notre travail pour partie en commun, les deux thématiques s’étant rejointes.
Notre mission consistait à apporter des éléments explicatifs aux critères définis par une
note adressée le 18 mars par M. Carenco, directeur de cabinet de M. Jean-Louis Borloo, aux
deux préfets. Cette note donnait déjà des éléments méthodologiques pour la délimitation des
zones à fort danger. Cependant, ces critères ne sont pas d’application simple – en particulier
celui relatif à la vitesse du courant, vu qu’il n’existe pas de mesure disponible. Il a fallu
travailler dans un délai incompatible avec un résultat totalement avéré.
M. le rapporteur. Qu’est-ce à dire ?
M. Joël L’Her. Pour obtenir une donnée courantologique, il convient de mettre en
œuvre un modèle et de disposer des données adaptées.
M. le président Maxime Bono. Tandis que là, vous vous êtes basés sur des murs
abattus, des calculs de résistance ?
M. Joël L’Her. Plus exactement, nous avons donné des éléments méthodologiques
pour ce faire.
M. Dominique Caillaud. Par qui le travail a-t-il été réalisé ?
M. Joël L’Her. Par la DDTM de Charente-Maritime.
M. Dominique Caillaud. Et en Vendée ?
M. Joël L’Her. À ma connaissance, par la DDTM de Vendée.
M. Dominique Caillaud. Est-ce elle qui a fixé à un mètre d’eau le niveau du péril
imminent ?
M. Joël L’Her. Cette indication figurait déjà dans la note de M. Carenco au préfet.
M. Jean-Paul Lecoq. Vous avez évoqué une relance des PPR, ce qui laisse entendre
qu’il n’existe pas, actuellement, de PPR de submersion marine sur la totalité du littoral
français. Pourquoi faut-il, à chaque fois, attendre une catastrophe pour que l’administration se
remette à étudier les moyens de protéger nos concitoyens ?
M. Joël L’Her. En effet, le territoire français est loin d’être couvert par des PPR. Pour
le moment, seules quelques zones sont concernées.
M. Jean-Paul Lecoq. Qui les a choisies ?
M. Joël L’Her. Ce sont les préfets qui fixent les priorités. Dans le cadre de
l’élaboration de PPR sur l’ensemble des zones littorales, qui correspond à la mise en œuvre
d’une décision du Grenelle de la mer, les préfets sont chargés de déterminer les zones les plus
soumises au risque.
M. le rapporteur. Pour revenir à notre sujet, suivant quelle méthode ont été établis les
critères qui vont conduire à détruire des habitations qui avaient été épargnées par la tempête ?
Des personnes sont venues sur le terrain pour prendre des photos et mesurer les hauteurs
présumées atteintes par l’eau. Cela vous paraît-il raisonnable, sachant le temps nécessaire à
l’établissement d’un PPR ?
M. Joël L’Her. C’est un problème philosophique.
M. le rapporteur. Je vous assure que cela n’a rien de philosophique !
M. Joël L’Her. Disons que, de façon générale, la qualité d’une réponse dépend du
délai imparti ; néanmoins, il est possible de répondre à toute question dans un laps de temps
donné. En l’occurrence, les délais étaient particulièrement tendus, puisque la mission nous a
été confiée le vendredi pour un résultat attendu le mercredi suivant.
M. le président Maxime Bono. Dans les délais fixés, il était donc possible de
délimiter un périmètre, mais un travail plus approfondi était nécessaire si l’on voulait avoir
une réelle connaissance des phénomènes ?
M. Joël L’Her. Dans les conseils méthodologiques, nous avons souligné qu’il fallait
faire les choses tout en se conservant la possibilité d’y revenir. Nous étions conscients que les
agents chargés de réaliser une délimitation en étant soumis à de telles contraintes ne
pourraient parvenir à un résultat totalement satisfaisant.
M. Jean-Paul Lecoq. Il est bien évident que le directeur de cabinet du ministre n’a
pas la compétence nécessaire pour déterminer le niveau de risque. Qui l’a conseillé ? Est-ce
vous, monsieur le directeur ?
M. Jean-Yves Le Ven. En ce qui me concerne, je n’ai pas été consulté précisément
sur ce point. Toutefois, il existe d’autres personnes compétentes, notamment à la DGPR, qui
ont pu l’amener à prendre une telle décision.
M. Joël L’Her. Par ailleurs, sa note ne nous était pas adressée.
M. le rapporteur. Dans le cadre de votre mission, avez-vous pris en considération
l’état des ouvrages – qu’il s’agisse des ouvrages existants ou du potentiel de protection des
sites ?
