Download L`ACQUISITION DU LANGAGE: ETAPES ET

Transcript
L'ACQUISITION DU LANGAGE:
ETAPES ET THEORIES
Josie Bernicot
Université de Poitiers, Département de Psychologie
Laboratoire PsyDé, Université de Paris 5 – CNRS
Pré-Print
Bernicot, J. (1998b). L’acquisition du langage : Etapes et théories. In R. Ghiglione &
J.F. Richard (Eds.), Développement et intégration des fonctions cognitives. Cours de
Psychologie. Vol. 3 (pp. 420-439). Paris : Dunod. (2e édition, 1ere édition, 1994).
Table des matières
1. INTRODUCTION...............................
2. LES ETAPES DE
L'ACQUISITION DU LANGAGE...................
2.1. La période prélinguistique...............
2.2. Les énoncés d'un seul mot................
2.3. Les énoncés de deux mots.................
2.4. La phrase................................
2
2
2
4
5
6
3. LES THEORIES DE
L'ACQUISITION DU LANGAGE...................... 8
3.1. La situation de communication:
un objet inexistant...........................
9
3.2. La situation de communication:
un objet embarassant..........................
11
3.3. La situation de communication:
un objet intéressant..........................
13
4. CONCLUSION.................................
17
2
1. INTRODUCTION
Il s'agit de présenter ici les étapes de l'acquisition du langage et les théories qui
tentent d'expliquer son évolution avec l'âge. Le tableau que nous dressons ne pouvant
être exhaustif, nous nous sommes limitées à une présentation de la production du
langage oral; le problème de la compréhension est cependant évoqué pour quelques
points qui nous paraissent particulièrement importants. De plus, précisons que les
résultats rapportés concernent le plus souvent les niveaux d'analyse syntaxique et
sémantique, et dans une moindre mesure le niveau pragmatique.
Il existe un nombre important de théories concernant l'acquisition du langage.
Nous ne pouvons ici en présenter qu'un nombre restreint que nous avons choisi parmi
les plus importantes. Leur présentation est centrée sur un aspect particulier: la place
faite à la situation de communication, par ces théories, lors de l'acquisition du langage
par l'enfant.
Il est important de situer les données concernant l'acquisition du langage oral par
l'enfant (cf par exemple Berko-Gleason, 1997) parmi des domaines de recherches
proches du point de vue du contenu et des interfaces théoriques. On peut en particulier
citer le domaine de la pathologie du développement du langage et de la communication
(Bernicot et Chaigneau; 1996; Linfoot, 1994; McTear et Conti-Ramsen, 1992; TagerFlusberg, 1994) et celui de l'acquisition d'une langue seconde par l'enfant et l'adulte
(Hamer et Blanc, 1989; Perdue, 1995). On peut y ajouter le domaine de l'acquisition de
la lecture et de l'écriture (Garton et Pratt, 1989; Fayol et al. 1992; Fayol; 1997), et celui
de la communication et du langage chez les personnes âgées (Bideaud, Houdé,
Pédinielli, 1993; Dixon et al., 1984; Simon, 1982).
2. LES ETAPES DE L'ACQUISITION DU LANGAGE
Nous distinguons quatre grandes étapes: la période prélinguistique, celle des
énoncés d'un seul mot, celle des énoncés de deux mots, et enfin la période de la phrase
avec son évolution longue et complexe qui se poursuit jusqu'à l'âge adulte et parfois audelà. Les âges indiqués pour chaque étape correspondent bien sûr plus à des repères qu'à
des normes absolues d'évolution.
2.1. La période prélinguistique (0-1 an)
3
Ces dernières années un nombre important de recherches se sont concentrées sur
cette période aussi bien dans le domaine de la production que dans celui de la réception.
Ces recherches ont changé l'image que l'on avait du bébé. Sur le plan de la production,
les comportements communicatifs, vocaux et gestuels, du jeune enfant par certains
aspects obéissent aux mêmes règles que ses comportements communicatifs
linguistiques ultérieurs. Sur le plan de la réception des productions linguistiques de son
entourage, le bébé dès la naissance possède des mécanismes perceptifs lui permettant de
distinguer les sons de la parole. Il existe donc une spécialisation des acquisitions, et
certaines conduites apparaissent de façon beaucoup plus précoces qu'on ne le croyait
dans les années 1960 et 1970.
2.1.1. La production
L'activité vocale évolue considérablement au cours de la première année depuis
les cris et les pleurs du nouveau né jusqu'au début de contrôle articulatoire (5-6 mois)
observable dans le babillage de l'enfant qui s'apprête à prononcer ses premiers mots. En
français cette activité vocale est désignée par une terminologie variée: gazouillis, babil,
vocalises ou lallations; dans les recherches les plus récentes on utilise surtout les termes
de babillage et de vocalisations.
Jusqu'à 6 mois l'enfant émet une gamme très étendue de phonèmes (unités de
sons) qui dépasse largement celle de sa langue maternelle. A partir de cet âge ses
productions sonores commencent à se rapprocher des phonèmes de sa langue maternelle
(Boysson-Bardies, 1996).
Pendant cette période, l'enfant passe progressivement d'une forme globale de
communication mettant en jeu le corps tout entier à une forme plus différenciée qui fait
appel à l'activité vocale et à un début de compréhension verbale. Outre l'apprentissage
de sons de sa langue maternelle, un aspect important de cette phase, est l'entrée de
l'enfant dans les mécanismes de base de la communication (Bruner, 1983; 1991). Par
exemple, certaines règles liées à la référence dans le dialogue ou à l'action conjointe
(coopération) sont acquises entre 9 et 18 mois. De plus, à la fin de cette période
prélinguistique, l'enfant adapte ses messages non verbaux à l'interlocuteur et à la
situation de communication selon des règles analogues à celles utilisées pendant la
période linguistique (Bernicot et Marcos, 1992). Deleau (1990) s'intéresse aussi au lien
entre communication prélinguistique et linguistique.
2.1.2. La réception
4
L'enfant nouveau-né n'est plus considéré comme un être totalement dépourvu de
capacités spécifiques d'adaptation, il semble posséder certaines dispositions lui
permettant d'entreprendre très précocement une relation active avec son environnement
visuel ou sonore.