M. Sébastien Dupray. C’était l’objectif du deuxième volet de la mission du 18 mars,
qui visait à réaliser une expertise pour la reconstruction des digues. Nous avons ensuite été
mandatés, le 9 avril, pour une étude de principe sur la protection des différentes zones.
La première étape fut l’élaboration d’une méthode visant à expertiser à très court
terme les ouvrages en prévision des grandes marées de la fin mars.
Nous avons d’abord élaboré, en une journée, une typologie des ouvrages du
département, de manière à focaliser notre attention sur certains d’entre eux ; avec nos
partenaires – conseil général, DDTM et relais territoriaux –, nous avons ainsi recensé la
totalité des travaux réalisés, que nous avons reportés sur un support cartographique, puis nous
les avons expertisés à l’aide des éléments disponibles et nous avons complété cette première
approche par un survol en hélicoptère.
Au terme de ce travail, nous avons retenu une quinzaine d’ouvrages, qui ont fait
l’objet d’une expertise plus poussée par moi-même, par un collègue de la DREAL Centre et
par un membre du CETE du Sud-Ouest. Sept ont été identifiés comme des sites critiques,
susceptibles d’être, à l’occasion des fortes marées, soit franchis, soit rompus.
M. le rapporteur. Votre expertise portait sur les deux départements ?
M. Sébastien Dupray. Non, sur la seule Charente-Maritime.
La deuxième étape a consisté à expertiser les systèmes de défense existants et à étudier
dans quelle mesure on pourrait les conforter, les renforcer ou les compléter.
Le premier principe que nous avons retenu, c’est que l’ouvrage procure un niveau de
protection compatible avec l’événement contre lequel on souhaite se protéger ; en
l’occurrence, la comparaison du niveau d’eau atteint lors du passage de Xynthia avec le
niveau des ouvrages existants a permis de déterminer si une protection plus haute était
nécessaire.
Deuxième principe, il faut que la protection soit continue, c’est-à-dire que les points
hauts autour de la zone à protéger soient reliés par des ouvrages, des digues, des portes ou des
dunes. Bien souvent, ce principe de continuité s’est révélé défaillant, soit que les ouvrages
aient été contournés, soit que, localement, l’eau se soit engouffrée par une passe laissée sans
porte.
Troisième principe, il convient de garantir le niveau de sûreté, c’est-à-dire la résistance
mécanique des ouvrages. Si des ouvrages très hauts sont poussés à l’intérieur des terres ou
érodés sous l’action de la mer, ils ne donneront pas le niveau de protection attendu. Cette
expertise est particulièrement complexe dans le cas des systèmes naturels composés d’une
digue et d’un cordon.
Enfin, nous avons pris en considération le caractère plus ou moins rustique de la
protection ; en effet, une digue en terre avec des enrochements et un système sophistiqué
soulèveront des enjeux de gestion totalement différents, dans la mesure où ce dernier, pour ne
pas montrer de défaillance, nécessitera beaucoup d’entretien, un maître d’ouvrage compétent
et l’engagement de ce dernier à assurer la maintenance de l’ouvrage durant cinquante à cent
ans.
M. le rapporteur. Votre expertise portait-elle sur l’existant ou sur la prospective ?
M. Sébastien Dupray. Sur les deux : l’expertise portait sur l’existant mais, lorsque
nous notions des défaillances, nous examinions s’il était possible de les combler. Il ne
s’agissait toutefois que d’une étude de principe, car dimensionner et concevoir plusieurs
kilomètres d’ouvrages prend plusieurs mois !
M. le rapporteur. De combien de temps disposiez-vous pour réaliser ce travail ?
M. Sébastien Dupray. De quelques jours, au maximum – ce qui était suffisant pour
une étude de principe. Dans ce délai, on ne pouvait guère faire davantage, notamment étudier
les aspects géotechniques. Si un maître d’ouvrage décidait de passer à l’action, de nombreuses
questions resteraient ouvertes.
M. le rapporteur. Avez-vous conseillé la réalisation d’ouvrages dans certaines
zones ?
M. Sébastien Dupray. Nous avons étudié différents scénarios de protection, en
présentant à chaque fois leurs avantages et leurs inconvénients. Ceux qui nous ont paru
techniquement viables ont été intégrés aux réflexions globales. Nous n’avons pas retenu un
projet en particulier, parce que la décision revient au maître d’ouvrage, en fonction d’une
multiplicité d’enjeux.
M. le rapporteur. Quels sites avez-vous expertisé ?
M. Sébastien Dupray. Sept sites en tout : Loix, Nieul-sur-Mer, les Boucholeurs,
Aytré, la pointe de Fouras, Boyardville et la Faute-sur-Mer.