L'enfant montre une habileté surprenante sur le plan de la réception linguistique.
Dès l'âge de 1 mois, il se montre capable de distinguer la voix humaine des autres sons
et avant d'atteindre deux mois, il répond différemment selon qu'il s'agit de la voix de sa
mère ou d'une étrangère (Melher, 1978). Plus étonnant encore les bébés âgés de
quelques jours peuvent être entraînés à répondre de manière différente à la présentation
de l'un des deux stimulus artificiel tel que "ba" et "ga". Ces expériences utilisent la
réponse dite de succion non nutritive. Le principe consiste à habituer le bébé à une
stimulation auditive répétitive (une même syllabe, par exemple "pa"). Le bébé est
installé avec une tétine relié à un dispositif électronique qui permet de compter le
nombre de succion grâce à la variation de la pression de l'air dans le tuyau. Le rythme
de succion est un indice de l'état général du bébé. Quand il est habitué à son
environnement (c'est à dire au son "pa") ce rythme se stabilise. On change alors
brusquement le son en présentant "ga". On considère que si l'enfant réagit au nouveau
son en suçant plus énergiquement sa tétine cela signifie qu'il est capable de le distinguer
du précédent. D'un point de vue théorique, cela suppose qu'à l'état initial l'enfant ait un
système perceptif lui permettant de distinguer les sons de la parole sur la plupart des
dimensions phonétiques.
2.2. Les énoncés d'un seul mot (1 an)
A partir de l'âge de 1 an (entre 9 et 18 mois) l'enfant commence à produire ses
premiers mots. La caractéristique de cette phase est la production de mots isolés, c'est-àdire d'énoncés ne comportant qu'un seul mot: par exemple "papa", "mama", "a'voir"
(pour au revoir), "pati" (pour parti).
Depuis le début du siècle de nombreux auteurs se sont penchés sur les énoncés à
un seul mot des très jeunes enfants. Pour certains, l'enfant commence par nommer des
objet concrets animés ou inanimés. Cependant, d'après les observations de Bloom
(1973), les noms concrets joueraient un rôle relativement mineur dans une première
phase. A 16 mois ce sont plutôt des prépositions, négations, adverbes et verbes qui sont
employés. Si l'on en croit Nelson (1973), les enfants ne parleraient pas tous pour dire la
même chose. Chez certains enfants, les énoncés sont plutôt référentiels c'est-à-dire
orientés vers les objets. Chez d'autres, au contraire ces premiers énoncés sont plutôt
expressifs c'est-à-dire orientés vers la communication: demande, refus, appel, etc...
5
Bloom (1973) a aussi étudié l'usage des noms de personne. Dans un premier temps, les
enfants les utilisent pour nommer quelqu'un qui entre en scène, pour saluer quelqu'un, et
pour l'appeler. Puis il les utilise pour désigner des objets appartenant à la personne
nommée. Enfin, on note l'utilisation des noms de personne pour nommer l'agent d'une
action prévue et imminente.
D'une façon générale, ces mots isolés produits sont interprétés par son entourage
familial comme ayant des significations relativement complexes comparables à celles
d'une phrase. Théoriquement les mots produits par les enfants ont une signification
indéterminée ou ambiguë: en effet, en produisant "papa" l'enfant peut vouloir dire:
"voilà papa", "papa, viens m'aider", papa a un nouveau pull", etc... Dans la pratique, ces
énoncés sont interprétés sans problème à partir de la situation de communication et
permettent des interactions satisfaisantes entre l'enfant et son entourage. Les mots de
l'enfant ne prennent donc une signification et parfois une signification complexe que par
l'interprétation qu'en font les adultes. L'existence même de ces mots ayant valeur de
phrases est le témoin de l'importance de l'interprétation par l'adulte du langage de
l'enfant dans le processus du fonctionnement du langage mais aussi certainement dans
son processus d'acquisition.
2.3. Les énoncés de deux mots (2 ans)
Dès que plusieurs mots peuvent être combinés au sein d'un même énoncé se pose
le problème de leur organisation selon la fonction c'est-à-dire le problème de la syntaxe.
En français, en anglais, mais aussi dans de nombreuses autres langues il est important
d'ordonner correctement les énoncés de façon à assurer le succès de la communication.
A partir de l'âge de deux ans, l'enfant produit des énoncés de deux mots qui son
organisés selon une grammaire, que l'on appelle grammaire-pivot, mise en évidence par
Braine (1963) à partir de corpus d'enfants anglophones. On distingue selon cette
grammaire deux classes de mots: la classe pivot (P) et la classe ouverte(O). Les énoncés
possibles de deux mots sont de la forme: O + P ou P + O. Les mots-pivots sont peu
nombreux. Pour un enfant donné, chacun à une place fixée dans l'énoncé qui peut être
soit la première, soit la seconde. Les mots ouverts sont plus nombreux. Pour un enfant
donné, ils n'ont pas de place fixe dans l'énoncé. le tableau 1 reprend des exemples
d'énoncés de deux mots fournis par Oléron (1976) et Hurtig et Rondal (1981).
Insérer le tableau 1
La grammaire-pivot est une réponse originale au problème de l'ordre des mots
dans la mesure où elle est fondée sur des règles n'existant pas dans la grammaire adulte.
6
Pour cette raison cette grammaire, bien que fonctionnelle jusqu'à l'âge de deux ans, est
une sorte d'impasse linguistique rapidement abandonné par l'enfant. Les modalités de
passage des énoncés de deux mots à la phrase n'ont jamais été totalement éclaircies et
les hypothèses émises n'ont jamais fait l'objet de vérification systématique: il semblerait
qu'une grammaire plus complexe puisse s'élaborer à partir d'une différenciation des
classes P et O en sous-classes.
Dans les énoncés de deux mots produits par les enfants le mot-pivot et le motouvert entretiennent différentes catégories de relations sémantiques: l'existence, la
disparition, la récurrence, l'attribution, la localisation, la possession, le bénéfice,
l'instrumentation, la relation agent-action, et la relation action-patient. Ceci montre une
certaine spécialisation et aussi une complexité de l'utilisation du langage chez l'enfant
dès l'âge de deux ans.