M. Dominique Caillaud. Vous n’avez pas cherché à savoir, pour chaque site, quel
était le maître d’ouvrage ?
M. Sébastien Dupray. Notre travail ne prendra une forme physique qu’à partir du
moment où un maître d’ouvrage prendra la responsabilité, premièrement, de procéder à une
évaluation intégrant d’autres enjeux – concernant, par exemple, l’aménagement, l’architecture
ou l’usage du site – et de faire, en conséquence, un choix sociétal, deuxièmement, d’engager
des études techniques complémentaires – géotechniques, hydrauliques, sédimentologiques –,
troisièmement, de réaliser des investigations réglementaires, au titre de la loi sur l’eau ou de la
législation sur les sites. On ne peut pas présumer du résultat de ces opérations.
Il se pose en outre la question du financement à long terme et des compétences à
mobiliser. Les principes que nous avons mis en avant sont purement techniques.
M. le rapporteur. De tels ouvrages permettraient-ils de protéger les « zones noires » ?
M. Sébastien Dupray. Venant du génie civil et ayant fait mon doctorat sur les
enrochements, je suis bien placé pour savoir que les ouvrages ne sont pas infaillibles.
D’abord, un ouvrage est conçu en fonction d’événements de référence, comme le
niveau d’eau, la vitesse du vent ou le niveau de houle ; par conséquent, plus on se protège,
plus la situation sera dramatique si l’ouvrage vient à être dépassé.
Ensuite, de tels ouvrages nécessitent une auscultation régulière et un minimum
d’entretien, faute de quoi on ne peut pas garantir que l’ouvrage ne cédera pas. C’est un
problème qui ne relève pas uniquement de la technique, mais également de la maintenance.
M. le rapporteur. C’est un problème de gestion des risques.
M. Sébastien Dupray. De gestion de la protection.
M. Jean-Yves Le Ven. Il faut également tenir compte de l’évolution de la plage
devant la défense de côte. Si la plage est dégraissée, son rôle de filtre par rapport à la houle
s’atténue. En d’autres termes, la houle devient plus agressive.
Une direction de houle durant plusieurs hivers peut avoir pour conséquence que la
plage se soit anormalement dégraissée, auquel cas une tempête peut se révéler
particulièrement dangereuse. Il n’y a jamais de certitude en la matière : cela nécessite un
suivi, non seulement de l’ouvrage, mais également de son environnement.
Mme Pascale Got. En Gironde, le référentiel inondation va nous permettre de définir
des zones d’expansion des crues. Ce référentiel est-il transposable au littoral et si oui, dans
quels délais ? Permet-il de déterminer une grille d’intervention au moment d’un aléa ? Enfin,
le livrez-vous avec son mode d’emploi au préfet, auquel cas celui-ci peut préfigurer les
mesures à prendre avant même d’engager la concertation avec les acteurs locaux ?
M. François Hissel. Le modèle de prévision des surcotes utilisé par le Service de
prévision des crues n’est pas le même que celui développé par le SMIDDEST. Leurs objectifs
diffèrent : celui du SMIDDEST vise, dans une perspective d’aménagement, à tester des
solutions de protection, l’autre tend, dans une perspective opérationnelle, à prévoir l’aléa en
temps réel. Contrairement au modèle de prévision des crues, le référentiel inondation pour la
Gironde prend en compte les débordements, ce qui modifie considérablement la rapidité des
calculs.
Dans un estuaire, on ne rencontre pas tellement de problèmes de houle. Or, sur la
façade atlantique, peuvent survenir des inondations par surverse due au franchissement de la
digue par la houle ; le modèle actuel ne le prend pas en compte. Il faudrait appliquer sur la
façade atlantique les modèles existants de propagation de la houle du large vers les côtes. Ce
serait un gros travail, mais c’est possible.
Est-il possible de décliner les résultats de ces modèles de manière opérationnelle ? Le
CETMEF s’est posé la question au début des années 2000. En consultant les personnes
concernées, nous avons réalisé qu’il existait un fossé entre les développements effectués par
les services du ministère et les besoins des services de secours. Nous avons donc cherché à
étendre notre mission, de la prévision de l’aléa vers la gestion des risques.
Nous avons participé, entre 2000 et 2003, au projet européen Osiris, dans le cadre
duquel nous avons développé un prototype de logiciel qui, à partir des résultats des modèles
de prévision des inondations, produit un plan d’action utilisable par les communes. Il s’est
avéré que ce plan correspondait exactement au plan communal de sauvegarde (PCS) prescrit
par la loi de modernisation de la sécurité civile de 2004. Nous avons donc décidé
d’industrialiser le logiciel, avec l’aide de l’établissement public Loire, et nous avons conçu
des sessions de formation à l’élaboration des PCS. Le logiciel a été diffusé à une centaine de
communes du bassin de la Loire.