2.4. La phrase (3 ans)
La phrase est définie comme un énoncé de plus de deux mots contenant un
syntagme nominal(SN) correspondant au groupe du nom, et un syntagme verbal(SV)
correspondant au groupe du verbe. Par exemple: le terrible dinosaure(SN) court à folle
allure dans la forêt(SV).
Le tableau 2 reproduit un travail synthétique sur l'évolution de la longueur des
phrase présenté dans le manuel de Carmichaël (1952). Il apparait clairement qu'à l'âge
de 3 ans les enfants produisent des énoncés de trois mots.
Insérer le tableau 2
2.4.1. Le syntagme nominal et le syntagme verbal
L'évolution du syntagme nominal est marquée par l'évolution de ces différents
éléments: nom, pronom, article adjectif préposition et adverbe.
Une synthèse des différents travaux concernant cette question serait trop longue à
présenter ici. Nous avons choisi de présenter à titre d'exemple le tableau réalisé dans le
manuel d'Hurtig et Rondal (1981) (cf tableau 3) qui fait apparaître que l'acquisition des
principaux éléments du syntagme nominal est réalisé entre deux et six ans.
Insérer le tableau 3
L'évolution du syntagme verbal est essentiellement marquée par l'utilisation des
différents temps et mode du verbe (passé, présent, futur). L'ensemble des formes est
7
produit entre quatre et six ans. En sachant qu'il existe des différences interindividuelles
fortes on peut cependant donner les tendances d'un ordre général d'acquisition.
La forme la plus précocement utilisée est la copule "est" (le gâteau est bon)
souvent avant deux ans et demi. Ensuite les auxiliaires être et avoir, Les formes de
l'infinitif, de l'indicatif présent et du passé indéfini sont acquises entre deux ans et demi
et quatre ans.
Les premières formes du futur apparaissent vers 4 ans: il s'agit du futur
périphrastique (ex: il va venir, ça va être mon anniversaire). Le futur simple apparaît
plus tard.
Les formes de l'imparfait et du conditionnel sont les plus tardives et n'apparaissent
qu'entre cinq et six ans.
A cinq ans l'enfant utilise la plupart des formes du verbe. Il est cependant
important de noter qu'il ne les utilise pas essentiellement pour marquer la place de
l'action dans le temps (passé-présent-futur). En cela, le comportement de l'enfant diffère
clairement de celui de l'adulte. En effet, dans les productions de l'enfant jusqu'à l'âge de
six ans, les différentes formes du verbes désignent surtout l'aspect de l'action, c'est à
dire des caractéristiques indépendantes de sa chronologie (Bronckart, 1976). Quelques
exemples de caractéristiques aspectuelles de l'action sont indiqués ci-dessous.
- La distinction action en cours/action intemporelle: "elle est en train de prendre
sa leçon de piano"/"elle prend des leçons de piano".
- La distinction déroulement de l'action/résultat de l'action: "il mangeait du
caviar"/"il a mangé du caviar".
- La convention dans l'imaginaire: "j'étais le gendarme et toi le voleur".
- L'expression du souhait: "ça va être mon anniversaire bientôt".
2.4.2. Les stratégies
L'enfant qui apprend sa langue adopte une attitude face aux messages verbaux de
son entourage différente de celle qu'aurait un adulte maîtrisant parfaitement sa langue.
Ces attitudes de l'enfant reposent sur certaines régularités que l'on appelle stratégies.
Les stratégies sont définies par Oléron (1979) comme des procédés employés par les
enfants pour interpréter des énoncés, souvent complexes, en utilisant certains indices
syntaxiques. Il est important de souligner qu'il ne s'agit pas de procédés mis en oeuvre
8
délibérément, consciemment par les enfants mais de régularités dans la manière
d'aborder les énoncés.
Dans cette perspective la compréhension des phrases passives, des pronoms et des
relatives en "que" et en "qui" a été étudiée (cf par exemple Ségui et Léveillé, 1977).
C'est ce dernier exemple que nous allons développer ici.
Exemple de relative en "qui"
Le président qui salue la foule (renversable)
La foule qui salue le président (renversable)
Le chat qui mange la souris (non renversable)
Exemple de relative en "que"
Le président que salue la foule (renversable)
La foule que salue le président (renversable)
La souris que mange le chat (non renversable)
Les relatives en "qui" n'altèrent pas l'ordre canonique agent-action-patient: celui
qui fait l'action apparaît en premier, puis vient l'action réalisée, et enfin celui sur lequel
porte l'action. Les relatives en "que" modifient cet ordre canonique: celui sur lequel
porte l'action apparaît en premier, puis vient l'action, et enfin celui qui la réalise. Les
relatives peuvent être renversables lorsque l'inversion de l'agent et du patient
correspond à une phrase sémantiquement acceptable. Elles sont dites non renversables
lorsque cette inversion est impossible sur le plan sémantique.
La compréhension des relatives en "qui" (qu'elles soient renversables ou non) ne
pose pas plus de problème que celle des phrases actives: on obtient entre 3 ans 7 mois et
4 ans 8 mois 100% de bonnes réponses.
La compréhension des relatives en "que" n'apparaît pas au même âge pour les
phrases non renversables (3 ans 7 mois) et renversables (10 ans 6 mois). Il apparaît
donc que pour les relatives en "que" non renversables les enfants utilisent une stratégie
basée sur les informations sémantiques. Pour les relatives en "que" renversables
n'amène pas à une interprétation unique, les enfants utilisent une stratégie basée sur
l'ordre canonique qui les conduit à une interprétation erronée jusqu'à un âge (10-11 ans)
relativement tardif.
Après avoir fait une présentation des étapes de l'acquisition du langage, il
maintenant nécessaire de faire appel aux théories qui tentent d'expliquer cette évolution.
3. LES THEORIES DE L'ACQUISITION DU LANGAGE
9
Si l'on suit un raisonnement centré sur la situation de communication, les théories
de l'acquisition du langage peuvent être présentées selon trois grands axes: les théories
qui ne prennent absolument pas en compte la situation et qui sont uniquement centrées
sur la grammaire, les théories qui à travers l'étude de l'évolution de la signification des
mots ont rencontré la situation sans pouvoir l'intégrer dans leur système, et enfin les
théories dont l'objet même est le rapport entre langage et situation de communication.