En 2006, l’établissement public d’aménagement de la Meuse et de ses affluents s’y est
intéressé, l’a couplé à son modèle de prévision des crues, Moïse, et l’a diffusé à une centaine
de communes.
Le logiciel est donc utilisé actuellement par deux cents communes françaises. Au
CETMEF, nous pensons qu’il est susceptible d’intéresser toutes les communes soumises à des
risques d’inondation, notamment celles qui ont l’obligation d’élaborer un PCS. Je crois savoir
que, parmi les communes touchées par la tempête Xynthia, celles qui ont mis en place de tels
plans sont peu nombreuses.
Notre logiciel pourrait leur apporter une aide en ce domaine. Il fournit un cadre
méthodologique qui aide à se poser les bonnes questions : quelles sont les ressources dont
dispose la commune, à quels risques est-elle soumise, comment les quantifier, etc. Une fois
que l’on a répondu à ces questions, le logiciel produit directement le plan de sauvegarde.
M. le rapporteur. Sur la base de quel standard ?
M. François Hissel. Un guide pour l’élaboration des PCS a été élaboré par l’Institut
des risques majeurs (IRMA) de Grenoble, et diffusé par le ministère de l’intérieur. Le plan
produit par notre logiciel répond au format préconisé. On saisit les données du plan de
prévention du risque inondation, les enjeux sur la commune et les ressources dont celle-ci
dispose pour faire face aux risques.
M. le rapporteur. Pensez-vous qu’un plan de sauvegarde bien établi soit de nature à
pallier un événement comme Xynthia ?
M. François Hissel. Si un plan de sauvegarde ne répond pas à toutes les questions, au
moins évite-t-il de se les poser au moment de la crise : on dispose de la méthode à suivre.
Pour un aléa du type submersion, le problème du PCS, c’est son échelle : souvent, la
submersion dépasse le cadre de la commune. C’est pourquoi nous avons engagé des
développements, largement financés par les établissements publics de bassins, visant à un
changement d’échelle d’Osiris, de manière à passer de l’échelon de la commune à celui de
l’intercommunalité et du département.
M. Jean-Yves Le Ven. Pour répondre à la dernière question de Mme Got, les
programmes et les méthodes que nous établissons sont à la disposition de nos tutelles. Notre
vocation n’est pas de faire, mais d’aider à faire. Cela suppose, dans un premier temps, que
l’on fiabilise les programmes et, dans un deuxième temps, que l’on produise des modes
d’emploi aussi clairs que possible, afin qu’un débat puisse avoir lieu en toute transparence, et
qu’il n’y ait pas d’inconnues sur les possibilités de nos produits et leurs domaines de validité.
Des modèles ne répondent jamais à 100 % à un problème : il faut être conscient de leurs
limites.
M. le rapporteur. Pensez-vous, avec votre niveau d’expertise et d’expérience, que la
méthode qui a été utilisée, avec les résultats que l’on connaît, est crédible ?
M. Jean-Yves Le Ven. Nous étions soumis à des délais auxquels nous ne pouvions
nous soustraire. Nous avons procédé avec autant d’honnêteté scientifique que possible. Nous
avons produit des aides à la décision que je qualifierai du « premier ordre de grandeur » et qui
sont par conséquent entachées d’une certaine incertitude. Avec davantage de temps, nous
aurions pu produire ce que nous appelons des analyses « au deuxième ordre », qui auraient été
plus longues, plus complexes, qui auraient mobilisé davantage de personnes, mais dont le
degré de précision aurait été supérieur.
Je pense, en mon for intérieur, que, collectivement, l’ensemble des acteurs a répondu
le mieux possible, vu les délais impartis. Il reste que les aides à la décision sont entachées
d’une certaine incertitude.
M. le président Maxime Bono. Messieurs, je vous remercie de la précision de vos
réponses.
—fpfp—
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur les raisons des dégâts provoqués par la tempête Xynthia
Réunion du mardi 4 mai 2010 à 18 h 15
Présents. - M. Maxime Bono, Mme Marie-Odile Bouillé, M. Dominique Caillaud,
M. Frédéric Cuvillier, Mme Claude Darciaux, Mme Pascale Got, M. Louis Guédon,
M. Christian Kert, Mme Marguerite Lamour, M. Jean-Paul Lecoq, M. Jean-Louis Léonard,
M. Jean Proriol, Mme Marie-Line Reynaud, M. Dominique Souchet
Excusés. - M. Jean-Luc Préel, M. Jacques Remiller