3.1. La situation de communication: un objet inexistant
Ce point de vue est représenté par deux théories de l'acquisition du langage: l'une
issue de la théorie du linguiste Noam Chomsky et l'autre issue de la théorie du
psychologue Jean Piaget.
Dans la perspective issue des travaux de Chomsky, la langue est une grammaire
dont la théorie fournit un modèle formel. L'apprentissage du langage par l'enfant
correspond à l'apprentissage de cette grammaire. On considère que la structure du
langage dérive d'une certaine façon des principes généraux de la cognition. Par
exemple, l'ordre Sujet-Verbe-Objet correspond à l'ordre de l'expérience quotidienne:
celui qui fait l'action, l'action et l'objet à laquelle on l'applique. C'est cette analogie entre
principe cognitif déjà connu par l'enfant et structures grammaticales qui permettrait
l'apprentissage rapide du langage. L'enfant est sensible aux marques linguistiques qui
reflètent des catégories cognitives qu'il possède déjà. Pour apprendre la langue il faut
connaître ce que la langue décrit.
Selon McNeill (1970), qui a développé la théorie de Chomsky du point de vue de
l'acquisition du langage, l'enfant comme un linguiste face à une langue étrangère fait
plusieurs hypothèses relatives à la grammaire de sa langue. Ces hypothèses sont
engendrées par un système d'acquisition du langage (LAD: Language Acquisition
Device) inné et testées par rapport aux productions linguistiques de son entourage. Du
point de vue de la structure le LAD contient les règles communes à toutes les langues
(par exemple on l'ordre SVO dans un grand nombre de langues). Une première
hypothèse consiste pour l'enfant à supposer qu'une phrase est un mot: l'enfant s'exprime
alors par énoncé d'un seul mot. La grammaire pivotale (cf paragraphe 2.3) constitue une
seconde hypothèse qui sera à son tour abandonnée pour une grammaire plus complexe.
Une caractéristique spécifique de cette grammaire est de permettre de créer à partir de
ces règles un nombre infini d'énoncés (cf tableau 4): cette grammaire est appelée
générative.
Insérer le tableau 4
10
Slobin (1981) a tenté de valider cette position par le biais des études
interculturelles, c'est à dire en comparant le développement linguistique d'enfant issus
de cultures pouvant être très différentes comme les cultures occidentales, samoans,
kaluli, mayas, etc... Dans ces sociétés le comportement des parents à l'égard du langage
enfantin est très différent: certaines considèrent l'enfant comme un être doué pour la
communication verbale et d'autres ne se posent pas la question. Il apparaît que quelque
soit l'attitude des parents, entraînement spécifique ou inattention à l'égard du langage de
l'enfant, l'acquisition du langage est réalisé de la même manière.
Pour les chomskiens, ce type de résultat est interprété comme un élément en
faveur de l'existence d'un dispositif inné de l'acquisition du langage.
Pour les psycholinguistes piagétiens comme Sinclair de Zwart (cf Bronckart, Kail
et Noizet, 1983) les aspects essentiels du langage sont structuraux et représentatifs et,
jouent le rôle du moteur d'une machine. Les aspects mineurs sont contextuels et
communicatifs et jouent le rôle du mode d'emploi de la machine. L'emprunt aux théories
linguistiques formelles est alors indispensable; celles-ci fourniraient un sorte d'algèbre
de la langue. Bien entendu pour les psycholinguistes piagétiens l'acquisition du langage
est subordonnée à l'exercice de la fonction symbolique et est réalisée, comme toutes les
autres grandes fonctions(par exemple la perception ou la mémoire), selon un principe
constructiviste qui implique à la fois l'activité de l'enfant et ses échanges avec le milieu.
Ce sont les travaux d'Hermine Sinclair de Zwart (1967) qui représentent le mieux
la perspective piagétienne en matière d'acquisition du langage (cf Piaget et Inhelder,
1966); ces travaux sont centrés sur l'étude du rapport entre langage et opérations (au
sens piagétien du terme). Voici, présentée de façon résumée, un exemple de l'une de ces
recherches.
On prend deux groupes d'enfants l'un conservant l'autre étant non conservant 1 . On
propose aux enfants la tâche suivante: ils doivent décrire des couples d'objet différents
variant quant à leur taille (un petit et un grand bâton), à leur nombre (un ensemble de
deux billes et un ensemble de cinq billes), etc... Il apparaît que le langage des deux
groupes est très différent. En particulier les enfants non conservants utilisent des formes
linguistiques comme "celui-là un grand", "celui-là un petit", "celui-là a beaucoup",
1
Rappelons, par exemple en ce qui concerne la matière, qu'un enfant est dit conservant
s'il admet qu'une boule de pâte à modeler dont on change l'apparence perceptive (en
l'aplatissant ou en l'émiettant) contient la même quantité de pâte qu'avant la
transformation; il doit de plus être capable d'expliquer correctement cette constance.
11
"celui-là pas beaucoup"; ils considèrent donc les deux objets indépendamment l'un de
l'autre et de plus ne prennent en compte qu'une dimension à la fois. Les enfants
conservants utilisent des formes linguistiques comme "celui-là un grand", "celui-là est
plus grand que l'autre", "celui-là en a plus que l'autre"; ils comparent donc les deux
objets, et de plus prennent en compte deux dimensions à la fois (ex: ce crayon est plus
long et plus mince".
Les piagétiens concluent à la suite de ce type d'expérience que le langage ne
constituent pas la source de la logique, mais qu'au contraire le langage est structuré par
la logique.
Cette position, qui consiste à ne pas prendre en compte la situation de
communication, réduit le langage à la grammaire. Ses partisans ont pour la défendre un
certain nombre d'arguments. Ce point de vue est celui des certitudes, du refus de
l'ambiguïté: les mots sont des étiquettes attribuées conventionnellement à des faits ou à
des images préexistantes, les mots ont un sens et un seul que chacun peut reconnaître.
Ces limites ont toujours été présentées comme nécessaires d'un point de vue
méthodologique. Les bornes de l'étudiable sont définies par Saussure (1916) en
affirmant que non seulement la science de la langue peut se passer des autres éléments
du langage, mais qu'elle n'est possible que si ces autres éléments n'y sont pas mêlés.
3.2. La situation de communication: un objet embarrassant
C'est avec l'étude de la signification des mots que les chercheurs ont été confronté
au rôle de la situation (cf Bramaud du Boucheron, 1982). La présentation d'un exemple
de théorie relative à ce domaine, nous permettra de faire apparaître les aspects
contradictoires de la problématique de ce type de recherches.
A partir de 1973, de nombreuses recherches ont été réalisées dans le cadre de la
théorie du trait sémantique d'E.V. Clark (1973). Le postulat de base de cette théorie est
que la définition d'un mot est composée d'unités de sens (correspondants à des traits
inhérents dans la théorie initiale). Cette théorie très riche permet à la fois, une bonne
opérationnalisation des concepts, des prédictions quant à l'ordre d'acquisition des mots à
l'intérieur d'un champ sémantique, et des prédictions quant à la signification que les
enfants attribuent à chaque mot. On peut déduire de cette théorie cinq hypothèses qui
ont fait l'objet de vérifications expérimentales.
a) Hypothèse de la surextension: les enfants font des erreurs dans la signification
qu'ils attribuent aux mots correspondant à des surextensions (cf tableau 5).
12
Insérer le tableau 5
b) Hypothèse de la composition des traits: les traits sémantiques définissant la
signification d'un mot sont acquis par adjonctions et combinaisons successives.
c) Hypothèse des traits généraux et spécifiques: à l'intérieur d'un champ
sémantique, par exemple les verbes de possession ou de mouvement, les traits
composants la signification d'un mot sont acquis des plus généraux au plus particuliers.
Un nombre important de recherches concerne l'acquisition des verbes. Par exemple
PRENDRE (Transmission d'un Objet) est acquis avant ACHETER (transmission d'un
Objet + Transmission d'Argent) et dans un premier temps l'enfant attribue à ACHETER
la signification de PRENDRE: simple transmission d'un objet d'un individu vers un
autre.
d) Hypothèse des traits perceptifs: les premiers traits composant la signification
d'un mot sont d'origine perceptive.
e) Hypothèse de la transparence: la correspondance entre l'utilisation d'un mot par
l'enfant et la signification qu'il lui attribue est stricte: le réfèrent d'un mot a toujours
toutes les propriétés de la signification qu'il a pour l'enfant. ceci exclut l'utilisation d'un
mot dans une situation ne correspondant que partiellement à la signification attribuée.
Une revue de recherches rapportée dans le tableau 6 montre que ces hypothèses
sont en partie confirmées et en partie infirmées.
Insérer le tableau 6
De plus, les résultats des travaux relatifs aux verbes de transmission de
possession, de mouvement, de jugement, et de nourriture, montrent que:
- d'une part les résultats (pour un même groupe de verbes) varient en
fonction du dispositif expérimental;
- d'autre part que dans bons nombres de cas les traits qui font partie de la
signification attribuée à un verbe par les enfants ne sont pas prévus par le modèle de
départ.
Il existe un nombre impressionnant de contre-exemples à la théorie du trait
sémantique. Pour les expliquer on a fait appel pêle-mêle à la situation de
communication, à la notion de trait important pour l'enfant ou à la notion de trait faisant
partie de l'expérience de l'enfant. Cependant, si chaque nouvelle expérience a permis de
13
mettre en évidence les limites de la théorie, personne n'a jamais pu proposer un nouveau
cadre d'interprétation théorique cohérent permettant d'intégrer le rôle de la situation de
communication.
Notons que les mêmes problèmes ont été rencontrés avec l'étude de la production
et de la compréhension des métaphores: pour certains auteurs leur compréhension est
précoce (vers 4 ans) alors que pour d'autres elle est beaucoup plus tardive (9-10 ans).
L'explication des métaphores est très difficile dès lors que l'on considère que la
signification des mots est composée de traits inhérents: en effet le propre des
métaphores est de faire varier la signification en fonction de la situation.
3.3. La situation de communication: un objet intéressant
L'idée de cette perpective (cf Ervin-Tripp et Mitchell-Kernan, 1977; Slobin, 1996)
est qu'il est possible en se centrant sur la situation de communication, de définir un
ensemble de conditions pouvant contribuer à progresser dans l'étude de l'acquisition du
langage: l'étude des conversations naturelles, l'étude d'unités d'analyse plus larges que la
phrase, la prise en compte du contexte extralinguistique, la prise en compte de
variabilités interindividuelles ou intergroupes sociaux, et enfin la prise en compte des
diverses fonctions du langage. En effet, le langage n'est pas simplement une grammaire,
mais aussi un ensemble de stratégies utilisées par l'enfant pour structurer son action
sociale, pour contrôler et réaliser son activité communicative.
Les recherches qui ont pris en compte la situation ont été réalisées dans le cadre la
psycholinguistique pragmatique (Moeschler et Reboul, 1994; Bernicot et Trognon,
1997), c'est-à-dire la psycholinguistique qui s'intéresse plus à l'utilisation, aux usages,
aux fonctions du langage qu'à sa structure. Cette perspective consiste à aborder le
problème de l'acquisition en se posant la question: "à quoi sert le langage, quel est
l'usage qui en est fait par les enfants?".
Il existe des convergences importantes entre les théories pragmatiques actuelles et
des théories du développement comme celles de Vygotski (1985) et de Bruner (1983;
1991). Pour Vygotski (1985) un signe linguistique est toujours, à l'origine, un moyen
utilisé dans un but social, un moyen d'influencer autrui, et seulement plus tard un
moyen de s'influencer soi-même. De plus, pour lui la fonction essentielle du langage
chez l'adulte comme chez l'enfant est la communication et le langage initial de l'enfant
est purement social. La notion de formats d'interaction développée par Bruner est aussi
très intéressante. Pour Bruner (1983; 1991), l'activité de l'adulte est caractérisée par une
interprétation permanente des comportements de l'enfant et par une tendance à
14
standardiser certaines formes d'action conjointe. C'est cette standardisation des actions
conjointes que Bruner appelle "format".
Dans cette perspective, parler c'est être engagé dans un comportement régi par des
règles. Du point de vue du développement, il s'agit d'étudier donc comment l'enfant
produit et interprète le langage à travers un ensemble de règles, de conventions et de
connaissances partagées qui sous-tendent, non seulement les communications verbales
mais aussi l'ensemble des activités sociales. L'acquisition du langage implique pour
l'enfant d'être sensible à ces règles, ces conventions et ces connaissances partagées et
d'avoir un comportement linguistique en accord avec elles. L'acquisition du langage
passe par l'établissement de relations entre règles sociales et structures du langage.
Dans le cadre des psycholinguistiques pragmatiques, à titre d'exemples deux
courants ont été choisi: celui qui met en relation situation de communication et
fonctions du langage, et celui qui met en relation situation de communication et actes de
langage.
3.3.1. Situation de communication et fonctions du langage
Nous illustrerons cette perspective par les travaux de M.A.K. Halliday (1975;
1978; 1985). L'auteur a travaillé à partir de données qui sont les productions verbales et
non verbales d'un seul enfant: son fils Nigel âgé de 9 mois à 22 mois et demi.
L'interprétation des données a permis de dégager deux phases dans l'évolution des
productions de l'enfant.
La phase 1, entre 9 mois et 16 mois et demi, est caractérisée par l'absence de
combinatoire entre mots et gestes ou entre plusieurs mots. On peut avec six fonctions
(usages) décrire les productions de l'enfant.
a - La fonction instrumentale vise à obtenir quelque chose de l'interlocuteur.
b - La fonction régulatoire vise au contrôle du comportement d'autrui.
c - La fonction interactionnelle concerne les salutations, les marques de politesse
et la prise de contact avec autrui.
d - La fonction personnelle concerne l'expression de soi, de ses intérêts, de sa
satisfaction, de sa non satisfaction, etc...
e - La fonction heuristique vise à l'augmentation du savoir.
15
d - La fonction imaginative concerne l'expression de sa propre conception de
l'environnement et du monde.
L'ordre d'apparition des fonctions est celui indiqué ci-dessus. Chaque énoncé est
caractérisé par une fonction unique et concerne le locuteur.
La phase 2, entre 16 mois et demi et 22 mois et demi, est caractérisée par
l'apparition d'une combinatoire entre mots et gestes puis entre mots et l'apparition d'une
septième fonction: la fonction informative qui concerne l'échange d'information entre
interlocuteurs. Un énoncé peut être caractérisé par une combinaison de fonctions et la
signification d'un énoncé est lié au dialogue.
Deux types de combinaisons apparaissent donnant naissance à deux nouvelles
fonctions. La fonction pragmatique est liée au langage comme moyen d'action sur le
monde extérieur (combinaison des fonctions instrumentale, régulatoire et
interactionnelle). La fonction mathétique est liée au langage comme moyen
d'apprentissage (combinaison des fonctions personnelle, heuristique et imaginative).
Il existe aussi une phase 3, non observée sur Nigel, qui correspond à l'entrée dans
le système adulte où selon Halliday le nombre de fonctions est illimité.
L'idée d'un ordre d'acquisition universel des fonctions du langage a été discutée et
contestée. Dale (1980) a analysé les productions de 20 enfants de 1 ans à 2 ans. Les
résultats montrent que le nombre de fonctions utilisées augmente avec l'âge, mais que, à
un âge donné ne correspond pas de fonction particulière.
Si les travaux d'Halliday n'ont pas toujours été confirmés, ils ont cependant une
grande valeur heuristique dans la mesure où ils ont été à l'origine d'un courant de
recherches très riche. 3.3.2. Situation de communication et actes de langage
A la suite des travaux d'Austin (1969) et de Searle (1982) on a défini cinq
fonctions, cinq utilisations possibles du langage que l'on appelle "actes de langage".
a. Les assertifs, par exemple affirmer ou supposer, engagent la responsabilité du
locuteur sur l'existence d'un état de chose, sur la vérité d'une proposition exprimée.
b. Les directifs, par exemple ordonner ou suggérer, sont des tentatives de la part
du locuteur de faire faire quelque chose à l'auditeur.
c. Les promissifs, par exemple promettre ou menacer, obligent le locuteur à
adopter une certaine conduite future.
16
d. Les expressifs, consistent pour le locuteur à exprimer un état psychologique
(par exemple la satisfaction ou la crainte) à propos de l'état du monde.
e. Les déclarations provoquent par leur accomplissement effectif la mise en
correspondance de leur contenu avec la réalité (par exemple pour un chef d'entreprise
dire à quelqu'un qu'il est engagé, pour un enseignant dire à un étudiant qu'il est reçu).
Du point de vue de l'acquisition, l'acte de langage le plus étudié, correspond aux
directifs le plus souvent appelé demande. On distingue les demandes directes des
demandes indirectes. Une demande est directe en cas de coïncidence parfaite entre les
caractéristiques formelles de l'énoncé et l'acte social réalisé: le locuteur "dit" ce qu'il
"signifie" (ex: "Donne-moi le stylo"). Une demande est indirecte lors d'une absence de
coïncidence parfaite entre les caractéristiques formelles de l'énoncé et l'acte social
réalisé: le locuteur "signifie" autre chose que ce qu'il "dit" (ex: "Peux-tu me donner le
stylo?", "Ton stylo marche-t-il encore?", ou bien "je n'ai rien pour écrire").
La compréhension et la production de la demande ont donné lieu à un ensemble
de recherche cohérent chez l'enfant entre deux et dix ans (cf Bernicot, 1992): les
éléments essentiels en sont présentés ci-dessous. D'autres actes de langage ont
récemment été étudiés: les promissifs (Laval et Bernicot, 1997) et les assertifs (Marcos
et Bernicot, 1997). Les résultats obtenus pour ces trois actes de langage (directifs,
promissifs et assertifs) présentent un point commun: l'importance du rôle du contexte
particulièrement marqué chez les enfants les plus jeunes.
La compréhension des demandes
Il est important de souligner qu'une synthèse des recherches fait apparaître que
l'âge et la complexité des énoncés ne suffisent pas à expliquer la compréhension des
demandes par les enfants. D'autres facteurs comme le caractère direct ou indirect de la
demande, la clarté de la situation de communication et l'expérience linguistique et
culturelle d'une langue donnée sont aussi très importants, en particulier avant l'âge de
5-6 ans. D'une façon générale les demandes directes sont mieux comprises que les
demandes indirectes; le fait que le locuteur ait des raisons fortes de demander quelque
chose à l'auditeur favorise la compréhension de la demande; en situation de
compréhension dans une langue seconde, l'interprétation des énoncés est davantage
basée sur la situation de communication que sur leur forme linguistique.
Les travaux relatifs à la demande permettent de souligner que l'acquisition du
langage doit être étudiée dans le cadre d'une situation de communication qui n'est pas
17
un simple support mais qui fait partie intégrante d'une production linguistique définie à
la fois par la situation de communication et par l'énoncé.
La production des demandes
La production des demandes, et en particulier leur caractère direct ou indirect,
dépend aussi de certaines caractéristiques de la situation de communication: comme le
contenu de la demande (action, information, droit, faveur), l'auditeur (ami, ennemi, de
statut social plus ou moins élevé). De plus, on observe que dans une situation donnée la
production d'une demande efficace est un ajustement subtil entre deux règles
paradoxales: plus un énoncé est direct, plus il est compréhensible par l'interlocuteur;
plus un énoncé est indirect, plus il est acceptable par l'interlocuteur. Il est probable
qu'avant de maîtriser cet ajustement subtil, les enfants opèrent des mouvements de
balancement entre les deux règles. La production d'une demande efficace implique la
maîtrise de ces règles et des effets de leurs combinaisons. Entre 4 et 6 ans, un certain
nombre d'entre elles règles semblent acquises. Par exemple, si le locuteur anticipe
l'interlocuteur comme étant coopératif alors les formes de la demande sont plutôt
directes ou bien si le locuteur s'adresse à un interlocuteur de statut plus élevé que le sien
alors les formes de la demande sont plutôt indirectes.
Ces règles ne sont pas à confondre avec les préceptes d'un manuel de bonnes
manières. Il est bien clair que l'apprentissage des formes de la demande n'est pas celui
de la politesse. Il ne s'agit pas d'apprendre à dire "bonjour..., s'il vous plaît..., est-ce que
...", il s'agit, pour l'enfant, d'apprendre, pour voir se réaliser son intention, dans une
situation appropriée, à adresser à un auditeur approprié, une forme linguistique
appropriée.
4 - CONCLUSION
Il est important de rappeler en conclusion que la présentation que nous avons faite
ne constitue qu'une première approche du problème de l'acquisition du langage.
Cette étude de l'acquisition du langage a bien sûr suivi la même évolution
historique que l'ensemble de la psychologie. Les différentes conditions d'acquisition et
de fonctionnement du langage prise en compte sont: la maturation neurologique, le
milieu socioculturel, les différences entre les individus et l'éducation. Le rôle de ces
différentes conditions a été évalué dans de nombreuses études. Si l'intervention de tous
ces facteurs est généralement admise, le poids respectif accordé aux uns et aux autres
18
varie en fonction des positions théoriques des auteurs. Pour la tendance empiriste, le
langage est acquis grâce à une capacité générale d'apprentissage associatif (Richelle,
1976) et pour la tendance innéiste, grâce à l'intervention d'une structure spécialisée
propre à l'homme (McNeill, 1970); pour la tendance constructiviste, le langage est
acquis comme les autres fonctions cognitives grâce à l'activité du sujet et à ses échanges
avec le milieu (Sinclair de Zwart, 1967; Bronckart, Kail et Noizet, 1983). Enfin, une
tendance plus récente souligne le lien entre la socialisation de l'enfant et le
développement du langage et de la communication (Oléron, 1979; Beaudichon, 1982;
Bernicot et Trognon, 1997).
L'étude scientifique de l'acquisition du langage par l'enfant a moins de trente ans.
Elle a connu une évolution théorique rapide et a fourni ces dernières années un nombre
impressionnant de travaux. Elle constitue actuellement un domaine de recherches très
vivant où beaucoup reste à découvrir.
19
Bibliographie du chapitre
L'ACQUISITION DU LANGAGE: ETAPES ET THEORIES
Austin, J.L. (1969). Quand dire c'est faire. Paris: Editions du Seuil.
Beaudichon, J. (1982). La communication sociale chez l'enfant. Paris: Presses Universitaires
de France.
Berko-Gleason, J. (Ed.) (1997). The development of language. Boston: Allyn and Bacon.
Bernicot, J. (1981). Le développement des systèmes sémantiques de verbes d'actions. Paris:
Monographies Françaises de Psychologie, CNRS.
Bernicot, J. (1992). Les actes de langage chez l'enfant. Paris: Presses Universitaires de
France.
Bernicot, J. et Chaigneau, A. (1996). Communication chez des enfants atteints de Dystrophie
Musculaire de Duchenne (DMD): la production des tours de parole et des actes de
langage. Interactions et Cognition, 1, 397-424.
Bernicot, J. et Marcos, H. (Eds.) (1992). La communication prélinguistique et linguistique.
Bulletin de Psychologie, numéro spécial. 46.
Bernicot, J., et Trognon, A. (1997). Dimensions de la conversation. In J. Bernicot, A.
Trognon et J. Caron- Pargue (Eds.) La conversation chez l'enfant et chez l'adulte.
Nancy: Presses Universitaires de Nancy.
Bideaud, J., Houdé, O. & Pédinielli, J.L. (1993). L'homme en développement. Paris: Presses
Universitaires de France.
Bloom, L. (1973). One word at time. La Haye: Mouton.
Boysson-Bardies, B. (1996). Comment la parole vient aux enfants? Paris: Editions Odile
Jacob.
20
Braine, M. (1963). The ontogeny of English phrase structure: the first phase. Language, 39,
1-14.
Bramaud du Boucheron, G. (1982). Le développement de la mémoire sémantique. Paris:
Presses Universitaires de France.
Bronckart, J.P. (1976). Genèse et organisation des formes verbales chez l'enfant. Bruxelles:
Dessart et Mardaga.
Bronckart, J.P., Kail, M. et Noizet, G. (1983). Psycholinguistique de l'enfant: recherche sur
l'acquisition du langage. Neuchâtel: Delachaux et Niestlé
Bruner, J.S. (1983). Le développement de l'enfant: savoir faire, savoir dire. Paris: Presses
Universitaires de France.
Bruner, J. S. (1991). ... Car la culture donne forme à l'esprit : de la révolution culturelle à la
psychologie culturelle. Paris : ESHEL.
Carmicaël, L. (1952). Manuel de Psychologie de l'enfant. Paris: Presses Universitaires de
France.
Clark, E.V. (1973). What's in the word? On the child's acquisition of semantics in his first
language. In T.E. More (Ed.). Cognitive development and the acquisition of language.
New-York: Academic Press.
Dale, Ph. (1980). Is early pragmatic development measurable? Journal of Child Language, 7,
1-12.
Deleau, M. (1990). Les origines sociales du développement mental.. Paris: Armand Colin.
Dixon, R.A. et al. (1984). Verbal ability and text structure effects on adults age difference in
text recall. Journal of Verbal Learning and Verbal Behavior, 23, 569-578.
21
Ervin-Tripp, S. et Mitchell-Kernan, C. (1977), Child Discourse. New-York: Academic Press.
Fayol, M. (1997). Des idées au texte. Psychologie cognitive d ela production verbale, orale et
écrite. Paris: Presses Universitaires de France.
Fayol, M., Gombert, J.E., Lecocq, P., Sprenger-Charolles, L., et Zagar, D. (1992).
Psychologie cognitive de la lecture . Paris: Presses Universitaires de France.
Halliday, M.A.K. (1975). Learning how to mean: an exploration in the development of
language. London: Arnold.
Hamer, J.F. and Blanc, M. (1989). Bilingualité et Bilinguisme. Bruxelles: Mardaga.
Garton, A.F. and Pratt, C. (1989). Learning to be literate. The development of spoken and
written language. Oxford: Basil Blackwell.
Halliday, M.A.K. (1978). Language and social semiotic. London: Arnold.
Halliday, M.A.K. (1985). An introduction to functionnal grammar. London: Arnold.
Hurtig (M.) et Rondal (J.A.). (1981). Introduction à la psychologie de l'enfant. Bruxelles:
Mardaga, 1981. Tome 2, Chapitre 10, p. 455-510.
Laval, V. et Bernicot, J. (1997). Compréhension des promesses et connaissances
métapragmatiques chez les enfants. In J. Bernicot, A. Trognon et J. Caron- Pargue
(Eds.) La conversation chez l'enfant et chez l'adulte. Nancy: Presses Universitaires de
Nancy.
Linfoot, K. (1994). Communication strategies for people with developmental disabilities.
Sidney : MacLeennan & Petty Pty Limited.
McNeill, D. (1970). The acquisition of language. New-York: Harper.
22
McTear, M. F., & Conti-Ramsen, G. (1992). Pragmatic disability in children. London :
Whurr Publishers Ltd.
Marcos, H. et Bernicot, J. (1997). How do young children reformulate assertions? A
comparison with requests.Journal of Pragmatics, 27, sous presses
Melher, J. (1978). La perception du langage chez le nourrisson. La Recherche, 9, 324-330.
Moeschler, J. et Reboul, A. (1994). Dictionnaire encyclopédique de pragmatique. Paris:
Editions du Seuil.
Nelson, K. (1973). Structure and strategies in learning to talk. Monographs of the Society for
the Research in Child development, 38, (n°149).
Oléron, P. (1976). L'acquisition du langage. In H. Gratiot-Alphandéry et R.Zazzo (Eds.)
Traité de Psychologie de l'enfant, tome 6: les modes d'expression. Paris: Presses
Universitaires de France.
Oléron, P. (1979). L'acquisition du langage. Paris: Presses Universitaires de France.
Perdue, C. (1995). L'acquisition du français et de l'anglais par des adultes. Paris: CNRS
Éditions.
Richelle, M. (1976). L'acquisition du langage. Bruxelles et Liège: Dessart et Mardaga.
Saussure, F. (1960). Cours de linguistique générale. Paris: Payot. (Première édition: 1916).
Searle, J.R. (1982). Sens et expression. Paris: Editions de Minuit.
Segui, J. and Léveillé, M. (1977). Une étude sur la compréhension des phrases par l'enfant.
Enfance, 1, 105-115.
Simon, E.W. et al. (1982). Orienting task effects on text recall in adulthood. Journal of
Gerontology, 31, 575-580.
23
Sinclair de Zwart, H. (1967). Acquisition du langage et développement de la pensée: soussystème linguistiques et opérations concrètes. Paris: Dunod.
Slobin, D.I. (1981). L'apprentissage de la langue maternelle. La Recherche, 12, 572-578
Slobin, D.I.(Ed.) (1996). Social interaction, social context, and language. Hillsdale, New
Jersey : Laurence Erlbaum Associates.
Tager-Flusberg, H. (1994). Constraints on language acquisition : studies of atypical children.
Hillsdale, New Jersey : Laurence Erlbaum Associates.
Vygotski, L.S. (1985). Pensée et langage. Paris: Editions Sociales de France.
24
Tableau 1 - Exemples d'énoncés de deux mots
Mot pivot
aussi
aussi
Mot ouvert
bonbon
du pain
encore
encore
encore
encore
encore
Mot ouvert
auto
ballon ama
clé
bonbon
banane
du pain
manger
fromage
le bonbon
Mot pivot
ama (à moi)
(à moi)
ama (à moi)
ama (à moi)
camion
auto
moto
grue
broum-broum
broum-broum
broum-broum
broum-broum
25
Tableau 2 - Longueur moyenne de la phrase dans le langage parlé à partir de dix
conversations d'après Carmichaël (1952)
cf version précédente
26
Tableau 3 - Chronologie de l'apparition des principaux constituants non nominaux du
syntagme nominal dans le parler de l'enfant d'après Hurtig et Rondal (1981)
cf version précédente
27
Tableau 4 - Exemple de règle permettant la création d'énoncé
Phrase
Syntagme Nominal
Article
La
Les
Les
etc
.
.
.
Syntagme Verbal
Nom
diva
dinosau
étudiant
etc
.
.
.
res
s
Ve
rbe
Adverbe
ma
tr
chante
ngent
availlent
faux
souvent
beaucoup
etc
.
.
.
etc
.
.
.
28
Tableau 5 - Exemples de surextensions d'après Bernicot (1981)
cf version précédente
29
Tableau 6 - Points de la théorie de Clark (1973) confirmés (+) ou infirmés (-) par les
expériences d'après Bernicot (1981)
cf version précédente